Intervention de Clément Beaune

Réunion du 4 février 2021 à 10h30
Système des ressources propres de l'union européenne — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Clément Beaune  :

Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite, sans que mon intervention soit trop longue, revenir sur quelques points évoqués de façon récurrente dans les différentes interventions.

Plusieurs questions ont été soulevées. Sans rouvrir le débat sur les qualificatifs, le fait est que nous n’avons jamais discuté d’un « plan de relance » tout court à l’échelon européen, a fortiori d’un plan de cette ampleur et d’une dette commune, dont vous avez rappelé les avantages qu’elle présentait et les interrogations qu’elle suscitait. Je vais m’efforcer d’apporter quelques réponses, autant que faire se peut, sur ces différents points.

A-t-on défendu les intérêts de la France jusqu’au bout de la nuit ? Je le pense sincèrement. Je ne suis sans doute pas parfaitement objectif dans la mesure où j’ai participé à ces longues nuits blanches, mais je peux vous assurer que, de par la longueur des négociations et de par le capital politique investi – si je puis le dire ainsi – par le Président de la République dans ces négociations, les intérêts de la France, y compris ses intérêts budgétaires, ont été pris en compte à chaque instant.

Les chiffres valant mieux qu’un long discours, je donnerai quelques éléments d’information et de relativisation sur un certain nombre de points.

Vous l’avez compris, je ne suis pas un fanatique de la logique du juste retour, car je pense qu’elle donne une image très parcellaire et imparfaite du bénéfice de notre appartenance à l’Union européenne. Pour autant, nous sommes le sixième contributeur net rapporté à notre PIB.

Non, les rabais ne sont pas un bon système – j’y reviendrai dans un instant – et oui, nous aurions préféré les supprimer – ce combat est encore devant nous –, mais il est faux de dire que nous sommes les victimes budgétaires de nos amis frugaux et que si l’on prend ce seul critère, aussi imparfait soit-il, ceux-ci s’en sortent mieux que nous.

Ces pays bénéficient de rabais aussi parce que leur situation budgétaire, leur contribution nette au budget de l’Union européenne est très élevée – je ne justifie en rien le système, mais c’est un fait –, et même plus élevée que la nôtre. Si l’on doit faire des comparaisons, il faut être tout à fait exact. C’est vrai pour les Pays-Bas, la Suède, le Danemark, l’Autriche et l’Allemagne : en proportion de leur PIB, ils sont des contributeurs nets plus importants que nous.

Sans justifier, encore une fois, le système des rabais, je note tout de même, afin que nous soyons le plus précis possible, que le coût global des rabais sur l’exercice budgétaire qui a commencé début 2021 est moins élevé pour la France que ce qu’il était auparavant, en raison notamment du départ du Royaume-Uni – le pays qui avait introduit le ver dans le fruit, c’est-à-dire le système des rabais – de l’Union européenne. De ce point de vue, nous bénéficions de ce départ.

La question du coût de l’emprunt a été évoquée dans plusieurs interventions. Sur ce point, les choses sont encore assez incertaines, car elles sont devant nous. Les émissions de dettes européennes liées au plan de relance n’ont pas commencé, mais nous avons quelques éléments de référence, comme l’a dit M. Joly.

Le mécanisme SURE de financement des assurances chômage de certains États membres, auquel la France n’a pas aujourd’hui recours, met au jour, cette semaine encore, des taux d’émission à maturité égale qui sont équivalents entre l’Union européenne et la signature française, et même meilleurs à un certain niveau de maturité, au-delà de dix ans. Cela montre que le produit financier représenté par l’émission de dettes de l’Union européenne est considéré comme extrêmement sûr – c’est, je crois, un geste de confiance dans l’avenir – et qu’il bénéficie dès aujourd’hui de conditions de financement extrêmement favorables, comparables aux nôtres et même meilleures dans certains cas. Il s’agit là non pas de l’argument central pour recourir au plan de relance, mais tout au moins d’un élément d’éclairage de la discussion budgétaire qui nous occupe légitimement ce matin.

Tout comme vous, je l’ai dit, je déplore que les rabais n’aient pas été supprimés. Nous avons mené différents combats ; celui qui portait sur le plan de relance et sur la dette commune était nécessaire, compte tenu de la situation.

Il s’agit, je le maintiens, d’une avancée extrêmement positive, liée certes à la crise, mais qui constituera aussi un outil de réponse lors d’éventuelles crises ultérieures. Nous avons vu que l’Europe avait été frappée, plus souvent qu’on ne l’aurait imaginé, par des crises économiques régulières depuis maintenant une douzaine d’années. Avoir cet outil entre nos mains est donc indispensable, car nous avons besoin, comme le dit M. Le Gleut à juste titre, d’une réponse solidaire.

Permettez-moi de m’éloigner quelques instants de la question du juste retour. Pour évaluer notre appartenance à l’Union européenne de manière plus large que sur ce seul critère, nous devons considérer aussi le bénéfice que nous apporte l’appartenance à la zone euro et au marché unique, ne serait-ce – pour élargir le débat – que d’un point de vue financier.

Je crois avoir dit devant votre assemblée que nous financions notre dette à des conditions beaucoup plus favorables qu’avant l’euro. Si nous devions la financer aux mêmes conditions de taux d’intérêt que dans la période précédant immédiatement l’entrée dans la monnaie unique, nous paierions 37 milliards d’euros supplémentaires de charges d’intérêts annuels. J’insiste sur ce chiffre, car il est révélateur de ce que représente, au-delà d’un calcul budgétaire direct, l’appartenance à notre espace commun.

Ce que je viens de dire est vrai aussi pour la relance. Si nous n’aidons pas, via cette dette commune, l’Italie, l’Espagne ou d’autres pays qui bénéficient de conditions de financement nettement moins favorables, à se relever avec nous, alors nous pénalisons notre économie, notre pays et le projet européen dans la durée. Voilà ce que nous ont permis d’obtenir le plan de relance et la dette commune.

La question des rabais, c’est le combat suivant, même s’il n’est pas nouveau. On a évoqué les négociations jusqu’au bout de la nuit ; j’ajoute que ce système des rabais a été accepté, au-delà du Royaume-Uni, il y a plus de vingt ans par le gouvernement de Lionel Jospin et par le président Jacques Chirac, qui ont défendu bec et ongles les intérêts français, mais qui ont dû admettre, à un moment donné, que ce système était une nécessité.

Nous avons constaté que, pour obtenir et maintenir ce plan de relance et disposer d’un budget qui finance nos priorités politiques, nous devions vivre quelques années supplémentaires avec le système des rabais, même si nous avons essayé de le limiter le plus possible.

Lorsque viendra le moment du remboursement effectif du plan de relance, la solution des ressources propres ne s’imposera pas toute seule. Je suis convaincu qu’elle s’imposera d’abord parce que nous avons franchi une première étape : l’accord de principe unanime des vingt-sept États membres intervenu l’été dernier. Cet accord a été renforcé par la négociation avec le Parlement européen, au sein duquel toutes les familles politiques représentées également dans cet hémicycle soutiennent le principe des ressources propres et se sont exprimées à ce sujet, ce qui comptera dans le combat politique qu’il nous reste à mener.

Les ressources propres, agréées politiquement, seront la solution pour rembourser ce plan de relance. Pour fixer les choses, sachez qu’il nous faudra collectivement rembourser environ 17 milliards d’euros par an à partir de 2028.

Si l’on retient les deux ressources qui me paraissent les plus « mûres » et qui doivent figurer en premier sur la feuille de route agréée par le Conseil et le Parlement européens – le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières et la taxe sur les services numériques –, elles couvriraient la quasi-totalité, et même un peu plus dans les hypothèses les plus favorables, du montant annuel du remboursement du plan de relance.

Les ressources propres constituent donc clairement la réponse. Et pour tout vous dire, je pense que nos amis bénéficiaires de rabais l’ont bien compris. Ils savent que le système des rabais est remis en cause et que nous le remettrons en question encore davantage la prochaine fois, lors d’un véritable débat sur ce sujet.

Ils savent aussi que les ressources propres seront la réponse à l’augmentation, qu’ils ne veulent pas voir, de leur contribution financière à l’avenir. En effet, les rabais ne pourront pas augmenter à l’infini, et nous voulons même les supprimer.

On le voit d’ores et déjà dans le débat parlementaire aux Pays-Bas et en Suède – tel n’était pas le cas il y a encore quelques années, pour des raisons de principe –, les ressources que j’ai évoquées, notamment le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, bénéficient d’un soutien politique de plus en plus important, car ces États membres savent que c’est la seule voie pour avancer ensemble.

J’ai tout à fait conscience qu’il n’y a pas, ainsi que plusieurs d’entre vous l’ont dit, de baguette magique ou d’argent magique. Il faudra rembourser. Mais il y a des impôts justes !

Je n’entrerai pas dans le débat sur le fédéralisme évoqué par M. Allizard et d’autres sénateurs, non par frilosité, mais parce que j’avoue ne l’avoir jamais bien saisi. Je ne pense pas que ce soit le sujet ici.

Avec les deux ressources propres que j’évoquais, ou d’autres, comme la taxe sur les transactions financières – c’est vrai aussi, par construction, pour la taxe sur les services numériques et pour le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières –, il ne s’agit pas de faire payer les contribuables européens pour financer je ne sais quelle fédération européenne. Il s’agit de faire payer des gens qui bénéficient de notre marché unique, mais qui ne sont pas européens et qui ne contribuent en rien à notre action commune, autrement dit, de mettre fin à un mauvais deal, pour reprendre les termes du Brexit.

Faire payer des entreprises, très largement étrangères, qui sont sur notre marché unique numérique, des entreprises qui exportent vers l’Union européenne sans respecter nos standards environnementaux et climatiques : voilà qui participe du débat non pas sur le fédéralisme, mais sur une Europe souveraine et indépendante, qui défend tout simplement ses intérêts. Voilà de quoi l’on parle en évoquant les ressources propres.

Pour les raisons que j’indiquais et du fait de la nature de ces ressources, je suis optimiste – je vous le confie – sur leur création et leur mise en œuvre.

Prenons l’exemple de la taxe sur les services numériques : huit pays européens l’ont déjà mise en place à l’échelon national. Avant que les travaux ne se poursuivent au sein de l’OCDE, vingt-quatre pays européens, vingt-cinq avec le Danemark, étaient favorables à cette taxe. Il faudra obtenir l’unanimité des États membres sur cette question, mais je pense que, dans l’année, nous serons fixés sur l’aboutissement ou non des travaux de l’OCDE visant à mettre en place une réponse européenne.

Un autre point a été évoqué, du côté gauche de l’hémicycle : les réformes et les conditionnalités qui pourraient être exigées en contrepartie du plan de relance européen. Je serai précis sur ce sujet.

Chaque pays – la France, comme tous les États membres – va soumettre un plan national de relance – nous sommes en train de le finaliser – à ses partenaires européens en vue de discuter collectivement d’une stratégie de relance. Celle-ci repose sur l’investissement et les financements européens obtenus pour nos plans de relance, mais aussi sur des réformes que nous devrons préciser. Nous faisons d’ailleurs une telle présentation chaque année à nos partenaires européens. C’est ce que l’on a appelé un temps la coordination économique ou la gouvernance économique européenne, que la France a si longtemps appelée – toutes sensibilités politiques confondues – de ses vœux. Il s’agit ici d’une étape supplémentaire en ce sens ; saisissons cette occasion.

Deux points sont très importants.

D’une part, et nous en avons longuement débattu, aucun pays n’a de droit de veto sur le plan de relance d’un autre. Pour être très concret, je prendrai un exemple qui n’est pas tout à fait théorique : les Pays-Bas ne pourraient pas empêcher le financement par l’Union européenne du plan de relance italien. Une décision collective sera prise sur chaque plan de relance, à la majorité qualifiée, selon la procédure normale à l’échelon européen. Je pense que ce débat collectif est sain.

Chaque plan de relance national devra prévoir des réformes ; ce n’est pas une spécificité pour la France… Il y a non pas une réforme prescrite par Bruxelles, mais une stratégie de relance que nous devons exposer et dont nous devons discuter avec nos partenaires européens. Ce sera la dernière étape avant le décaissement des fonds, que nous attendons, je le rappelle, pour le mois de mai ou de juin de cette année.

Le ministre des finances a eu l’occasion de dire que nous devions accélérer les procédures européennes pour que le plan de relance européen soit mis en œuvre et puisse financer rapidement, de manière sonnante et trébuchante, notre propre plan de relance. Avec Bruno Le Maire, nous nous battons à cette fin. J’espère, si le vote de cette assemblée le permet, que nous franchirons à cet égard une étape importante.

J’ai pris bonne note du large soutien apporté à ce texte, mais aussi du soutien vigilant et responsable exprimé par différents groupes qui ont insisté sur les combats restant à mener. J’y vois un encouragement à continuer le travail sur les ressources propres et, pour ce qui me concerne, à vous en rendre compte le plus régulièrement possible.

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