Intervention de Christian Cambon

Réunion du 9 février 2021 à 14h30
Opération barkhane : bilan et perspectives — Débat organisé à la demande de la commission des affaires étrangères

Photo de Christian CambonChristian Cambon :

Je souhaiterais vous remercier, monsieur le président, d’avoir accepté l’organisation de ce débat. Le Sénat – j’en suis convaincu – s’honore de ce moment de vie parlementaire et démocratique. Il est exceptionnel, aussi bien par sa forme, qui prévoit un temps d’expression réservé aux groupes politiques, que par le sujet traité, l’opération Barkhane.

Je voudrais également vous remercier, monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, madame la ministre des armées, d’avoir bien voulu participer à ce débat. Loin de tout esprit politique, il nous permettra notamment de vous faire part des travaux menés par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées depuis plus d’un an. Au moment où l’opinion publique semble s’interroger, il est sans doute bon que les institutions jouent leur rôle en permettant une expression diverse mais constructive.

Ce débat est d’abord l’occasion de saluer une fois encore l’engagement exceptionnelde nos militaires. Rappelons le prix très lourd qu’ils ont payé : 55 morts. J’ai une pensée particulière pour le fils de notre ancien collègue Jean-Marie Bockel, qui fêterait aujourd’hui même ses trente ans. Nous nous inclinons devant leur mémoire. Notre reconnaissance et notre soutien vont bien sûr aussi aux nombreux blessés. Nous ne les oublions pas ! Expliquer leur action et le sens de leur mission, comme nous allons le faire cet après-midi, est sans doute la meilleure manière de leur rendre hommage.

Le 22 avril 2013, nous avons autorisé la prolongation de l’opération Serval, conformément à l’article 35 de la Constitution. Près de huit ans plus tard, Serval est devenue Barkhane, et la France est toujours engagée au Sahel.

En huit ans, les modalités de notre engagement ont beaucoup évolué. Le nombre de nos soldats a fortement augmenté : de 3 000 à l’origine, il est passé à 4 500, puis à 5 100. L’ennemi s’est aussi, hélas ! beaucoup transformé. L’État islamique dans le Grand Sahara est monté en puissance : les attaques djihadistes se sont étendues dans le centre du Mali, dans la zone des trois frontières puis au Burkina Faso, et menacent maintenant tout le golfe de Guinée.

Quelques jours avant le sommet de N’Djamena, il est donc temps de faire ensemble le point sur cet engagement de longue haleine et de tracer de nouvelles perspectives. À cet égard, savoir si 600 soldats vont ou non quitter Barkhane est certes important, mais n’apporte pas totalement la réponse que nous attendons. Nous souhaitons avant tout comprendre la stratégie du Gouvernement pour la période à venir. En effet, un double constat s’impose à nous.

Sur le plan militaire, les forces armées de l’opération Barkhane ont indéniablement remporté de très nombreux succès tactiques. Dernièrement, dans le cadre de l’opération Bourrasque, de nombreux chefs djihadistes ont été neutralisés, ce qui a en partie désorganisé les groupes terroristes.

En outre, nous sommes parvenus à mobiliser le soutien d’un certain nombre d’alliés européens, même si les moyens qu’ils ont mis en œuvre nous paraissent encore insuffisants. La force Takuba a pu commencer à entrer en action. Les armées de nos alliés du G5 Sahel ont également progressé, souvent en payant le prix du sang. Nous devons leur rendre hommage, car le tribut qu’ils ont payé est indiscutablement un prix très fort dans la lutte contre le terrorisme.

Ainsi, grâce à la pression exercée en permanence par nos forces et par celles de nos alliés, la constitution d’un sanctuaire djihadiste a pu être évitée, ce qui était l’objectif initial.

Un autre constat, cependant, s’impose à nous : le dénouement de cette crise, qui dure depuis huit ans, ne sera certainement pas militaire, nous le savons. La solution ne peut être que politique. Par conséquent, elle est essentiellement du ressort des Maliens eux-mêmes. Or les accords d’Alger n’ont pas été appliqués. Pis, le nouveau coup d’État au Mali nous donne parfois l’impression d’un retour en arrière de près de huit ans.

Dans ces conditions, allons-nous signer pour un nouveau bail de huit ans ? Que se passera-t-il si, au terme de cette période, rien n’a changé sur le plan politique au Mali ? Nous ne pensons pas qu’un retrait brutal de nos armées soit la bonne réponse ; ce ne serait ni conforme à nos intérêts ni à celui de nos alliés qui ont demandé notre aide. Nos choix doivent consolider les acquis de Barkhane, et non les sacrifier. Mais nous sommes en droit, compte tenu de notre engagement et du prix que nous payons, d’attendre des progrès sur la voie de la réconciliation nationale malienne.

Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, madame la ministre des armées, quel sera le message de la France à nos alliés sahéliens lors du sommet de N’Djamena ? En somme, c’est votre feuille de route pour la période à venir que nous souhaitons connaître. Les Français veulent tout simplement savoir quel est le plan du Gouvernement pour qu’un jour la France puisse retirer ses forces sans craindre un nouveau séisme.

De notre côté, nos travaux ont mis en évidence le caractère crucial du développement économique et, par conséquent, celui de l’aide publique au développement. C’est essentiel pour lutter contre les causes profondes du terrorisme au Sahel. Sans cela, nous ne traiterons que les symptômes, et les populations locales finiront par nous voir comme des troupes d’occupation.

Nous avons dépensé 900 millions d’euros pour Barkhane en 2019, contre seulement 85 millions d’euros en aide publique au développement nette pour le Mali. Certes, nous ne sommes pas seuls : l’Alliance Sahel, créée en 2017, a également mobilisé des sommes très importantes. Toutefois, il nous reste très difficile d’atteindre des régions qui en ont le plus besoin, particulièrement au nord du Mali. C’est pourtant la seule façon d’offrir des perspectives aux jeunes de ces territoires. Éducation, santé, services publics de base : telles sont les améliorations concrètes que les populations attendent et qu’elles doivent voir enfin arriver. La future loi d’orientation sur la solidarité internationale, que nous allons enfin pouvoir examiner dans quelques semaines, sera l’occasion de réorienter encore davantage nos efforts sur ces priorités.

Enfin, notre débat d’aujourd’hui doit être l’occasion d’aborder des préoccupations plus immédiates. La protection de nos soldats constitue pour nous une priorité absolue. Qu’en est-il du renforcement du blindage des véhicules légers que nous attendons encore ? Ne faut-il pas basculer dans la mesure du possible vers davantage d’aéromobilité, puisque les principaux attentats qui touchent nos troupes interviennent à l’occasion de convois automobiles ? À cet égard, j’ose croire que l’actualisation de la loi de programmation militaire nous permettra aussi d’aborder directement ce sujet.

Monsieur le ministre, madame la ministre, vous l’aurez compris, nous sommes loin de toute posture. La diversité des points de vue qui vont s’exprimer le montrera. Nous sommes face à une situation difficile, complexe. Il n’y a pas de solution toute faite, mais nous devons nous confronter ensemble à cette complexité. Tel est le rôle du Parlement.

Mes chers collègues, ce débat est aussi un symbole. Il s’adresse à nos concitoyens pour qu’ils sachent que, partout où la France se bat, c’est pour faire progresser la paix. Quant à nos soldats qui patrouillent en ce moment même dans les déserts brûlants et dangereux du Sahel, puissent-ils accueillir ce débat comme la marque de notre confiance et de notre soutien. Ils sont la fierté de la France !

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