Intervention de Olivier Wang-Genh

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 10 février 2021 à 9h05
Projet de loi confortant le respect des principes de la république — Audition de M. Olivier Wang-genh coprésident de l'union bouddhiste de france

Olivier Wang-Genh, coprésident de l'Union bouddhiste de France :

Je souhaite m'excuser sincèrement de n'être pas présent physiquement parmi vous, les conditions météorologiques dans le nord de l'Alsace ne le permettant malheureusement pas...

Je vous propose de suivre l'ordre des questions que vous m'avez adressées.

En ce qui concerne l'appréciation globale que nous portons sur le projet de loi et le diagnostic qui le sous-tend, nous sommes très mitigés. Il semble évident, pour l'Union bouddhiste de France (UBF), que des mesures fortes doivent être prises pour lutter efficacement contre les extrémismes et les fanatismes, notamment religieux, et nous sommes conscients que ces graves dérives peuvent concerner, à un moment ou à un autre, tous les mouvements, quel que soit leur objet - politique, sportif, culturel, éducatif ou cultuel...

Pour autant, l'ensemble du projet de loi nous semble disproportionné et peu adapté car, sous prétexte de traiter du cas particulier de l'extrémisme islamique, ce texte met tous les cultes sur le même plan, jetant ainsi sur eux le discrédit et la suspicion, et leur impose à tous des contraintes et obligations supplémentaires.

Ainsi, d'une manière générale, l'UBF s'associe complètement aux réserves et aux interpellations formulées de façon très détaillée par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) dans son communiqué de presse du 4 février 2021 et par la Fédération protestante de France dans sa lecture critique du projet de loi.

En ce qui concerne la situation des associations représentées par l'UBF, il faut savoir que, depuis l'implantation des premières traditions bouddhistes en France il y a environ cinquante ans, la plupart des associations se sont déclarées au titre de la loi de 1901, car cette structure est plus simple et plus efficace à mettre en place pour des personnes venant de pays et de cultures très différents. La laïcité en France n'est déjà pas très simple à comprendre pour les Français eux-mêmes ; il faut, dès lors, se mettre à la place de ces communautés exilées.

Beaucoup de ces communautés sont progressivement devenues des associations mixtes au titre de la loi de 1901, ce qui permettait de gérer ensemble les activités culturelles et cultuelles. Depuis une vingtaine d'années, de plus en plus d'associations cultuelles du type de la loi de 1905 voient le jour en complément des structures de la loi de 1901. Par ailleurs, une vingtaine de congrégations bouddhistes ont été créées depuis une trentaine d'années.

Sur environ 90 membres de l'UBF, environ la moitié relève de la loi de 1901, uniquement ou de manière mixte, et l'autre moitié a créé à la fois une association du type de la loi de 1901 et une autre du type de la loi de 1905. Certains de ces membres ont des centaines de centres affiliés dans les différentes villes françaises ; ces centres qui sont indépendants sont, pour la plupart, constitués en associations de la loi de 1901, éventuellement de façon mixte. Ainsi, la très grande majorité des lieux de culte bouddhiste relève de la loi de 1901, éventuellement, je le répète, de façon mixte.

Sur les évolutions prévues en matière de droit des associations cultuelles, le projet de modification des lois de 1905 et de 1907 est motivé par la lutte contre le séparatisme religieux et le renforcement de la laïcité, et non par l'adaptation de ces lois à une nouvelle réalité de la pratique religieuse. Telle est en tout cas notre lecture de ce texte. À partir de ce constat, l'établissement de nouveaux devoirs motivés par cette lutte ne peut être que plus contraignant pour la gestion d'un lieu de culte, sans nécessairement garantir l'absence de dérive.

Par ailleurs, laisser l'État juge de ce qui est cultuel ou ne l'est pas est une remise en cause profonde de la notion de laïcité, de la neutralité de l'État en la matière et de la liberté de culte.

Les évolutions de la législation témoignent d'une forme de suspicion et d'une volonté de contrôle à l'égard de tous les cultes sans distinction, alors qu'il s'agit de lutter contre les agissements d'une minorité.

Jusqu'à présent, le contrôle de l'État sur les associations cultuelles était limité, en contrepartie d'un avantage fiscal. Avec les nouvelles dispositions, en particulier le contrôle périodique de la qualité cultuelle d'une association par le préfet, l'État s'immisce un peu plus dans le fonctionnement des cultes et le projet de loi lui donne de fait un pouvoir de sanction.

Le contrôle des fonds venant de l'étranger découle du même principe. Il ne relève plus de la confiance fondée sur l'établissement d'une comptabilité transparente, mais soumet ces fonds à déclaration pour seule fin de prévenir une atteinte à l'ordre et à la sécurité publics. Or ce n'est pas un contrôle financier accru qui permettra de prévenir le contenu des enseignements et des pratiques déviants et contraires au pacte républicain. C'est une contrainte supplémentaire sur les communautés bouddhistes, sans que cela permette d'atteindre le but poursuivi.

Les nouvelles dispositions relatives à la loi de 1907 vident cette dernière de sa substance, en obligeant les associations de la loi de 1901 à se conformer aux dispositions de la loi de 1905.

Quant à laisser le représentant de l'État juger du fait qu'une association accomplit directement ou indirectement des actes en relation avec l'exercice public d'un culte, sans que les critères retenus soient précis et connus, cela laisse nos associations dans une grande incertitude. En effet, selon les différentes traditions bouddhistes, la pratique peut prendre des formes très diverses et la majorité des groupes et centres bouddhistes fonctionnent en associations de la loi de 1901. Une requalification cultuelle sur des critères imprécis fait peser sur nos associations des risques qui rendent ces nouvelles dispositions attentatoires à la libre étude et à la pratique de la philosophie bouddhique.

Plus largement, l'UBF partage aussi les remarques de la Fédération protestante de France concernant le fond du projet de loi et les multiples interrogations qu'il soulève. Je pense notamment à l'analyse des causes et aux solutions que ce projet prévoit pour résoudre la question centrale des séparatismes et des radicalisations d'ordre religieux.

Par ailleurs, nous partageons plusieurs observations faites par le Conseil d'État, notamment celle-ci : « Le projet de loi alourdit les contraintes pesant sur les associations cultuelles et modifie l'équilibre opéré en 1905 par le législateur entre le principe de la liberté de constitution de ces associations et leur nécessaire encadrement du fait qu'elles bénéficient d'avantages publics. »

Enfin, en ce qui concerne les immeubles de rapport, nous ne pouvons qu'accepter avec gratitude cette possibilité de ressources, même si à notre connaissance aucune association bouddhiste ne serait actuellement concernée.

S'agissant du contrat d'engagement républicain qui sera exigé de toutes les associations sollicitant l'octroi ou bénéficiant d'une subvention publique, il semble normal sur le fond que des structures recevant de l'argent public s'engagent à respecter les principes structurels de notre République et à ne pas utiliser cet argent pour créer des troubles à l'ordre public. Encore faut-il que cette notion soit très clairement définie, car ce sont l'expression publique et l'action même de certaines associations, pas nécessairement religieuses d'ailleurs, qui pourraient être remises en cause.

Par ailleurs, il est évident que ce contrat d'engagement républicain devra être totalement respecté par les associations cultuelles, puisqu'elles reçoivent indirectement de l'argent public sous forme d'avantages fiscaux consentis à leurs donateurs. Par exemple, les lois sur la parité entre les femmes et les hommes devront-elles y être appliquées au même titre que dans une entreprise ?

Bien sûr, nous sommes conscients que les aides accordées indirectement par des avantages fiscaux ne sont pas des subventions. Mais on pourrait considérer qu'il s'agit d'argent public, et qu'elles doivent donc répondre aux mêmes exigences que des formes plus directes de subventions.

En ce qui concerne l'appréciation que nous portons sur le régime de dissolution administrative des associations, nous partageons, là aussi, l'analyse de la Fédération protestante de France et surtout de la CNCDH, qui « doutant en outre de la constitutionnalité d'un tel dispositif, [...] en recommande le retrait ».

Nous n'évoquons pas ici les recours à venir qui risquent d'être extrêmement nombreux, sans parler de ceux qui pourraient être faits devant la Cour européenne des droits de l'homme.

Sur la question de savoir si nous estimons adaptées les mesures qui touchent à la police des cultes, nous émettons les mêmes réserves que ci-dessus.

La notion de ministre du culte est assez nouvelle pour le bouddhisme : elle ressort de son adaptation aux concepts préexistants en France. Le rôle de ministre du culte ne fait pas partie de la façon dont les traditions bouddhistes envisagent leurs rapports avec les enseignants. La définition de ce qui s'en approche peut être très différente selon les traditions bouddhistes, et il nous semble essentiel que les cultes eux-mêmes et les traditions qui les composent restent entièrement responsables de la définition et de l'accréditation de leurs ministres du culte et leur formation.

Enfin, le texte prévoit d'harmoniser les législations applicables sur le territoire national, en rapprochant le droit applicable en Alsace-Moselle de celui en vigueur dans le reste de l'hexagone. Il semblerait, d'après ce que nous avons pu lire dans les médias, que ce projet soit devenu assez obsolète, ce qui nous semble une très bonne chose. Je suis alsacien : toutes les associations dont je suis responsable ici fonctionnent très bien avec les règles qui sont pour le moment en vigueur en Alsace-Moselle. Néanmoins, il semblerait que cette évolution va tout de même impacter directement les cultes non concordataires en Alsace-Moselle, notamment l'islam et le bouddhisme : ils se verront imposer les lois en vigueur sur le territoire national et non plus les règles du droit local, ce qui va créer de fait une forme de discrimination territoriale. Les cultes alsaciens, notamment protestant, ont signalé ce point.

Voilà le regard que porte l'Union bouddhiste de France sur ce projet de loi. J'ai cité en conclusion de notre intervention à l'Assemblée nationale une phrase du Bouddha ; que je cite à nouveau : « Un remède est un remède lorsqu'il est adapté à la maladie dont on souffre. Mais le même médicament qui sera bon pour une personne peut être dangereux, voire même mortel, pour une autre. »

Nous considérons que l'immense majorité des lieux de culte et de pratique bouddhistes, mais également tous les autres lieux de culte, sont des lieux sains. Ce sont des lieux de santé qui ne nécessitent pas vraiment de tels traitements.

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