Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte vise à approuver une décision importante, dont les Français n’ont perçu que le plus positif des aspects, à savoir l’accord, obtenu à l’arraché, entre les États membres sur les finances européennes, avec à la clé un plan de relance massif. Mais cette solution n’est pas sans incidence, sans risque et sans coût. Ces éléments doivent être versés au débat en toute transparence. Confondre le plan de relance et son financement pose question.
Comme d’autres, j’avais alerté lors de l’examen de l’article 31 du projet de loi de finances pour 2021 relatif à la participation de la France au budget de l’Union européenne, sur les enjeux, notamment politiques, posés par une problématique d’apparence purement financière.
De fait, ces derniers mois, les questions financières ont été, à juste titre, au cœur des préoccupations européennes, qu’il s’agisse des négociations du cadre financier pluriannuel ou de la mise en place du fameux plan de relance.
Au total, le budget 2021-2027 de l’Union européenne et le plan de relance représentent une enveloppe de plus de 1 800 milliards d’euros. Cependant, comme d’autres l’ont souligné avant moi, il n’y a pas d’argent magique. Par conséquent, les sommes empruntées devront bien être remboursées.
Ainsi, le Conseil européen a décidé que, au cours des prochaines années, l’Union européenne devrait s’employer à réformer le système des ressources propres et à en introduire de nouvelles.
La Commission s’est engagée à présenter des propositions d’ici au mois de juin 2021. Les décisions qui viennent d’être prises pour répondre à la crise s’orientent, bon gré, mal gré, vers plus de solidarité financière entre les États membres jusqu’à instituer des dispositifs pouvant bien jeter les premières bases d’un fédéralisme budgétaire qui ne dirait pas son nom.
La commission des affaires européenne du Sénat a auditionné une eurodéputée, corapporteure de l’équipe de négociation chargée des ressources propres, qui a reconnu sans ambages être « pour une Europe fédérale ». Elle a admis, par ailleurs, qu’elle soutenait l’instauration de nouvelles ressources propres parce que c’était, selon elle, « le sens de l’histoire ».
Tout cela est pour moi assez révélateur d’un état d’esprit : puisque c’est le sens de l’histoire, pourquoi perdre son temps à en débattre avec les Français ? Notre collègue du groupe RDPI l’a d’ailleurs confirmé.
En réalité, une telle orientation se fait insidieusement, sans que les Français en aient conscience, et sous la pression des événements. Sous les apparences de mesures techniques, réputées encadrées et temporaires, c’est un nouveau modèle politique qui pointe le bout de son nez.
Cette nouvelle direction mérite au contraire, je le pense, un débat large, approfondi et éclairé sur la nature de l’Europe que nous voulons pour l’avenir. Ces questions sont légitimes et ce n’est pas être eurosceptique que de se les poser.
Je note, d’ailleurs, qu’au cours des précédentes interventions, les avocats de ce texte se sont contredits entre eux. Certains ont dit « ce n’est pas plus de fédéralisme » quand d’autres ont affirmé « c’est un pas supplémentaire vers le fédéralisme et nous nous en réjouissons ». Que de contradictions !
Les dernières décisions européennes ont des conséquences qui ne sont pas neutres pour la France en termes de coût, cela a été timidement souligné. Les pays dits « frugaux », c’est-à-dire les plus aisés ou ceux qui ont été les plus raisonnables dans leurs dépenses publiques, ont su conserver et même obtenir des rabais sur leur rabais, parfois dans des proportions non négligeables. La France, qui souhaitait fort justement la suppression des rabais, va au contraire contribuer largement à leur financement. La solidarité a un prix…
J’espère que lesdits pays s’engageront le moment venu – et nous y sommes presque – à plus de solidarité en matière de défense et de sécurité du continent quand nous éreintons nos personnels et matériels dans la lutte globale contre le terrorisme.
Quant aux nouvelles ressources, seront-elles réellement créées ? Il existe de nombreux écueils, notamment institutionnels, et les États membres sont encore divisés au sujet de certaines ressources. Des risques de représailles commerciales contre certaines taxes nouvelles existent, vous le savez bien.
En l’absence de nouvelles ressources propres, le remboursement du plan de relance européen pourrait s’élever pour la France à 2, 5 milliards d’euros par an sur trente ans, à compter de 2028. Ce remboursement, que la commission des finances du Sénat a qualifié à juste titre en décembre dernier de « bombe à retardement pour les finances publiques », est à rapporter aux 40 milliards d’euros dont la France bénéficiera et à sa santé économique dégradée. À cela s’ajoute l’augmentation de la contribution de la France au budget européen : que de paradoxes !
Sans être obsédé par la question du « juste retour », je considère que tous ces éléments doivent faire partie de l’équation.
Une partie des spécialistes de finances publiques jugent crucial de construire, sur la base de cette matrice emprunt-ressources propres, une doctrine européenne qui pose clairement la question du fédéralisme financier. En matière européenne, nous sommes entrés depuis quelques années dans la politique des petits pas, avec le risque d’un « effet cliquet » anti-retour. Prenons-y garde.
Qu’en est-il du principe de subsidiarité sur les subventions ? Quand d’excellents collègues de la commission des finances affirment que la France emprunterait sur le marché à des conditions meilleures que celles de l’Union européenne, nous avons le devoir de nous interroger.
Le déblocage des fonds suscite également des interrogations. Comme cela a été rappelé dans le rapport de la commission des finances, « l’Union européenne va devoir trouver le bon équilibre entre l’indulgence et l’ingérence ». Je vous laisse, mes chers collègues, fixer la position du curseur. On peut imaginer que des tensions ne manqueront pas, bien évidemment, d’apparaître…
La situation, y compris financière, dans laquelle nous sommes désormais nous conduit à nous interroger sur la fin de crise. Quand celle-ci surviendra-t-elle ? Aucun d’entre nous n’est capable de le dire aujourd’hui. Ces mesures seront-elles suffisantes ou pas ? Je ne le sais pas. Si la crise devait se poursuivre, que ferions-nous ?
Pour toutes ces raisons, je m’abstiendrai sur ce texte et je vous recommande, mes chers collègues, de faire de même.