Intervention de Alain Marc

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 février 2021 à 9h05
Proposition de loi améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Alain MarcAlain Marc, rapporteur :

Nous examinons la proposition de loi améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale, déposée par le député Dimitri Houbron et ses collègues du groupe Agir ensemble et adoptée par l'Assemblée nationale le 26 novembre dernier.

Ce texte peut s'analyser comme une déclinaison, dans le domaine législatif, du thème de la justice de proximité, évoquée par Jean Castex dans son discours de politique générale. Le garde des sceaux avait précisé devant notre commission que l'intention du Gouvernement n'était pas de créer un nouvel ordre de juridiction - les juges de proximité ont été supprimés en 2017 -, mais simplement de rendre la justice au plus près de nos concitoyens, en s'appuyant sur des dispositifs existants.

Le 15 décembre 2020, la Chancellerie a diffusé auprès des chefs de juridiction une circulaire relative à la justice de proximité, qui donne des indications sur les actions pouvant être mises en oeuvre sans tarder. Le ministère invite, par exemple, à rapprocher les lieux d'audience du justiciable par le recours à la justice foraine. Il recommande la mise en place d'un continuum de prise en charge des victimes, ainsi qu'une amélioration de l'accueil des usagers du service public de la justice. Face aux « transgressions du quotidien », l'autorité judiciaire est incitée à se montrer plus réactive et à utiliser davantage les alternatives aux poursuites et la composition pénale, tout en développant ses partenariats.

Au regard des ambitions affichées, la proposition de loi peut sembler décevante, dans la mesure où elle contient des mesures techniques et d'une portée limitée. Vous conviendrez cependant que rendre la justice au plus près du terrain n'appelle pas tant des changements législatifs que des mesures d'organisation et des moyens adaptés en magistrats et en greffiers, pour rendre la justice rapidement et pour maintenir des lieux de justice sur l'ensemble du territoire.

La proposition de loi comporte quatre catégories de mesures qui concernent les alternatives aux poursuites et la composition pénale, la mise en oeuvre des peines de travail d'intérêt général, le recouvrement des contraventions et la simplification des procédures concernant l'appel des jugements d'assises et les pourvois en cassation.

Les alternatives aux poursuites et la composition pénale sont prévues respectivement aux articles 41-1 et 41-2 du code de procédure pénale. Elles sont mises en oeuvre par le parquet pour apporter une réponse pénale à des infractions de faible ou de moyenne gravité sans passer par une juridiction de jugement, ce qui évite d'engorger les tribunaux. Les alternatives aux poursuites et la composition pénale présentent une dimension transactionnelle : le parquet propose une sanction à l'auteur des faits qui l'accepte en échange d'un abandon des poursuites. La composition pénale est entourée d'un plus grand formalisme puisqu'elle est soumise, sauf exception, à la validation d'un juge du siège.

Les alternatives aux poursuites et la composition pénale représentent environ 40 % de l'activité des parquets. Près de la moitié des alternatives aux poursuites consiste en un rappel à la loi. S'agissant de la composition pénale, l'amende est la mesure la plus souvent retenue.

La proposition de loi complète et précise la liste des mesures pouvant être mises en oeuvre par le parquet. Concernant les alternatives aux poursuites, elle introduit des interdictions d'entrer en contact avec la victime ou avec des complices et elle crée - il s'agit sans doute de la mesure la plus innovante - une contribution citoyenne d'un montant maximal de 3 000 euros, que l'auteur des faits serait obligé de verser à une association d'aide aux victimes. Cette mesure me semble intéressante dans la mesure où elle revêt une véritable dimension pédagogique tout en offrant une forme de reconnaissance du travail accompli par ces associations auprès des victimes d'infractions pénales.

Concernant la composition pénale, le texte porte de soixante à cent le nombre maximal d'heures de travail non rémunéré (TNR) pouvant être effectuées et il ouvre la possibilité de suivre un stage de responsabilité parentale. Il supprime également l'obligation de validation par un juge du siège des compositions conclues en matière contraventionnelle.

Cette dernière disposition pose une question de principe puisqu'elle touche au contrôle que le juge du siège exerce sur l'activité du parquet. Après réflexion, je considère cette mesure cohérente avec celle adoptée dans le cadre de la loi du 23 mars 2019 de programmation pour la justice, qui a supprimé l'exigence de validation pour les infractions délictuelles les moins graves. Il me paraît raisonnable d'accepter dans le domaine contraventionnel ce que nous avons approuvé dans le domaine délictuel et qui n'avait d'ailleurs pas suscité de critiques de la part du Conseil constitutionnel.

Le deuxième volet du texte vise à fluidifier l'exécution des peines de travail d'intérêt général (TIG), dont le développement représente une priorité du Gouvernement, en raison de son intérêt pour prévenir la récidive et pour favoriser la réinsertion sociale et professionnelle des condamnés. Une expérimentation est en cours pour évaluer dans quelle mesure le secteur de l'économie sociale et solidaire pourrait contribuer à l'exécution de ces peines. L'Agence du travail d'intérêt général et de l'insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice (Atigip) a été créée à la fin de l'année 2018 afin de prospecter de manière plus systématique les employeurs susceptibles de proposer des TIG.

Deux mesures complémentaires sont envisagées par le texte.

D'abord, sont confiées au directeur du service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) certaines tâches actuellement dévolues au juge de l'application des peines (JAP) : le directeur du SPIP deviendrait compétent pour fixer les modalités d'exécution de la peine de TIG, c'est-à-dire essentiellement pour affecter le condamné à un TIG, et il serait chargé d'instruire les demandes des employeurs désireux de proposer des TIG. Responsable de la bonne exécution des peines, le JAP conserverait toutefois la possibilité de statuer lui-même lorsque cela lui paraît justifié. Les personnes que j'ai auditionnées m'ont confirmé que ces dispositions ne faisaient qu'entériner la pratique : dans les faits, le directeur du SPIP assume ces missions, tandis que le JAP se contente, sauf exception, de valider les décisions qui lui sont soumises.

La deuxième mesure supprime l'obligation d'un examen médical préalable à un TIG. Il serait maintenu seulement dans certaines hypothèses, précisées par décret, justifiées par la nature des travaux à accomplir ou par les caractéristiques du condamné, s'il s'agit d'un mineur par exemple. Deux éléments m'ont convaincu du bien-fondé de cette évolution : d'abord, les acteurs de terrain ont souligné que l'exigence d'un certificat médical avait souvent pour effet de retarder l'exécution de la peine sans réelle plus-value pour le condamné ; ensuite, il apparaît que la règle actuelle est plus contraignante que celle qui est applicable aux salariés - la visite médicale d'embauche a, en effet, été remplacée par une visite d'information et de prévention réalisée dans les trois mois suivant le recrutement et dont sont, de fait, dispensés beaucoup de salariés embauchés en contrat à durée déterminée (CDD). Le maintien d'une visite préalable systématique ne me paraît donc pas s'imposer s'agissant de peine de TIG d'une durée moyenne de trois semaines.

Le troisième volet du texte concerne les amendes forfaitaires, avec l'objectif d'en améliorer le taux de recouvrement. Le dispositif de l'amende forfaitaire a fait la preuve de son efficacité pour sanctionner des infractions de masse sans engorger les tribunaux. Introduit dans notre droit dès 1926, il permet une verbalisation immédiate et automatique de certaines infractions contraventionnelles. En 2016 puis en 2019, le champ de l'amende forfaitaire a été élargi à certaines infractions délictuelles, notamment les infractions de conduite sans permis, de conduite sans assurance et d'usage illicite de stupéfiants.

Afin d'accélérer le recouvrement, la loi a prévu que le montant de l'amende forfaitaire due au titre de certaines infractions routières pouvait être minoré lorsqu'elle est réglée au moment de la constatation de l'infraction ou au plus tard dans un délai de quinze jours. Le contrevenant est ainsi incité financièrement à s'en acquitter rapidement.

Il est proposé d'élargir le mécanisme de l'amende forfaitaire minorée aux contraventions de la cinquième classe et d'autoriser le pouvoir réglementaire à l'appliquer à d'autres catégories de contraventions. Une autre disposition, plus ponctuelle, vise à éviter que les auteurs de certaines infractions routières n'échappent à une sanction, notamment à un retrait de points, parce que leur véhicule aurait été immatriculé, par erreur, sous le nom d'une personne morale.

Le dernier volet du texte est sans doute le plus technique et le plus éloigné de la thématique de la justice de proximité, puisqu'il porte sur la procédure d'appel et sur le pourvoi en cassation. Il s'inspire de suggestions formulées par la Cour de cassation dans son rapport annuel. Trois mesures sont envisagées, qui n'appellent pas de commentaire particulier.

D'abord, le premier président de la cour d'appel pourrait constater le désistement de l'accusé ayant interjeté appel d'une décision de cour d'assises sans qu'il ne soit nécessaire de désigner une cour d'assises d'appel pour que ce constat soit effectué.

Ensuite, dans un souci d'harmonisation, le délai accordé, dans certaines hypothèses, au demandeur en cassation pour déposer un mémoire personnel au greffe de la juridiction ayant rendu la décision faisant l'objet du pourvoi serait porté de dix jours à un mois.

Enfin, en cas de pourvoi en cassation, le président de la chambre criminelle désignerait le conseiller rapporteur après le dépôt des mémoires des avocats, de manière à ce qu'il soit plus facile de sélectionner le rapporteur le mieux à même de traiter le dossier.

Ce texte cherche à parfaire des dispositifs existants déjà largement utilisés sur le terrain, comme les alternatives aux poursuites et la composition pénale ou les amendes forfaitaires, ou qui gagneraient à être développés, comme la peine de TIG. Je vous proposerai de l'approuver, sous réserve de l'adoption de plusieurs amendements.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion