Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai mon intervention en déplorant la volonté de la commission des lois d’aller vers un vote conforme. Tout travail parlementaire est de ce fait exclu a priori, ce que nous regrettons profondément.
Ce projet de loi a évolué très sensiblement au cours des derniers mois. De nouvelles dispositions améliorent même la transparence dans la conclusion de ce type de contrats, ce que nous jugeons satisfaisant.
Ainsi, un certain nombre d’éléments sont précisés, comme la méthodologie de l’évaluation préalable. La nécessité que le partenaire privé fournisse un rapport annuel est affirmée. Un meilleur recensement de ce type de contrats est prévu par le ministère de tutelle et il est spécifié que les documents budgétaires des collectivités territoriales devront faire apparaître des données sur les PPP conclus.
À l’inverse, cependant, nombre d’amendements qui ont été adoptés n’emportent pas notre agrément, notamment ceux qui ont élargi le champ d’application des PPP.
Ainsi, les organismes de sécurité sociale et les sociétés anonymes d’HLM pourront dorénavant recourir aux PPP.
Par ailleurs, le recours aux PPP ne serait plus soumis à aucun critère pour les équipements destinés à l’enseignement du français à l’étranger, ainsi que pour les ouvrages et les équipements annexes des infrastructures de transports, c’est-à-dire rien de moins que les gares et les aéroports !
De nouvelles mesures dites de « neutralité fiscale » ont été votées, permettant une série d’exonérations fiscales. Nous considérons, pour notre part, qu’il s’agit non pas de neutralité fiscale, mais bien plutôt d’incitation fiscale. Ces procédés d’exonération ont même été élargis aux baux emphytéotiques administratifs, notamment par le renforcement de l’éligibilité au Fonds de compensation pour la TVA.
De plus, des amendements ont également assoupli les obligations pesant sur le prestataire privé. Il en est ainsi du cautionnement du cocontractant pour garantir le paiement des prestataires et de l’obligation pour l’État de souscrire une assurance dommages pour ses contrats de partenariat.
Toutes ces dispositions sont cohérentes et ont pour unique objectif de favoriser à tout prix le recours aux PPP.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen continuent, pour leur part, de juger ce texte non seulement anticonstitutionnel au regard de la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel en 2003, mais également profondément néfaste.
Son opportunité est uniquement examinée à l’aune des critères de rigueur budgétaire imposés par la Commission européenne et le Gouvernement français.
En effet, ce qui caractérise aujourd’hui l’action publique, c’est le désengagement de l’État de ses missions d’aménagement du territoire et de service public.
Ce désengagement s’opère au bénéfice de groupes privés, comme en témoignent la cession des autoroutes et la privatisation de grandes entreprises publiques, et s’accompagne de transferts de charges aux collectivités territoriales, qui se voient confier de nouvelles compétences, sans transfert de ressources suffisant.
Dans ce cadre, les PPP sont bien la formule miracle permettant de conjuguer investissement privé et désengagement public. M. Novelli n’a-t-il pas dit qu’« il faut en terminer avec la règle en vertu de laquelle le règlement d’un problème passe toujours par plus de dépenses publiques » ?
Le problème en question, c’est le manque criant d’investissements dans des secteurs clefs de l’économie, qu’il s’agisse du service public pénitentiaire, des infrastructures de transports, de l’enseignement supérieur ou de la santé.
Il vous faut donc assouplir les règles afin de permettre aux contrats de partenariat de devenir le droit commun de la commande publique. Vous l’avez dit vous-même tout à l’heure, madame la ministre : l’exception peut devenir la règle !
Quoi qu’il en soit, la formule est bien loin de la réalité. Nombre de PPP ont été des échecs coûteux pour la collectivité. Je ne reviendrai pas sur les exemples qui ont été égrenés tout au long des débats, au Sénat comme à l’Assemblée nationale.
En effet, les collectivités territoriales et l’État ont eu bien du mal à appréhender les coûts sur des échelles de temps importantes. Cette nouvelle forme de commande publique constitue au final une fuite en avant, puisqu’elle permet de transformer en dépenses de fonctionnement des dépenses d’investissement.
Un certain nombre de voix s’élèvent donc pour s’opposer à ces contrats. Ainsi, le Premier président de la Cour des comptes a déclaré, le 6 février dernier, que le résultat de ces innovations, qui ne visent en fait, le plus souvent, qu’à pallier l’insuffisance de crédits immédiatement disponibles, se traduit par des surcoûts très importants pour l’État, qui aura fait preuve, en l’espèce, d’une « myopie coûteuse ». Certains n’ont d’ailleurs pas hésité à comparer ces contrats aux crédits revolving à destination des consommateurs.
Cet échec était prévisible, et il ne tient pas aux conditions fiscales ou à la lourdeur administrative. Il est dû, en grande partie, à l’incompatibilité intrinsèque d’objectifs entre l’intervention publique et l’intervention privée. Les entreprises privées ne sont pas des mécènes ; elles doivent être toujours plus rentables pour leurs actionnaires. Le secteur privé s’engage donc uniquement dans des projets où la rentabilité est avérée et importante.
De surcroît, on parle de partage des risques, mais les risques de défaillance du partenaire privé ne sont pas évoqués une seule fois. Comment ne pas reconnaître que, dans ce cas, le risque et les coûts seront finalement supportés par la collectivité ? Cela suscite donc également de la méfiance.
Nous estimons, à l’inverse, que la France doit se libérer des critères d’austérité budgétaire, qui ne permettront pas une relance de l’économie. La question est donc principalement de trouver de nouvelles ressources plutôt que de faire appel de manière systématique au privé. Dans ce cadre, nous souhaitons une refonte de la fiscalité pour une contribution plus juste de l’ensemble des acteurs économiques.
Nous craignons, également, que la généralisation de ces contrats n’amène à confier une responsabilité indue au secteur privé en termes d’aménagement du territoire, puisque les entreprises privées peuvent directement proposer des projets « clefs en main » aux collectivités. Qu’en sera-t-il des projets non rentables qui ne pourront faire l’objet d’un contrat de partenariat ?
Le rapport de force est inversé. C’est l’offre privée qui fera, pour partie, la politique publique d’aménagement du territoire. Au regard des forts enjeux du développement urbain, cela n’a pas de sens.
Par ailleurs, la conception même de ce type de contrats fait peser de nombreuses incertitudes sur le devenir des PME et des architectes.
En effet, les contrats de partenariat sont des contrats globaux : un seul opérateur sera désigné pour concevoir un bâtiment public, le construire, l’exploiter, assurer la maintenance et l’entretien. Comment imaginer alors que les PME trouveront leur place dans un tel dispositif ? Qui d’autre que les géants du BTP pourra répondre à ces appels d’offres ?
À ce titre, nous constatons que les plus gros marchés se répartissent déjà tout bonnement entre les trois majors : Vinci a remporté le contrat de rénovation de l’Institut national du sport et de l’éducation physique ; Eiffage a obtenu la construction du stade de la communauté urbaine de Lille ; Bouygues est retenu pour l’édification et l’exploitation d’établissements pénitentiaires, l’investissement s’élevant à 1, 8 milliard d’euros.
Quant aux architectes, ils sont voués à devenir de simples sous-traitants des entreprises du bâtiment. C’en est donc fini de la dualité entre la maîtrise d’ouvrage et la construction. C’en est également fini de la reconnaissance du caractère d’intérêt général de l’architecture. Nous le regrettons, à l’instar de plusieurs fédérations professionnelles qui ont publié dans l’édition du Monde en date du 25 juin un encart intitulé, de manière très explicite : « PPP : main basse sur la ville, le retour ».
Pour finir, nous estimons que ces contrats font peser des risques importants sur la domanialité publique. Il est en effet permis au partenaire privé de tirer des ressources complémentaires du domaine privé que la personne publique lui confie. Cette valorisation passe, notamment, par la conclusion de baux commerciaux sur ce domaine. Il est même permis que ces baux commerciaux puissent courir plus longtemps que le contrat de partenariat lui-même. L’encadrement de la cession de ces baux à un tiers a été supprimé à l’Assemblée nationale, dès lors que l’accord de la personne publique est initialement acquis.
Nous sommes sceptiques sur cette notion de valorisation et sur sa compatibilité avec celles de service public et d’intérêt général. À cet égard, la notion que vous développez, madame la ministre, de service annexe à la mission de service public ne nous convainc pas.
Nous sommes également parfaitement opposés au nouvel article 31 quinquies, qui vise, une fois de plus, à habiliter le Gouvernement à prendre une ordonnance pour transposer des directives communautaires portant réforme des procédures en matière de marchés publics. La réforme des marchés publics est d’une importance telle que nous estimons que le Gouvernement ne peut faire l’économie d’une nouvelle loi.
Pour toutes ces raisons, puisque le texte n’évoluera pas et conformément à leur vote en première lecture, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront contre ce projet de loi.