Intervention de Alain Milon

Commission des affaires sociales — Réunion du 10 février 2021 à 10h00
Proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Alain MilonAlain Milon, rapporteur :

L'intitulé de cette proposition de loi présentée par la députée Stéphanie Rist est riche de promesses. Faire confiance et simplifier : la crise sanitaire a conduit à placer ces objectifs fédérateurs au coeur des attentes exprimées dans le Ségur de la santé.

Libérés d'un certain nombre de contraintes chronophages - les « irritants du quotidien » mis en avant par la mission présidée par le professeur Claris sur la gouvernance de l'hôpital -, les acteurs de santé aspirent à se recentrer sur leur coeur de métier, le soin.

Dans ce contexte, cette proposition de loi engage certaines évolutions intéressantes, mais son ambition globalement déçoit. Le choc de confiance et de simplification attendu n'est pas au rendez-vous : ce ressenti a été largement partagé par les différents acteurs auditionnés.

Il est d'ailleurs étonnant que le Gouvernement, en pleine crise sanitaire, s'en remette à cette initiative parlementaire au contenu disparate, sans ligne directrice forte et dépourvue de vision stratégique pour porter haut les objectifs affichés dans le Ségur. Notre système de santé mérite mieux, me semble-t-il. Il mérite surtout une réflexion sur son financement. Or elle est une nouvelle fois éludée.

Le périmètre de ce texte et les règles de recevabilité des amendements nous limitent dans la faculté de le nourrir d'autres évolutions. Je vous propose néanmoins de faire preuve d'un esprit constructif.

Le premier volet du texte, peu conséquent, porte sur les missions des professions de santé et l'organisation des soins. Sa disposition « phare » a été abandonnée au cours de son examen par l'Assemblée nationale : la création d'une « profession médicale intermédiaire » à l'article 1er aux contours indéfinis, engagée sans concertation préalable avec les professionnels intéressés, a suscité une levée de boucliers.

Cette proposition, portée en 2010 dans le rapport Hénart, Berland et Cadet, et faisant écho pour d'autres aux anciens « officiers de santé », semble faire fi des évolutions intervenues depuis, notamment avec le déploiement des infirmiers de pratique avancée. Nos collègues députés ont eu la sagesse de ne pas introduire une nouvelle strate, source de confusion, dans notre système de santé. Ils ont néanmoins cherché à combler le vide avec une demande de rapport certes intéressante, mais dont la loi peut sans doute se passer.

Les articles 2 et suivants engagent des évolutions pour l'essentiel de faible portée concernant les compétences des sages-femmes et des masseurs-kinésithérapeutes, qui ne constituent pas une réponse satisfaisante à la demande légitime de ces professionnels de voir mieux reconnaître leurs missions.

Si certaines évolutions vont dans le bon sens, je vous proposerai d'en supprimer d'autres discutables dans leur portée ou de nature à fragiliser le parcours de soins coordonné autour du médecin traitant.

L'Assemblée nationale a donné, à l'article 7 bis, une base législative au service d'accès aux soins, annoncé dans le Pacte de refondation des urgences. Si la rédaction retenue - ne faisant plus référence à un numéro unique - laisse la souplesse nécessaire pour s'adapter aux organisations territoriales existantes, les professionnels libéraux demeurent vigilants quant à ses modalités de mise en oeuvre. Je vous proposerai des clarifications pour mettre en avant la coopération indispensable entre les acteurs libéraux et hospitaliers dans l'organisation de cette régulation.

Un second volet, relatif au recrutement des praticiens hospitaliers et à la gouvernance des établissements publics de santé, a particulièrement déçu les espoirs que le Ségur de la santé avait permis d'exprimer.

Je voudrais, avant de vous livrer le fruit de mon examen de ces articles, vous alerter sur la méthode adoptée par le texte, que je pressens source de confusions.

D'une part, la proposition de loi traite de plusieurs sujets pour lesquels le Parlement, au cours de l'examen de la loi Buzyn, a très largement délégué au Gouvernement le pouvoir de légiférer : c'est notamment le cas du recrutement des praticiens hospitaliers contractuels et de l'organisation de la gouvernance médicale des groupements hospitaliers de territoire. Les ordonnances préparées par le ministère de la santé doivent d'ailleurs nous être présentées très prochainement, avant la fin du mois de mars. Or il ne me paraît pas de bonne politique que le Parlement, servant les volontés d'affichage du groupe majoritaire de l'Assemblée nationale, se prononce sur des sujets concurrents de ceux pour lesquels il s'est dessaisi - malgré nos protestations - de sa compétence.

D'autre part, elle fait essentiellement acte de réforme en hissant au niveau législatif des dispositions existantes, qui n'étaient jusqu'à présent régies que par voie réglementaire. A priori flatteur pour leurs destinataires, ce reclassement législatif de certaines mesures les expose néanmoins aux dissonances normatives, dont le code de la santé publique est coutumier, et à une forme d'insécurité juridique que je me suis efforcé de corriger par les amendements que je vous présenterai.

Partons à présent des constats posés par le rapport du professeur Olivier Claris, auditionné par notre commission sur la gouvernance hospitalière, et celui de Mme Nicole Notat, rendu à l'issue de la concertation du Ségur. Leur diagnostic est limpide : notre hôpital public, pour lequel la population et nos soignants gardent un attachement fort, ne pourra plus très longtemps subir cet abandon résigné que de grandes lois essentiellement symboliques - loi Touraine, loi Buzyn, aujourd'hui proposition de loi Rist - n'ont pu jusqu'à présent enrayer.

L'attractivité des professions hospitalières publiques suscite une grande inquiétude. Notre commission n'a cessé de rappeler qu'aucune mesure législative ne pourra durablement se substituer aux revalorisations salariales qui s'imposent. Le renforcement de l'indemnité d'engagement de service public exclusif, décidée à l'issue du Ségur de la santé, ne répond que très partiellement à la demande des praticiens hospitaliers, en occultant l'une de leurs revendications les plus fortes : celle de diversifier leur pratique, malgré un statut qui ne favorise pas la possibilité d'exercer par ailleurs une activité libérale.

Les quelques éléments contenus dans le texte sont globalement décevants, voire contre-productifs. En effet, l'article 4 attribue au directeur de l'établissement support d'un groupement hospitalier de territoire (GHT) un pouvoir décisionnel manifestement incompatible avec la défiance ambiante qu'inspirent ces structures de groupement. Quant à l'article 4 quater, en permettant aux directeurs d'établissement de contrôler l'activité libérale des praticiens hospitaliers par la consultation d'un fichier jusqu'ici réservé à Pôle emploi, il sonne comme une véritable provocation pour le désir qu'ont exprimé ces derniers de diversifier leur pratique.

C'est au sujet de la gouvernance hospitalière que le texte présente les avancées les plus notables, dont on déplore néanmoins qu'elles ne traduisent souvent qu'imparfaitement les mesures préconisées par le rapport Claris ou le rapport Notat.

Ainsi, l'article 5 refonde la gouvernance médicale de l'établissement public de santé en valorisant le rôle du chef de service, mais sans clarifier le périmètre de leurs compétences par rapport à celles du chef de pôle et sans accompagner la dynamique de délégation de gestion, que la plupart des témoignages estiment nécessaire à une gouvernance de l'hôpital moins verticale.

Les articles 5 bis, 6 et 6 bis associent plus étroitement les personnels médicaux à la gestion de l'établissement en les faisant activement participer à l'élaboration du projet d'établissement et en modernisant les structures représentatives qui portent leur voix auprès de la direction, mais, de façon inexpliquée, laissent sur le bord du chemin toute la composante paramédicale du personnel des hôpitaux publics. J'aurai l'occasion de vous présenter plusieurs amendements visant à rectifier cet oubli, notamment pour permettre à la commission des soins infirmiers de chaque établissement d'élire son président.

D'autres dispositions retouchent, de manière plus anecdotique, les instances dirigeantes de l'hôpital public, sans que l'on soit pleinement convaincu des progrès qu'elles apportent. Ces améliorations resteront malheureusement d'un impact trop marginal pour que l'on puisse espérer qu'elles rendent la « confiance » dans le système de santé...

Enfin, l'article 10 s'attaque au problème bien connu de l'intérim médical, mais là encore y apporte une solution inadaptée, presque dangereuse, en proposant de faire du comptable public de l'établissement, qui intervient après la réalisation de la prestation, le seul censeur du recours irrégulier aux mercenaires.

Mes chers collègues, arrivé au terme de ce programme, on ne peut que se sentir profondément frustré. À l'image de ces romans à la couverture alléchante, mais au contenu décevant, le texte qui nous est soumis laisse l'impression perturbante d'avoir à peine effleuré la tâche colossale à laquelle le dévouement et le sacrifice de nos soignants durant la pandémie nous obligent pourtant tous. Comme l'ont indiqué de nombreux acteurs du système de santé auditionnés, entre ce texte chétif, qui cache mal le désarroi que continue d'inspirer aux pouvoirs publics la crise profonde que traversent nos hôpitaux, et l'abstention, la seconde option aurait peut-être été préférable...

Quelques dispositions achèvent de donner à ce texte l'allure d'un canevas peu homogène. Il s'agit d'une série d'articles relatifs aux unions et mutuelles, dont la plupart ont été insérés par amendement en commission des affaires sociales à l'Assemblée nationale. J'aurai l'occasion de revenir, pour l'un de ces articles, sur les inconvénients que présente à mes yeux cette forme de législation particulièrement hâtive...

Un mot enfin sur l'article 14, qui crée une plateforme numérique de services destinés aux personnes handicapées afin de faciliter leurs démarches d'insertion professionnelle et sociale et d'accès aux droits, plateforme gérée par la Caisse des dépôts et consignations. En fait, « Mon parcours handicap » a été créé au printemps dernier, mais sa transformation de site d'information en plateforme d'accompagnement personnalisé exige que le législateur autorise la manipulation des données personnelles des usagers. J'y suis favorable, sous réserve de préciser que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) sera consultée avant l'actualisation des textes réglementaires.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion