Séance en hémicycle du 9 février 2021 à 14h30

Résumé de la séance

Les mots clés de cette séance

  • MNA
  • POS
  • armée
  • barkhane
  • l’opération barkhane
  • mali
  • militaire
  • mineur
  • sahel

La séance

Source

La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sur « l’opération Barkhane : bilan et perspectives ».

Cette séance s’organisera en deux temps. Tout d’abord, la parole sera donnée à l’auteur du débat, à un orateur de chaque groupe, puis aux ministres pour leur répondre. Ensuite, nous procéderons à une séquence de seize questions-réponses.

La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères, auteur de la demande.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe RDSE. – Mme Nicole Duranton et M. Joël Guerriau applaudissent également.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Je souhaiterais vous remercier, monsieur le président, d’avoir accepté l’organisation de ce débat. Le Sénat – j’en suis convaincu – s’honore de ce moment de vie parlementaire et démocratique. Il est exceptionnel, aussi bien par sa forme, qui prévoit un temps d’expression réservé aux groupes politiques, que par le sujet traité, l’opération Barkhane.

Je voudrais également vous remercier, monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, madame la ministre des armées, d’avoir bien voulu participer à ce débat. Loin de tout esprit politique, il nous permettra notamment de vous faire part des travaux menés par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées depuis plus d’un an. Au moment où l’opinion publique semble s’interroger, il est sans doute bon que les institutions jouent leur rôle en permettant une expression diverse mais constructive.

Ce débat est d’abord l’occasion de saluer une fois encore l’engagement exceptionnelde nos militaires. Rappelons le prix très lourd qu’ils ont payé : 55 morts. J’ai une pensée particulière pour le fils de notre ancien collègue Jean-Marie Bockel, qui fêterait aujourd’hui même ses trente ans. Nous nous inclinons devant leur mémoire. Notre reconnaissance et notre soutien vont bien sûr aussi aux nombreux blessés. Nous ne les oublions pas ! Expliquer leur action et le sens de leur mission, comme nous allons le faire cet après-midi, est sans doute la meilleure manière de leur rendre hommage.

Le 22 avril 2013, nous avons autorisé la prolongation de l’opération Serval, conformément à l’article 35 de la Constitution. Près de huit ans plus tard, Serval est devenue Barkhane, et la France est toujours engagée au Sahel.

En huit ans, les modalités de notre engagement ont beaucoup évolué. Le nombre de nos soldats a fortement augmenté : de 3 000 à l’origine, il est passé à 4 500, puis à 5 100. L’ennemi s’est aussi, hélas ! beaucoup transformé. L’État islamique dans le Grand Sahara est monté en puissance : les attaques djihadistes se sont étendues dans le centre du Mali, dans la zone des trois frontières puis au Burkina Faso, et menacent maintenant tout le golfe de Guinée.

Quelques jours avant le sommet de N’Djamena, il est donc temps de faire ensemble le point sur cet engagement de longue haleine et de tracer de nouvelles perspectives. À cet égard, savoir si 600 soldats vont ou non quitter Barkhane est certes important, mais n’apporte pas totalement la réponse que nous attendons. Nous souhaitons avant tout comprendre la stratégie du Gouvernement pour la période à venir. En effet, un double constat s’impose à nous.

Sur le plan militaire, les forces armées de l’opération Barkhane ont indéniablement remporté de très nombreux succès tactiques. Dernièrement, dans le cadre de l’opération Bourrasque, de nombreux chefs djihadistes ont été neutralisés, ce qui a en partie désorganisé les groupes terroristes.

En outre, nous sommes parvenus à mobiliser le soutien d’un certain nombre d’alliés européens, même si les moyens qu’ils ont mis en œuvre nous paraissent encore insuffisants. La force Takuba a pu commencer à entrer en action. Les armées de nos alliés du G5 Sahel ont également progressé, souvent en payant le prix du sang. Nous devons leur rendre hommage, car le tribut qu’ils ont payé est indiscutablement un prix très fort dans la lutte contre le terrorisme.

Ainsi, grâce à la pression exercée en permanence par nos forces et par celles de nos alliés, la constitution d’un sanctuaire djihadiste a pu être évitée, ce qui était l’objectif initial.

Un autre constat, cependant, s’impose à nous : le dénouement de cette crise, qui dure depuis huit ans, ne sera certainement pas militaire, nous le savons. La solution ne peut être que politique. Par conséquent, elle est essentiellement du ressort des Maliens eux-mêmes. Or les accords d’Alger n’ont pas été appliqués. Pis, le nouveau coup d’État au Mali nous donne parfois l’impression d’un retour en arrière de près de huit ans.

Dans ces conditions, allons-nous signer pour un nouveau bail de huit ans ? Que se passera-t-il si, au terme de cette période, rien n’a changé sur le plan politique au Mali ? Nous ne pensons pas qu’un retrait brutal de nos armées soit la bonne réponse ; ce ne serait ni conforme à nos intérêts ni à celui de nos alliés qui ont demandé notre aide. Nos choix doivent consolider les acquis de Barkhane, et non les sacrifier. Mais nous sommes en droit, compte tenu de notre engagement et du prix que nous payons, d’attendre des progrès sur la voie de la réconciliation nationale malienne.

Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, madame la ministre des armées, quel sera le message de la France à nos alliés sahéliens lors du sommet de N’Djamena ? En somme, c’est votre feuille de route pour la période à venir que nous souhaitons connaître. Les Français veulent tout simplement savoir quel est le plan du Gouvernement pour qu’un jour la France puisse retirer ses forces sans craindre un nouveau séisme.

De notre côté, nos travaux ont mis en évidence le caractère crucial du développement économique et, par conséquent, celui de l’aide publique au développement. C’est essentiel pour lutter contre les causes profondes du terrorisme au Sahel. Sans cela, nous ne traiterons que les symptômes, et les populations locales finiront par nous voir comme des troupes d’occupation.

Nous avons dépensé 900 millions d’euros pour Barkhane en 2019, contre seulement 85 millions d’euros en aide publique au développement nette pour le Mali. Certes, nous ne sommes pas seuls : l’Alliance Sahel, créée en 2017, a également mobilisé des sommes très importantes. Toutefois, il nous reste très difficile d’atteindre des régions qui en ont le plus besoin, particulièrement au nord du Mali. C’est pourtant la seule façon d’offrir des perspectives aux jeunes de ces territoires. Éducation, santé, services publics de base : telles sont les améliorations concrètes que les populations attendent et qu’elles doivent voir enfin arriver. La future loi d’orientation sur la solidarité internationale, que nous allons enfin pouvoir examiner dans quelques semaines, sera l’occasion de réorienter encore davantage nos efforts sur ces priorités.

Enfin, notre débat d’aujourd’hui doit être l’occasion d’aborder des préoccupations plus immédiates. La protection de nos soldats constitue pour nous une priorité absolue. Qu’en est-il du renforcement du blindage des véhicules légers que nous attendons encore ? Ne faut-il pas basculer dans la mesure du possible vers davantage d’aéromobilité, puisque les principaux attentats qui touchent nos troupes interviennent à l’occasion de convois automobiles ? À cet égard, j’ose croire que l’actualisation de la loi de programmation militaire nous permettra aussi d’aborder directement ce sujet.

Monsieur le ministre, madame la ministre, vous l’aurez compris, nous sommes loin de toute posture. La diversité des points de vue qui vont s’exprimer le montrera. Nous sommes face à une situation difficile, complexe. Il n’y a pas de solution toute faite, mais nous devons nous confronter ensemble à cette complexité. Tel est le rôle du Parlement.

Mes chers collègues, ce débat est aussi un symbole. Il s’adresse à nos concitoyens pour qu’ils sachent que, partout où la France se bat, c’est pour faire progresser la paix. Quant à nos soldats qui patrouillent en ce moment même dans les déserts brûlants et dangereux du Sahel, puissent-ils accueillir ce débat comme la marque de notre confiance et de notre soutien. Ils sont la fierté de la France !

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDSE et RDPI, ainsi que sur des travées du groupe SER. – M. Joël Guerriau applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Ludovic Haye

Monsieur le président, madame la ministre des armées, monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, mes chers collègues, permettez-moi d’entamer mon propos en rendant un hommage appuyé à nos soldats, à ces femmes et à ces hommes d’exception engagés au Sahel, dont la combativité et le dévouement sont inégalables. Leur abnégation est un modèle pour nous tous. Je veux leur dire, au nom du groupe RDPI, combien nous sommes fiers d’eux et combien nous leur sommes reconnaissants. Ils peuvent compter sur notre soutien indéfectible. À tous nos soldats tombés au service de notre nation, je rends également un hommage ému et sincère.

La tenue de ce débat tombe à point nommé, puisqu’il se déroule à quelques jours d’un sommet déterminant à N’Djamena. Il nous donne l’occasion de réaffirmer l’action capitale que mène la force Barkhane et de renouveler toute notre confiance au Président de la République et à son gouvernement.

Les groupes armés terroristes que nos soldats combattent, hier avec l’opération Serval pour les empêcher de provoquer la chute d’un État allié, le Mali, et aujourd’hui avec Barkhane pour les empêcher de faire de la bande sahélo-saharienne une base arrière du terrorisme de la taille de l’Europe, représentent une menace bien tangible. Mais, en passant de Serval à Barkhane, nous sommes passés d’une guerre d’intervention courte et rapide à une guerre d’un tout autre genre.

Nous avons pleinement conscience que, sans nos soldats sur place, aux côtés des armées sahéliennes, cette menace s’étendra demain à toute l’Afrique de l’Ouest. C’est parce que nos partenaires européens partagent pleinement cette analyse qu’ils s’investissent chaque jour un peu plus au Sahel. Cela me donne l’occasion de saluer l’engagement de nos alliés européens, que ce soit au sein de la task force Takuba ou dans d’autres opérations.

Depuis le sommet de Pau, Barkhane a fortement accéléré le rythme de neutralisation des groupes terroristes. En outre, la montée en puissance des forces sahéliennes est encourageante, bien que celles-ci ne soient toujours pas en mesure de prendre la relève intégrale de Barkhane et d’affronter seules la menace des groupes armés. Au côté du rôle essentiel de la France, une addition de faiblesses ne fait pas une force.

Si nos armées remportent chaque jour des victoires tactiques, il nous faut prendre conscience que la crise est aussi politique et économique.

Comme il est stipulé dans les quatre piliers complémentaires du sommet de Pau, nous devons transformer ensemble les gains durement acquis sur le terrain en progrès politiques, économiques et sociaux et trouver un moyen de sortir l’approche « 3D » – diplomatie, défense, développement – de sa phase incantatoire.

Pour ce faire, nous avons besoin d’engagements forts de la part de nos partenaires sahéliens, surtout maliens. Il faut une feuille de route claire en faveur d’une bonne gouvernance politique démocratique et du développement de services publics dans les zones fragiles – je pense notamment aux zones du Nord –, nécessaires pour restaurer la confiance en l’État, de la tenue d’élections en mars 2022, de la préservation de l’espace humanitaire et du développement de nouveaux ponts économiques, de la lutte contre la corruption, les trafics humains, de stupéfiants et de produits de contrebande en tout genre, qui gangrènent la société et favorisent l’insécurité et l’instabilité. Après la Guinée-Bissau, le Mali est en passe de devenir progressivement un narco-État dans lequel les trafiquants achètent les consciences et les votes.

Ces engagements doivent également concerner la lutte contre la désinformation, avec l’arrivée de fake news qui viennent progressivement salir l’image de nos forces et de notre pays. Du racisme à rebours à l’anticolonialisme primaire, en passant par la réécriture de l’Histoire, leur caractéristique commune est le dénigrement de l’action passée, présente et future de notre pays en Afrique.

Nous le voyons bien, en parallèle du cadre strictement militaire, il existe toute une série d’autres combats à mener, qui prennent beaucoup de temps et qu’il s’agit de concrétiser rapidement sous peine d’enlisement.

Six ans après qu’il a été signé, comment se fait-il que la mise en œuvre de l’accord d’Alger de 2015 pour la paix et la réconciliation au Mali en soit toujours à ses balbutiements ?

Monsieur le ministre, par quels moyens politiques et diplomatiques envisagez-vous d’intervenir pour assurer la mise en œuvre concrète de cet accord de paix ? Avec quels acteurs comptez-vous avancer et dialoguer, alors que le paysage régional comprend une myriade de protagonistes locaux armés ayant leurs propres agendas locaux ? Comment lutter contre l’instrumentalisation malveillante des opinions publiques locales et la propagation de fausses informations à des fins de politique intérieure ou par des puissances étrangères qui sapent nos efforts communs ?

Le temps joue contre nous. C’est malheureusement une règle universelle : plus une opération militaire dure, plus la population locale a tendance à attribuer aux soldats la responsabilité de certaines situations.

Pacifier ces pays en faisant naître un réel sentiment d’appartenance nationale passera par le développement.

Tous ces objectifs ne pourront être atteints sans l’aide de la France et des acteurs étatiques et économiques sur place.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Jean-Noël Guérini, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Noël Guérini

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à remercier le président Cambon d’avoir pris l’initiative de ce débat.

À un an de l’élection présidentielle française, à quelques jours du sommet du G5 Sahel à N’Djamena, ne comptez pas sur moi pour polémiquer sur un dossier qui engage la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Noël Guérini

La présence de 5 100 enfants de la Nation sur ce territoire sahélo-saharien appelle à des échanges responsables, loin des querelles politiciennes.

Après le décès de cinquante et un de nos soldats, j’entends ici et là les velléités de certains d’inviter au retrait de nos forces armées, en raison du coût et de l’intérêt d’une mission que d’aucuns trouvent discutable. Je ne vais pas distribuer les bons ou les mauvais points de ce choix stratégique et géopolitique. En revanche, je tiens à poser les enjeux actuels de cette opération, qui s’éternise malheureusement. Sa durée peut-elle pour autant justifier un retrait, voire une réduction de notre niveau d’engagement, alors même qu’António Guterres insiste dans son rapport trimestriel relatif à la situation au Mali sur le degré de violence auquel est confrontée la population ?

Rappelons tout de même les raisons de notre présence au Mali à la demande du gouvernement de ce pays.

Barkhane, c’est un gage de stabilité dans une zone en souffrance, un besoin réel pour contenir le terrorisme et ses nombreuses répercussions en Europe et sur notre territoire, un engagement à la formation de militaires maliens, un projet « araignée » d’aide à la population, une influence de la France.

À l’occasion de ses vœux aux armées, Emmanuel Macron a rappelé que, « face aux risques de destruction des relations internationales et de notre société, les armées françaises ont été un facteur de stabilité, de force et de résistance ». Barkhane est entièrement résumée dans cette phrase. Notre présence a pour objectif de garantir une sécurité pérenne sur ce territoire, en partenariat avec les forces de Bamako et du G5 Sahel.

La zone des trois frontières, à cheval entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, est l’un des poumons des troupes djihadistes, aujourd’hui réunies sous la bannière de l’État islamique dans le Grand Sahara, branche locale de l’EI. L’enjeu est bel et bien de contenir le terrorisme, dont nous mesurons, hélas ! les répercussions en France et en Europe.

Barkhane, c’est certes une présence militaire, mais ce sont aussi des projets d’aide à la population tendant à faciliter l’accès à l’eau, à l’énergie, à la santé, aux médicaments gratuits. Ils sont destinés à accompagner la population plutôt que de la laisser traverser la Méditerranée dans des conditions inhumaines. Ces projets sont sans doute insuffisants – j’en conviens –, mais ils sont indispensables. L’avenir de ces populations n’est pas dans la migration, mais bien dans le développement du Mali et de la bande sahélo-saharienne.

C’est pourquoi Barkhane est également un engagement à la formation de militaires maliens, fondement de la lutte active contre le terrorisme qui ronge ce territoire en terrorisant la population.

Pérenniser notre intervention, si durable soit-elle, si douloureuse soit-elle, si chère soit-elle, demeure un enjeu géostratégique, un enjeu de coopération, un enjeu humain. En effet, notre engagement est l’un des fondements de notre influence en Afrique et dans le monde. Oui, notre présence représente une dépense importante – 1 milliard d’euros par an –, mais nous ne sommes plus seuls : 50 % du transport de personnel et près de 40 % du transport de matériel relèvent désormais des pays alliés et européens.

Notre politique d’influence en matière de défense mérite mieux que des projections budgétaires contraintes et la crainte de pertes humaines parmi les militaires.

Que répondre à cette émotion, sinon qu’il faudrait se remémorer ici, à cette tribune, l’intervention de notre ami et ancien collègue, Jean-Marie Bockel, après la perte de son fils : « Nous sommes infiniment tristes et fiers aussi de notre enfant. C’était un soldat engagé qui savait pourquoi il était là. »

Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, soyons fiers du travail accompli par nos troupes. Ne les perturbons pas dans leur mission par nos discussions, qui peuvent sembler superfétatoires, voire irrespectueuses à l’égard de leur engagement au service de la liberté, de la sécurité et de la France !

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Pierre Laurent, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je veux d’abord saluer la tenue de ce débat et remercier le président de notre commission d’en avoir pris l’initiative. Il n’est plus acceptable de placer le Parlement devant le fait accompli alors que, dans quelques jours à N’Djamena, le Président de la République devrait annoncer une fois de plus d’importantes décisions.

Madame la ministre, vous avez déclaré devant notre commission : « Dire que la France est engluée dans une guerre sans fin est faux. » De notre côté, nous pensons que rien ne serait plus faux que de ne pas interroger sans concession les résultats de l’opération Barkhane.

Vous ne trouverez pas plus farouches opposants aux terroristes islamistes que les communistes. Les démocrates que nous soutenons à travers le monde sont partout pourchassés et tués par ces groupes. Nos combats émancipateurs sont menacés par leurs visées obscurantistes. Mais les huit années de guerre au Mali ont-ils éteint ou propagé le feu du terrorisme islamiste et de tous les entrepreneurs de violence ? Le Mali vit-il davantage en paix qu’il y a huit ans ? Poser ces questions, c’est malheureusement y répondre. De plus en plus de Maliens, les populations civiles des pays du Sahel, ainsi que des militaires, des diplomates, des universitaires français posent ces questions avec nous.

Pour un coût exorbitant – près de 1 milliard d’euros par an depuis huit ans – et plus de 5 000 soldats engagés, nous infligeons – c’est vrai – des pertes aux groupes djihadistes, mais nous ne faisons pas reculer la violence ni baisser les pertes humaines. Au contraire, elles ne font que s’accroître : 55 militaires français ont perdu la vie ; 5 000 Maliens, soldats des armées locales ou civils, ont été tués depuis 2015 ; plus de 4 000 l’ont été dans l’ensemble de la région rien qu’en 2020 ; on comptabilise aussi un demi-million de déplacés dans la sous-région.

La situation humaine, politique et économique du Mali empire. Dans ce contexte de déstabilisation sociale et politique, les islamistes continuent de développer leur sinistre entreprise.

Les leçons des guerres menées au nom de la « guerre contre le terrorisme » ne sont pas tirées. Chaque fois, les pays sont laissés en proie au chaos pour des décennies. La désintégration de la Libye en est un exemple. Elle est d’ailleurs directement à l’origine d’une partie des violences armées dans le nord du Mali. Dans quel état laisserons-nous le Mali et les autres pays de la région si nous poursuivons dans cette voie ?

Censés venir pour protéger le Mali, nous jouons aux apprentis sorciers, réveillant les divisions pour trouver des alliés, prétendant choisir entre les bons et les mauvais groupes armés, nourrissant la relance des conflits communautaires, jouant un jeu trouble avec le Mouvement national de libération de l’Azawad, suscitant la défiance des Maliens devant le risque d’une partition du pays qu’entérinerait la mainmise de groupes armés islamistes ou non sur le Nord. C’est d’ailleurs pourquoi les accords d’Alger ne peuvent être invoqués comme « la » solution politique et doivent être profondément révisés. Les islamistes prospèrent sur ces divisions, recrutent en exploitant le désespoir de populations spoliées de toute part.

Nous devons tirer les leçons et tourner la page de Barkhane, car l’impasse est certaine. Il faut créer les conditions d’un départ programmé de nos troupes, afin de lui substituer un nouvel agenda politique, économique et de sécurité pour le Mali et la région.

Cela ne se fera pas en un jour, car le mal est fait. Il ne s’agit évidemment pas d’abandonner le Mali au chaos. Le calendrier du retrait doit être discuté avec le Mali, l’Union africaine et l’ONU ; il doit en outre s’adosser à une nouvelle réponse multilatérale et africaine en matière de sécurité et à un nouvel agenda de coopération.

Notre appui militaire doit être recentré sur le soutien aux armées locales, en retenant la formule d’un comité d’état-major conjoint des forces africaines qui exclue les puissances étrangères.

La France doit soutenir avec vigueur la feuille de route de Lusaka baptisée « Faire taire les armes en Afrique », participer à toute initiative multilatérale visant le désarmement de tous les groupes armés non étatiques, ainsi – c’est très important – que la lutte contre les flux financiers illicites qui subventionnent les trafics, les violences et les guerres en Afrique.

Mais, plus que tout, c’est notre agenda politique qui doit changer. La France et l’Union européenne doivent encourager par tous les moyens, et en priorité sur les territoires les plus délaissés par les pouvoirs publics, de vastes plans d’action pour le développement. Les populations africaines, et singulièrement leur jeunesse, ont les ressources pour le construire et les entretenir.

Les pays africains doivent sortir de la domination et d’un modèle d’économie extravertie, tourné vers les besoins des multinationales et d’élites aisées corrompues, car c’est le mal profond dont nous sommes encore les complices.

La France doit massivement augmenter son aide publique au développement en révisant ses objectifs. Notre pays doit agir sans tarder pour mettre à disposition de ces pays des droits de tirage spéciaux, aujourd’hui non utilisés par les pays riches, afin de redéployer les services publics de l’éducation, de la police, de la justice, de garantir les droits des femmes, d’élaborer une fiscalité générant des ressources endogènes et de garantir une maîtrise locale des ressources et la valorisation de capacités productives propres. Tel est l’intérêt des Africains ; tel est aussi notre intérêt.

Le développement ne doit pas rester le troisième « D », alibi d’une stratégie militaire et diplomatique dans l’impasse. Il doit être l’ambition autour de laquelle tout doit s’organiser.

Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Mme Esther Benbassa applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Olivier Cigolotti, pour le groupe Union Centriste.

Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais à mon tour et au nom de mon groupe remercier notre président Christian Cambon, qui a sollicité et obtenu ce débat très attendu sur toutes les travées de cet hémicycle. En effet, depuis neuf ans que nous avons débuté notre intervention au Mali et au Sahel, ce n’est que la seconde fois que nous avons l’occasion d’avoir un débat de fond sur la stratégie, les enjeux et les perspectives de l’opération Barkhane.

Je tiens à saluer unanimement l’engagement opérationnel de nos forces mobilisées sur les différents théâtres d’opérations de cette bande sahélo-saharienne, au Mali comme au Niger. Sur ce territoire grand comme l’Europe tout entière et au climat des plus arides, nos militaires mènent une lutte sans relâche contre le terrorisme et le fanatisme, parfois au péril de leur vie.

Je veux avoir une pensée pour nos soldats tombés au combat, leurs frères d’armes, leurs proches, leurs familles. Mes pensées vont également en cet instant à notre ami et ancien collègue Jean Marie Bockel.

Les opérations Serval puis Barkhane ont permis d’empêcher l’installation d’un califat territorial au Mali et la création d’un sanctuaire djihadiste comparable à celui qu’a instauré Daech au Levant. Cependant, malgré de nombreuses victoires stratégiques et la neutralisation de nombreux chefs de groupes armés terroristes, force est de constater que la guerre est loin d’être gagnée.

L’histoire nous démontre que l’intervention de pays occidentaux sur des théâtres d’opérations extérieures s’apparente le plus souvent à des conflits asymétriques : forces militaires conventionnelles, d’un côté, groupes armés terroristes noyés au sein des populations, de l’autre. Pourtant, cette asymétrie ne confère pas une supériorité très évidente et ne permet pas à nos forces de vaincre la détermination, l’imagination et la mobilité opérationnelle de ces groupes armés, qui évoluent en effectif réduit et sur un terrain qu’ils connaissent parfaitement.

Force est aussi de constater que la situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest, loin de s’être améliorée, s’est véritablement dégradée : le conflit originel au nord du Mali s’est régionalisé ; il s’étend désormais vers le sud jusqu’au Burkina Faso et se propage jusqu’aux pays riverains du golfe de Guinée. Aux conflits interethniques plus locaux se mêlent désormais les revendications idéologiques et religieuses.

Ainsi, les forces françaises apparaissent bien seules sur ce terrain.

Depuis neuf ans, l’engouement des autres pays européens à s’engager aux côtés de la France demeure peu visible par l’opinion publique. Est-ce seulement parce que la France est encore l’une des seules nations européennes à disposer d’une armée d’emploi, madame la ministre ? Pourtant, la poursuite de notre engagement dans cette bande sahélo-saharienne nécessite indiscutablement une coopération européenne et internationale élargie et renforcée, ainsi qu’une prise de conscience de tous les États membres de l’Union de l’intérêt qu’il y a à lutter collectivement contre le terrorisme, au plus près de ses racines dans cette région du monde.

Cette coopération européenne ne peut se limiter à la mission européenne de formation de l’armée malienne. Celle-ci s’inscrit certes dans une approche globale pour renforcer les capacités militaires en vue de garantir l’intégrité territoriale, mais elle doit désormais aller au-delà d’une collaboration limitée au G5 Sahel, censée permettre aux armées locales d’intervenir de façon autonome dans la zone des trois frontières.

Ce dispositif nous paraît à ce jour insuffisant pour faire face à la progression vers le sud de la zone d’influence des groupes armés terroristes. Il doit rapidement s’étendre de façon effective à tous les États membres de la CEDEAO, que sont le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo ou le Bénin. Il s’avère désormais indispensable d’associer plus largement les pays riverains du golfe de Guinée.

Lors du sommet de Pau, les chefs d’État du G5 Sahel ont réaffirmé leur volonté de renforcer cette force conjointe. Son élargissement sera-t-il pour autant évoqué lors du prochain sommet de N’Djamena ?

Lorsque l’on évoque la collaboration européenne, il faut également parler de la task force Takuba, que vous appelez de vos vœux, madame la ministre, pour soutenir l’opération Barkhane. Cette composante de forces spéciales était également censée matérialiser l’engagement de l’Europe et renforcer la logique d’un partenariat de combat.

Au-delà des bonnes intentions de nos voisins, les premiers éléments des forces spéciales françaises et estoniennes sont arrivés sur le théâtre des opérations. Mais qu’en est-il de l’engagement de nos autres partenaires ? Pouvez-vous nous indiquer de façon précise, madame la ministre, comment s’effectuera la montée en puissance de Takuba ?

Une stratégie qui repose sur les deux piliers que sont l’« européanisation » et la « sahélisation » sera-t-elle suffisante pour sortir du conflit ? La question reste posée. Sans les citer, nous ne pouvons ignorer les velléités de certains États puissances très intéressés par cette région du monde et, plus particulièrement, par le continent africain.

Alors, certes, il n’y a pas de petites victoires dans une guerre à condition qu’il soit envisageable de la gagner. Celle que la France mène au Sahel dans le cadre de l’opération Barkhane avec ses alliés ne pourra se solder que par une implication politique plus forte, à commencer par celle des pays concernés.

Nous sommes tous conscients que l’absence de l’État dans ses missions régaliennes, que ce soit l’administration publique, les services de santé, l’éducation ou l’accès à des besoins vitaux, ne peut que favoriser l’emprise de groupes armés terroristes sur les populations locales. Il est difficile dans ces conditions de percevoir l’État comme protecteur et non comme prédateur. Sans un État plus fort, la paix sera impossible.

Une véritable issue politique passe inexorablement par des politiques d’aide au développement des populations sahéliennes plus fortes, avec une stratégie claire de la part des pays bénéficiaires et des acteurs de l’aide, ainsi que des fonds importants, qui ne peuvent là encore que résulter d’une collaboration internationale. Or, aujourd’hui, il s’avère souvent plus facile de trouver des financements pour faire la guerre que pour rétablir la paix.

L’ensemble de ces éléments doit certes nous conduire à faire évoluer notre manière de nous engager dans ce conflit. Même s’il n’est pas envisageable d’opérer une réduction massive de l’empreinte française sur le terrain, une réflexion sur un accompagnement à forte valeur ajoutée de notre participation – drones, renseignements ou frappes aériennes ciblées – ne doit pas être occultée.

À l’heure actuelle, le besoin prioritaire est d’établir une stratégie claire et un calendrier de transition adapté aux forces en présence, car la situation en Afrique de l’Ouest demeure d’une grande complexité.

Pour conclure mon propos, permettez-moi d’évoquer deux axes qui, à notre sens, pourraient être source d’évolutions positives.

Tout d’abord, à quelques jours de sa tenue, le sommet de N’Djamena devra bien entendu permettre de réaffirmer la volonté des pays du G5 Sahel, mais également de solliciter une véritable implication des pays qui sont désormais menacés.

Ensuite, le nouveau locataire de la Maison-Blanche a déclaré il y a quelques jours vouloir renouer avec le multilatéralisme et réinstaurer le dialogue avec l’Union africaine, afin « de faire face aux périls les plus imminents ».

Mes chers collègues, l’issue de ce conflit sera politique ou ne sera pas. Réfléchissons à ce que disait Paul Valéry : « Les guerres, ce sont des gens qui ne se connaissent pas et qui s’entretuent parce que d’autres qui se connaissent très bien ne parviennent pas à se mettre d’accord. »

Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Républicains et RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Todeschini, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Je veux vous dire ma joie de vous voir à cette tribune, mon cher collègue.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Todeschini

Je vous remercie.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux commencer mon intervention sans avoir à mon tour, au nom du groupe socialiste, une pensée pour nos militaires, leurs familles et leurs proches.

À ce jour, plus de 5 000 militaires sont engagés dans l’opération Barkhane. Depuis 2013, 55 militaires y ont perdu la vie, dont – comme nos collègues l’ont rappelé – le fils de notre ancien collègue Jean-Marie Bockel. Ce sont des femmes et des hommes fiers et libres, qui ont fait de leur vie un engagement au service, non seulement de notre drapeau, mais plus encore d’une certaine idée de la liberté.

Alors secrétaire d’État à vos côtés, monsieur le ministre, je garde le souvenir de celles et de ceux que j’ai croisés, de leur professionnalisme indiscutable, de leur très haut niveau d’entraînement, de leur détermination sans faille, de leur courage en somme. Ce qui m’a frappé et qui restera gravé en moi, c’est que revient toujours dans les yeux et les mots des proches de celles et ceux qui sont morts au combat le sens du devoir. On entend chaque fois cette phrase : « Nous n’aurions jamais pu le ou la dissuader de partir en opération, d’être aux côtés de ses camarades pour servir. »

Dans un monde où l’on ne cesse d’observer les effets de l’individualisme, nos militaires, dont la plupart sont très jeunes, démentent les idées reçues. Ensemble, avec leurs familles et leurs proches, avec tous les Français aussi, ils ne font qu’un. Il est important de rappeler régulièrement cet engagement et de le mettre en valeur.

Je ne reviendrai pas longuement sur les raisons qui ont conduit à la situation actuelle. Ces éléments sont connus.

Loin des fake news et des réseaux sociaux, l’opération Barkhane a été lancée le 1er août 2014. Elle fait suite à l’opération Serval, mise en œuvre à partir du 11 janvier 2013. Rappelons-nous toujours qu’en quelques heures, à l’appel du Président démocratiquement élu du Mali, François Hollande, Président de la République française, alors commandant en chef de nos armées, a dû prendre la difficile décision de recourir à l’usage de la force pour protéger la liberté à plus de 6 000 kilomètres de chez nous.

Telle est la seule raison de notre présence au Mali : la liberté. Nous serons toutes et tous d’accord ici, et par-delà nos travées, pour saluer le courage de cette décision, celle du Président François Hollande. La France s’est honorée de ne pas rester les bras croisés quand le peuple malien a fait appel à elle. Cette décision était nécessaire, responsable et digne.

Dans les faits, cette première bataille a été remportée en quelques semaines. Dès les premières heures, le dispositif français se déployait, démontrant une fois de plus les exceptionnelles capacités opérationnelles de projection de l’ensemble de nos forces armées.

Oui, la France fait partie d’un club mondial très fermé, celui des nations capables de projeter massivement leurs forces dans le cadre d’opérations extérieures ! Au nom de nos valeurs, ces capacités militaires exceptionnelles confèrent, dans le concert des nations, une responsabilité supplémentaire dont notre pays a pleinement conscience.

Ces derniers temps, nous entendons et lisons des choses insupportables pour la raison, dénuées de tout fondement rationnel. Il est essentiel de rappeler régulièrement les faits, les causes et les objectifs, de ne pas laisser s’installer des rumeurs nauséabondes pour notre pays, mais plus encore et plus largement pour la démocratie.

La France n’est pas un pays impérialiste, colonisateur ou déstabilisateur. La France ne poursuit qu’un seul but : la paix ; d’abord et avant toute autre considération, la paix dans la dignité pour les peuples, la paix, ici, au Mali et dans les pays voisins, pour que les peuples de cette région aient la possibilité de vivre librement, sans être maintenus sous le joug quotidien du terrorisme et de son aboutissement politique, dont la communauté internationale sait ce qu’il représente pour les peuples afghan, irakien, syrien et tous les autres.

Redire la véracité des faits n’a rien d’artificiel dans un contexte de développement de suspicions, notamment dans le pot-pourri qu’est de plus en plus souvent internet, où tout se mélange. Face aux attaques dans le cyberespace, dont nous savons qu’au moins deux grandes puissances n’hésitent plus à faire un usage assidu, la vérité des faits est essentielle. Il faut en effet toujours revenir aux causes profondes pour déterminer la situation telle qu’elle se présente.

En ce sens, ne serait-il pas plus urgent d’associer régulièrement les parlementaires et, notamment, de leur donner plus de moyens, afin qu’ils exercent leur pouvoir de contrôle sur l’exécutif, un pouvoir traditionnellement relégué au second plan sur ces questions sensibles ? Nous avons ici l’occasion de changer de prisme et d’améliorer nos pratiques pour ne pas laisser le poison des rumeurs se propager et en revenir à l’objectivité des faits. Si, tactiquement, le succès de nos opérations militaires est indiscutable, il est tout aussi essentiel de débattre de notre stratégie, comme nous le faisons aujourd’hui.

En décembre 2015, le gouvernement, par la voix de son ministre de la défense – vous-même, monsieur le ministre, puisque c’est le poste que vous occupiez alors –, avait soulevé une question qui, avec le recul, apparaît encore plus fondamentale : qui est l’ennemi ?

Pour agir sereinement et efficacement, la nature de la réponse doit nous conduire à reposer régulièrement cette question. Cet ennemi est effectivement mouvant, en évolution permanente, immergé dans les sociétés pour déstabiliser les États et tenter d’y diffuser un ensemble idéologique à rebours de la liberté, toujours avec la perspective, ne l’oublions jamais, d’instauration de proto-États de type Daech.

Cette situation ne relève ni des angoisses ni des fantasmes du monde occidental. C’est la réalité du terrain, telle qu’elle a été décrite, notamment, dans le Livre blanc de 2013.

Pour faire face, la France n’a jamais eu la culture et l’obsession de la guerre préventive, là où d’autres pays ont pu s’y confondre, prenant le risque de s’y perdre moralement, culturellement et économiquement. Les comparaisons avec ces pays, si elles pourraient avoir le mérite de questionner notre stratégie – ce qui est nécessaire –, retomberaient immédiatement à l’épreuve des faits. En effet, la France, fidèle à ses valeurs et à sa tradition, a intégré que la sécurité absolue est un leurre et que l’ennemi doit sans cesse être redéfini, au plus juste et en réaction.

Au Mali, comme ailleurs, notre stratégie ne varie pas : la France ne mène aucune guerre préventive ; la stratégie française est défensive et dissuasive.

Je le disais, ce débat est nécessaire, parce qu’il faut toujours questionner et redéfinir l’ennemi au plus juste, parce qu’il s’agit, aussi, de dépasser le simple cadre militaire.

Pour ne pas sombrer dans ce chaos où des forces obscures connues souhaitent entraîner les pays de la région, en premier lieu le Mali, les opérations militaires, y compris lorsqu’elles sont couronnées de succès, ne suffisent pas. Elles peuvent même conduire à l’impasse sans une approche globale politique, diplomatique, économique, éducative et judiciaire.

Nous le savons, une stratégie durable repose sur cet éventail de dispositions. Or, madame la ministre, le sentiment grandissant, dans les médias, mais aussi, à bien des égards, sur le terrain opérationnel et parfois même jusque dans nos armées, c’est que ces dispositions, par-delà les opérations militaires, sont de moins en moins visibles.

Madame la ministre, monsieur le ministre, vous le savez, de nombreuses questions sont posées. Je me permets d’en relayer quelques-unes.

Où en sommes-nous sur le terrain diplomatique, notamment au sein du G5 Sahel ? Nous le savons, la situation en Libye est loin d’être stabilisée ; quels sont les effets de la crise libyenne pour la zone de travail de Barkhane ? Peut-on s’attendre à un changement d’attitude de la part des États-Unis et de la nouvelle administration du Président Biden ? Sans tomber dans le risque opérationnel que ferait courir la publication d’un calendrier, à quelle échéance les pays auront-ils localement suffisamment de moyens pour prendre le relais militaire ? En d’autres termes, où en sommes-nous de la formation et de l’accompagnement ? Dans les champs économique et éducatif, comment accompagnons-nous les pays menacés ? Quels sont les projets structurants qui permettront aux territoires du Nord, où la misère est grandissante, de sortir de l’impasse ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Todeschini

Dans le contexte actuel de crise sanitaire, pourriez-vous par ailleurs nous indiquer les mesures prises sur cet axe particulier ?

En somme, nous vous posons la question directement et sans détour : quelle est précisément la stratégie de la France au Mali, au sein de l’opération Barkhane et plus largement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Joël Guerriau, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires.

Applaudissements sur des travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants tient à rendre hommage à nos soldats, à celles et ceux qui ont perdu la vie ou ont été blessés, à tous les militaires actuellement engagés et à leur famille.

Une mission a été confiée à notre armée : lutter contre les groupes armés terroristes. Elle l’a admirablement accomplie et continue de le faire. Nos soldats ont ainsi libéré les villes occupées et poursuivent les terroristes partout où ils se trouvent. Ce n’est pas au moment où le bilan de l’opération Barkhane s’améliore, alors que de nouveaux entrants européens viennent nous épauler, qu’il faut baisser la garde.

Le principal effet de l’opération Barkhane est de prévenir l’effondrement des États et la création d’un sanctuaire par les terroristes. Tout retrait donnerait satisfaction aux activistes qui sont, par nature, nos ennemis. Ne nous y trompons pas !

Les armées locales sont encore loin d’être en mesure de lutter seules contre ces groupes. Un retrait de nos forces serait suivi d’une nette dégradation des conditions de sécurité, qui entraînerait des déplacements massifs de population.

Au cœur du Sahel, contrairement à la désinformation des réseaux sociaux, la population malienne, à une très forte majorité, aspire au maintien de la présence militaire française. Notre pays peut s’enorgueillir de son action. Le sacrifice de nos soldats pour une juste cause n’est pas vain. La tâche est considérable.

Pour fonder une paix durable, les nations de la zone doivent renforcer leur unité. Les États et leurs services publics doivent également être capables d’assurer une présence auprès de toutes les populations et sur tous les territoires.

J’illustrerai mes propos par l’exemple d’une ville que je connais bien. En 1995, j’ai initié une coopération décentralisée entre ma ville et celle de Kati, limitrophe de Bamako. Aujourd’hui, la situation y est catastrophique. Cette commune de plus de 100 000 habitants a vu les aides versées par l’agence nationale pour le développement passer de 30 millions à 9 millions de francs CFA. Connaissez-vous beaucoup de villes pauvres qui pourraient supporter une baisse de 70 % de leur budget ? Les agents territoriaux ne sont plus rémunérés.

À Bamako, il est de plus en plus difficile de circuler. La misère se développe, par manque de travail et de ressources alimentaires, mais aussi par l’arrivée de déplacés fuyant les zones dangereuses. Nos amis Maliens souffrent sur les plans économique, touristique, sécuritaire et politique.

Sur le plan économique, les partenaires d’hier commencent à manquer cruellement. Les aidants sont de plus en plus rares.

Sur le plan touristique, les villes de Ségou et de Mopti, qui connaissaient un flux régulier de touristes, ont perdu une ressource précieuse.

Sur le plan sécuritaire, dans les zones les plus exposées au terrorisme, voilà cinq ans que des milliers d’écoles sont fermées. Il en va de même, vous le savez, au Burkina Faso et dans bien d’autres endroits. Cette situation est extrêmement grave, car c’est sur ce terreau que croît l’effervescence radicale terroriste.

Aussi, sur le plan politique, les gouvernants des États du Sahel doivent affronter une situation très complexe.

Les écoles doivent rouvrir. Pour affaiblir et faire disparaître les groupes armés terroristes, il faut agir à tous les niveaux.

L’opération Barkhane ne saurait, à elle seule, résoudre le phénomène terroriste au Sahel. Elle est une condition nécessaire à l’émergence de solutions politiques.

Si la zone passait sous le contrôle des terroristes, comme ce fut le cas en Afghanistan ou au Levant, le risque serait grand de voir la violence s’exporter contre nos populations. Nous serions alors forcés d’intervenir dans des conditions encore plus dégradées, comme nous l’avons fait contre les talibans ou contre l’État islamique.

En somme, l’action militaire n’empêche pas la défaite ; la victoire demeure entre les mains des responsables politiques locaux. Rien, cependant, ne permet de dire quand de telles solutions pourront être trouvées. La France doit donc s’attendre à ce que son intervention dans la région dure – nous devons nous y préparer.

Dans ces conditions, il convient de rendre notre effort soutenable. Il faudra continuer à chercher des soutiens concrets à l’action que nous menons, pour que nous ne soyons pas seuls à supporter les coûts de cette opération, qui sert les intérêts de tout le continent européen. Nous ne pouvons réduire notre effectif que dans la mesure où de nouveaux contingents européens prennent la relève.

L’Europe doit prendre en considération cette dimension, soit par une mutualisation des coûts, soit par une contribution accrue à l’aide au développement des pays du Sahel. En effet, convenons-en ensemble, lutter contre la misère reste aussi le grand défi à relever.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

La parole est à M. Guillaume Gontard, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Gontard

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis la prorogation en 2013 de l’opération Serval, devenue Barkhane, le Parlement est muet. Mis à part les débats budgétaires, n’autorisant aucune discussion stratégique, son rôle est réduit à néant. L’esprit de l’article 35 de notre Constitution s’est évanoui depuis bien longtemps ! Aussi, je me félicite de l’organisation de ce débat à la demande de notre commission, même si celui-ci n’engage nullement le Gouvernement.

Il y a pourtant beaucoup à dire et à proposer ! Sept ans après le début de l’opération Barkhane, le bilan de l’engagement français nous laisse perplexes.

Voilà un an, lors du sommet de Pau, le Président de la République annonçait une montée en puissance de l’opération, notamment par l’envoi d’un renfort de 600 hommes. Le coût financier de l’opération, lui aussi, s’est accru : de 520 millions d’euros en 2014 à environ 1 milliard d’euros en 2020. Pour quels résultats ?

Certes, l’opération Barkhane engendre des succès tactiques, comme les opérations Bourrasque et Éclipse. Mais ces succès nous rapprochent-ils des objectifs de la France et de ses partenaires ? Les armées locales sont-elles en capacité de circonscrire la menace terroriste ? Les États du Sahel ont-ils rétabli leur autorité et engagé un processus de réconciliation ? Si tels sont nos objectifs, nous en sommes encore loin…

En effet, il est clair que la neutralisation d’individus de haut rang ne fera pas disparaître le terrorisme sur le long terme. L’hybridation des groupes armés avec le tissu local et la montée des conflits communautaires sont nourries par des tensions systémiques, au premier rang desquelles, le changement climatique.

La désertification, les sécheresses, qui déciment les cheptels et assèchent les points d’eau, touchent durement les éleveurs et les populations. L’insécurité alimentaire s’ajoute aux violences quotidiennes et permet aux groupes terroristes de proliférer.

Face à ce bilan, les insuffisances de l’intervention militaire deviennent évidentes. Or ces insuffisances ont un coût humain, qu’il n’est plus possible de négliger. Je pense d’abord aux pertes parmi l’armée française. À ce jour, nous déplorons 55 morts français au Sahel depuis 2013 ; les derniers, le brigadier Loïc Risser et le sergent Yvonne Huynh, sont tombés au mois de janvier 2021, et je leur rends ici, ainsi qu’à leur famille, un hommage appuyé. Mais la population civile locale est la première victime de ces conflits. Les pertes civiles ne se comptent plus en centaines, mais en milliers de personnes, sans parler des millions de déplacés et de réfugiés.

Dans un tel contexte, les circonstances de la frappe opérée le 3 janvier près de Bounti au Mali, qui aurait potentiellement touché des civils, doivent impérativement être éclairées. Cette transparence est nécessaire, car une intervention qui ne serait plus soutenue par la population locale perdrait sa légitimité.

Nous sommes aujourd’hui à la veille du sommet de N’Djamena, où se réuniront de nouveau le Président de la République et ses homologues du Sahel pour un bilan d’étape. Ce bilan doit être un tournant, car l’enlisement, qui devait être à tout prix évité, semble déjà une réalité. À cet effet, il nous apparaît important de rappeler que la solution militaire ne remplacera jamais la solution politique.

Dans un contexte de démocratie fragilisée, voire absente depuis le coup d’État d’août 2020, il faut en priorité appuyer les transitions démocratiques et redonner un souffle à l’accord d’Alger pour la paix et la réconciliation au Mali. À ce jour, malgré l’activisme affiché par l’Algérie à la fin de l’été, sa mise en œuvre reste laborieuse. Les États et organisations médiateurs, avec, en tête, l’Algérie, la France et l’ONU, doivent donner ensemble une nouvelle impulsion à l’accord.

Par ailleurs, le tabou des pourparlers avec certaines des organisations armées doit être débattu. Les négociations poursuivies par certaines personnalités maliennes avec ces groupes sont déjà une réalité et doivent être accompagnées par la France, lorsque les revendications politiques ou territoriales portées ne sont pas incompatibles avec nos exigences. À cette fin, la France doit soutenir l’évolution d’un cadre politique clair et légitime.

Ensuite, si notre pays décide un désengagement progressif, celui-ci doit s’accompagner d’une participation européenne accrue et garantie par un renforcement du G5 Sahel.

Malgré le lancement de la task force Takuba l’année dernière, la participation de nos partenaires européens reste trop limitée : les contingents estoniens, tchèques et suédois intégrés à l’opération ne représentent pas une capacité supplémentaire décisive. Or, au vu de la responsabilité que portent nos voisins européens sur l’intervention au Sahel, une participation plus importante sur le volet développement serait entièrement justifiée.

Pour conclure, je dirai que la solution politique que nous appelons de nos vœux ne saurait exister, nous semble-t-il, sans un renforcement considérable de l’aide publique au développement. C’est un point sur lequel nous reviendrons au cours du débat.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Bruno Retailleau

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour, je voudrais remercier le président Christian Cambon, à qui, comme cela a déjà été souligné, nous devons ce débat.

Ce débat tombe à pic : dans quelques jours, le sommet de N’Djamena réunira nos partenaires du G5 Sahel, dans un contexte où, il faut bien le dire, nos modalités d’intervention sont de plus en plus questionnées. C’est donc l’occasion pour nous, membres du groupe Les Républicains, non seulement d’adresser un message au Gouvernement, mais également de rendre un hommage appuyé à nos armées, qui, très loin d’ici, font la fierté de toute la Nation et l’admiration d’une très grande partie des armées du monde. En effet, ce que l’armée française accomplit au Sahel, dans des conditions si difficiles, sur un territoire si vaste, avec des moyens somme toute limités, très peu d’armées dans le monde en seraient capables.

« Loin des yeux, loin du cœur »… Jamais dicton populaire n’aura été aussi faux : les Français savent parfaitement que nos soldats luttent contre l’islamisme et le terrorisme. Là-bas, comme chez nous, c’est le même combat, un combat sans cesse recommencé pour la paix, pour la liberté et, bien évidemment, pour la vie ! Nous avons à l’esprit leur courage – vertu suprême selon Aristote, puisque c’est elle qui permet toutes les autres. Nous avons à l’esprit leur engagement au nom d’un idéal français, leur don de soi, tellement différent de cette obsession de soi si contemporaine.

Non, nos 55 soldats, auxquels je veux rendre un hommage particulier, ne sont pas morts pour rien ! Sans l’intervention de la France, portée par ses différents Présidents de la République et ses gouvernements successifs, que se serait-il passé ? Nous aurions sans doute eu un sanctuaire islamiste, un nouveau califat, un autre proto-État, au cœur du Sahel, aux portes du Maghreb ; c’est-à-dire à la frontière sud de l’Europe et de la France.

Nous avons connu et nous connaîtrons encore des succès militaires. Le succès militaire que représente Barkhane doit, malgré tout, nous ouvrir des perspectives pour discuter de cet engagement.

Nous savons parfaitement – c’est une leçon de ces dernières années – qu’aucun succès militaire ne peut déboucher sur une paix durable sans succès diplomatique ou politique. C’est d’ailleurs le sens des propos que vous avez tenus devant notre commission, madame la ministre, lorsque vous avez indiqué qu’il fallait désormais « transformer les gains tactiques […] en progrès politiques, économiques et sociaux ». À quelles conditions pouvons-nous accomplir cette transformation ?

À Brest, à l’occasion de ses vœux aux armées, nous avons entendu le Président de la République dire qu’il faudrait sans doute « ajuster notre effort », comme si – mais je me trompe peut-être et, dans ce cas, vous me démentirez – il s’agissait de revenir aux effectifs d’avant le sommet de Pau. Ce serait, à notre sens, le statu quo. Or nous voulons vous dire que le retrait n’est pas une option : il ruinerait tous nos efforts et rendrait inutile la mort de nos soldats ; le statu quo ne saurait tenir lieu de stratégie, car il risquerait de nous conduire à l’embourbement.

Alors, quelles sont précisément ces conditions, en tout cas les pistes pour un engagement réussi, alliant succès militaires et succès politiques ?

La première piste est celle du dispositif militaire. Sans reprendre ce qu’a très bien dit Christian Cambon, je veux insister sur le fait qu’il faudra s’adapter en permanence, se concentrer sur les forces spéciales, aéroporter nos forces pour limiter les risques liés aux bombes et, bien sûr, sécuriser avec un blindage approprié le transport de nos troupes.

La deuxième piste est celle qui demandera plus d’efforts, sans doute plus d’engagement à nos partenaires, à commencer par nos partenaires européens. Certes, Takuba est une avancée, mais celle-ci est insuffisante. La perspective la plus prometteuse et la plus immédiate concernant nos partenaires européens, c’est le renforcement de la mutualisation, le renforcement de leur contribution à notre effort pour la sécurité globale. Cela me paraît capital.

Bien sûr, il y a le G5 Sahel, qui paie le prix du sang – un très lourd tribut. Ce sont des partenaires que nous devons accompagner, mais qui doivent aussi renforcer leur engagement. Je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire…

Enfin, je veux insister sur une troisième piste, qui m’apparaît capitale : l’adéquation de notre effort pour la sécurité avec notre effort de coopération. Cette combinaison semble aujourd’hui mal calibrée : si j’en crois les chiffres du président Cambon, l’opération Barkhane nous coûte chaque jour 2 millions d’euros, alors que nous accordons 200 000 euros à la coopération. C’est insuffisant !

La France, seule, ne peut pas tout. Ce que je propose, c’est que l’Europe contribue plus ! L’Europe, mes chers collègues, est le premier contributeur mondial en matière de soutien humanitaire. Elle doit pouvoir mieux nous aider, de même que l’AFD, dont la logique – permettez-moi de le dire – nous dépasse parfois. Nous aimerions, à cet égard, beaucoup plus de transparence.

En tout cas, cette association entre effort pour la sécurité et effort de coopération est essentielle, car, dans ces zones désertiques, une école, un dispensaire, un accès à l’eau font beaucoup plus que bien d’autres actions.

Pour finir, je voudrais dire qu’il ne peut évidemment pas y avoir de reconstruction sans réconciliation. Il faudra exiger du Mali qu’il applique les accords d’Alger ; il faudra sans doute que l’Algérie elle-même entre en jeu pour garantir l’application de ces accords. De même, il faudra encourager le dialogue entre le Nord et le Sud, entre le peuple peul et le peuple dogon.

Madame la ministre, monsieur le ministre, nos soldats au Sahel connaissent leur devoir. À nous de leur indiquer le sens de leur mission, quelle est notre vision, selon quelle stratégie. Nous attendons des éléments de votre part à ce sujet. Mais sachez que mon groupe assumera toujours ce devoir : au-delà de nos divergences politiques, dès lors qu’est en jeu l’intérêt supérieur de la Nation, nous serons toujours à vos côtés et aux côtés de l’armée française.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian

Monsieur le président, madame la ministre, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’ai à cet instant une pensée particulière pour Jean-Marie Bockel, comme beaucoup d’entre vous.

Voilà huit ans, monsieur le président Cambon, que nous avons – pour ma part, dans des fonctions différentes – un dialogue au sein de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat sur la situation au Sahel. C’est un dialogue franc, confiant et exigeant. Au début, nous l’avions toutes les semaines. Par la suite, il a eu lieu tous les mois. Je le précise à l’attention de M. Gontard, je me suis toujours efforcé de me présenter régulièrement devant la commission pour répondre à ses questions – je crois que tout le monde peut en témoigner.

Cet engagement nécessite effectivement une transparence la plus totale sur nos avancées, nos reculs, nos interrogations. C’est pourquoi, comme Mme Parly, d’ailleurs, je crois n’avoir jamais manqué l’un de ces rendez-vous.

Je me réjouis, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, que ce dialogue se poursuive aujourd’hui en séance plénière. J’estime en effet que la représentation nationale et, à travers elle, nos concitoyens doivent savoir ce que nous faisons au Sahel, pourquoi nous le faisons, avec qui nous le faisons et selon quelle stratégie. C’est d’autant plus important que l’on assiste, depuis plusieurs mois, à une montée très préoccupante des manipulations de l’information au Sahel et à propos du Sahel. Si ces manipulations sont avant tout destinées à alimenter sur place un sentiment antifrançais, que certains acteurs tentent d’instrumentaliser à des fins politiques, elles risquent aussi de venir brouiller la perception de notre action ici même, en France. Notre responsabilité commune – j’ai bien senti dans toutes les interventions que nous nous retrouvions sur ce point – est de ne pas laisser ce piège se refermer sur l’opinion publique française, qui mérite de pouvoir juger à partir des faits.

Ce débat est donc bienvenu. Il porte au premier chef sur le bilan et les perspectives de l’opération Barkhane. Toutefois, de mon point de vue – et, si je suis ici aux côtés de la ministre des armées, c’est que vous partagez ce constat –, on ne saurait traiter ces questions sans prendre en compte l’ensemble de l’architecture dans laquelle cette opération s’insère désormais, une architecture que nous avons patiemment bâtie au fil des années avec nos partenaires sahéliens, européens et internationaux.

La création du G5 Sahel en 2014, la mise en place de sa force conjointe en 2017, celle de l’Alliance Sahel la même année, le lancement du Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel, parfois appelé P3S, en 2019 et, enfin, la création de la Coalition pour le Sahel l’an dernier sont autant de jalons décisifs dans un double mouvement d’internationalisation de la lutte contre la menace terroriste au Sahel et de définition d’un cadre global et intégré pour apporter à cette crise complexe, non seulement les réponses du court terme, celles de l’action militaire et de la stabilisation, mais aussi les réponses du temps long, celles de la négociation politique et du développement. Ce double mouvement montre que, depuis huit ans, les lignes ont considérablement bougé au Sahel, en dépit des polémiques sur un enlisement français dans cette région, polémiques qui, elles, n’avancent guère.

Dire cela, ce n’est pas nier l’importance ou le sens de l’engagement de nos soldats au Sahel. C’est évidemment ne rien retrancher à la valeur du sacrifice – souligné par les uns et les autres à cette tribune – de celles et ceux qui sont tombés. C’est au contraire affirmer que l’opération Barkhane a été le socle sur lequel ce vaste dispositif a pu se construire et qu’elle continue de jouer ce rôle aujourd’hui, bien que la charge soit désormais mieux distribuée entre nous et nos partenaires.

Permettez-moi de pointer trois malentendus qui planent encore trop souvent sur les discussions que nous pouvons avoir sur le Sahel, dont, j’espère, nous saurons nous garder aujourd’hui – vous l’avez fait jusqu’à présent, j’ai pu le constater en vous écoutant.

Le premier de ces malentendus tient à une forme d’amnésie qui pourrait conduire à penser, si vous me permettez l’expression, que ce qui se passe au Sahel n’est pas notre affaire.

Comme d’autres l’ont fait avant moi – le président Cambon, Jean-Marc Todeschini, Jean-Noël Guérini ou encore Bruno Retailleau –, je veux rappeler les raisons de notre engagement, d’abord dans le cadre de l’opération Serval, puis dans le cadre de l’opération Barkhane.

Comme vous le savez, en 2012, le Mali se trouvait au bord de l’effondrement : effondrement politique, à la suite d’un coup d’État du capitaine Sanogo, qui a renversé le régime de Toumani Touré et conduit à la présidence par intérim de Dioncounda Traoré ; effondrement sécuritaire, puisqu’une alliance de groupes terroristes affiliés à Al-Qaïda occupait le nord du pays jusqu’à Tombouctou, où ces groupes avaient entrepris de soumettre la population locale à la charia et de détruire des mausolées classés au patrimoine mondial de l’Unesco. Ils se préparaient à prendre d’assaut la capitale du Mali, Bamako.

Cet effondrement aurait été une véritable catastrophe, non seulement pour la population malienne, qui aurait été condamnée à vivre sous la loi d’un califat islamique implacable, mais également pour nous, en France et en Europe, puisque ce califat aurait pu servir de sanctuaire aux djihadistes ; un sanctuaire où attirer des combattants en provenance de l’étranger, un sanctuaire d’où il aurait été possible de projeter des attaques vers l’étranger. Je vous rappelle que, un an et demi plus tard, au Levant, d’autres djihadistes, toujours de la même obédience, proclamaient l’instauration d’un proto-État totalitaire, le pseudo-califat de Daech.

Nous avons donc eu raison, chacun l’a souligné, de prendre cette menace très au sérieux et nous avons eu raison d’agir très vite en lançant l’opération Serval dès janvier 2013, à la demande des autorités maliennes, du Président Traoré, à l’époque Président de transition du pays.

Cette opération a réussi : elle a porté un coup d’arrêt à la progression des djihadistes vers le Sud et a permis de libérer les régions du Nord. Sur le plan politique, cette opération a aussi permis le retour d’un processus démocratique avec l’élection du Président de la République du Mali, laquelle s’est déroulée dans de bonnes conditions.

Mais, parce qu’ils avaient été défaits au Mali, nos adversaires sont passés d’une stratégie d’implantation locale que je serais tenté d’appeler « stratégie d’occupation territoriale » à une stratégie de déstabilisation régionale. Si bien que la menace terroriste s’est étendue à l’ensemble du Sahel. C’est pourquoi, en août 2014, nous avons lancé l’opération Barkhane afin de nous donner les moyens de limiter leur liberté de mouvement en intervenant à l’échelle de la région tout entière avec nos partenaires locaux, à la demande des États concernés, mais aussi avec l’accord de la communauté internationale puisque toutes ces actions ont été initiées après avoir été validées par les Nations unies.

Le deuxième malentendu tient, justement, à une forme de myopie qui pourrait conduire à voir le Sahel comme une affaire franco-française, pour ne pas dire une obsession française, comme on l’entendait naguère. Ce n’est pas le cas : les 5 100 femmes et hommes de Barkhane ne sont pas seuls sur le terrain.

La sécurité du Sahel, c’est évidemment d’abord l’affaire des États du Sahel, et notre stratégie a toujours consisté à appuyer la montée en puissance de leurs armées nationales et de la force conjointe – la ministre des armées y reviendra tout à l’heure –, parce que c’est le levier de leur future sécurité. De fait, nous n’avons pas vocation à rester là-bas pour l’éternité. Il faut donc faire en sorte que ces outils se construisent progressivement : c’est ce que nous faisons.

Si nous ne sommes pas seuls, c’est aussi parce qu’il y a eu une prise de conscience européenne – sans doute tardive. Je pense que l’Europe s’est rendu progressivement compte que, le Sahel, c’était la frontière sud de notre continent – je remercie le président Retailleau de l’avoir indiqué. La sécurité du Sahel engage donc la sécurité des Européens. Il est vrai que nous avons été les premiers à en saisir toutes les implications, mais nos partenaires européens sont désormais au rendez-vous. Ils le sont avec la force Takuba, qu’évoquera Mme la ministre des armées ; ils le sont en appuyant la force conjointe de manière significative pour financer les équipements ; ils le sont dans le cadre des missions de formation EUTM et EUCAP ; ils le sont aussi dans le cadre de la mobilisation internationale autour de la mission de maintien de la paix des Nations unies, la Minusma.

J’ajoute que, année après année, nos alliés britanniques, américains et canadiens contribuent progressivement, de manière de plus en plus significative, à renforcer cette présence. En dépit du Brexit, l’engagement des Britanniques n’a pas cessé.

Enfin, troisième malentendu : on pourrait déplorer qu’une certaine forme d’impatience tende parfois à fausser l’appréciation de notre engagement au Sahel, comme si nos récents succès militaires pouvaient à eux seuls suffire à assurer le retour de la paix. Or, on le sait bien, le règlement de cette crise sera obligatoirement politique.

Soyons clairs entre nous : si le Sahel est depuis huit ans en proie à un tel degré d’instabilité et de violence, c’est en raison des fragilités considérables auxquelles doit faire face cette région, lesquelles ne pourront se résorber qu’étape après étape. La clé du succès, c’est donc la mise en œuvre d’une approche globale et intégrée de la crise. Tel est le sens de la Coalition pour le Sahel, dont l’architecture, telle qu’elle a été définie au sommet de Pau du mois de janvier de l’année dernière avec les pays du G5 Sahel, s’appuie sur quatre piliers prioritaires, mais indissociables : la lutte contre le terrorisme ; le renforcement des capacités des forces armées sahéliennes ; le soutien au déploiement de l’État, des administrations territoriales et des services de base et la reconquête par les États de leur propre territoire ; le développement.

Cette coalition est une avancée considérable dans l’internationalisation du traitement de la crise sahélienne. Désormais, 45 organisations internationales et pays du monde entier – jusqu’au Japon, qui vient de nous rejoindre – sont déterminés à agir ensemble autour des États du G5 Sahel pour la sécurité et l’avenir des populations de la région. C’est une structure conçue dans un souci de pragmatisme, d’agilité. C’est un multilatéralisme nouveau, une sorte de consensus en acte de la communauté internationale, comme l’on dit, sur cet enjeu. Si bien que, un an après le sommet de Pau, le secrétariat de cette coalition est en train de s’installer à Bruxelles, pour en montrer la dimension internationale.

Les premiers résultats sont là : Mme la ministre des armées évoquera les deux premiers piliers ; quant à moi, je dirai un mot des deux autres, dont l’administration que j’ai l’honneur de diriger a la responsabilité d’assurer le pilotage dans le cadre de la politique de stabilisation – c’est le troisième pilier – et de développement – c’est le quatrième pilier.

S’agissant du troisième pilier – le redéploiement des États et de leurs services –, des progrès, certes lents, sont en cours.

Ainsi, nous enregistrons des progrès dans le domaine de la sécurité intérieure, notamment grâce à la création d’unités mobiles qui travailleront à consolider le contrôle des territoires arrachés à l’influence des djihadistes pour rétablir la présence de l’État dans les territoires ainsi libérés – c’est le cas en ce moment même au centre du Mali, où nous menons cette expérimentation.

Nous enregistrons également des progrès dans le renforcement de la chaîne pénale et dans la lutte contre l’impunité, l’un des engagements que nous avons pris en commun à Pau. L’appui apporté aux autorités judiciaires dans le traitement des dossiers du terrorisme a permis, par exemple, en octobre dernier, la tenue du procès des auteurs des attentats de la Terrasse et du Radisson Blu à Bamako. Ces progrès dans la lutte contre l’impunité sont réels, mais ils sont encore insuffisants. En la matière, nous poussons les pays du Sahel à assumer pleinement leurs responsabilités et à faire toute la lumière sur les allégations d’exactions lorsqu’elles se produisent.

Enfin, nous enregistrons des progrès, s’agissant toujours de ce troisième pilier, dans la mise en œuvre du redéploiement dans les zones libérées des administrations et des services de base, comme l’éducation, la santé ou encore l’état civil. Par exemple, dans la zone cruciale des trois frontières – plusieurs d’entre vous en ont parlé –, qui est effectivement l’épicentre de la crise et qui concentre les fragilités faisant le creuset du terrorisme, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a engagé 16 millions d’euros en soutien à des projets d’urgence pour faire en sorte, immédiatement après la reconquête d’un territoire, non seulement que l’État soit de nouveau présent, mais également que des actions très concrètes soient mises en œuvre pour que chacun se rende compte que la donne a changé et que, lorsque les groupes s’en vont, il est apporté le plus rapidement possible une réponse aux besoins humanitaires. Il faut d’abord déminer, en même temps construire des écoles ou des centres de santé, il faut faire en sorte que les lieux où s’exerce symboliquement et concrètement l’autorité de l’État soient réhabilités et il faut aussi immédiatement mettre en place un accès minimal à l’eau et à l’électricité.

Sur ces projets d’urgence, que nous partageons d’ailleurs avec d’autres acteurs européens, il n’a pas été fait assez jusqu’à présent. Cependant, me semble-t-il, une évolution très positive est en train de se dégager.

Puis, parallèlement, vient le temps du développement. Il ne compte pas moins pour rendre des perspectives d’avenir aux populations, pour traiter en profondeur les fragilités et pour inscrire le retour à la stabilité dans la durée. C’est pour cette raison que nous avons contribué à créer, en 2017, avec l’Allemagne et l’Union européenne, l’Alliance Sahel. Celle-ci regroupe aujourd’hui 24 partenaires et supervise près de 870 projets, pour un montant de 20 milliards d’euros avec un effort de concentration sur les zones les plus sensibles et les plus fragiles.

Nous sommes évidemment très impliqués dans l’Alliance Sahel, qui tiendra d’ailleurs son assemblée plénière lundi matin à N’Djamena, avant le sommet des chefs d’État du G5 Sahel. Cette implication de la France est marquée par une augmentation depuis cinq ans de plus de 30 % de notre aide publique au développement au Sahel. Comme le président Cambon y a fait allusion, cette aide sera consolidée dans le cadre du projet de loi relatif au développement solidaire, qui sera soumis, je le pense, avant l’été au Parlement.

Pour répondre au président Retailleau, j’indique que l’Agence française de développement a octroyé 480 millions d’euros aux pays du G5 Sahel et décaissé 350 millions d’euros en un an pour accélérer la mise en œuvre des projets qu’elle finance dans le secteur de l’eau, de la santé et de l’éducation, domaines absolument stratégiques, ainsi que l’a souligné M. Guerriau, dans la mesure où les moins de 30 ans représentent aujourd’hui 65 % de la population au Sahel.

Nous obtenons des résultats grâce à cette action : la scolarisation dans les écoles primaires de plus de 200 000 jeunes Nigériens ; la réhabilitation de plus de 1 800 classes au Mali ; la distribution de 40 000 manuels scolaires au Tchad. Je pourrais poursuivre les exemples attestant cette réelle mobilisation.

Se battre pour l’éducation, c’est aussi se battre contre l’obscurantisme et faire en sorte que les filles et les garçons du Sahel aient plus tard la liberté de choisir leur avenir. C’est donc encore une manière de combattre la menace terroriste, à l’image de tous les combats en faveur de la stabilisation et du développement engagés par la France, les Européens et la communauté internationale au Sahel.

Quand plus de 5 millions de personnes retrouvent un accès à des services d’approvisionnement en eau, quand 3 millions de personnes bénéficient d’une assistance alimentaire, quand on propose à des centaines de milliers de femmes une méthode de planning familial dans une région en proie à une croissance démographique exponentielle – vous le savez, le Niger, par exemple, qui compte aujourd’hui 22 millions d’habitants, devrait compter, selon sa trajectoire démographique actuelle, 50 millions d’habitants en 2050, c’est-à-dire demain –, c’est une manière d’anticiper les risques auxquels pourraient être confrontées les prochaines générations, mais c’est aussi un combat indirect contre le djihadisme.

Le sommet de N’Djamena va permettre d’aller plus loin dans ces différentes voies, en particulier sur ce qui concerne les deux derniers piliers. Si le sommet de Pau a été le sommet du sursaut militaire, le sommet de N’Djamena doit être le sommet du sursaut diplomatique, du sursaut politique et du sursaut du développement afin de consolider les résultats des derniers mois. En tout cas, c’est ce que nous proposerons à nos partenaires.

D’abord, le sommet de N’Djamena doit être un sursaut diplomatique pour renforcer la coordination entre les pays du G5 Sahel et les pays riverains du golfe de Guinée afin d’enrayer l’extension de la menace terroriste vers leurs territoires. C’est fondamental. Cette prise de conscience a lieu : le Président du Ghana a pris l’initiative dite « d’Accra », qui vise à conforter la relation particulière entre la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Togo et le Ghana pour solidifier la sécurisation du nord de ces pays. Cette initiative doit déboucher sur un accord opérationnel avec les pays du Sahel directement concernés et permettre de renforcer la protection des frontières nord de ces pays. Ce somment doit également être un sursaut diplomatique pour renforcer la coopération des pays du Sahel avec l’Algérie et le Maroc et pour faire le lien avec la question libyenne.

Ensuite, le sommet de N’Djamena doit être un sursaut politique. S’agissant du nord du Mali, les conditions d’un règlement politique de la crise sont connues depuis longtemps.

Monsieur le sénateur Laurent, je ne suis pas favorable à ce qu’on reconsidère l’accord d’Alger. Cet accord, signé en 2015 au terme d’un processus de consultation mené sous l’autorité du ministre Lamamra, a permis de créer le cadre dans lequel il est désormais possible d’avancer politiquement. Le problème, c’est qu’il n’y a jamais eu de volonté politique pour le faire aboutir.

L’accord d’Alger prend acte de la nécessité de mettre en place de nouvelles institutions locales, d’une meilleure représentation des populations du Nord au sein des instances nationales, dans le respect de l’unité et de l’intégrité du Mali évidemment, d’une refonte de l’armée malienne pour y intégrer des combattants des mouvements armés du Nord et d’un effort considérable de développement de ce même Nord.

Maintenant, il faut passer aux actes, mais cette interpellation vaut pour ceux qui siègent au comité de suivi des accords d’Alger, en particulier les acteurs de la zone, singulièrement ceux du Mali : je pense à la nécessité de réinstaller l’armée malienne reconstituée à Kidal ; je pense à la poursuite du processus de désarmement-démobilisation-réintégration des ex-combattants ; je pense à la mise en œuvre des projets du Fonds de développement durable. À cet égard, l’annonce que viennent de faire les autorités algériennes d’une réunion, à Kidal, le 11 février, du comité de suivi des accords, attendue depuis très longtemps, est un signe positif et devrait nous permettre d’avancer singulièrement sur ces questions.

Cet accord est fondamental aussi parce qu’il établit une distinction politique claire entre les groupes armés signataires et les groupes terroristes. Ainsi, les premiers, parmi lesquels le MNLA, que vous avez cité, monsieur Laurent, acceptent d’inscrire leur action dans le cadre de l’État malien et sont d’ailleurs représentés dans le gouvernement provisoire actuel. Les seconds, quant à eux, j’y insiste, sont des terroristes dont l’objectif déclaré est de mettre à bas l’État malien. On ne négocie pas avec des terroristes, on les combat !

Il est également essentiel que la transition civile au Mali soit menée à bien. Là aussi, les engagements doivent être tenus. Dans un délai maximum de quinze mois, des élections crédibles doivent se tenir et l’ordre constitutionnel doit être rétabli.

Enfin, il est impératif que les demandes de réformes de la population malienne soient entendues, notamment en matière de gouvernance, de lutte contre l’impunité et de refonte du cadre et d’engagement face aux défis sécuritaires.

Nous allons également proposer que N’Djamena soit le moment du sursaut de la stabilisation et du développement, pour gagner encore en réactivité et en efficacité face aux défis du long terme. Cela passe par une prise de responsabilité des États du G5 Sahel, appuyée par une meilleure coordination de l’aide de leurs partenaires internationaux, car, aujourd’hui, je dois le dire, la coordination et, surtout, la territorialisation de l’aide ne sont pas satisfaisantes. Il faut donc ouvrir davantage d’écoles, recruter davantage d’enseignants, créer et faire vivre davantage de dispensaires. Ces pistes concrètes seront au centre de nos échanges.

Nous voulons aussi tirer profit du sommet de N’Djamena pour confirmer la relance que nous avons initiée du projet de grande muraille verte. Cette relance a eu lieu lors du One Planet Summit de janvier, événement qui a permis de mobiliser près de 14 milliards d’euros de financements internationaux – sans compter les 20 milliards d’euros que j’ai évoqués précédemment – dans 11 pays concernés d’ici à 2025. Verdir le Sahel, lutter contre la désertification, c’est aussi travailler à ramener la paix dans la région.

Monsieur le président, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, telles sont les perspectives que nous entrevoyons dans les discussions qui vont avoir lieu à N’Djamena. J’observe que, à ce sommet, en plus des pays du G5 Sahel, seront représentés les Nations unies, l’Union africaine, l’Union européenne, dont le Portugal assure la présidence du Conseil, d’autres pays très actifs dans la zone tels que l’Allemagne et l’Espagne, au titre de sa présidence de l’Alliance Sahel, ainsi que nos partenaires britanniques, américains et canadiens au sein de Barkhane, l’Algérie, le Maroc, l’ensemble des Européens engagés dans la task force Takuba. C’est donc une petite communauté internationale qui se réunit à N’Djamena pour continuer à la fois la lutte contre le terrorisme et permettre de tracer les chemins de la paix pour l’ensemble des populations du Sahel, meurtries depuis maintenant de nombreuses années, et leur redonner de l’espoir. Tout cela dans un contexte qui nous permettra, je l’espère, d’avancer.

Ce débat a permis de clarifier nos engagements et d’adresser, je le pense, aux populations du Sahel un message d’amitié et de soutien.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Florence Parly

Monsieur le président, monsieur le ministre – cher Jean-Yves -, mesdames, messieurs les présidents de commission et de groupe, mesdames, messieurs les sénateurs, en introduction de mon propos, je souhaite naturellement m’associer à l’hommage que vous avez tous rendu à nos militaires et avoir une pensée particulière pour la famille de Jean-Marie Bockel.

La question qui me paraît devoir être abordée à la suite de l’ensemble de vos interventions est celle-ci : pourquoi sommes-nous au Sahel ?

Il y a huit ans, le Mali a fait appel à la France pour stopper des colonnes de djihadistes qui fonçaient sur Bamako. Nous avons répondu à cet appel, car c’est ainsi que nous nous comportons avec nos partenaires ; et c’est ainsi que nous souhaiterions que nos partenaires se comportent si nous étions un jour agressés.

Nous avons répondu à cet appel pour protéger le Mali et sa population, mais aussi pour protéger les États sahéliens des groupes terroristes qui veulent les détruire et les soumettre pour imposer leur loi, terroriser et tuer tous ceux qui s’opposent à eux. Nous avons aussi répondu à cet appel du Mali, parce que, comme le ministre de l’Europe et des affaires étrangères l’a rappelé, nous ne voulons pas que le Sahel devienne un sanctuaire terroriste, nous ne voulons pas qu’il leur permette de préparer des attentats dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, voire en Europe.

Depuis huit ans, les forces armées françaises se sont sans cesse adaptées – certains ont dit « ajustées » – à cette menace : l’opération Barkhane a évolué, évolue et sera encore amenée à évoluer.

Je voudrais maintenant revenir avec vous sur l’évolution de la stratégie de la France au Sahel que le Président de la République a opérée il y a un an au moment du sommet de Pau.

Souvenez-vous, il y a un an, les forces armées sahéliennes étaient débordées de toutes parts, pour ainsi dire au bord de la rupture. En l’espace de deux mois seulement, le Niger avait enterré 160 de ses soldats, après les attaques d’Inates et de Chinagodrar, et le Mali 53 militaires et civils après l’attaque de la garnison à Indelimane.

Il y a un an, on observait la montée du discours antifrançais, qui n’était pas clairement démenti, souvenez-vous-en, par certaines autorités des pays du G5 Sahel.

Il y a un an, on observait aussi que la mobilisation des pays sahéliens n’était pas forcément à la hauteur des enjeux.

Au milieu, il y avait un véritable boulevard pour Daech et Al-Qaïda au Sahel, qui multipliaient leurs actions et se renforçaient chaque jour davantage.

Le Président de la République a donc convoqué un sommet avec l’ensemble de nos alliés et de nos partenaires pour revoir notre stratégie commune et pour s’assurer que la présence des armées françaises au Sahel était bien voulue et non pas subie. De ce sommet, je crois pouvoir dire que nous sommes sortis plus forts et plus nombreux. C’était en effet un message fort de solidarité avec les pays sahéliens, un message de remobilisation régionale et internationale dans la lutte contre le terrorisme.

La création de la Coalition pour le Sahel – le ministre de l’Europe et des affaires étrangères l’a rappelé – nous a offert un cadre d’action reposant sur quatre piliers autour desquels nous articulons notre stratégie. Je concentrerai mon propos sur les deux premiers.

Le premier pilier, c’est la lutte contre le terrorisme, en particulier contre l’État islamique dans le Grand Sahara, affilié à Daech dans la région des trois frontières, cette région qui se situe à cheval sur le Mali, le Niger et le Burkina Faso. C’est pour intensifier cette lutte que le Président de la République a décidé il y a un an de renforcer les effectifs de Barkhane de 600 militaires supplémentaires.

Le second pilier, c’est la montée en puissance des forces armées sahéliennes.

Depuis un an, ce sont ces deux objectifs qui ont guidé notre action.

Au bout d’un an, des résultats significatifs ont été obtenus : l’effort militaire sur la zone des trois frontières a porté ses fruits. Daech au Sahel est fortement entravé, même s’il conserve encore une capacité de régénération importante.

Concrètement, en 2019, 300 membres des forces de sécurité – garde nationale, police, gendarmerie ou militaires – avaient été tués en six mois. Si, depuis un an, nous déplorons près de 100 policiers ou militaires tués par des groupes terroristes au gré d’actions d’opportunité dans la région du Liptako, qui est à cheval entre le Mali et le Niger, il convient de noter que, depuis janvier 2020, plus aucune attaque d’ampleur n’a été commise.

Nous avons également réussi à affaiblir Al-Qaïda en neutralisant son numéro un dans la région ainsi qu’un certain nombre de ses cadres.

Par ailleurs, la montée en puissance des armées sahéliennes se confirme : nous observons chaque jour des progrès et des résultats encourageants. Au début de cette année 2021, à partir du 2 janvier très exactement, jusqu’au 3 février, près de 2 000 militaires des forces armées maliennes, burkinabées et nigériennes, ainsi que de la force conjointe du G5 Sahel, ont conduit, au côté de la force Barkhane, une opération de grande ampleur baptisée Éclipse, qui a pris donc le relais de l’opération Bourrasque.

L’ennemi a été bousculé et surpris par la rapidité de l’intervention. Face à la puissance des unités engagées, les groupes terroristes se sont repliés et ont abandonné de nombreuses ressources : des motos, des pick-up, des équipements de communication, ainsi que d’importants matériels et produits permettant la fabrication d’engins explosifs improvisés qui peuvent être si meurtriers, comme nous le savons si bien.

Contrairement à il y a un an, les forces armées locales sont désormais capables de résister et de répliquer. Elles ne sont plus démunies face à la violence des attaques terroristes, même si, bien sûr, elles ont encore besoin d’être accompagnées. Cela est possible grâce à Barkhane, bien sûr, mais aussi et surtout grâce à un engagement international et européen qui s’est confirmé et renforcé. Je pense en premier lieu tout particulièrement aux Européens, dont l’engagement en faveur de la formation des forces armées locales est essentiel au travers de la mission de l’Union européenne EUTM Mali.

Quand je dis qu’il y a des Européens au Sahel, on me pose à peu près systématiquement la question : « Mais où sont les Allemands ? » Eh bien, je peux vous dire qu’ils sont là ! Ce sont même les deuxièmes contributeurs, derrière la France, à la mission de formation des forces armées maliennes de l’Union européenne.

Partenaire européen de premier plan, l’Allemagne fournit 800 soldats au travers de ses déploiements au sein de la Minusma et de l’EUTM et elle devrait en fournir 450 de plus à la fin de l’année 2021 ou au début de l’année 2022.

Il y a aussi des Européens au sein même de Barkhane : des Espagnols, des Britanniques, des Estoniens, qui nous appuient par des moyens et des renseignements précieux. Un détachement danois a en outre renforcé Barkhane pendant toute l’année 2020. Naturellement, le soutien américain contribue lui aussi au succès de nos opérations.

Plus récemment, nous avons mis sur pied une force composée de forces spéciales européennes, entièrement consacrée à l’entraînement et à l’accompagnement au combat des forces armées maliennes : c’est la force Takuba. Cette force est aujourd’hui composée d’un groupe de forces spéciales franco-estonien, d’un groupe franco-tchèque et d’un détachement suédois composé de 150 militaires, qui, au moment où je vous parle, est en train de se déployer. Ils fournissent des capacités aéromobiles essentielles et une unité de réaction rapide. D’autres nations sont prêtes, elles aussi, à s’engager.

Si l’on nous avait décrit pareil engagement il y a encore un ou deux ans, aucun d’entre nous ne l’aurait sans doute cru possible. Pourtant, en engageant un contingent dans Takuba, ces pays acceptent d’aller au combat. Ils acceptent le contact direct avec l’ennemi. Ce sont des alliés qui ont compris que la stabilité du Sahel était clé pour la sécurité européenne. Ils sont prêts à se battre auprès de nous pour lutter contre le terrorisme. Leurs contributions – vous en conviendrez – sont tout sauf insignifiantes.

Si des Européens s’engagent aujourd’hui à nos côtés, c’est parce qu’ils croient au sens de cet engagement. C’est aussi parce que la France y est et que l’organisation et le savoir-faire de nos armées facilitent la présence d’armées moins puissantes.

Je l’ai dit et je le répète : Barkhane n’est pas éternelle. Mais à court terme nous allons rester, ce qui n’exclut pas que les modalités de notre intervention évoluent – s’ajustent, diraient certains –, bien au contraire.

Les pays sahéliens souhaitent que nous continuions à les aider ; les résultats obtenus nous permettent d’accentuer la stratégie d’accompagnement des forces locales avec nos partenaires et avec nos alliés sur le terrain.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le contre-terrorisme au Sahel est et reste une priorité, contre Daech et contre Al-Qaïda. Comme le rappelait Bernard Emié, directeur général de la sécurité extérieure, il y a quelques jours, à la sortie du comité exécutif ministériel que nous avons consacré au contre-terrorisme, le risque d’expansion du djihadisme vers le golfe de Guinée et l’Afrique de l’Ouest est réel. Certains d’entre vous l’ont souligné. Le projet politique qu’il y a derrière est clair : faire de la région la base arrière du djihadisme.

Notre enjeu est donc de réussir à transformer les gains et les victoires tactiques en progrès politiques, économiques et sociaux, tout en adaptant sans cesse notre engagement, de façon collective et concertée. Ce sera tout l’objet du sommet de N’Djamena qui se déroulera la semaine prochaine.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes SER, UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Larcher

Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Nicole Duranton.

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Duranton

Encore onze morts en 2020 : c’est le lourd tribut qu’ont dû payer nos héros dans ce combat sans visage et sans ligne de front précise. Aujourd’hui, nous leur rendons hommage, avec une pensée toute particulière pour notre ancien collègue Jean-Marie Bockel et pour sa famille.

Il existe au Sahel un vrai risque de contagion vers le golfe de Guinée, qu’il faut absolument contenir. La menace étant mondiale, notre réponse doit également être d’ampleur internationale.

Dans cette guerre contre le terrorisme, nous ne sommes pas seuls. Avec nos partenaires européens, pas assez nombreux, hélas ! et des alliés sahéliens, nous luttons contre l’ennemi commun. À mon sens, l’exemple de la force Takuba, pilotée avec certains partenaires européens, a permis de montrer la puissance de la coopération entre les nations pour éliminer cette menace qui nous est commune.

En partageant nos connaissances avec les forces militaires locales, nous allons dans le sens d’une sécurisation pérenne sur le long terme. Cet entraînement permet désormais aux forces sahéliennes, qui constituent le deuxième pilier du sommet de Pau, de monter en puissance, et les résultats sont encourageants.

L’opération Éclipse, commencée le 2 janvier dernier, vient de se terminer avec succès. Elle a été menée principalement dans la zone des trois frontières, aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Elle a mobilisé 3 400 soldats, dont 1 500 de la force Barkhane, auxquels s’ajoutent 1 900 soldats sahéliens – 900 Burkinabés, 850 Maliens et 150 Nigériens. Ces chiffres témoignent de l’envergure de cette opération conjointe menée avec nos forces partenaires.

Vous l’avez dit en commission des affaires étrangères il y a quelques jours et vous l’avez rappelé à l’instant, madame la ministre : « Jamais nous n’avons vu les forces maliennes et nigériennes mener le combat comme cela a été le cas pendant les opérations de fin 2020 et notamment à travers l’opération Éclipse. » Pourriez-vous revenir sur le bilan opérationnel d’Éclipse et nous expliquer en quoi il confirme un changement profond ? Avec ce retour d’expérience, quels enseignements pouvons-nous d’ores et déjà tirer quant aux étapes à franchir pour que les armées sahéliennes puissent intervenir avec de plus en plus d’autonomie, puisque Barkhane ne sera pas éternelle ?

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.

Debut de section - Permalien
Florence Parly

Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question, qui me permet d’insister sur la progression rapide de la combativité et des capacités opérationnelles dont font preuve les armées sahéliennes.

Il y a eu, à la fin de l’année 2020, l’opération Bourrasque. Il y a eu, à compter du 2 janvier de cette année, l’opération Éclipse, dont vous avez rappelé l’ampleur : elle a mobilisé 3 400 militaires, dont 1 500 Français et près de 2 000 soldats partenaires. À ce titre, je souligne le retour des militaires burkinabés, qui n’étaient pas intervenus dans le cadre de l’opération Bourrasque. Le résultat s’est révélé probant : neutralisation de nombreux terroristes djihadistes, saisine et destruction d’un volume important de ressources logistiques.

Quelles conclusions faut-il en tirer ? Cette stratégie, que je qualifierais de partenariat de combat, consiste à intégrer de plus en plus nos partenaires sahéliens à nos forces, qu’il s’agisse de Barkhane ou de Takuba.

Je le répète, les Sahéliens se renforcent et contestent le terrain aux groupes armés terroristes. Nous en avons encore eu un exemple à la fin du mois de janvier dernier, avec les attaques menées contre Boulikessi et Hombori : les forces armées sahéliennes ont réussi à mettre en déroute une centaine de djihadistes – un tel succès se passe de commentaires. Ce partenariat de combat est une clé majeure, et le rôle de Takuba est aussi de le développer.

Enfin, on peut tirer des conclusions plus structurelles. Il n’y aura pas de véritable résultat durable sans refonte en profondeur, sans restructuration des armées de ces pays. Précisément, ces derniers y sont aujourd’hui décidés : le Niger et le Mali s’apprêtent à recruter massivement pour régénérer les forces existantes.

Debut de section - Permalien
Florence Parly

Ces pays s’apprêtent également à concevoir un cycle opérationnel digne de ce nom. Il s’agit donc, en quelque sorte, de professionnaliser ces armées : c’est ce à quoi nous allons nous employer à leurs côtés. ( MM. François Patriat et Richard Yung applaudissent.)

Debut de section - PermalienPhoto de André Guiol

Ma question s’adresse à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a reçu en audition M. Aguila Saleh, président du parlement de Tobrouk. M. Saleh nous a présenté la situation de son pays et les relations ambiguës que le gouvernement de Tripoli, dont il ne reconnaît pas la légitimité, entretient avec la Turquie. Il a notamment évoqué le détournement du produit de la vente du pétrole libyen au profit du financement de milices ou de mercenaires qui sévissent sur ce territoire. Un de ses objectifs, bien légitime, est de mettre un terme, après avoir démocratiquement repris le contrôle du pays, aux actions de ces milices ou de ces mercenaires, installés avec la complicité de la Turquie et avec la connivence du gouvernement de Tripoli.

Dans le même temps, plus au sud, nos soldats se battent contre un ennemi diffus, sur un territoire immense. Ils sont confrontés à des attentats et à des embuscades lâches et meurtriers.

Je regrette que les pays européens, eux aussi concernés par le terrorisme, ne soient pas significativement à nos côtés au Sahel, malgré la mise en place de la task force Takuba. Même si Mme la ministre nous a donné quelques éléments positifs à cet égard, je rappelle que, depuis le Brexit, la France est la seule puissance de l’Union européenne à siéger comme membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU et à disposer de la dissuasion nucléaire, qui contribue à la sécurité de tous. Je formule ce rappel à l’intention de ceux qui, constamment, comparent aveuglément notre déficit public à celui de nos voisins.

Pour ce qui concerne le sujet qui nous occupe aujourd’hui, ne craignez-vous pas, monsieur le ministre, que ces milices ou ces mercenaires, une fois empêchés d’intervenir en Libye, ne viennent renforcer d’une manière ou d’une autre les groupes armés terroristes au Sahel, mettant de fait en danger nos soldats de l’opération Barkhane ? Vous ne manquerez pas d’analyser la pertinence d’un tel risque : s’il est réel, comment l’anticiper, afin que nous prenions dès aujourd’hui les mesures qui s’imposent pour ne pas exposer plus encore nos soldats au Sahel ?

M. André Gattolin applaudit.

M. Vincent Delahaye remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian

Monsieur le sénateur Guiol, il est compliqué de parler de la Libye en deux minutes, tant son histoire est complexe, tant sa réalité politique, administrative, militaire et économique est confuse.

Cela étant, il peut arriver que l’on reçoive de bonnes nouvelles de Libye. Ainsi, le cessez-le-feu acté le 23 octobre dernier est respecté et l’organisation d’élections le 24 décembre prochain reste d’actualité.

M. Aguila Saleh, dont vous avez parlé longuement, a effectivement été reçu au Sénat. La seule difficulté pour ce qui le concerne, c’est qu’à l’instar de M. Bashagha il a été battu aux élections internes du Conseil national de transition, forum politique réunissant les différentes composantes représentées au sein des partis libyens.

Il importe maintenant que le nouveau président du Conseil présidentiel, M. Menfi, et le Premier ministre potentiel, M. Dbeibah, soient investis par le parlement de Tobrouk et par le Haut Conseil d’État de Tripoli. J’espère que tel sera le cas. Ce processus politique positif pourrait dès lors se poursuivre, sous réserve que la clause de l’accord du 23 octobre prévoyant le départ des forces étrangères soit effectivement respectée.

Pour notre part, nous souhaitons faire valider l’ensemble de ce processus par une résolution des Nations unies. C’est notre rôle. Cette question a effectivement un lien avec le Sahel, car la sécurité de la frontière du Fezzan, au sud de la Libye, ne pourra que renforcer les garanties pour éviter les porosités et les trafics en tout genre.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Gréaume

Comme le disait mon collègue Pierre Laurent, nous pensons que la France doit changer de braquet au Sahel. Nous arrivons au bout de notre modèle d’action fondé avant tout sur le militaire, malgré des concepts comme les « 3D » ou le continuum sécurité-développement. Se pose dès lors la question de nos perspectives en matière de développement et de diplomatie.

Le 10 décembre dernier, le bureau du conseiller spécial pour l’Afrique de l’ONU, ses représentations permanentes de l’Afrique du Sud et du Nigéria ainsi que l’Union africaine ont présenté une nouvelle note sur les flux financiers illégaux en Afrique. Ce document, s’appuyant sur la feuille de route de Lusaka, prise sur l’initiative de l’Union africaine en 2016, dresse un tableau essentiel de la situation et des objectifs à atteindre.

Ainsi, les flux financiers illégaux participent chaque année à la fuite de 88, 6 milliards de dollars du continent. Cette somme représente presque autant que les rentrées annuelles combinées de l’APD et des investissements étrangers en Afrique ; ce sont autant de milliards d’euros qui maintiennent les États dans une situation de sous-développement et aggravent la pauvreté, facilitant d’autant le recrutement des groupes armés terroristes et créant des conflits entre les communautés.

Parmi les recommandations de ce document, on retrouve des éléments centraux, comme la suppression des paradis fiscaux offshore, qui permettent un accès rapide aux richesses illégalement acquises, mais aussi un renforcement des dispositifs de restriction de circulation des armes.

De plus, la question de l’opérationnalisation du fonds spécial de l’Union africaine pour la prévention et la lutte contre le terrorisme est posée.

Enfin, cette feuille de route fait de la lutte contre la corruption, du renforcement institutionnel des États et du renouvellement des élites politiques une priorité.

L’ensemble de ces préconisations, faites par et pour les Africains, sera-t-il activement soutenu par la France ?

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Gréaume

À ce titre, le prochain sommet de N’Djamena peut-il être l’occasion de réunir les moyens de le rendre opérationnel ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian

Madame la sénatrice, la question que vous abordez n’est pas spécifique au Sahel, même si le Sahel, comme les autres régions d’Afrique, est concerné par ce phénomène gravissime que constituent les flux financiers illicites.

Vous avez raison de citer le rapport de la Cnuced, qui met l’accent sur ces dérives considérables et ces trafics inacceptables. À notre avis, l’enjeu, c’est la mise en œuvre de la nouvelle zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), conçue par l’Union africaine pour que l’Afrique puisse assurer une meilleure capacité de développement et un contrôle des flux.

Dans ce cadre, nous n’avons pas à nous substituer à l’Union africaine, qui a reconstitué ses organes internes la semaine dernière et qui doit se saisir de ce dossier pour garantir la transparence des flux financiers.

Nous avons d’ailleurs la même exigence pour ce qui concerne la corruption et la sécurité des flux financiers. À cet égard, pour en revenir au sujet de notre débat, nous sommes très attentifs à ce qui se passe au Sahel : l’ensemble des bénéficiaires d’aides doivent faire l’objet d’un criblage de sécurité avant de recevoir les aides en question. C’est un travail compliqué à mettre en œuvre, mais c’est une absolue nécessité pour éviter les dérives.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

Comme tous les membres du groupe Union Centriste, j’ai une pensée particulière pour notre ami et ancien collègue Jean-Marie Bockel, ainsi que pour sa famille. Je remercie M. le président Cambon d’avoir rappelé que le lieutenant Pierre-Emmanuel Bockel aurait dû fêter ses trente ans aujourd’hui.

Nous souhaitons rendre hommage aux 55 militaires français tombés au combat et aux centaines de victimes que l’on déplore dans les rangs de nos alliés du G5 Sahel. Eux aussi paient un lourd tribut pour le rétablissement de la paix dans leur région.

Afin de préparer ce débat parlementaire dédié à l’opération Barkhane, je me suis rendu au Tchad, au Burkina Faso et au Mali. Politiques, militaires et diplomates ou encore Français établis dans ces pays, tous mes interlocuteurs ont exprimé le besoin de la présence de Barkhane sur le terrain. Ils reconnaissent la prouesse militaire de l’armée française, que je veux saluer ici, faisant énormément avec si peu pour un si vaste territoire.

Lors de ma première visite à Ouagadougou, il y a quatre ans, sur la carte « conseils aux voyageurs » du ministère des affaires étrangères, le Burkina Faso apparaissait en jaune, avec une bande rouge à la frontière nord avec le Mali. Désormais, cet État est majoritairement en rouge, le cœur du pays et sa capitale figurant en orange.

Je me suis notamment entretenu avec M. Roch Kaboré, Président du Faso. Il considère que le combat mené par les États de la région vise à contenir la menace, l’extension du phénomène en direction des pays côtiers se faisant sentir. Sur la carte « conseils aux voyageurs », ces pays – Côte d’Ivoire, Bénin, Ghana, Togo, etc. – affichent actuellement la même couleur que le Burkina Faso il y a quatre ans.

La France envisage-t-elle des initiatives diplomatiques pour aider les pays côtiers à anticiper la menace terroriste qui les vise directement et pour accroître leur coopération militaire avec les pays du G5 Sahel ?

Pour décrire la situation de son pays, le président de l’Assemblée nationale du Burkina, M. Alassane Bala Sakandé, a employé l’image d’une digue. Pour que la digue tienne, il faut que l’économie tienne.

À Bamako, nos entrepreneurs me faisaient remarquer qu’il est moins cher et trois fois moins long de transporter un conteneur de France à Dakar que de Dakar à Bamako.

La France compte-t-elle favoriser la création de corridors commerciaux depuis ces pays enclavés vers la mer, en relançant par exemple le Dakar-Bamako ferroviaire, à l’arrêt depuis 2018 ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian

Monsieur le sénateur Cadic, vos deux questions sont tout à fait pertinentes.

J’ai déjà répondu à votre première interrogation dans mon propos introductif : il est indispensable qu’au sud de la région les pays du golfe de Guinée travaillent ensemble pour assurer la sécurité de leur frontière nord. Il ne s’agit pas pour eux d’entrer dans le G5 Sahel, mais d’organiser une coopération interne afin d’assurer la sécurité de cette zone, qu’il s’agisse du renseignement – c’est très important – ou de la sécurité, grâce à des relations entre les unités présentes.

Le Président du Ghana, M. Akufo-Addo, a pris une initiative dont j’ai parlé, l’initiative d’Accra, qui va précisément dans ce sens. Il se rendra au sommet de N’Djamena, qui sera donc également l’occasion de faire avancer cette coordination indispensable.

Quant aux infrastructures ferroviaires, sur lesquelles porte votre seconde question, elles constituent un vieux sujet africain. La nécessité de renforcer les liens ferroviaires entre les différents pays est si criante que je n’arrive pas à concevoir que ce chantier ne soit pas encore engagé. Je pense notamment au Dakar-Bamako, mais aussi à la liaison Abidjan-Ouagadougou et à d’autres encore.

Une série de projets existent, mais ils sont aujourd’hui en stagnation. Ainsi, le Dakar-Bamako est bloqué pour l’instant. Il nous faut trouver les moyens et les équilibres financiers pour les relancer et éviter que d’autres puissances ne les reprennent en lieu et place des Européens et notamment des Français.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Mes premières pensées vont à nos soldats morts en combattant pour nous permettre de profiter durablement de notre chère liberté. Cette dernière a le prix du sang et leur sacrifice est particulièrement douloureux ici.

Il y a déjà huit ans que la France a répondu à l’appel des autorités maliennes pour contrer le risque majeur d’un djihadisme tentaculaire. Aujourd’hui, nous sommes conduits, en toute logique et sereinement, à dresser un ou des constats en pleine responsabilité. Il me semble important qu’une fois l’an la Haute Assemblée puisse mener un tel débat avec les deux ministres concernés, lorsque nos militaires sont engagés en opération extérieure.

Fallait-il intervenir ? À l’évidence, oui ! Notre pays ne pouvait détourner honteusement le regard devant cette impérieuse nécessité.

La France peut-elle rester éternellement ? Assurément, non ! En effet, chacun s’accorde à dire que ce conflit, comme bien d’autres avant lui, ne se gagnera pas militairement, mais politiquement. Or l’histoire nous enseigne que, si une intervention militaire ne s’accompagne pas d’un regard sur l’évolution démocratique, puis économique, sociale et enfin éducative, elle ne peut avoir d’effet durable. Sans cet effort, ceux qui nous ont applaudis à notre arrivée manifesteront quelques années plus tard pour nous demander de partir.

S’agissant de l’évolution démocratique, nous savons que le népotisme habituel était resté, malheureusement, présent.

Notre assistance continue ne mériterait-elle pas aussi d’être considérée en fonction des réels soutiens apportés, ou non, par nos partenaires occidentaux ? Sans eux, la France, seule, a-t-elle réellement les moyens de son ambition ?

Enfin – nous le constatons de plus en plus –, une guerre de communication pernicieuse s’est engagée au Sahel. Chine et Russie y jouent un rôle majeur : ces deux puissances tentent de discréditer notre pays pour prendre pied en Afrique. À cet égard, les enjeux économiques sont faciles à deviner. Cet aspect géopolitique devient majeur.

Dans ce nouveau cadre, pensez-vous que les États-Unis, qui nous aident militairement aujourd’hui, puissent renforcer leur soutien et accompagner la France, mais aussi l’Europe, pour éviter que le continent africain ne devienne étroitement dépendant de l’influence russo-chinoise grandissante ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian

Monsieur le sénateur Vaugrenard, je ne reviendrai pas sur les constatations que vous venez de faire : je vous ai répondu par anticipation excepté sur un point, à savoir l’intervention des États-Unis.

Pour ce qui concerne le Sahel, sujet sur lequel je me concentre aujourd’hui, les relations que nous devons entretenir avec les États-Unis sont de plusieurs natures.

Tout d’abord, il y a le soutien militaire aux opérations conduites par Barkhane. La ministre des armées l’a évoqué ; j’en ai également parlé. Les Américains nous secondent dans les domaines du transport, du ravitaillement en vol et du renseignement par drone.

Cette présence est très importante pour l’opération Barkhane, et je n’ai pas le sentiment qu’elle sera remise en cause. Tel a pu être le cas sous la précédente administration américaine : à plusieurs reprises, on a perçu la tentation de retirer ce soutien, qui est assez modeste pour les États-Unis – il représente 0, 0035 % du budget de la défense américaine –, mais qui est essentiel. Les conversations que j’ai pu avoir avec Antony Blinken et les entretiens de la ministre des armées avec son propre homologue nous laissent à penser que ce soutien va se poursuivre.

Ensuite – ce point n’est pas secondaire –, il y a le rôle du Conseil de sécurité. Je pense en particulier aux opérations de la Minusma. Elles supposent une décision du Conseil de sécurité, renouvelée tous les ans. Or nous avons parfois eu des difficultés à obtenir cette validation, le risque d’un veto américain planant sur cet engagement.

Nous allons de nouveau mener ces discussions avec les autorités américaines, puisque la décision de renouvellement doit être prise au mois de juin prochain. Nous devons donc nous préparer pour apporter, au-delà du réengagement de la Minusma, un soutien logistique et financier à la force conjointe en inscrivant cette dernière sous le chapitre VII. Ce faisant, on pourrait assurer dans la durée le financement de cette force, ce qui serait une avancée très significative. Telle est la démarche dans laquelle nous nous inscrivons pour seconder le mécanisme européen de financement.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.

Debut de section - PermalienPhoto de Gérard Longuet

Sur le fond, avec autorité, avec gravité, mais avec mesure, Christian Cambon et Bruno Retailleau ont exprimé le point de vue du groupe Les Républicains. J’y adhère totalement.

Madame le ministre des armées, à quel niveau de participation européenne estimez-vous que la force Takuba représentera une véritable coopération de pays volontairement et profondément associés à notre effort, afin que la France ne soit pas seule ? Ces participations sont significatives et courageuses, mais elles restent très minoritaires. Elles doivent traduire un signal fort : celui du soutien européen à notre opération Barkhane, laquelle s’étend à toute une région africaine.

Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, je souhaite connaître votre position à l’égard de trois grands pays dans le cadre du Partenariat pour la stabilité et la sécurité au Sahel (P3S). Je pense à la Turquie, présente en Libye – vous l’avez évoqué –, au Soudan, en Somalie ou encore à Djibouti. Voulez-vous l’associer, pour la mettre au défi de prendre ses responsabilités, au-delà du simple discours idéologique ? Je vous pose la même question s’agissant de la Russie, curieusement passionnée par la RCA, et de la Chine, présente partout économiquement, absente politiquement.

Enfin, Joe Biden constitue-t-il, à vos yeux, une espérance, une inquiétude ou un prolongement ?

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et INDEP.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian

Pour ce qui concerne la Turquie, la Chine et la Russie par rapport au Sahel – je me limite à cet espace –, je suis d’abord vigilant, en particulier s’agissant de l’ensemble des réseaux d’information – je ne cite personne. Il est nécessaire de les informer très honnêtement de ce que nous faisons, pour une raison simple : certains d’entre eux siègent au Conseil de sécurité, lequel a validé la Minusma, ainsi que notre propre engagement.

Enfin, nous prenons des précautions sur les projets de développement, qui peuvent parfois aboutir à un déséquilibre financier des pays qui en sont bénéficiaires. Je constate toutefois que, en ce moment, aucun de ces trois États n’est vraiment présent au Sahel en matière d’aide au développement.

Debut de section - Permalien
Florence Parly

Monsieur le sénateur, il est difficile de répondre de façon arithmétique à votre question. Ce sujet ne se résume pas à un chiffre.

Pour que Takuba fonctionne bien, il faut remplir certaines conditions.

Tout d’abord, il faut qu’il y ait des forces maliennes disponibles, car ce sont elles que nous accompagnons au combat. Cela renvoie à la réponse que j’ai déjà faite : pour que ces forces soient disponibles en nombre croissant et de façon permanente, il faut s’assurer que les forces armées se restructurent, pour disposer de ces effectifs sur le terrain.

Ensuite, il faut des moyens. Les contingents qui viennent des forces spéciales européennes doivent être accompagnés d’équipements significatifs ; j’ai évoqué le contingent suédois, qui arrive avec des hélicoptères, ou le contingent italien, qui apporte des moyens d’évacuation sanitaire. C’est indispensable pour l’autonomie de la force Takuba.

Enfin, il faut que cette force puisse entraîner d’autres partenaires. Or nous constatons une dynamique de la force Takuba, qui rassemble aujourd’hui cinq États principaux. Quatre autres partenaires potentiels se présentent : le Danemark, le Portugal, la Belgique et les Pays-Bas.

Debut de section - Permalien
Florence Parly

D’autres États européens, pas nécessairement membres de l’Union européenne, ont exprimé encore très récemment leur volonté d’y participer.

Le succès viendra en marchant, si je puis dire. C’est ce que nous constaterons dans les prochains mois, car la force Takuba sera opérationnelle cet été.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Marc

Nous avons assisté en 2020 à de grands bouleversements. La pandémie a causé de nombreux morts, elle a aussi entraîné de graves conséquences économiques : la France a vu son PIB reculer de 8 % l’année dernière. Les conséquences de la crise continueront de se faire sentir dans les prochaines années.

Parallèlement, la situation internationale connaît toujours un climat de tension dans lequel les menaces se multiplient et changent de formes. Plusieurs États se sont montrés agressifs à l’égard de l’Europe et de la France, et nous avons aussi constaté le développement d’organisations non étatiques hostiles.

Le monde de demain ne sera pas moins dangereux que celui d’hier. Face à cela, de nombreux pays, dont la France, ont choisi d’augmenter significativement leur budget militaire. Boris Johnson a également annoncé que son pays allait investir 2, 2 % de son PIB dans sa défense pour les quatre années à venir.

Le Parlement a soutenu l’adoption de la loi de programmation militaire portée par le Gouvernement afin de redonner à nos militaires les moyens d’assurer la sécurité de la France dans de bonnes conditions. Cette loi doit cependant faire l’objet d’actualisations, dont une doit être mise en œuvre avant la fin de l’année 2021, comme le précise son article 7.

L’opération Barkhane nécessite un budget de plusieurs centaines de millions d’euros qu’il faudra maintenir, malgré la dégradation de la situation économique de la France. La France ne peut cependant pas assumer seule la défense de l’Europe hors de nos frontières. Les pays membres de l’Union européenne semblent encore bien loin d’avoir pris conscience de la nécessité de parvenir à une autonomie stratégique commune, même si certains d’entre eux participent à l’effort. L’unanimité sur le sujet paraît inatteignable.

Sur Barkhane comme sur les autres aspects de la défense commune, plus encore à l’heure du départ des Britanniques, comment le Gouvernement et le Président de la République comptent-ils faire progresser la défense de l’Europe à l’avenir ?

Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.

Debut de section - Permalien
Florence Parly

Monsieur le sénateur, lorsque nous avons engagé les travaux de préparation de la loi de programmation militaire, il y a bientôt trois ans, nous avons mené une analyse des menaces auxquelles nous étions confrontés. Celles-ci n’ont pas faibli. J’aurai l’occasion, si le président de votre commission m’y invite, de venir présenter devant vous les travaux d’actualisation que nous avons conduits récemment et qui viennent d’être publiés.

La réponse à ces menaces est, bien sûr, la préparation de nos armées, sous-tendue par cette loi de programmation militaire, mais aussi la construction de partenariats. À la veille de la présidence française de l’Union européenne, il est certain que nous devons continuer à encourager les Européens à prendre conscience de leur environnement, du fait que celui-ci n’est pas nécessairement pacifique et qu’il existe des menaces auxquelles il faut pouvoir répondre.

Dans le contexte où nous nous trouvons, subsistent certains points d’interrogation : le ministre de l’Europe et des affaires étrangères a mentionné l’avènement d’une nouvelle administration américaine et l’influence que cela peut avoir sur la manière dont nos partenaires européens vont répondre à ce besoin d’une Europe de la défense plus structurée et plus puissante.

Pendant les quelques mois qui nous restent avant le début de la présidence française, nous entendons continuer à promouvoir les notions d’autonomie stratégique et de souveraineté européenne, car l’expérience récente nous a appris que, même si notre partenaire américain se réengageait dans un cadre multilatéral, il était important que nous apportions, en tant qu’Européens, la démonstration de notre engagement pour défendre notre sécurité et celle de nos concitoyens.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Gontard

Comme je l’évoquais précédemment, la sortie de crise au Sahel doit être accompagnée d’un volet substantiel d’aide au développement. Un rééquilibrage des moyens financiers en faveur de l’aide publique au développement est indispensable. Nous l’avons déjà constaté, entre 800 millions et 1 milliard d’euros sont dépensés chaque année pour l’opération militaire Barkhane ; à titre de comparaison, seuls 400 millions d’euros d’aide au développement ont été dépensés entre 2013 et 2017 pour le Mali.

De surcroît, nous nous interrogeons sur les modalités de mise en œuvre des projets. Quel est réellement l’impact de cette aide sur les populations auxquelles elle est destinée ? Les efforts faits pour améliorer la traçabilité des flux financiers, notamment dans le cadre de l’Alliance Sahel, initiée avec l’Allemagne, aboutissent-ils à de réels changements ?

Enfin, si les projets de développement restent ponctuels et peu suivis et servent en premier lieu à assurer aux forces armées françaises le soutien des populations, leur mise en œuvre ne sera qu’un paravent de la situation socio-économique très dégradée dans la région. Nous soutenons que la mise en œuvre de véritables programmes de développement au plus près des intérêts des populations est une priorité pour la sortie de crise.

Ce point est fondamental. Plus que le djihad, c’est la situation économique et sociale qui fournit le terreau permettant aux organisations terroristes de perdurer, voire de se renforcer. J’ai notamment à l’esprit le pastoralisme, absolument essentiel pour l’économie sahélienne, qui est aujourd’hui menacé par l’avancée du désert et la raréfaction de l’eau, mais également les coopératives, souvent organisées par les femmes, qu’il faut soutenir.

Vous l’avez compris, seul un effort considérable et ciblé de soutien aux populations locales permettra de créer les conditions nécessaires à la diminution des tensions communautaires. Monsieur le ministre, que prévoit la France en la matière ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian

Je crois avoir déjà largement répondu à votre question.

Tout d’abord, je voudrais combattre des propos erronés : la mobilisation financière de l’Alliance Sahel atteint 20 milliards d’euros, dont 3 milliards d’euros ont déjà été dépensés. Ce n’est sans doute pas suffisant, mais cela ne correspond pas aux chiffres que vous indiquiez.

Par ailleurs, nous veillons à ce que les engagements pris soient mis en œuvre en relation étroite avec des acteurs locaux. À vous écouter, on a le sentiment que nous ne faisons rien, mais je vous ai donné des chiffres, y compris concernant la France, qui ne sont pas négligeables. Nous en reparlerons au moment du débat sur la loi de programmation.

Je vais prendre un exemple qui me parle beaucoup : Konna, au Mali, est une bourgade qui a été la première victime des attaques des djihadistes et sur le territoire de laquelle se sont produits les premiers combats. Une opération y a été initiée par l’AFD, avec le soutien de la Banque mondiale, de l’Union européenne et de l’Allemagne – il s’agit donc de participations croisées. Elle a abouti à la dépollution et à la réhabilitation du port – la ville se trouve au bord du fleuve –, à un ensemble de formation professionnelle de 3 500 jeunes, à la restauration de salles de classe et de cliniques, à l’extension du réseau routier, de l’éclairage public et du réseau d’électricité. Les acteurs locaux ont participé à la définition des priorités. Je ne sais pas comment appeler cela, sinon du développement !

De la même manière, j’ai évoqué la relance de la grande muraille verte, un enjeu mobilisateur considérable. Le Président de la République en a pris l’initiative, mais c’est un sujet africain, porté par les Africains, mais enterré depuis longtemps, et qui permet maintenant, à mon sens, une vraie mobilisation pour le développement.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Guillaume Gontard, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Gontard

J’ai avancé des chiffres concernant la France – nous en reparlerons lors de l’examen de la loi de programmation – ; je n’ai pas dit que rien n’était fait, mais que nous arrivions à un moment où il fallait rééquilibrer l’effort.

Vous avez cité des exemples, mais d’autres débouchés existent, notamment l’opération grande muraille verte, lancée au Sahel en 2007 et qui patine, faute de moyens suffisants. Ce projet ambitieux vise à stopper la progression du Sahara en plantant des forêts à sa lisière. Plus qu’une ligne Maginot d’arbres, dont l’efficacité serait sujette à débat, il s’agit d’un projet ambitieux d’agroforesterie, …

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Gontard

… à même de répondre à la situation désastreuse que vivent les éleveurs de la région, qui sont des piliers de l’économie locale.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à M. François Bonneau.

Applaudissements sur les travées du groupe UC.

Debut de section - PermalienPhoto de François Bonneau

En janvier 2013, le lancement de l’opération Serval au Mali a permis de stopper l’offensive djihadiste qui menaçait Bamako. Depuis huit ans, l’armée française opère sur un territoire en proie à des trafics qui s’intensifient en raison de la porosité des frontières. Nos soldats, auxquels nous témoignons un soutien indéfectible, opèrent sous la menace constante d’embuscades ou d’engins explosifs improvisés.

La France s’inscrit, avec les pays membres du G5 Sahel, dans une coalition de régimes politiques et militaires avec pour objectif de lutter contre les groupes armés terroristes. Consciente que l’avenir de cette région passe par l’implication des pays de la zone, la France développe au maximum les différents aspects de la coopération interétatiques. Toutefois, la montée en puissance des forces armées nationales est contrastée, selon les derniers rapports de la Minusma et d’Acled, qui rappellent que, en comptant les groupes d’autodéfense, celles-ci sont responsables de plus de 70 % des décès au Mali. Face à la multiplication des protagonistes, l’enjeu, pour les gouvernements de la région, est d’encadrer ces milices, parfois proches des États.

Enfin, la position française est d’autant plus compliquée que la population malienne commence à se retourner contre notre présence. Le 3 janvier 2021, nos forces ont été accusées de bavure à côté de Bounti. Cette même accusation a été relayée sur les réseaux pro-russes et pro-turcs.

À l’heure où 50 % des Français sont encore favorables à l’opération Barkhane et face à la potentielle dégradation de l’image de la France malgré les efforts consentis, avant tout sur le plan humain, mais aussi financièrement, il est urgent d’établir un agenda politique. Ainsi, quelles vont être les mesures prises pour créer les conditions de la stabilité dans cette région et les indispensables évolutions politiques, tout particulièrement au Mali ? L’Union européenne envisage-t-elle une stratégie plus intensive d’aide au développement, pour faire reculer la pauvreté et le ressentiment, ferments du recrutement des mouvements islamistes ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian

Monsieur le sénateur, vous avez quasiment repris l’ensemble des sujets qui ont été évoqués au cours de ce débat. Il m’est difficile de sélectionner tel ou tel aspect.

Je connais bien la région. Je m’y suis rendu très souvent, auprès de nos forces, mais aussi des autorités politiques, de la société civile et des acteurs du développement. Je reste convaincu que ces pays et leurs populations souhaitent la présence de la France. La manifestation du 3 janvier dernier, à laquelle vous faisiez allusion, n’a pas rencontré le succès que ses promoteurs avaient annoncé la veille. Cela montre bien que nous sommes respectés, mais aussi que nos initiatives suscitent des attentes de paix. Y répondre nécessite un engagement sans faille des autorités des pays du G5 Sahel. Elles doivent être au rendez-vous, mais également à l’initiative de l’accélération du processus politique.

Un point sur lequel on ne s’appesantit pas assez souvent est la reprise de la discussion autour des accords d’Alger. Des accords ont été signés et pris en compte par l’ensemble des acteurs. Servons-nous de cela pour avancer ; sinon, nous recommencerons sans arrêt des discussions à n’en plus finir. Des textes sont validés et respectés par les différents acteurs internationaux, mettons-les en œuvre ; là est l’urgence politique.

Pour cela, il faut que l’ensemble des acteurs politiques du territoire – pour répondre à la fin de votre question – se mobilisent pour leur mise en œuvre. Les Algériens viennent de le faire : j’ai annoncé que le comité de suivi allait se tenir à Kidal, à l’initiative de l’Algérie. Les chefs d’État et les classes politiques africaines doivent suivre pour que les accords d’Alger deviennent une réalité.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Mickaël Vallet

Rapidement, dès les premières années de son déploiement, l’opération Barkhane a mobilisé sur place plus de 3 000 soldats, puis près de 4 500 à compter de 2018. À la suite du sommet de Pau, 600 soldats supplémentaires ont rejoint leurs camarades de combat.

Cette mission est légitime et utile, disons-le sans nuance. Soyons clairs, toutefois : la France n’est pas soutenue aujourd’hui à la hauteur du profit que tire le reste de l’Europe de cette opération.

Certes, les 13 000 Casques bleus de la Minusma sont à l’œuvre, la mission de formation de l’Union européenne aide à la reconstruction de l’armée malienne et les pays de la région ont formé utilement la coalition du G5 Sahel. Certes, la force Takuba permet l’implication sur le terrain d’armées nationales européennes qui ne sont d’ailleurs pas forcément les plus dotées, notamment celles de l’Estonie, de la République tchèque et de la Suède. Pourtant, les morts et les blessés, eux, sont, dans leur très écrasante majorité, des Africains du Sahel et des Français. Je le dis sans oublier qu’il y a eu des morts américains, mais aussi néerlandais, suisses et asiatiques dans le cadre de la mission onusienne. Nous saluons leur mémoire. Ces tristes contributions sont cependant sans commune mesure avec nos pertes et celles des Sahéliens. Je crains que les renforts italiens et grecs annoncés récemment, s’ils sont très bienvenus, ne suffisent pas à rééquilibrer le fardeau.

Ma question est double.

Premièrement, comment pouvons-nous nous contenter encore, s’agissant de Takuba, du simple soutien politique de grands pays européens, qui masque surtout l’absence d’apport en soldats, en matériel ou en financement ? Je pense notamment à l’Allemagne, même si vous avez précisé, madame la ministre, son apport dans le volet onusien.

Deuxièmement, je souhaite obtenir un ordre de grandeur – à défaut d’une réponse arithmétique, que vous ne pouvez nous apporter, comme vous l’avez indiqué au sénateur Longuet – de l’apport minimal en soldats et en matériel à Takuba que vous estimerez acceptable pour considérer que le soutien des autres nations est à la hauteur de l’enjeu. Pour le dire autrement, exigerez-vous de nos partenaires européens un doublement, un décuplement ou une augmentation à la marge de leur aide actuelle ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly

Monsieur le sénateur, permettez-moi de revenir sur le début de réponse que j’esquissais à la question du sénateur Longuet. À mon sens, il n’y a pas de seuil arithmétique, mais deux conditions et une dynamique.

La première condition est qu’il y ait suffisamment de forces maliennes, dans ce cas particulier, pour combattre. Nous ne sommes pas là pour combattre à leur place : nous nous trouvons dans un partenariat de combat, j’y insiste. Cela peut paraître évident, mais lorsque des soldats ont combattu, parfois pendant sept mois sans discontinuer, cette question n’est pas totalement triviale.

La seconde condition est que les Européens viennent avec des moyens, car Takuba doit être autonome. L’objectif est qu’elle ait acquis sa pleine capacité opérationnelle à l’été. Nous pouvons d’ores et déjà nous appuyer sur trois contributions, par ordre croissant : celle de l’Estonie, plus petite en volume que celle de la République tchèque, elle-même plus petite que celle de la Suède, beaucoup plus significative.

La dynamique est celle que nous saurons construire sur la base de ces premiers engagements. Il s’agit d’un travail collectif que nous devrons réussir avec nos partenaires sahéliens et européens. Dès lors, je suis confiante dans notre capacité à faire grandir la force Takuba et à atteindre ce seuil, que, encore une fois, je ne sais pas définir arithmétiquement.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Saury

Nous en conviendrons tous, la France n’a pas vocation à demeurer indéfiniment au Sahel. Cependant, il est vrai aussi que, si nous partions demain, les pays du G5 Sahel rencontreraient d’immenses difficultés à assurer par eux-mêmes l’intégrité de leurs territoires et la sécurité de leurs populations. Les groupuscules proches d’Al-Qaïda et de Daech auraient alors les mains libres. Sur le long terme, c’est la sécurité de nos concitoyens sur le sol français qui serait menacée par des attentats perpétrés depuis ce nouvel épicentre de l’islamisme radical. Que nous manque-t-il, alors, pour assurer le succès définitif de l’opération Barkhane, qui permettrait le retrait de nos troupes ?

Pour faire face à la menace terroriste, nos alliés africains ne peuvent faire l’économie des défis institutionnels, économiques, éducatifs et sanitaires qui s’imposent à eux. Nos victoires militaires doivent aller de pair avec le déploiement de services publics stables, l’avènement d’une économie plus saine, la formation de forces armées et de sécurité performantes, le développement d’entreprises et d’écoles.

Cette vision est au cœur de l’approche « 3D », pour diplomatie, défense et développement. Aujourd’hui, force est de constater que le troisième « D », celui du développement, fait défaut. J’ai bien entendu vos propos, monsieur le ministre, mais les chiffres publiés par l’OCDE sont éloquents : les pays du Sahel sont fléchés comme prioritaires pour l’APD française, pourtant, aucun d’eux ne fait partie des douze premiers bénéficiaires de nos aides. D’autre part, comment expliquer que les cinq pays sahéliens ne perçoivent que 4, 5 % du montant des aides françaises, alors que le Maroc en dispose à lui seul de 5 % ?

Nous avons consacré d’importants moyens au volet militaire et peu, en proportion, à celui du développement. Il est nécessaire de mener une véritable stratégie d’aide aux pays du Sahel, corollaire essentiel à l’action de nos armées. Ces interventions pourraient, en outre, mobiliser plus efficacement nos partenaires européens, qui peinent parfois à nous apporter leur soutien sur le plan militaire.

En clair, madame la ministre, monsieur le ministre, ne pensez-vous pas qu’en complément des actions militaires, le temps est venu de mettre en œuvre un Barkhane du développement ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian

J’ai indiqué précédemment que le rendez-vous de N’Djamena devait être un sursaut diplomatique, un sursaut politique, un sursaut du développement. J’entends bien que cela se déroule ainsi et dans le cadre de l’Alliance Sahel, sur laquelle je vais revenir.

J’entends ce que vous me dites, mais je suis en désaccord avec vos constats concernant les pourcentages. Vous avez pris en compte l’ensemble des aides, alors que, en ce qui concerne le Sahel, on ne parle que de dons. Je suis donc prêt à la comparaison, s’agissant des pays qui aujourd’hui reçoivent le plus de dons.

Pourquoi ne s’agit-il que de dons ? Parce que la capacité d’emprunt de ces pays est tarie. On ne peut donc les aider qu’ainsi. Les dons passent directement par nos propres outils, l’AFD, le centre de crise, ou différents outils qui sont à la disposition de nos ambassadeurs, mais aussi par les instruments multilatéraux, s’agissant de financements que nous diligentons par le biais d’organismes, en particulier européens. Je voulais faire cette mise au point en réponse à vos propos.

Nous devons toutefois faire en sorte que l’effort engagé pour le développement soit maintenu, vigilant, exigeant et qu’il se déroule dans le cadre de l’Alliance Sahel. L’insuffisance identifiée dans l’action de cette dernière, dont les aides s’élèvent à 20 milliards d’euros, tient au fait que les organismes qui prêtent ou qui font des dons travaillent chacun de leur côté, sans parler aux autres.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian

Nous rencontrons donc un problème de cohérence.

La vraie bataille que nous devons maintenant mener est celle de la territorialisation de l’ensemble des acteurs pour permettre le développement. À défaut, il n’y aura pas de développement, mais un challenge entre tel ou tel organisme et tel autre. C’est le sujet d’aujourd’hui, qui requiert une forte volonté politique, parce qu’il concerne beaucoup d’organismes : la Banque mondiale, la Banque africaine de développement, l’Union européenne et les différents fonds qui y émargent, l’USAID américaine.

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian

Tout cela nécessite une coordination et une cohérence : c’est l’enjeu.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.

Applaudissements sur les travées du groupe SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

Je souhaite à mon tour rendre hommage à celles et ceux qui consacrent leur vie, parfois, malheureusement, jusqu’au sacrifice ultime, à notre protection.

Deux ministres, deux questions ; la première s’adresse à Mme la ministre des armées.

Nos militaires déployés dans l’opération Barkhane au Mali depuis plus de huit ans mènent une guerre asymétrique contre le terrorisme. Sur le terrain, ils vivent quotidiennement sous la menace d’engins explosifs improvisés, à chaque sortie de leur base, dans des véhicules blindés légers, les plus adaptés aux missions, mais qui sont vulnérables et vieillissants. Les kits de surprotection des VBL MkI vont bientôt être livrés, mais avons-nous une feuille de route pour lutter efficacement contre les IED ? N’est-il pas temps d’engager une réflexion sur le compromis nécessaire entre mobilité, discrétion et protection pour les VBAE, peut-être faut-il la mener avec notre partenaire belge ?

Par ailleurs, compte tenu de la mutation de la forme des combats, ne devrions-nous pas nous reposer davantage sur le support aérien et procéder ainsi à un rééquilibrage de nos forces pour continuer à exercer une pression maximale sur nos ennemis ?

Monsieur le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, vous avez rappelé, très justement, le consensus qui se dégage autour de l’idée que la résolution de la crise malienne passera surtout par une approche globale liant défense, diplomatie et développement, qui permettra la reconstitution d’un État de droit.

La population, qui ne voit guère les progrès que son pays devrait faire grâce aux centaines de millions d’euros que nous investissons dans de nombreux projets par le biais de l’aide publique au développement, continue de sombrer dans la pauvreté. Les bénéficiaires en sont les groupes armés, qui s’appuient sur une forme d’assise populaire pour renouveler leurs forces tombées au combat.

Le véritable enjeu est donc bien de tarir la source de recrutement de ces groupes, qui attirent à eux, non pour des raisons idéologiques ou religieuses, une jeunesse sans espoir d’insertion économique et sociale, sans espoir d’avenir.

Vous avez présenté les grandes lignes de l’aide internationale au Sahel. Pouvez-vous préciser les priorités de la France, de l’AFD, en matière d’investissement dans la reconstruction d’un appareil régalien fonctionnel à même d’assurer la sécurité des populations, leur éducation, leur santé…

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

… et d’un système judiciaire dans lequel celles-ci auront confiance, afin de lutter sur le long terme contre les causes profondes de déstabilisation du Sahel ?

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Dans le cadre du partage du temps de réponse, je demande aux ministres de veiller à ne pas dépasser une minute d’intervention chacun.

La parole est à Mme la ministre.

Debut de section - Permalien
Florence Parly

Madame la sénatrice, les engins explosifs improvisés, armes non discriminantes, frappent d’abord les populations. Leur emploi par les groupes armés terroristes prouve bien qu’ils ne cherchent pas la confrontation avec nos forces armées.

Barkhane a réussi récemment plusieurs opérations d’importance – l’ayant mentionné en ouverture de ce débat, je n’y reviendrai pas. Le démantèlement d’une partie des capacités d’IED a été réalisé. Nous ciblons les poseurs de ces engins et les réseaux.

Quelles sont les perspectives ? D’abord, la régénération du parc de véhicules. Pour commencer, des kits de protection seront livrés dans les prochaines semaines : comprenant des blindages extérieurs et de la mousse intérieure, ils protégeront mieux nos combattants. Plus tard, un nouveau véhicule, le véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE), sera mis à disposition. Entre-temps, nous essayons d’équiper nos forces avec les engins les plus récents et les plus efficaces : ainsi, l’arrivée des Griffon du programme Scorpion au cours de cette année contribuera à améliorer la protection de nos militaires.

En outre, un certain nombre de technologies innovantes sont en cours de développement : des radars pénétrant à travers le sol pour identifier d’éventuels IED, des brouilleurs, des robots de déminage, autant d’équipements qui concourront à renforcer la protection de nos forces.

Enfin, l’arme aérienne dont vous avez parlé est absolument indispensable, mais elle ne permet pas tout. Nous avons besoin aussi de forces au sol, pour attaquer ceux qui sont au plus près des populations sans risquer d’atteindre celles-ci. C’est bien parce que nous discriminons nos actions que nous avons besoin de troupes au sol, en plus de l’arme aérienne.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Monsieur le ministre, il ne reste que quelques secondes du temps accordé au Gouvernement pour la réponse… Peut-être pourrez-vous profiter d’une intervention ultérieure pour compléter la réponse de votre collègue ?

La parole est à Mme Isabelle Raimond-Pavero.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Raimond-Pavero

Je rends hommage à la mémoire de tous ceux qui sont tombés en opération extérieure. Mes pensées vont à leur famille, dont la vie a basculé.

Le sommet de N’Djamena doit être l’occasion d’une franche évaluation de ce qui a été réalisé depuis celui de Nouakchott, de ce que chaque pays consacre, en moyens humains et financiers, à la paix.

Madame la ministre, depuis votre entretien avec votre homologue le secrétaire d’État américain, Lloyd Austin, avez-vous pu obtenir plus d’informations sur le niveau de participation des États-Unis dans la bande sahélo-saharienne en termes de drones, de renseignement et de transport logistique ? Sans ce soutien, nous savons que des opérations peuvent être compromises.

À N’Djamena, une question de fond doit être clairement posée : quel prix pour quelle paix ? De ce point de vue, il est moins question d’agenda de retrait que de responsabilités. Nous ne gagnerons pas la paix sans déconstruire la propagande des djihadistes, qui étendent leur politique d’influence, de déstabilisation et de recrutement vers le golfe de Guinée, sans gagner la confiance des populations.

Ce sommet doit être aussi un moment de franchise : l’excellence des diplomaties africaines n’ignore pas la présence de nombreuses influences étrangères. Il n’est pas inutile de rappeler que celles-ci n’ont ni les mêmes méthodes de résolution de crises ni la même appréhension des droits humains.

Le très regrettable épisode dans le village de Bounti et les accusations proférées desservent la paix et favorisent les terroristes. Nos partenaires africains savent combien l’information est une bataille en soi.

Monsieur le ministre, quel message la France portera-t-elle pour que chaque partie assume ses responsabilités, s’agissant notamment du respect des missions des soldats français ?

Debut de section - Permalien
Jean-Yves Le Drian

Monsieur le président, je profiterai de cette intervention pour terminer de répondre à Mme Conway-Mouret, d’autant que sa question a partie liée avec celle-ci.

Parmi les nécessités du moment, on ne met pas suffisamment en avant l’application du Partenariat pour la sécurité et la stabilité au Sahel, le P3S. Il s’agit de savoir comment occuper, immédiatement, les territoires libérés et pacifiés par l’intervention de Barkhane ou des forces conjointes.

Un effort considérable doit être mené en la matière, en liaison avec les autorités locales, pour que la présence physique des autorités de l’État dans les zones libérées soit rapide, les États concernés étant par ailleurs aidés à recouvrer leur dimension régalienne au travers d’appareils policier et judiciaire à la hauteur des événements récents.

À cet égard, notre collaboration avec l’Union européenne est très bonne. Des avancées assez innovantes sont en train de voir le jour. Cela fait aussi partie du sursaut dont j’ai dit qu’il devrait suivre le sommet de N’Djamena.

En ce qui concerne les manipulations de l’information, nous savons bien qu’elles existent et à qui elles sont destinées à profiter. Nous constatons aussi que, régulièrement, les autorités des pays concernées procèdent à des mises au point qui renforcent la mission confiée à nos forces et à nos opérations de développement.

Lutter contre les manipulations, c’est aussi un combat. Nous devons le mener collectivement, d’autant que, au-delà du Sahel, ces manipulations peuvent être instrumentalisées par divers acteurs politiques pour dégrader l’image de la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Chevrollier

L’opération Barkhane au Mali joue un rôle déterminant dans la lutte contre le djihadisme et le terrorisme au Sahel, mais aussi pour notre sécurité, ici, en France et en Europe. En plus de pacifier la région du Sahel, Barkhane participe à la protection de notre démocratie et de la civilisation européenne.

Je salue les hommes et les femmes qui engagent leur vie pour la France dans la lutte contre le terrorisme. Je soutiens nos forces armées et je rends hommage à nos morts.

À l’heure où la sécurité des Européens reste menacée par le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne et alors que la France est désormais la seule puissance militaire complète et indépendante au sein de l’Union européenne, la décision sur les ressources propres a pu nous interroger sur nos capacités à gérer une dette vertigineuse. Madame la ministre, ne pensez-vous pas que le sujet de la mobilisation effective des Vingt-Sept dans ces opérations doit être posé clairement, en intégrant un critère sous la forme d’un ratio entre le niveau d’engagement des pays en termes humains et financiers, leurs ressources et leur niveau d’endettement ?

Ce prisme financier doit être complété par la prise en compte des conséquences de la mobilisation des armées sur un temps long sur leur besoin en préparation et leur équipement.

Certes, nous voyons quelques signes encourageants d’européanisation des opérations : la task force Takuba, déjà mentionnée, et la mission EUCAP Sahel Mali, pour le conseil et la formation en sécurité intérieure. Mais que cela représente-t-il vraiment à l’échelle des Vingt-Sept ?

Par ailleurs, le Fonds européen de défense, qui se substitue au plan de développement industriel de défense, a vu sa dotation initiale divisée par deux : de 13 milliards, elle est passée à 7 milliards d’euros. Dans quelle mesure ce fonds assure-t-il un soutien à la France dans ces opérations ?

Comment favoriser le dialogue entre États membres pour qu’ils soutiennent davantage encore l’effort militaire considérable consenti par la France contre le terrorisme islamiste au Sahel ?

Enfin, la présidence française de l’Union européenne en 2022 devrait être l’occasion d’une prise de conscience en faveur de la défense de l’Europe et d’une participation accrue de tous aux opérations de paix. Comment préparez-vous d’ores et déjà cette échéance ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly

Nous cherchons à créer une dynamique pour embarquer avec nous le plus grand nombre de partenaires européens. Encore faut-il qu’ils soient volontaires et capables.

Le Président de la République a amorcé cette mobilisation en avançant l’idée d’une initiative européenne d’intervention, regroupant ceux de nos partenaires qui sont volontaires et capables. Ce projet s’est concrétisé avec la force Katuba.

Demain, nous disposerons de nouveaux outils dans le cadre européen.

En particulier, nous pourrons nous appuyer, à partir du 1er juillet prochain, sur la Facilité européenne de paix, dans le cadre de laquelle l’Union européenne pourra équiper, notamment en armes létales, des soldats qu’elle aura formés au titre des missions EUTM. Dans certains pays, comme le Centrafrique, l’Union européenne est très active pour former les militaires de l’armée locale et financer l’aide au développement, mais cette action n’est pas nécessairement reconnue, parce que, à la porte des centres de formation, ce sont les Russes qui, parfois, équipent les hommes, bénéficiant ainsi, en quelque sorte, du travail que nous, Européens, avons accompli… Je l’affirme avec force : la Facilité européenne de paix sera un atout considérable entre les mains des Européens !

Il y aura, d’autre part, le fonds européen de défense, dont il est faux de prétendre qu’il a été divisé par deux : zéro divisé par deux, cela fait toujours zéro… Or 8 milliards d’euros sont prévus pour les sept prochaines années. Ce fonds a vocation à financer non pas les opérations, mais la recherche et le développement en vue d’une capacité européenne souveraine, dont nous manquons encore cruellement mais que nous allons construire !

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Belrhiti

Voilà huit ans que la France est engagée dans la bande sahélo-saharienne pour lutter contre les groupes armés salafistes djihadistes, après avoir dû intervenir pour éviter la faillite des structures étatiques. De Serval à Barkhane, nos soldats sont l’honneur de la France et des acteurs de paix pour tous les pays de la zone ! La représentation nationale les soutient autant qu’elle en est fière.

Reste que, au regard des moyens investis, ces explications et une évaluation de notre action sur place sont indispensables, tant pour nos compatriotes que pour les pays africains impliqués.

Au fil des années, les critiques sont aisées ; mais dans quel état politique la zone serait-elle aujourd’hui, si la France n’avait pas répondu favorablement à la demande d’assistance et d’intervention du gouvernement malien ?

Notre présence ne saurait être considérée comme une occupation, alors que nos soldats protègent la population et forment les forces de sécurité locales pour permettre aux pays concernés de renforcer leurs structures étatiques face au terrorisme.

L’un des objectifs du sommet de Pau était l’établissement d’un partenariat de combat pour intégrer les forces partenaires. Dans ce cadre, il a été convenu de concentrer les efforts, notamment pour améliorer la qualité de la formation des militaires des armées des pays du Sahel. Cet aspect de l’intervention est essentiel aussi parce qu’il conditionne un retrait progressif de nos troupes. Pourriez-vous dresser un bilan de la formation par les Français et de l’autonomisation des troupes maliennes ?

Sénatrice du département, la Moselle, qui accueille le 1er régiment d’infanterie de Sarrebourg et le 1er régiment d’hélicoptères de combat de Phalsbourg, je tiens à vous interroger en outre sur les avancées en matière de disponibilité des appareils et le maintien en condition opérationnelle. Les hélicoptères de l’Aviation légère de l’armée de terre (ALAT) sont de véritables anges gardiens pour les troupes au sol, surtout compte tenu de l’immensité du territoire.

Dans son rapport d’information sur le sujet, notre collègue Dominique de Legge a appelé à une gouvernance plus efficace, à une homogénéité accrue du parc et à une plus grande verticalisation des contrats. Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly

Nous consacrons beaucoup d’efforts à l’accompagnement et à la formation des armées maliennes. Il faudrait vérifier, mais il me semble que, au total, plus de 15 000 militaires maliens ont été formés par Barkhane – en plus de ceux formés dans le cadre d’EUTM Mali.

Au-delà de ce bilan important, des actions structurelles sont à conduire qui relèvent largement des autorités maliennes. Nous les aiderons à les mener, grâce à une coopération structurelle renforcée avec le ministère de la défense malien.

Vous m’avez interrogée aussi sur la disponibilité des moyens, en particulier des hélicoptères, pour Barkhane.

J’ai expliqué précédemment que les hélicoptères n’étaient pas suffisants. Reste que leur rôle est absolument essentiel pour nos opérations.

Leur disponibilité dans le cadre de Barkhane est critique. Le taux de disponibilité en opérations est de l’ordre de 75 % à 80 %, ce qui est très bon, bien meilleur en tout cas que la disponibilité sur le territoire national. Heureusement, car tout doit être fait pour que ces appareils soient disponibles pour compléter l’intervention de nos forces au sol.

Assurer cette disponibilité est particulièrement exigeant parce que les conditions météorologiques le sont aussi, accélérant l’usure de ces engins. C’est pourquoi, au-delà de nos efforts pour le maintien en conditions opérationnelles de nos moyens aériens – je serai sans doute amenée à en rendre compte devant votre commission –, nous veillons avec une attention toute spéciale à ce que les hélicoptères déployés sur place, dont le nombre est taillé au plus juste – ils sont une trentaine –, soient en permanence opérationnels ; nous surveillons cela comme le lait sur le feu.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

La France est présente au Sahel depuis 2013, dans le cadre d’un dispositif qui n’a cessé d’évoluer et de croître. Sur le terrain, de francs succès opérationnels ont été rencontrés, et des cibles de haute valeur éliminées. Notre connaissance du théâtre est désormais assez précise, nos modes d’action se sont adaptés et les personnels se sont aguerris au contact d’une région et d’un ennemi rudes.

Chacun d’entre nous ici a une pensée pour nos soldats tombés là-bas.

Même si elles n’affrontent pas un État, nos troupes et leurs alliés africains font face à une adversité solide et organisée. Comme le commandant de l’opération Barkhane l’a rappelé, « l’ennemi a sa propre volonté : il aspire à un projet politique et dispose d’une stratégie pour le mettre en œuvre ».

Cet ennemi n’est pas unique, mais pluriel, protéiforme. Il est fait de différents groupes s’appuyant notamment sur les tensions communautaires, l’absence d’alternatives sociales et économiques et les difficultés des États de la région. Il a su muter et s’ajuster à notre dispositif. Dans ce contexte, nous avons glissé d’une opération limitée à une véritable guerre asymétrique, qui s’installe dans la durée.

L’opinion publique occidentale voit dans les modes d’action des ennemis une certaine lâcheté, quand d’autres y voient, au contraire, une efficacité redoutable, à moindre coût, pour atteindre leurs objectifs.

Madame le ministre, d’après le retour d’expérience de Barkhane, mais aussi d’Afghanistan, quelles conséquences allez-vous tirer en matière d’engagement de la France en opérations extérieures ? Se dirige-t-on vers des opérations plus ponctuelles, menées avec une empreinte au sol réduite et sans mettre la main dans l’engrenage de situations locales complexes et anciennes ? Dans l’approche « 3D », va-t-on vers plus de diplomatie et de développement ? Bref, assiste-t-on au grand retour de Galula ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly

Monsieur le sénateur, vous avez fort bien décrit la guerre asymétrique : une guerre qui engage un adversaire généralement plus faible et qui se dérobe face à la force militaire. Refusant l’affrontement direct, celui-ci développe d’autres moyens d’action.

Dans ce cadre, si je puis dire, tous les coups sont permis : il s’agit non seulement de nous discréditer, mais encore, au mépris du droit international humanitaire, d’exploiter les tensions communautaires, de cibler directement les populations civiles, menacées et terrorisées, pour tenter de les rallier par la force – d’où la présence sur le théâtre de très jeunes combattants –, de détruire les écoles et d’assassiner les chefs locaux.

Face à ce type d’agissements, nous devons être en mesure de déployer des outils dans tous les champs, y compris les champs nouveaux, comme ceux de l’information et du cyber. Sinon, nous laissons la place à un modèle alternatif à celui de l’État : une justice fondée sur la charia, une éducation fondée sur les principes religieux de l’islam radical.

Nous développons donc de nouveaux modes d’action, en considérant qu’il existe une sorte de continuité entre la lutte contre le terrorisme qui s’exerce dans cette région et ce que nous pouvons connaître sur le territoire national. Il faut ne pas être naïf et bien comprendre les armes de l’adversaire pour pouvoir apporter notre riposte.

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

Merci, madame la ministre, pour ces précisions.

Oui, la guerre asymétrique, le développement des technologies nivelantes et l’extension de la confrontation dans le champ informationnel mettent nos démocraties en difficulté dans leurs opérations. L’actualisation stratégique 2021 souligne bien « la généralisation du recours aux stratégies hybrides et multiformes ». Attirer au sol, sur leur terrain, des forces occidentales régulières est une vraie stratégie des groupes armés terroristes.

Les armées françaises ont su faire évoluer leurs tactiques et leurs outils. Faisons, nous, évoluer notre doctrine d’information : expliquons, comme vous le faites, que notre présence au Sahel n’est pas éternelle, …

Debut de section - PermalienPhoto de Pascal Allizard

… mais qu’elle durera jusqu’à ce que la situation puisse être prise en charge totalement par les forces locales. Est-ce un horizon soutenable pour les Français ? C’est, en tout cas, le discours qu’il est souhaitable de tenir.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. En conclusion du débat, la parole est à M. le président de la commission.

Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

À supposer qu’on se soit interrogé sur l’utilité de ce débat, je crois que nos échanges de cet après-midi ont clairement répondu, compte tenu du nombre de nos collègues qui y ont assisté jusqu’au bout, malgré les conditions sanitaires, et de la qualité des questions posées comme de la richesse des réponses apportées, malgré le temps contraint – je ne m’aventurerai pas à vouloir les résumer.

Je remercie une nouvelle fois le président du Sénat et les membres de notre commission, dont le travail préparatoire, programme par programme, a ouvert la voie à ce débat.

Je remercie également tous nos collègues présents. J’ose croire que les échos de notre débat, fussent-ils lointains, parviendront à nos militaires. Ils percevront, à travers votre présence et la richesse des questions que vous avez posées, votre attachement personnel et politique à chacune et chacun d’entre eux, exposés quotidiennement aux dangers de la mission.

Madame, monsieur les ministres, je vous remercie pour la qualité de vos interventions, s’agissant notamment des quatre piliers, dont certains nous interrogeaient particulièrement. Vous avez senti à travers les différentes interventions une volonté d’orienter encore mieux l’aide au développement. Il ne s’agit pas de nier ce qui est déjà fait, mais, comme vous l’avez très bien souligné, monsieur le ministre, il y a autant de politiques de développement que de pays qui interviennent. Si l’on faisait l’addition des sommes engouffrées depuis tant d’années dans le bassin du fleuve Niger pour les résultats que nous voyons, c’est-à-dire pas grand-chose, on serait surpris…

N’Djamena doit être le sommet des sursauts, comme vous l’avez dit. Il n’y a pas de sursaut particulier à attendre des forces françaises et de nos alliés, qui accomplissent un travail extraordinaire, avec un courage inouï. Mais la mobilisation des forces armées locales doit être une priorité. Comme la ministre et plusieurs d’entre vous l’ont fait observer, des résultats assez importants ont été obtenus ces dernières semaines, notamment avec Éclipse. On sent que les choses bougent : nous devons encourager et aider les forces locales !

Sur le plan de la gouvernance, il faut aller vers la réconciliation, et la France doit peser de tout son poids pour que celle-ci s’organise, avec celles et ceux qui veulent construire l’avenir du Mali et non le faire disparaître.

S’agissant de l’aide au développement, je crois que nous pensons tous qu’il faut aller plus loin.

Je relève qu’un consensus s’est dégagé sur toutes les travées de notre honorable assemblée en ce qui concerne la présence française au Sahel. La presse qui m’attend dehors n’a qu’une seule question à me poser : le Sénat s’est-il prononcé pour le départ des troupes françaises ? Bien évidemment, notre réponse est unanime. Au reste, ce serait un singulier affront à nos militaires que de leur dire, après les avoir envoyés dans cette région, qu’ils doivent revenir maintenant, comme si rien ne s’était passé… Leur mission n’est pas terminée.

Lorsque les conditions que les ministres ont décrites seront réunies, nous pourrons commencer, morceaux par morceaux, à alléger nos effectifs.

L’important, c’est que la mission exercée par la France au Mali soit soutenue par l’opinion française. Souvenez-vous de l’Afghanistan : après Uzbin, quand l’opinion française a commencé à ne plus croire à cette opération, il était déjà inscrit dans les faits que nous allions partir. Mes chers collègues, c’est aussi notre travail, dans nos territoires, de contribuer à cet effort de communication supplémentaire.

Madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, notre débat a été de très haute tenue. Je forme le vœu que nous n’attendions pas huit ans pour renouveler l’exercice… Il serait bon que, régulièrement, les ministres puissent nous informer, comme ils l’ont fait cet après-midi !

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Nous en avons terminé avec le débat sur le bilan et les perspectives de l’opération Barkhane.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Monsieur le président, dans le cadre du scrutin public n° 70, sur l’article 1er du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale en deuxième lecture, relatif à la bioéthique, mon collègue Philippe Pemezec souhaitait voter contre.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, les explications de vote et le vote sur la proposition de loi visant à sécuriser la procédure d’abrogation des cartes communales dans le cadre d’une approbation d’un plan local d’urbanisme (PLU) ou d’un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) et à reporter la caducité des plans d’occupation des sols (POS), présentée par M. Rémy Pointereau et plusieurs de ses collègues (proposition n° 217 rectifié [2019-2020], texte de la commission n° 305, rapport n° 304).

La conférence des présidents a décidé que ce texte serait discuté selon la procédure de législation en commission prévue au chapitre VII bis du règlement du Sénat.

Au cours de cette procédure, le droit d’amendement des sénateurs et du Gouvernement s’exerce en commission, la séance plénière étant réservée aux explications de vote et au vote sur l’ensemble du texte adopté par la commission.

Le titre VI du livre I er du code de l ’ urbanisme est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :

« CHAPITRE IV

« Abrogation de la carte communale

« Art. L. 164-1. – L ’ abrogation de la carte communale est prescrite par délibération de l ’ organe délibérant de la commune ou de l ’ établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d ’ urbanisme, de document en tenant lieu et de carte communale.

« Art. L. 164-2. – L ’ abrogation de la carte communale est soumise à enquête publique réalisée conformément au chapitre III du titre II du livre I er du code de l ’ environnement.

« À l ’ issue de l ’ enquête publique, l ’ abrogation est approuvée par le conseil municipal ou l ’ organe délibérant de l ’ établissement public de coopération intercommunale compétent.

« L ’ abrogation de la carte communale est soumise à l ’ autorité administrative compétente de l ’ État, qui dispose d ’ un délai de deux mois à compter de sa transmission pour l ’ approuver. À l ’ expiration de ce délai, l ’ autorité compétente de l ’ État est réputée avoir approuvé l ’ abrogation.

« Art. L. 164-3. – L ’ organe délibérant de l ’ autorité compétente peut prévoir explicitement dans la délibération de prescription de l ’ élaboration du plan local d ’ urbanisme que l ’ approbation dudit plan vaut également abrogation de la carte communale. Dans ce cas, l ’ abrogation de la carte communale et le projet de plan local d ’ urbanisme font l ’ objet d ’ une enquête publique unique, puis sont approuvés par délibération unique de l ’ organe délibérant. L ’ abrogation de la carte communale ne prend alors effet que lorsque le plan local d ’ urbanisme devient exécutoire en application des articles L. 153 -23 ou L. 153 -24, sans qu ’ il soit besoin de recueillir l ’ approbation de l ’ autorité compétente de l ’ État au titre de l ’ article L. 164 -2.

« Art. L. 164-4. – L ’ entrée en vigueur d ’ un plan local d ’ urbanisme sur le périmètre d ’ une commune couverte par une carte communale ne peut intervenir qu ’ après l ’ abrogation de ladite carte communale selon la procédure prévue au présent chapitre.

« La délibération du conseil municipal ou de l ’ organe délibérant de l ’ établissement public de coopération intercommunale compétent portant approbation du plan local d ’ urbanisme peut toutefois intervenir avant la délibération portant abrogation de la carte communale.

« Art. L. 164-5. – (Supprimé)

Après l ’ article L. 174 -5 du code de l ’ urbanisme, sont insérés des articles L. 174 -5 -1 et L. 174 -5 -2 ainsi rédigés :

« Art. L. 174-5-1. – Dans les communes non couvertes par un plan local d ’ urbanisme ou une carte communale, qui étaient couvertes jusqu ’ au 31 décembre 2020 par un plan d ’ occupation des sols devenu caduc en application de l ’ article L. 174 -5 :

« 1° Par dérogation au premier alinéa de l ’ article L. 211 -1, un droit de préemption urbain peut être institué par délibération motivée de l ’ organe délibérant de la commune. Ce droit de préemption est exercé en vue des objectifs fixés à l ’ article L. 210 -1 et au dernier alinéa de l ’ article L. 211 -1. Ce droit de préemption peut porter sur les zones, secteurs et périmètres définis au même article L. 211 -1 ;

« 2° Par dérogation au dernier alinéa de l ’ article L. 153 -11, la commune peut proposer au représentant de l ’ État dans le département, dont l ’ avis conforme est recueilli au titre de l ’ article L. 422 -5, de surseoir à statuer sur toute demande d ’ autorisation d ’ urbanisme, en motivant cette proposition au regard de l ’ intérêt communal et, le cas échéant, des orientations du plan d ’ urbanisme local intercommunal en cours d ’ élaboration, quel que soit l ’ état d ’ avancement de la procédure d ’ élaboration. En cas de refus du représentant de l ’ État dans le département d ’ accorder un sursis à statuer sur la demande, celui -ci motive sa décision de refus et la transmet à la commune. Ce refus peut faire l ’ objet d ’ un recours devant le juge administratif.

« Les dérogations prévues aux 1° et 2° du présent article s ’ appliquent jusqu ’ à l ’ entrée en vigueur d ’ une carte communale ou d ’ un plan local d ’ urbanisme et, au plus tard, jusqu ’ au 31 décembre 2022.

« Art. L. 174-5-2. – Dans les communes non couvertes par un plan local d ’ urbanisme ou une carte communale, qui étaient couvertes jusqu ’ au 31 décembre 2020 par un plan d ’ occupation des sols devenu caduc en application de l ’ article L. 174 -5, la commune peut proposer au représentant de l ’ État dans le département, dont l ’ avis conforme est recueilli au titre de l ’ article L. 422 -5, de faire usage du pouvoir de dérogation au règlement national d ’ urbanisme prévu à l ’ article L. 111 -2 au bénéfice de toute demande d ’ autorisation d ’ urbanisme, en motivant cette proposition au regard de l ’ intérêt communal. En cas de refus du représentant de l ’ État dans le département d ’ accorder les dérogations sollicitées, celui -ci motive sa décision de refus et la transmet à la commune. Ce refus peut faire l ’ objet d ’ un recours devant le juge administratif.

« Les dispositions du présent article s ’ appliquent jusqu ’ à l ’ entrée en vigueur d ’ une carte communale ou d ’ un plan local d ’ urbanisme et, au plus tard, jusqu ’ au 31 décembre 2022. »

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Avant de mettre aux voix l’ensemble du texte adopté par la commission, je vais donner la parole, conformément à l’article 47 quinquies de notre règlement, au rapporteur de la commission, pour sept minutes, au Gouvernement, puis à un représentant par groupe, pour cinq minutes.

La parole est à M. le rapporteur.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Baptiste Blanc

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, en matière d’urbanisme, on pense souvent, à tort, que certaines mesures législatives relèvent d’ajustements techniques : l’urbanisme ne serait qu’affaire de technique… Tel n’est pas le cas, comme nous le savons tous.

À la vérité, comme les travaux en commission l’ont bien montré, cette proposition de loi de mon collègue Rémy Pointereau soulève une question profondément politique, que je résumerai ainsi : souhaitons-nous une modernisation accompagnée, concertée, différenciée de nos politiques d’urbanisme local ou une transition à marche forcée, sanctionnée de recentralisation ?

Rien ne reflète davantage la diversité de nos territoires que leurs documents d’urbanisme. Voilà plus de vingt ans, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, a instauré le plan local d’urbanisme (PLU), envisagé comme un nouveau document de référence pour les communes françaises.

En réalité, la transition vers le PLU ne se fait que progressivement, pour des raisons que les élus locaux connaissent bien : d’abord, la complexité des procédures, qui évidemment s’accroît au fil des nouvelles lois ; ensuite, le coût de l’élaboration – en moyenne, 35 000 euros par commune ; enfin, le transfert, en 2017, de la compétence à l’échelon intercommunal, qui a retardé la transition vers le PLU, car il n’est pas facile de faire converger les visions de dizaines de communes.

La transition vers le PLU avance, mais de nombreuses communes ont préféré rester régies par une carte communale ou, jusqu’à récemment, par un plan d’occupation des sols (POS). Il s’agit souvent de communes rurales de petite taille, qui ont fait ce choix par manque de moyens ou d’opportunités. Elles doivent être respectées et entendues.

À rebours de ce constat différencié et territorialisé, la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, a imposé la caducité des POS qui n’auraient pas été transformés en PLU. L’échéance de caducité, trop proche, a été aménagée plusieurs fois, notamment sur l’initiative du Sénat. Par exemple, à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ayant acquis la compétence d’urbanisme en 2017, la loi laissait moins de deux ans pour élaborer un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), procédure qui prend d’ordinaire jusqu’à six ans…

La proposition de loi déposée par Rémy Pointereau, que je salue, vise à faciliter la transition des documents d’urbanisme locaux par deux mesures.

Premièrement, elle a pour objet de fixer une procédure applicable au remplacement des cartes communales par les PLUi dans la loi, alors que celle-ci est aujourd’hui silencieuse. Nous savons, de la voix même des maires, que cette incertitude les place dans des situations délicates : d’abord, devoir conduire une seconde enquête publique ; ensuite, tomber sous le régime du règlement national d’urbanisme (RNU) sans l’avoir anticipé ; enfin, retarder l’entrée en vigueur des PLUi.

Deuxièmement, cette proposition de loi tend à repousser de deux ans l’échéance de caducité des POS, pour la porter au 1er janvier 2023, afin que les dernières communes puissent faire aboutir leur nouveau PLUi. Malheureusement, l’ordre du jour parlementaire n’ayant pas permis d’examiner à temps ce texte, force est de constater que la caducité est bel et bien intervenue au début de l’année 2021.

Le rapport que j’ai réalisé au nom de la commission des affaires économiques a suivi deux principes : la souplesse, d’abord, afin d’offrir aux maires confrontés à des problèmes concrets des outils ciblés pour avancer, en cohérence avec le projet de territoire ; le pragmatisme, ensuite, car j’estime qu’il n’était pas envisageable de remettre en vigueur les POS, pour des raisons évidentes de sécurité juridique, de rétroactivité notamment – cela aurait engendré trop de contentieux.

La commission a adopté quatre amendements traduisant ces principes.

Tout d’abord, elle a ajusté la rédaction de l’article 1er pour renforcer la procédure combinée introduite par l’auteur de la proposition de loi. L’abrogation de la carte communale et l’élaboration du PLUi pourront ainsi être menées de front avec des délibérations jointes et une enquête publique unique. C’est là davantage non seulement de sécurité, avec une abrogation explicite et articulée dans le temps, mais aussi de souplesse, avec une réduction des lourdeurs procédurales.

Ensuite, à l’article 2, la commission a offert aux maires des communes frappées par la caducité des POS ce que nous avons appelé une « boîte à outils », afin d’en atténuer les conséquences les plus problématiques et d’améliorer le dialogue avec le préfet. Il s’agit de gérer au mieux la période intermédiaire avant l’adoption du nouveau PLUi sans que l’application du RNU vienne bouleverser un projet de territoire construit pendant des années. Cette « boîte à outils » se compose précisément de trois outils, sous la forme de trois dérogations.

La première dérogation vise à restaurer le droit de préemption des communes dont le POS est caduc. Elles pourront ainsi continuer à constituer des réserves foncières pour mener leurs projets d’équipement collectif, de logement ou d’autres projets structurants.

Les deux autres dérogations tendent à améliorer le dialogue entre le maire et le préfet et à favoriser le traitement au cas par cas des difficultés de terrain. Sous le régime du RNU, toute décision du maire relative aux autorisations d’urbanisme est soumise à l’avis conforme du préfet. Parfois, cela se traduit par des blocages sur des projets pourtant pertinents ou, à l’inverse, par l’autorisation de projets prédateurs.

Pour améliorer le dialogue, la commission a instauré deux dispositifs.

Il s’agit, d’une part, du recours à un sursis à statuer élargi, permettant d’attendre l’adoption du PLUi avant de statuer sur une demande : c’est une sorte de dérogation défensive. La commission a prévu, d’autre part, que les maires puissent solliciter du préfet l’usage de dérogations élargies : c’est une dérogation dite « offensive », toujours de nature à lever les blocages. Dans les deux cas, ces propositions devront être justifiées par un intérêt communal.

Madame la ministre, je conclurai mon propos en revenant sur les échanges que nous avons eus en commission. Certes, une partie des articulations que nous proposons auraient pu être apportées par un décret. Peut-être nous direz-vous ce que devient ce projet de décret… S’il est en cours de préparation, pourquoi avoir attendu si longtemps, et plus précisément la mobilisation du Sénat ?

En outre, nombre des apports de la commission nécessitent de passer par la loi : restaurer le droit de préemption ; élargir le sursis à statuer ; modifier la procédure d’avis du préfet sur l’abrogation de la carte. En tant que législateurs, il nous appartient de nous assurer de la précision de la loi, et non pas de renvoyer la définition des procédures à la seule jurisprudence ou à une pratique. Cela va mieux en le disant…

Vous l’avez également suggéré, certaines rédactions votées en commission pourraient être encore améliorées. C’est là tout l’intérêt de la navette parlementaire. Aussi, j’espère que le Gouvernement demandera l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, afin que la proposition de loi puisse poursuivre son chemin et apporter enfin aux élus locaux des solutions concrètes.

Comme toute transition, celle que nous appelons de nos vœux vers des documents d’urbanisme plus concertés, plus respectueux de l’environnement, plus intégrés aux enjeux de logement et de développement économique, mérite un véritable accompagnement et des gages de confiance envers celles et ceux qui la conduisent au quotidien.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Baptiste Blanc

Madame la ministre, les élus locaux attendent ces gages. À défaut de pouvoir débattre sur le projet de loi relatif à la décentralisation, à la différenciation, à la déconcentration et à la décomplexification, dit « 4D », le Sénat prend les devants et vous soumet ses propositions.

Mes chers collègues, monsieur Rémy Pointereau, nous apportons enfin à nos collectivités l’accompagnement et la confiance qu’elles méritent.

Applaudissements sur les travé es du groupe Les Républicains.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – M. Michel Canevet applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, chère Sophie Primas, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi à mon tour de remercier M. Rémy Pointereau, l’auteur de cette proposition de loi, ainsi que l’ensemble de la commission des affaires économiques, de nous donner l’occasion de nous retrouver pour ce débat consacré aux cartes communales et aux POS, ces sujets essentiels pour l’urbanisme, tout particulièrement dans les zones rurales.

Progressivement, les outils de l’urbanisme se sont en effet enrichis pour dépasser la seule utilisation du sol et devenir des éléments stratégiques de définition et de mise en œuvre de projets de territoire ambitieux et équilibrés, intégrant à la fois les enjeux d’aménagement urbain, d’architecture et de paysage, de mixité sociale et de transition écologique.

Aujourd’hui, les collectivités territoriales se sont approprié ces outils. Elles les utilisent pour construire des stratégies et des projets sur mesure adaptés aux réalités de leurs territoires et à leurs ambitions.

Elles disposent aussi d’une palette d’outils, du plus simple au plus sophistiqué, en fonction de l’ambition du projet de territoire : nombre d’entre elles ont un PLU ou un PLUi ; pour certains territoires, notamment ruraux, les cartes communales, voire le RNU, peuvent être suffisants, avec des procédures plus simples.

Avec l’augmentation des ambitions de leurs projets de territoire, les collectivités passent progressivement du RNU et des cartes communales au PLU ou au PLUi. Ainsi, depuis les années 2000, les POS ont progressivement laissé la place aux PLU.

Il faut naturellement faciliter ces procédures et lever les incertitudes pour les collectivités, faute de quoi l’on risque de créer de l’insécurité juridique et de bloquer les projets des citoyens. Je vous rejoins sur ce constat, monsieur le rapporteur.

C’est pour remédier à cette situation, cher Rémy Pointereau, que vous avez voulu revenir sur les règles applicables aux cartes communales et les conditions dans lesquelles devrait se faire la transformation des POS en PLU.

Votre article 1er vise ainsi à préciser les règles de procédure applicables aux cartes communales. Mais, comme je l’ai indiqué devant la commission des affaires économiques le 27 janvier, quatre des cinq mesures que vous proposez sont déjà satisfaites.

Je prendrai un seul exemple. Pour abroger une carte communale, l’autorité compétente est évidemment la collectivité qui détient la compétence d’urbanisme. Il ne paraît donc pas nécessaire de le préciser. Vous avez d’ailleurs, monsieur le rapporteur, proposé des amendements pour supprimer certaines des mesures déjà satisfaites.

Je suis persuadée qu’il nous faut éviter de prendre des mesures redondantes. Je sais que cette conviction est très largement partagée, car l’inflation législative et normative complexifie inutilement la loi et, par conséquent, notre vivre-ensemble.

Pour autant, les règles doivent être claires pour tous. À ce titre – c’est une ancienne enseignante qui vous le dit –, la pédagogie réside pour partie dans la répétition. C’est la raison pour laquelle je m’engage à envoyer une nouvelle instruction pour rappeler le cadre juridique existant à nos services déconcentrés, ainsi qu’aux collectivités.

L’une des mesures que vous proposez répond, en revanche, à un réel vide juridique. Il existe en effet une période, de quelques jours à plusieurs mois, durant laquelle la carte communale est abrogée pour laisser place au PLU, alors même que ce dernier n’est pas encore en vigueur.

Je me suis d’ores et déjà engagée en commission à régler ce problème, qui relève cependant d’un décret, et non de la loi. Ce projet de décret, monsieur le rapporteur, est déjà en cours de finalisation et pourra être pris assez rapidement. Soyez certain que je vous le ferai parvenir avant sa publication, afin que le Sénat puisse nous faire part de ses remarques. J’en prends l’engagement.

Votre article 2 prévoyait, quant à lui, de prolonger les POS, caducs depuis le 1er janvier 2021. Sur votre initiative, monsieur le rapporteur, la commission n’a pas retenu cette proposition.

Je crois en effet qu’il était temps de procéder au changement, vingt ans après la loi SRU qui prévoyait déjà le remplacement des POS par les PLU.

Les délais ont déjà été plusieurs fois repoussés, jusqu’à la fin 2015, puis fin 2017, puis fin 2019 et, enfin, au terme de l’année 2020. Il y a eu donc une succession de prolongations. Surtout, dans l’intervalle – j’y insiste –, plus de 91 % des POS ont été remplacés par des PLU. Quant aux 530 communes qui sont revenues en 2021 au RNU, 200 ont simplement lancé la procédure, sans passer les premières étapes, dans l’objectif de simplement prolonger leur POS.

Vous avez donc fait le choix, monsieur le rapporteur, de remplacer la prolongation des POS par des mesures visant à empêcher que les projets se retrouvent bloqués dans les territoires.

Je partage cette approche. Avant de décider de ne pas repousser la durée de validité des POS, je me suis évidemment assurée que cela n’aurait pas d’impact négatif sur les projets. Là encore, le droit en vigueur le garantit et permet d’opérer la transition en douceur. Le RNU n’empêche pas les projets dans les zones déjà urbanisées et, au cas par cas, hors des zones déjà urbanisées.

Par ailleurs, les porteurs de projet ont également pu demander des certificats d’urbanisme permettant de conserver les règles du POS pendant dix-huit mois de plus.

Vous avez souhaité compléter ce dispositif par deux mesures pour les communes qui seraient revenues au RNU, auxquelles je ne souscris pas.

Tout d’abord, permettre au préfet de surseoir à statuer sur un permis de construire dans l’attente que le PLU soit approuvé ne serait pas raisonnable. En droit, c’est la commune qui est compétente pour surseoir à statuer. Si je vous avais proposé cette mesure directement, on m’aurait accusée de vouloir recentraliser.

Ensuite, permettre au préfet de déroger au RNU pour tout projet d’intérêt communal afin d’éviter de bloquer certains projets me pose également problème à plusieurs titres. D’une part, cela est contraire au message porté par le Gouvernement au sujet de la lutte contre l’étalement urbain, dont nous mesurons tous les effets écologiques mais aussi économiques et sociaux dans nos territoires. D’autre part, là encore, cela pourrait être vu comme une recentralisation : le RNU permet à la commune de délibérer pour mobiliser des dérogations lorsque l’intérêt général est dûment justifié.

Vous soulevez toutefois un point essentiel portant sur la capacité à mobiliser le droit de préemption urbain lorsque l’on revient au RNU. C’est en effet un outil stratégique pour récupérer les terrains nécessaires, au fur et à mesure de leur vente, en vue de réaliser des opérations d’aménagement. Compte tenu de son impact sur le droit de propriété, il convient de bien l’encadrer, notamment par rapport aux documents d’urbanisme en cours d’élaboration, et pas uniquement sur la base de l’ancien POS, ainsi que vous le proposez dans cette proposition de loi.

Par conséquent, nous réunirons prochainement un groupe de travail sur ce sujet, comprenant des parlementaires et des associations d’élus locaux.

J’ai par ailleurs lancé cette semaine – je m’y étais engagée, monsieur le rapporteur – une enquête auprès des collectivités concernées, par l’intermédiaire des préfets, afin que toute difficulté similaire soit identifiée et puisse être traitée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi a permis de mettre en évidence un certain nombre de difficultés. C’est bien le rôle des assemblées parlementaires, et du Sénat en particulier. Cependant, pour les raisons que j’ai exprimées, il ne m’apparaît pas souhaitable d’adopter le texte en l’état, même si nos positions ne sont pas si éloignées.

Je m’engage à apporter une réponse rapide aux principaux points soulevés.

Tout d’abord, nous rappellerons, d’ici au mois de mars, le cadre applicable à l’abrogation des cartes communales pour éviter toute difficulté de procédure.

Ensuite, nous allons supprimer le vide juridique qui existe entre l’abrogation d’une carte communale et l’entrée en vigueur du PLU par un décret. Nous avons déjà lancé la consultation des collectivités afin qu’elles nous fassent remonter les difficultés concrètes liées à l’abrogation des POS.

Enfin, nous mettons en place un groupe de travail avec les élus pour élargir le droit de préemption urbain pour les communes revenues au RNU. Je vous propose bien sûr, cher Rémy Pointereau, cher Jean-Baptiste Blanc, de participer à ces travaux… mais le Sénat dispose !

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour explication de vote.

Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.

Debut de section - PermalienPhoto de Henri Cabanel

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la maîtrise de l’urbanisme par les communes constitue l’un des principaux acquis des lois de décentralisation. Elles contribuent ainsi à l’aménagement du territoire, dont la compétence doit être partagée entre les collectivités locales et l’État, garant de la cohésion des territoires et d’une vision d’ensemble.

Les communes et les intercommunalités ont dû s’adapter à un droit de l’urbanisme marqué par une certaine instabilité pathologique le rendant particulièrement complexe à appréhender, ce qui suppose de recourir à davantage d’expertise. Dès lors, l’ingénierie territoriale conditionne l’exercice même de leur libre administration.

Le transfert automatique de la compétence en matière d’urbanisme vers les intercommunalités, sauf minorité de blocage, prévu par la loi ALUR, combiné aux réformes territoriales successives à peine digérées, n’est pas aisé à mettre en œuvre.

De plus, le paramètre financier n’est pas négligeable : les communes et EPCI font état d’importants points de blocage, au premier rang desquels le coût significatif de l’élaboration d’un PLU, entre 25 000 et 50 000 euros en moyenne.

Si les collectivités doivent se conformer au droit, la loi doit prendre en compte leurs spécificités et leurs moyens. À cet égard, les difficultés soulevées par les élus locaux et par les auteurs de la proposition de loi sont révélatrices de la démarche encore descendante des relations entre l’État et les collectivités territoriales.

L’article 1er articule expressément la procédure d’abrogation des cartes communales et l’élaboration d’un plan local d’urbanisme. Cette clarification au sein du code de l’urbanisme renforce la lisibilité du droit et peut ainsi représenter un gain de temps non négligeable pour les communes qui douteraient de la possibilité d’organiser une seule enquête publique et de procéder à une seule délibération pour les deux procédures. Alors qu’elles sont souvent engagées dans l’élaboration laborieuse d’un PLUi, il est inutile de leur compliquer la tâche pour une simple abrogation.

Les précisions apportées par le rapporteur permettront de supprimer toute période pendant laquelle le RNU pouvait trouver à s’appliquer de manière transitoire entre les deux documents d’urbanisme. Bien que modeste, c’est un progrès par rapport à la situation actuelle.

J’en viens à l’article 2, relatif aux POS. Considérés comme des documents d’urbanisme archaïques, qui ne couvriraient pas systématiquement l’ensemble du territoire communal ou intercommunal, leur caducité a été programmée par la loi ALUR, puis reportée à plusieurs reprises.

En application de la loi « Engagement et proximité », qui leur a offert un an de répit, les 530 POS restants ont été frappés de caducité depuis le 1er janvier 2021.

Certes, la disparition des POS au bénéfice des PLU est prévue depuis vingt ans. Cependant, remettons cela en perspective par rapport à la réalité du terrain : nous ne parlons plus que de 530 POS à épurer, parmi lesquels 130 se situent à un stade avancé du processus de transformation. Il n’y a donc pas eu d’inertie des élus locaux en la matière.

Pourquoi leur refuser une souplesse, limitée dans le temps, dans un contexte de crise sanitaire et de changement d’équipes municipales ?

Nous sommes persuadés que la contrainte ne crée pas d’adhésion naturelle à des projets de territoire élaborés hâtivement. Bien au contraire, il arrive qu’elle provoque des conflits qui n’existaient pas auparavant. Laissons le temps aux collectivités de construire cette adhésion, d’élaborer un document d’urbanisme de qualité permettant de répondre au développement économique local, à la sauvegarde des activités agricoles, à la préservation de la biodiversité ou à la qualité de l’habitat.

Nous souscrivons donc à la démarche équilibrée du rapporteur, qui vise à temporiser les effets de la caducité des POS par l’introduction de trois aménagements à l’application du RNU permettant aux communes de continuer à préserver l’intérêt communal. Il n’est pas question d’exonérer les communes concernées de leurs obligations légales, mais simplement de leur laisser une période d’adaptation, inférieure à deux ans, le temps d’achever leur document d’urbanisme.

Nous connaissons votre position, madame la ministre, sur la proposition de loi, et je ne me fais pas d’illusions quant à son adoption définitive. Néanmoins, nous espérons que le Gouvernement apportera des solutions concrètes, comme cela a été envisagé en commission.

Les collectivités, majoritairement rurales, dont le processus de transformation du POS en PLU ou en PLUi est à la peine, doivent être accompagnées. L’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) pourrait mettre à disposition ses compétences.

Leurs inquiétudes doivent être entendues. Voilà bien ce qui est proposé dans le présent texte, que le groupe RDSE soutiendra.

Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

M. Fabien Gay . Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi vise à combler un vide juridique concernant la procédure d’abrogation des cartes communales, qui n’est aujourd’hui pas explicitement prévue par le code de l’urbanisme. Il s’agit donc d’un texte utile et pragmatique, et nous remercions notre collègue Rémy Pointereau de cette initiative. Je tue d’emblée tout suspense en disant que nous voterons cette proposition de loi… à charge de revanche !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

La procédure définie par le texte permet judicieusement le parallélisme des formes en adossant cette procédure à celle de l’adoption d’un PLU, afin de gagner du temps et d’éviter des surcoûts.

Pour autant, si l’on s’en tient aux difficultés pointées par les auteurs de cette proposition de loi, liées à la réglementation évolutive et aux coûts jugés très ou trop importants de l’élaboration des documents d’urbanisme pour les petites collectivités, force est de constater que cette proposition de loi n’apporte pas toutes les réponses.

Sur le plan de la réglementation, il est vrai que les documents d’urbanisme ont beaucoup évolué depuis la loi SRU, pour tenir compte des enjeux urbains tels que la lutte contre l’étalement urbain, l’exigence de non-artificialisation, la préservation de l’environnement et du vivant.

Ce renforcement des normes et des études n’est pas, à notre sens, du « superflu coûteux ». C’est en effet utile pour atteindre les objectifs de transition et de meilleure préservation des sols. Ainsi, alors que l’équivalent d’un département disparaît tous les sept ans du fait de l’urbanisation, renforcer les objectifs et les normes nous apparaît incontournable, à l’image du « zéro artificialisation nette » prévu à l’horizon 2050.

Les documents d’urbanisme sont des outils essentiels pour atteindre ces objectifs et, dans ce cadre, le renforcement des obligations de contenu nous semble aller dans le bon sens, celui de l’intérêt général.

Cependant, nous ne sommes pas pour l’abrogation « couperet » des POS qui précédaient les PLU, prévue par le texte, d’autant que les POS les plus récents ont été réalisés le plus souvent comme des PLU. Les collectivités, au titre de la libre administration, doivent conserver la maîtrise de l’aménagement de leur territoire.

Il faut par ailleurs, même si ce n’est pas directement l’objet de cette proposition de loi, reconnaître que les évolutions auxquelles sont confrontées les collectivités tiennent beaucoup au changement d’échelle de l’exercice de la compétence « urbanisme », un transfert difficile prévu par l’article 136 de la loi ALUR.

Nous avions, à l’époque, formulé un certain nombre de réserves sur ce transfert automatique qui dessaisissait les communes d’un élément important dans la définition de leur projet politique. Un transfert d’autant moins opportun qu’il s’articulait avec la construction d’intercommunalités forcées, ce qui n’est pas favorable à l’émergence d’un projet urbain collectivement défini et partagé.

Nous avions ainsi estimé que ce transfert de compétence venait dessaisir encore davantage les élus communaux des capacités concrètes de porter le projet politique pour lequel ils avaient été élus, participant ainsi à la vague de dévitalisation des communes et de la démocratie de proximité.

Ces constructions intercommunales, réalisées parfois en dépit des volontés communales, expliquent à nos yeux pour beaucoup les retards pris dans l’élaboration des PLU et des PLUi.

Nous avions, par ailleurs, considéré à cette même époque qu’avec la suppression par la loi de finances de 2014 de l’Assistance technique de l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire (Atesat), c’est-à-dire du soutien de l’État aux collectivités justement sur ces questions territoriales, les communes avaient subi une perte très importante d’ingénierie et de maîtrise de leur territoire.

La difficulté des collectivités à faire face à la construction de nouveaux documents d’urbanisme tient donc, à la fois, à une perte d’ingénierie humaine liée à leur dévitalisation progressive, à la fin du soutien technique de l’État et à une baisse continue des ressources financières provenant de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Leur capacité d’action est donc triplement bridée. Nous sommes par conséquent favorables aux dispositions de cette proposition de loi qui facilitent l’exercice de la compétence « urbanisme » pour les plus petites collectivités.

Face à cette situation, et au-delà de l’accompagnement des programmes nationaux par l’ANCT, il nous semble que le rôle de cette agence devrait être recentré sur un soutien plus fort des collectivités dans leur démarche d’élaboration des documents d’urbanisme, notamment au regard des enjeux de transition écologique et d’aménagement équilibré des territoires.

Pour conclure, je dirai que l’esprit de décentralisation doit être maintenu. L’État doit non pas porter une vision autoritaire de l’aménagement territorial et des collectivités, mais apporter à celles-ci son soutien puissant au service de l’intérêt général et de la transition écologique.

Applaudissements s ur les travées du groupe CRCE.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Moga, pour explication de vote.

Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Moga

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi visant à sécuriser l’abrogation des cartes communales et à reporter la caducité des plans d’occupation des sols, déposée par notre collègue Rémy Pointereau, est un texte de clarification juridique et de simplification des démarches, mais aussi de bon sens à destination des élus locaux.

Permettez-moi de remercier à mon tour l’auteur de cette proposition de loi et le rapporteur de la commission des affaires économiques. Loin des débats manichéens sur le droit de l’urbanisme, en particulier loin de ceux que nous avons eus sur le transfert de la compétence en matière d’urbanisme aux intercommunalités lors de l’examen de la loi ALUR de 2014, le texte déposé, puis celui adopté par la commission, présentent des propositions d’adaptation liées à des situations locales réelles.

Dans ce texte, aucun objectif en matière d’organisation locale et aucune mesure en matière de stratégie d’aménagement ne sont remis en cause.

Certains pourront éventuellement le regretter, mais la disparition des POS, la transformation des cartes communales et le transfert de la compétence aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) ne sont pas remis en question. Vingt ans après la loi SRU, six ans après la loi ALUR, leurs dispositions sont appliquées, bon gré mal gré, par les territoires.

Ce mouvement long est en passe d’aboutir, puisque plus de la moitié des communes françaises appartiennent à un EPCI désormais compétent en matière d’urbanisme ; plus de 18 000 PLU ont été élaborés et il restait à peine 530 POS au 31 décembre dernier.

Madame la ministre, cette proposition de loi ne revient pas sur les réformes passées. Elle n’est pas non plus conservatrice. Elle a pour objectif d’accompagner les communes et les élus locaux dans cette dernière mutation.

Le droit de l’urbanisme est une matière ardue et mouvante : ardue, parce qu’il recèle de nombreux détails qui nécessitent un travail quotidien, mais aussi parce qu’il est à la fois un droit dur, dans le code de l’urbanisme, et un droit mou, par la jurisprudence et les instructions données aux préfets ; mouvante, parce que les lois changent souvent et que la hiérarchie des documents d’urbanisme est un empilement de règles souvent validées par des niveaux différents : PLU et carte communale au niveau municipal, PLUi au niveau intercommunal, schéma de cohérence territoriale (SCoT) au niveau intercommunal ou à l’échelle d’un pays, ou encore schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) au niveau régional.

Les élus locaux, on le sait bien, font leur maximum, mais reconnaissons qu’un peu de clarification et surtout d’accompagnement de la part des services de l’État ne seront jamais de trop.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Moga

Concernant la présente proposition de loi, son article 1er apporte des précisions utiles sur la période de transition au moment du passage d’une carte communale à un PLU ou à un PLUi, et fixe une procédure plus efficace et plus lisible. S’il existe des règles ou des instructions, comme l’a rappelé le Gouvernement devant la commission, elles ne sont pas assez sûres et connues ; ce texte permet de les fixer et d’encadrer la transition. Cet article simplifie aussi certaines démarches, en limitant le nombre d’enquêtes publiques qui ont naturellement trait au même sujet.

Pour l’article 2, le rapporteur a largement tenu compte de la nouvelle situation du droit après le 1er janvier de cette année. Il est proposé une boîte à outils de quelques dérogations pour les 530 communes restantes ; cela représente à peine 5 communes par département. Mieux vaut les aider à transformer leurs documents d’urbanisme que les braquer. Ce sera au profit de tous et, en particulier, des habitants de ces communes.

Avant de conclure, madame la ministre, j’aimerais vous interpeller sur votre futur projet de loi dit « 4D ». Nous n’en connaissons encore ni toutes les mesures ni tous les détails ; néanmoins, prenez garde à ne pas bousculer, une fois encore, l’organisation locale en matière d’urbanisme : inutile de créer de nouveaux transferts et de nouveaux délais ! Il serait au contraire préférable de renforcer l’ingénierie de l’État à l’échelle départementale, pour accompagner au mieux les élus locaux.

Pourriez-vous nous donner vos ambitions en la matière, en particulier vos axes de réflexion contenus dans le projet de loi 4D ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jacqueline Gourault

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Ce n’est pas le moment !

Sourires.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Moga

M. Jean-Pierre Moga. Pour revenir à la proposition de loi qui nous est soumise, les membres du groupe Union Centriste voteront en faveur de ce texte.

Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Redon-Sarrazy

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi a deux objectifs : expliciter le droit en matière d’abrogation des cartes communales et accorder deux ans supplémentaires aux communes n’ayant pas achevé leur transition du POS au PLU ou au PLUi au 31 décembre 2020.

Quelque 530 communes en France seraient concernées par cette dernière problématique, soit environ 5 communes par département qui se retrouvent dans un état de flou juridique depuis le 1er janvier 2021, date à laquelle les POS sont devenus caducs.

Il est donc tout à fait préjudiciable que l’État ait refusé de se saisir du sujet plus tôt, estimant que le droit actuel fournissait déjà des solutions. La situation aurait pu être régularisée avant la date limite de caducité, ce qui aurait évité à ces petites communes de se retrouver dans une situation difficile, sans les documents d’urbanisme qui leur permettaient de planifier leur développement.

En premier lieu, on peut s’interroger légitimement sur les raisons qui expliquent ces difficultés à passer du POS au PLU ou au PLUi, difficultés qui n’ont rien à voir avec une quelconque négligence. Comme j’ai pu le souligner en commission, je maintiens que lorsqu’une petite commune appartient à une intercommunalité de taille importante, la prise en compte de ses propres intérêts peut être en soi un sujet de discussion serré.

Nous abordons ici la liberté d’administration des communes : si le nouveau document d’urbanisme ne répond pas, en matière d’aménagement du territoire, aux besoins de ces communes souvent situées dans des territoires fragiles, il est compréhensible qu’elles aient besoin de temps pour affiner son élaboration. Était-il possible de fournir à ces communes les moyens nécessaires en ingénierie et en finances pour tenir les délais ? Sans doute, mais cela n’a pas été anticipé, d’où la situation où elles se trouvent aujourd’hui.

Notre rôle en tant qu’élus des territoires est de nous montrer à l’écoute de ces difficultés et d’y apporter une réponse.

En l’absence de tout document d’urbanisme, ces communes reviennent au RNU. Je sais, madame la ministre, que vous jugez cette solution tout à fait applicable ; vous rappelez que quelques maires ruraux de votre connaissance souhaitent conserver ce régime d’urbanisme.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Redon-Sarrazy

Néanmoins, ce souhait est loin d’être unanime. En effet, le RNU nécessite pour les maires d’obtenir l’avis conforme du préfet. En outre, à la différence des documents d’urbanisme tels que les PLU, les PLUi ou les POS, le RNU ne définit pas de zones par affectation : zones industrielles, touristiques, ou encore naturelles. Il ne s’articule qu’autour de deux notions, des terrains constructibles et non constructibles, c’est-à-dire des zones urbanisées et non urbanisées, sachant que la notion d’« urbanisation » est soumise à une appréciation parfois différente d’un département à l’autre. J’en sais quelque chose : j’ai pu constater de telles différences entre la Corrèze et la Haute-Vienne !

C’est un régime restrictif où les situations se règlent au cas par cas, selon la libre appréciation des directeurs départementaux des territoires. Le manque de transparence est donc total, et le risque de voir des prédateurs fonciers lésés par les précédents documents d’urbanisme devenus caducs tenter d’exploiter les ambiguïtés permises par le retour au RNU est réel. Un retour à ce dispositif va à l’encontre de la lutte contre l’artificialisation des sols et n’assure pas aux communes des conditions de développement semblables à celles qui étaient prévues dans les POS.

Le Sénat s’est vu contraint d’examiner le présent texte après la date limite de caducité ; les auditions menées par le rapporteur ont permis de constater que ce vide juridique entraînait la perte de la maîtrise foncière et du droit de préemption urbain, ainsi qu’un risque de blocage de certains projets à cause du retour au RNU.

Une réécriture complète de l’article 2 de la proposition de loi a donc été proposée, de manière à atténuer les conséquences de la caducité des POS par la mise à la disposition des maires des communes concernées d’une boîte à outils applicable jusqu’à l’adoption du nouveau PLU ou PLUi, et jusqu’au 31 décembre 2022 au plus tard.

Le texte de la commission prévoit également de créer un droit de proposition des maires : ils pourraient solliciter du préfet l’usage de son pouvoir de dérogation aux règles du RNU pour des projets qui auraient été compatibles avec le POS antérieur, mais ne le sont pas avec le RNU.

Le Gouvernement s’est pourtant montré opposé à ces mesures transitoires, arguant que, sur les 530 communes évoquées, 160 communes seulement se situaient à l’arrêt du projet de PLUi et 200 autres à un stade d’avancement très faible, tandis que 130 communes revenues au RNU allaient pouvoir approuver rapidement leur PLUi.

Sur le droit de proposition, madame la ministre, vous avez émis un avis défavorable au motif que le maire restait l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation, sous la seule réserve de recueillir l’avis conforme du préfet. Malheureusement, votre argumentaire ne fonctionne réellement que dans le cas où les deux parties sont d’accord. Même si le maire reste libre de ne pas suivre les conclusions du préfet, il n’est pas toujours évident d’aller contre l’avis de l’administration.

Pour ces 360 communes, madame la ministre, vous avez proposé en commission d’écrire à tous les préfets pour vous faire remonter avec précision pourquoi certaines communes ou intercommunalités connaissent des situations de blocage.

Vous proposez enfin d’accompagner au plus près ces collectivités, par l’ingénierie de l’État sur les territoires ou l’aide directe fournie par l’ANCT.

Vos propositions prouvent bien qu’un dialogue spécifique et « cousu main », pour reprendre votre expression, est nécessaire. On peut néanmoins regretter que l’État ne l’ait pas mis en place plus tôt.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Redon-Sarrazy

Même si peu de communes sont désormais concernées, il n’est pas question de les négliger. En effet, le sujet est de la même importance pour une agglomération ou pour une petite commune, et toutes deux sont utiles à nos territoires.

Le groupe socialiste confirmera donc le vote favorable qu’il a eu en commission sur cette proposition de loi, en espérant que la navette parlementaire sur ce texte s’achèvera dans les délais de la présente législature. En effet, si tel n’était pas le cas et que, par ailleurs, le traitement au cas par cas ne permettait pas de régulariser les situations, le problème resterait entier.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à M. Franck Menonville, pour explication de vote.

Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Franck Menonville

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Rémy Pointereau que nous examinons en cette fin d’après-midi va assurément dans le bon sens. Elle vient sécuriser certains vides juridiques identifiés sur nos territoires par les élus locaux, que ce soit au sein des communes ou des EPCI.

Nous l’avons suffisamment dit ici : il existe encore des difficultés, notamment dans de petites communes rurales et de petits EPCI, même si la couverture des PLU et des PLUi progresse sur le territoire hexagonal.

La situation que nous avons connue en 2020 – crise sanitaire, renouvellement différé d’élus municipaux – a causé certaines difficultés supplémentaires pour de nombreux EPCI et communes dans la transition qu’ils avaient engagée afin d’éviter la caducité des POS et l’abrogation de cartes communales. Dans le premier cas, la date limite, repoussée à plusieurs reprises, est désormais dépassée depuis la fin du mois de décembre dernier.

Comme j’ai eu l’occasion de le dire lors de notre examen de ce texte en commission la semaine passée, les ralentissements ont aussi pu être causés par les évolutions des périmètres des intercommunalités – certaines, de fait, ont été contraintes de fusionner –, mais aussi par les transferts de compétences évoqués par Fabien Gay, qui ont aussi beaucoup mobilisé les intercommunalités. Ces évolutions sont parfois venues ajouter à la complexité des procédures existantes, souvent dénoncée par les élus. On peut aussi ressentir sur nos territoires un manque d’accompagnement et d’ingénierie ; l’ANCT a pour mission de les combler.

Le présent texte apporte donc des réponses pratiques et réalisables. Je salue ce que nous appelons la « procédure combinée » et son approfondissement. Elle me paraît être logique et pragmatique.

Comme j’ai pu également le dire lors du débat en commission, l’article 2 de cette proposition de loi et la boîte à outils qui y est développée sont les bienvenues pour les 530 communes concernées.

Les possibilités qui sont données aux maires dans le cadre des autorisations d’urbanisme et des dérogations aux règles du RNU auront des finalités concrètes. Le couple maire-préfet serait une nouvelle fois sollicité pour rechercher des solutions au plus près des problématiques des communes et des territoires.

Parmi les éléments de cette boîte à outils, on trouve le droit de préemption urbain. En effet, dans le cadre du RNU, ce droit est très limité et notamment circonscrit à la création de logements sociaux. D’autres objectifs du droit de préemption urbain sont quant à eux impossibles à mobiliser, ce qui risque de susciter des difficultés pour les communes concernées.

Ce texte apporte donc des solutions pour faire face à cette période de transition.

Enfin, je veux évoquer le caractère temporaire des dérogations et alternatives détaillées à l’article 2. Il me paraît essentiel qu’au-delà du 31 décembre 2022 les transitions aient pu être effectuées et que les effets négatifs des situations actuelles soient définitivement derrière nous. Là encore, nous devons rester attentifs et accompagner ces communes.

Le rôle des préfets et des maires demeure central. Ils doivent œuvrer de concert : c’est un gage de solutions pour nos territoires, c’est aussi l’esprit de ce texte.

Pour conclure, je suis amené à constater sur le terrain que les politiques d’urbanisme ne sont pas toujours adaptées aux territoires ruraux. Si je conviens qu’il faut lutter contre l’artificialisation des terres et l’étalement urbain, il ne faut pas pour autant exclure les territoires ruraux de leur développement urbanistique. Les politiques actuelles sont quelquefois trop restrictives : il devient parfois impossible de proposer des terrains à bâtir aux enfants de nos villages. Leur développement, indispensable, constitue vraiment un gage d’attractivité pour nos villages et nos territoires.

Le groupe Les Indépendants soutiendra donc ce texte pragmatique et de bon sens, qui accompagne les transitions des communes, même s’il ne répondra sans doute pas à toutes les situations.

Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Daniel Salmon

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous partageons l’objectif tout à fait louable de cette proposition de loi, qui permet de mieux accompagner la transition des documents d’urbanisme communaux vers les PLU et PLUi. Le cadre législatif de ces règlements a fait l’objet d’un certain nombre de réformes importantes depuis les années 2000 ; je n’en referai pas l’historique.

Ce texte s’attelle d’abord à une simplification et à une clarification bienvenues du cadre juridique quant à l’abrogation des cartes communales. Comme nous l’avons souligné en commission, la législation actuelle n’apporte aucune précision sur cette procédure ; nombre d’élus locaux demandent de la lisibilité sur le droit applicable en la matière.

Environ 2 300 communes, soit 40 % de celles qui sont aujourd’hui couvertes par une carte communale, seront bientôt couvertes par un PLUi. Ces communes peuvent se retrouver démunies face à la lourdeur et à la complexité de la procédure, qui sont notamment dues à l’obligation d’organiser une enquête publique supplémentaire.

Il convient donc de clarifier et d’expliciter le droit et de lever des contraintes inutiles, pour ne plus exposer des communes à une potentielle insécurité juridique. Ce sont surtout les plus petites d’entre elles qui peuvent être mises à mal, celles qui sont peu accompagnées dans ces évolutions procédurales et qui n’ont pas les moyens humains et financiers d’y faire face ; pour certaines d’entre elles, je dirais plutôt qu’elles n’ont plus ces moyens.

En ce sens, l’article 1er nous paraît tout à fait pertinent : il fixe dans la loi la procédure applicable, qui permet de sécuriser juridiquement ces communes et d’apporter aux élus locaux des outils clairs et efficaces pour davantage de prévisibilité.

Il apporte notamment une souplesse accrue aux collectivités et aux intercommunalités, lorsque l’abrogation d’une carte communale intervient au profit de l’approbation d’un PLUi, et prévoit ainsi une procédure combinée d’abrogation de la carte communale et d’approbation du PLUi via une enquête publique unique et une seule délibération finale. Voilà le plus important !

Nous saluons le renforcement par la commission de cette procédure combinée, qui sera prévue dès la délibération initiale de prescription. Cela tend à éviter tout décalage entre l’abrogation des cartes et la mise en application du PLUi, et permet d’éviter la mise en application temporaire du RNU.

L’article 2 initial, qui reportait de deux ans, soit jusqu’au 31 décembre 2022, la date de caducité des POS nous posait davantage question : l’argument selon lequel la crise sanitaire et la période de confinement auraient empêché l’avancée de certaines communes sur leur document d’urbanisme peut s’entendre, mais notons que cela fait tout de même vingt ans que la disparition des POS doit être actée. Un an supplémentaire nous paraissait largement suffisant pour laisser les 530 communes concernées faire aboutir leur PLUi.

Comme nous l’avons vu en commission, ce délai supplémentaire est inopérant puisque la caducité a été actée depuis le 1er janvier. La commission a donc proposé d’apporter des dérogations facultatives, ciblées et encadrées dans le temps aux maires des communes concernées par la caducité, en se basant sur un dialogue renforcé entre le maire et le préfet.

Ces dispositions m’apparaissent plutôt pertinentes et utiles pour les communes, afin notamment de leur éviter de se retrouver soumises au RNU. En effet, ce règlement peut entraîner un certain nombre de problématiques quant à la continuité ou à la mise en place de projets structurants pour le territoire concerné.

Nous restons tout de même vigilants : ces dérogations doivent être suffisamment cadrées et ne sauraient permettre de revenir temporairement sur des réglementations nécessaires pour la protection des paysages et de la biodiversité, en lien avec l’artificialisation des sols ou la protection du littoral.

Prenons garde à ce que ce délai supplémentaire ne soit pas utilisé comme un moyen de déroger à l’application de documents d’urbanisme qui s’imposeront aux futurs PLU ou PLUi. Je pense notamment aux SCoT. Merci, madame la ministre, monsieur le rapporteur, de nous apporter des éléments sur ce point.

Pour conclure mon explication au nom du groupe écologiste, nous voterons pour ce texte qui permet globalement de clarifier le droit et apporte des outils utiles aux élus locaux. J’imagine qu’il fera consensus ; en ce sens, l’usage de la procédure de législation en commission est justifié.

Applaudissements sur les travées du groupe GEST.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour explication de vote.

Debut de section - PermalienPhoto de Patricia Schillinger

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le transfert au niveau communal de la compétence en matière d’urbanisme, en 1983, plusieurs réformes sont intervenues pour encadrer l’action des collectivités en la matière. Avec les lois SRU et ALUR, les documents d’urbanisme sont devenus de véritables instruments d’aménagement et de cohésion des territoires, intégrant des objectifs de contrôle de l’étalement urbain, de mixité sociale, ou encore, plus récemment, de lutte contre le changement climatique.

Avec la complexité croissante des règles en matière d’urbanisme, aggravée dans certaines collectivités par le manque d’ingénierie et de moyens financiers, les maires et les présidents d’intercommunalité peuvent rencontrer des difficultés dans l’élaboration de leurs documents d’urbanisme.

Aussi, la proposition de loi que nous examinons entend épauler ces collectivités face à ces difficultés.

Il est question, d’une part, à l’article 1er, de clarifier et d’expliciter la procédure applicable en matière d’abrogation des cartes communales, et, d’autre part, à l’article 2, de répondre aux inquiétudes suscitées par la disparition des POS. En commission, nous avons salué la volonté de sécuriser la procédure d’abrogation des cartes communales portée à l’article 1er par les auteurs de cette proposition de loi. Mais si le droit se doit d’être lisible, la codification proposée ne nous a toutefois pas semblé nécessaire.

La jurisprudence, reprise par de nombreuses instructions ministérielles et confirmée dans la pratique, démontre que les solutions existent et sont opérationnelles. Or, en matière de codification, le mieux s’avère parfois être l’ennemi du bien.

Aussi, notre crainte est que l’introduction de nouvelles dispositions dans le code de l’urbanisme génère de nouveaux contentieux et qu’elle nuise davantage à la lisibilité du droit qu’elle ne l’améliore.

En revanche, les auteurs de la proposition de loi ont relevé à juste titre l’existence d’un vide juridique durant la courte période qui sépare le moment de l’abrogation de la carte communale de celui de l’entrée en vigueur du PLU.

Si le texte a le mérite de proposer une solution pour combler ce vide juridique, la voie législative ne nous semble pas la plus appropriée, en raison notamment du temps qui serait nécessaire pour une mise en œuvre effective de cette solution.

En conséquence, nous avons choisi en commission de faire confiance à Mme la ministre, qui s’est engagée à apporter une solution à cette situation par la voie réglementaire. Une instruction claire rappelant les règles d’abrogation des cartes communales doit par ailleurs être envoyée aux préfets.

Nous nous sommes montrés plus sceptiques en ce qui concerne l’article 2, qui reportait à l’origine de deux ans la date de caducité des POS. Il s’agissait de tenir compte du retard pris par certaines communes dans l’élaboration de leur PLU, notamment du fait de la crise sanitaire.

Si nous comprenons l’inquiétude suscitée par cette caducité, un tel report nous aurait semblé inéquitable par rapport aux communes qui ont accéléré l’adoption de leurs documents d’urbanisme et ont tenu les délais.

Par ailleurs, le principe de non-rétroactivité de la loi s’opposait à ce que l’on revienne sur la caducité des POS intervenue au 1er janvier 2021.

Enfin, un énième report ne nous a pas semblé opportun, alors qu’il ne reste que 530 communes concernées et qu’une grande partie d’entre elles sont en train de terminer l’élaboration de leur document d’urbanisme.

Cet article a toutefois été complètement réécrit en commission. S’il n’y est plus question de report de la caducité des POS, la rédaction proposée revient par des voies de contournement aux mêmes finalités.

En conséquence, cette nouvelle rédaction ne modifie pas notre regard sur l’objet de cette mesure. Conscients toutefois des difficultés que peuvent rencontrer certains élus en matière d’urbanisme, nous observons avec bienveillance la démarche portée par ce texte.

Nous ne pouvons néanmoins totalement y souscrire, puisque les solutions qui y sont proposées s’avèrent déjà satisfaites ou trouveront une traduction plus rapide et plus efficace par la voie réglementaire.

Aussi, comme Mme la ministre a entendu les difficultés exprimées et s’est engagée à y répondre, nous choisirons de nous abstenir.

Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau, pour explication de vote.

Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi que j’ai déposée, avec l’appui de plus de 80 sénatrices et sénateurs, le 18 décembre 2019. Sans vouloir retracer la genèse de cette initiative, je souhaite tout de même indiquer qu’elle émane du terrain, de nos collègues élus locaux qui sont excédés par les changements permanents du cadre juridique des règles et documents d’urbanisme locaux.

Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Rémy Pointereau

Cette proposition de loi, qui aurait pu se transformer en simple amendement, reflète parfaitement le manque d’information que subissent nos collègues de terrain. Dès l’automne 2019, j’ai été interpellé par le président d’une communauté de communes de mon département et par plusieurs maires ; ils m’ont fait part de leur incompréhension de voir les cartes communales abrogées dès lors que la communauté de communes lance une enquête publique dans le cadre de l’élaboration de son PLUi, avant même que celui-ci soit validé ! Il n’est pas question d’une courte période : ce vide peut durer deux ans, si tout se passe bien, trois ans, ou même quatre ans, selon la durée du processus de validation du PLUi.

Les élus se demandent sur quel document d’urbanisme ils doivent s’appuyer durant cette période. Malheureusement, aucune loi ne précise comment s’opère cette transition.

Le rapport de notre collègue Jean-Baptiste Blanc, que je félicite au passage pour son travail et son investissement sur le sujet, indique qu’en l’absence d’informations claires, les élus sont parfois amenés à relancer des enquêtes publiques alors qu’ils étaient sur le point d’approuver leur PLUi.

C’est pourquoi l’article 1er de cette proposition de loi met en place une procédure claire : tout simplement, l’abrogation de la carte prendra effet dès lors que le nouveau document, tel qu’un PLUi, entre véritablement en vigueur. C’est une mesure pragmatique et de bon sens qui comble un vide juridique pour faciliter le travail de nos élus locaux.

Quant à l’article 2, qui concerne les POS, il est venu se greffer sur cette proposition de loi au cours de sa rédaction.

Là aussi, ce sont des élus de mon département qui m’ont interpellé sur le sujet ; je sais que je ne suis pas le seul à avoir été saisi de la question, qui a été posée dans de nombreux départements.

Comme vous le savez, la loi ALUR a instauré un principe de caducité des POS qui a connu – soyons honnêtes ! – plusieurs assouplissements en matière de délais. Le dernier de ces assouplissements résulte d’ailleurs d’une initiative sénatoriale, puisqu’un report d’un an, soit jusqu’au 31 décembre dernier, avait été obtenu lors de l’examen du projet de loi « Engagement et proximité ».

Malheureusement, 536 communes n’ont pas eu le temps de finaliser leur PLUi avant la caducité du POS. Cela s’explique parfois par des raisons financières : un PLU coûte en moyenne entre 25 000 et 50 000 euros ; une commune n’allait pas investir une telle somme alors qu’un PLUi allait bientôt arriver.

Mon idée de départ était de faire la même proposition que pour les cartes communales : préciser que l’abrogation du POS ne prendrait effet qu’à partir du moment où le PLUi entrerait en vigueur, afin d’éviter de revenir au RNU.

Malheureusement, le délai du 31 décembre étant passé, le dispositif que j’avais proposé n’est plus viable. Pour une collectivité, retomber sous le régime du RNU entraîne d’importantes conséquences : perte du droit de préemption urbain ; exigence d’un avis conforme préalable du préfet sur les autorisations délivrées par le maire au nom de l’État ; restrictions de construction pour les zones non urbanisées. Vous aurez donc compris que revenir à l’application du RNU peut mettre en péril les projets des territoires concernés, quand bien même ces projets étaient conformes au POS. C’est pourquoi il nous appartenait de leur venir en aide.

Je sais, madame la ministre, que vous êtes opposée à ce dispositif, pourtant de bon sens, et que vous considérez – vous l’avez dit en commission – que les communes frappées par la caducité étaient responsables.

Cette accusation occulte tout d’abord le fait que les services de l’État eux-mêmes ont parfois conseillé aux petites communes de ne pas transformer leur POS, et d’attendre le transfert de compétence à l’EPCI. Cela éclipse aussi le fait que les maires, l’an passé, se sont mobilisés pour gérer la crise sanitaire et qu’ils étaient aux avant-postes en tant qu’amortisseurs sociaux.

Madame la ministre, vous avez été élue locale, maire, présidente de communauté de communes. Vous ne pouvez donc pas aujourd’hui ignorer les difficultés des maires, qu’ils soient 536 ou même une dizaine. Le Sénat, maison des territoires et des élus, s’honore et s’oblige à leur trouver des solutions.

En conclusion, je remercie la commission des affaires économiques et son rapporteur, Jean-Baptiste Blanc, d’avoir trouvé des solutions concrètes

Je vous demande, mes chers collègues, de voter massivement cette proposition de loi. Ce texte aurait d’ailleurs pu être déposé par chacun d’entre vous, quelle que soit votre famille politique, car il ne vise qu’une chose : apporter de l’assouplissement et de la simplification pour accompagner nos élus locaux !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Personne ne demande plus la parole ?…

Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de loi visant à sécuriser la procédure d’abrogation des cartes communales dans le cadre d’une approbation d’un plan local d’urbanisme (PLU) ou d’un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi) et à reporter la caducité des plans d’occupation des sols (POS).

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur les mineurs non accompagnés.

Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

Dans le débat, la parole est à M. Laurent Burgoa, pour le groupe auteur de la demande.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurent Burgoa

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis que ce débat puisse avoir lieu au sein de notre hémicycle, tant ce sujet suscite à la fois de vives inquiétudes et des récupérations politiques de toutes sortes.

Il s’agit d’un sujet sensible – c’est heureux qu’il le soit et il faut qu’il le reste ! –, et c’est la raison pour laquelle nous devons l’aborder. Je me félicite que mon groupe en ait pris l’initiative.

Je tiens à remercier Élisabeth Doineau et notre ancien collègue Jean-Pierre Godefroy pour le rapport d’information qu’ils avaient rédigé et qui doit sans nul doute, quatre ans plus tard, être actualisé.

Notre pays peut s’enorgueillir d’être une terre d’accueil, et c’est afin qu’il puisse le demeurer que nous devons être fermes avec ceux qui chercheraient à dévoyer sa politique.

Il faut parfois le rappeler, lorsque nous évoquons les mineurs non accompagnés (MNA), nous parlons avant tout de vies brisées et d’enfants déracinés. Oui, tout enfant privé de son milieu familial, sur notre sol, mérite notre protection. Or certains individus sans vergogne cherchent à bénéficier des moyens qui ne leur sont pas réservés, et nuisent ainsi à la qualité de prise en charge de ces mineurs en grande difficulté.

Cet accueil, qui est d’abord le reflet d’un drame humain, a aussi un coût, 2 milliards d’euros par an, et l’Assemblée des départements de France (ADF) nous alerte sur le fait que près de 70 % de prétendus mineurs ne le sont pas en réalité. Je vous laisse faire le calcul…

Pour pouvoir être à la hauteur de notre idéal, nous devons, sans relâche et de manière concomitante, lutter contre les réseaux qui exploitent cette misère humaine. Certains témoignages au sein des établissements de l’aide sociale à l’enfance (ASE) sont édifiants. En effet, il arrive que le personnel voie plusieurs individus se présenter devant eux avec exactement le même certificat de naissance. Ces individus sans scrupules, avec l’aide de passeurs, cherchent à être identifiés comme mineurs et connaissent parfaitement notre système administratif et ses failles.

Nos départements sont débordés et les coûts imposés sont très supérieurs à la compensation accordée par l’État. Sous l’actuelle présidence, et après des heures de négociation, la participation de l’État est passée de 12 % à 14 %, alors que ces mineurs étaient 4 000 en 2010, contre près de 40 000 aujourd’hui.

J’ai évoqué des coûts « imposés », car le Gouvernement ne fait rien pour y remédier. En effet, certains départements, par idéologie ou par posture politicienne, fragilisent l’ensemble de notre politique d’accueil. La gestion des flux migratoires est une compétence non pas départementale, mais bien régalienne. Il revient désormais à l’État de porter ses responsabilités.

C’est bien l’État qui rend possible qu’un tiers des départements se refusent à renseigner un fichier national recensant les demandes de prise en charge, et permettant ainsi de lutter contre les demandes répétitives et abusives. Aujourd’hui, des individus reconnus majeurs dans un département peuvent en solliciter bien d’autres. D’autant que nos forces de l’ordre se retrouvent dans l’incapacité de savoir si une personne interpellée est mineure ou non, et donc de faciliter sa prise en charge par l’ASE lorsqu’elle est mineure, ou son expulsion du territoire lorsqu’il n’en est rien.

Dans un article publié dans Midi Libre le 7 novembre dernier, le ministre de l’intérieur se désolait qu’il n’y ait pas d’obligation à remplir ce fichier. Heureusement que vous êtes chargé des affaires et que vous disposez d’une majorité à l’Assemblée nationale…

Ces départements handicapent sciemment notre politique d’accueil, et je crains que l’incitation financière née du décret du 23 juin 2020 ne soit pas suffisante.

Une nouvelle fois, il s’agit de décourager des individus qui cherchent à bénéficier d’aides dues à des mineurs en détresse. Pour y parvenir, puisque ces personnes se présentent sous de faux papiers – quand elles ne se présentent pas sans papier –, nous devons pouvoir recourir aux tests osseux qui, bien qu’ils ne soient pas infaillibles, contribuent à établir un faisceau d’indices dont nous ne pouvons pas nous passer en la matière. Prenons le temps, à cet égard, de préciser qu’il s’agit d’une simple radiographie, et que celle-ci peut être refusée.

En somme, nous devons nous préoccuper de la véracité de la situation du demandant. Il importe de constater sa minorité comme son isolement.

En la matière, nous devons nous donner beaucoup plus de moyens. Il y a peu, j’ai eu à solliciter la direction de l’accueil, de l’accompagnement des étrangers et de la nationalité (Daaen) de la préfecture du Gard au sujet de l’attribution d’un visa. J’ai pu constater que les services étaient débordés, alors même qu’il s’agissait en l’espèce d’une ressortissante de bonne foi. Faisant ce constat, je ne pouvais que m’interroger, non sans perplexité, sur le suivi susceptible d’être réservé au demandeur dont la majorité avait été établie…

Cette tentation, que certains départements font naître, fait le jeu de réseaux mafieux. En effet, ceux qui sont déboutés, bien qu’étant en situation irrégulière, ne résident pas moins sur le sol français et devront, dans l’attente d’un éloignement, subvenir à leurs besoins. C’est alors que ces réseaux profitent de leur vulnérabilité. Par ailleurs, et c’est peut-être encore plus grave, les enfants bel et bien mineurs n’étant plus suffisamment encadrés, on peut facilement les embrigader.

Les réseaux sont alors doublement gagnants, et j’espère ne pas être le seul à ne pas m’y résoudre. Car cette générosité d’apparat, facile à tenir en discours, nuit à notre capacité d’accueil. Ces enfants – car nous parlons bien d’enfants ! – doivent pouvoir bénéficier d’une formation, être logés et suivis. Cela représente un coût estimé à 50 000 euros par an et par enfant, sans compter d’éventuels frais de santé.

Chaque année, le flux de prétendus mineurs est estimé à 37 000 individus. Rappelons qu’un enfant de 14 ans doit être, au minimum, accompagné dignement durant les quatre prochaines années de sa vie. Nous ne pouvons laisser de faux mineurs user de notre générosité et ainsi grever l’assistance à ces jeunes au parcours déjà si difficile.

Ce tableau étant dressé, j’espère, monsieur le secrétaire d’État, que vous aurez perçu qu’il s’agit là d’un enjeu non pas départemental mais bien national, auquel il vous revient d’apporter une réponse à la hauteur.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Monsieur le sénateur Burgoa, je vous remercie d’avoir évoqué la sensibilité de ce sujet et rappelé que ces enfants méritaient notre protection.

C’est un devoir et c’est aussi notre honneur que de protéger les enfants. Merci également d’avoir dit qu’il fallait faire montre de pragmatisme plutôt que d’idéologie et de récupération politique. Je remercie enfin le groupe Les Républicains d’avoir pris l’initiative de ce débat.

La question des MNA fait l’objet d’un travail interministériel important, impliquant les administrations des ministères de la justice, de l’intérieur, des solidarités et de la santé, de l’éducation nationale. Je reviendrai, bien entendu, sur ce que vous avez dit s’agissant de l’articulation entre l’État et les départements.

Depuis que j’ai été nommé, il y a deux ans, secrétaire d’État chargé de l’enfance et des familles, j’ai demandé à assurer le pilotage de cette question avec l’ensemble des autres ministères. Dans la mesure où des enfants sont concernés, il est tout à fait normal que me revienne la responsabilité de ce sujet.

Derrière le sigle MNA, il ne faut jamais oublier qu’il y a des personnes, et que derrière les chiffres et les procédures il y a des enfants qui doivent, à ce titre, être protégés.

Nous allons parler des MNA comme d’un bloc homogène, alors que cela ne correspond pas à la grande diversité des réalités. Il y a autant de réalités que d’enfants, et ceux-ci viennent de pays très divers. Quel point commun établir entre un enfant du Bangladesh et un autre du Mali ou du Maghreb, si ce n’est qu’il s’agit d’enfants et qu’ils ont droit, en tant que tels, à une protection ?

Les motivations de ces enfants pour rejoindre notre pays et leurs parcours migratoires sont très différents. Leur volonté d’intégration n’est pas toujours fondée sur les mêmes raisons.

Depuis que je m’occupe de ce sujet complexe, j’essaie de faire montre d’humilité, d’autant que la situation est compliquée pour les départements et les élus locaux. Je souhaite que le pragmatisme, loin de toute idéologie, de tout amalgame, de tout raccourci et de toute généralité, et avec pour seule boussole l’intérêt de l’enfant, soit au fondement de notre discussion.

Pour bien débattre, il nous faut avoir une vision précise de la réalité. Permettez-moi de partager avec vous quelques chiffres, dont certains sont les mêmes que les vôtres ; d’autres, en revanche, sont différents.

Notre territoire ne comptait que 13 000 MNA en 2016. Au 31 décembre 2019, ils étaient 31 000. L’augmentation a été particulièrement forte sur deux années en particulier : entre la fin de l’année 2016 et la fin de l’année 2018, le nombre de MNA a crû de plus de 115 % !

Depuis, la situation a quelque peu changé. Alors que plus de 17 000 personnes avaient fait l’objet d’une reconnaissance de minorité en 2018, on en dénombrait seulement 9 000 en 2020. En 2019, une légère diminution de l’ordre de 1, 5 % avait été observée en termes de flux. J’aurais l’occasion, lors de ce débat, de revenir sur ces fluctuations.

Les MNA sont pour 95 % des garçons, dont la grande majorité, soit 77 %, sont âgés de 15 et 16 ans. Deux tiers d’entre eux sont originaires de Guinée, du Mali et de Côte d’Ivoire, avec une légère progression, de l’ordre de 10 %, du nombre de jeunes maghrébins – ceux-ci sont aujourd’hui au nombre de 1 771 sur notre territoire.

Face à cette réalité, le Gouvernement, les pouvoirs publics et les départements veillent à améliorer la protection des MNA.

Premièrement, la contribution financière versée par l’État aux départements, que vous évoquiez, monsieur le sénateur, comprend un forfait dédié à la réalisation de bilans de santé. Sur les 500 euros alloués par jeune mis à l’abri, nous avons souhaité que 100 euros soient consacrés à un tel bilan à la fois physique et psychique, afin de disposer d’une première évaluation.

J’ajoute que nous avons souhaité un renforcement de ce bilan de santé, notamment sur l’évaluation psychologique. On peut en effet aisément comprendre que ces jeunes puissent souffrir de traumatismes, compte tenu de ce qu’ils ont vécu. C’est pourquoi une mission quadripartite a été mise en place par le ministre de l’intérieur, le garde des sceaux, le ministre des solidarités et de la santé et moi-même, en octobre dernier. L’enjeu est majeur, car il en découle énormément de difficultés… Ladite mission porte sur l’évaluation et la prise en charge des MNA, et devrait rendre ses conclusions d’ici à la fin du premier semestre.

Deuxièmement, toujours dans une logique d’amélioration de la protection des MNA, le fichier d’appui à l’évaluation de minorité (AEM) a pour objectif que seules les personnes effectivement mineures bénéficient d’une protection, et non des majeurs qui viendraient emboliser le système. Ce fichier constitue aussi une protection pour les mineurs : ceux qui ont été évalués « MNA » ne verront plus, s’ils changent de département, contester leur minorité, comme cela pouvait être le cas par le passé.

Troisièmement, la circulaire publiée par le ministre de l’intérieur en septembre dernier vise à proposer aux MNA placés à l’ASE et engagés dans un parcours professionnalisant d’anticiper l’examen de leur droit au séjour à la majorité. En effet, il n’est plus possible d’attendre quelques jours avant la majorité pour se poser la question de l’insertion professionnelle d’un jeune. Dès qu’un MNA atteint l’âge de 17 ans, il faut que les préfectures et les départements commencent à se préoccuper de sa situation de futur majeur.

Enfin, je voudrais aborder la question de l’accompagnement des départements par l’État.

Le programme 304 « Inclusion sociale et protection des personnes » du projet de loi de finances pour 2021 a précisément pour objet la contribution financière consacrée par l’État aux départements, via une participation forfaitaire.

Vous avez parlé d’heures de négociation, monsieur le sénateur… Ce mécanisme a justement été élaboré en concertation avec l’ADF : nous nous sommes mis d’accord pour qu’un forfait de 90 euros pendant quatorze jours, puis de 20 euros pendant neuf jours, et qu’un forfait de 6 000 euros par MNA supplémentaire par rapport à l’année suivante sur un quorum de 75 %, soient accordés par l’État aux départements.

Cette contribution financière a été portée à 96 millions d’euros en 2018, et à 33 millions d’euros en 2019, selon les nouveaux critères. En outre, l’aide exceptionnelle prévue dans le cadre du dispositif des centres académiques pour la scolarisation des élèves allophones nouvellement arrivés et des élèves issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav) a été reconduite.

Dès mon arrivée, Stéphane Troussel, président de conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, m’a alerté sur les difficultés liées à la clé de répartition des MNA. Je me suis engagé à revoir celle-ci, afin que nous puissions parvenir à une réparation plus équitable tenant davantage compte de la situation de chaque département.

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Je développerai d’autres aspects de cet accompagnement de l’État en répondant à vos questions.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Éliane Assassi.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Une de fois de plus, nous sommes invités à débattre des MNA, autrefois qualifiés de « mineurs isolés étrangers », une appellation qui, selon nous, définissait bien mieux leur véritable statut d’enfants étrangers se trouvant seuls – c’est-à-dire sans responsables – sur notre territoire.

En 2018, mon groupe avait pris l’initiative d’un débat sur ce thème, en posant dans l’intitulé même inscrit à l’ordre du jour la question de la prise en charge de ces mineurs. Aujourd’hui, nos collègues du groupe Les Républicains n’ont posé aucune problématique précise. Il semblerait que, à l’instar de la mission d’information actuellement en cours à l’Assemblée nationale, nous devions principalement évoquer les problèmes de diverse nature qui seraient causés par les MNA et la réponse pénale à adopter. Nous ne partageons évidemment pas cette approche du sujet !

Forcés à un exil dans lequel nous avons une large part de responsabilité, tributaires de nos politiques migratoires, les MNA sont victimes d’enfermement aux frontières, dans les centres de rétention administration et dans les zones d’attente, avant d’être bien souvent criminalisés ou pointés du doigt…

Je vous le redis avec force : nous ne pouvons pas traiter ces mineurs étrangers autrement que comme nos propres enfants. L’intérêt supérieur de l’enfant et la protection de l’enfance doivent toujours primer. C’est pourquoi il est désormais nécessaire et urgent de mettre en place un réel dispositif d’accueil et de prise en charge des MNA, en mettant fin à leur enfermement, en garantissant leur mise à l’abri inconditionnelle et en cessant le recours aux tests osseux.

Enfin, ne serait-il pas temps d’instaurer un dispositif – financé, bien sûr – de prise en charge des MNA qui soit juridiquement contraignant pour tous les conseils départementaux, notamment en termes de places d’hébergement en foyer ou en famille d’accueil et de postes de travailleurs sociaux ?

Applaudissements sur les travées du groupe GEST.

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Ce dispositif que vous appelez de vœux, madame la sénatrice, existe déjà en réalité. Il relève de nos obligations internationales et de notre droit interne de mettre à l’abri toute personne se déclarant mineure. D’un point de vue financier, mais aussi sur le fond, l’État accompagne les départements pour cette prise en charge.

Nous nous sommes rendu compte qu’un certain nombre de départements ou d’associations s’étaient vu déléguer l’évaluation que vous évoquiez, ce qui a entraîné une iniquité de traitement entre les territoires. C’est la raison pour laquelle la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) a émis un guide d’évaluation de la minorité, afin d’homogénéiser les pratiques et d’aider les départements au titre de cette mission.

Veillons aussi à ne pas faire de distinctions entre les enfants, à ne pas les « filiariser » : les MNA, une fois qu’ils ont été évalués mineurs, bénéficient de la même protection que les enfants nés sur le territoire national. Ce droit inconditionnel existe donc bel et bien !

L’évaluation de la minorité doit répondre à un faisceau d’indices. Il y a ainsi lieu de procéder à une évaluation sociale, dont les modalités ont été précisées par le guide d’évaluation précédemment cité. Il est également possible de recourir aux tests osseux, de façon très encadrée. Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que ces tests ne pouvaient pas constituer, en tant que tels, une preuve de l’âge d’un enfant – il est très difficile d’avoir des certitudes scientifiques sur ce point –, mais qu’ils ne portaient pas atteinte à la dignité de la personne humaine.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Éliane Assassi

Vos propos, monsieur le secrétaire d’État, se heurtent au principe de réalité. Les droits des enfants, et particulièrement ceux des MNA, ne sont in fine pas respectés. Nous savons tous ici que des mineurs sont enfermés dans des centres de rétention et retenus dans les zones d’attente.

Il serait temps d’affronter la réalité avec courage et d’essayer de trouver les remèdes pour que les droits de l’enfant soient enfin respectés !

Debut de section - PermalienPhoto de Elisabeth Doineau

Je remercie notre collègue Laurent Burgoa d’avoir proposé ce débat, et rappelé le rapport que notre ancien collègue Jean-Pierre Godefroy et moi-même avions rédigé sur ce sujet. Nous nous étions concentrés à l’époque sur les questions complexes de l’évaluation de minorité et de l’hébergement des MNA – deux problématiques centrales, comme en témoigne le récent rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) –, et avions émis trente propositions afin d’améliorer la prise en charge de ces mineurs.

Je souhaite ici rebondir sur l’actualité pour évoquer les sujets de la formation et de l’obtention d’un titre de séjour. Récemment, le boulanger Stéphane Ravacley a entamé une grève de la faim afin que son apprenti, Laye Fodé Traoré, obtienne un titre de séjour. Cette situation n’est malheureusement pas isolée dans notre pays.

Vous avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, les nouvelles dispositions prises depuis septembre dernier pour anticiper ce droit au séjour, mais des freins subsistent encore !

En 2017, nous avions fait trois propositions.

La proposition n° 27 visait tout d’abord à renforcer les partenariats entre les Casnav et les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), afin d’identifier les formations professionnelles et d’apprentissage, et de faciliter ainsi pour les MNA l’éligibilité à un titre de séjour au moment de leur majorité.

La proposition n° 28 tendait à modifier l’article L.313-15 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda), pour que le critère de suivi d’une formation à l’admission au titre de séjour soit élargi aux formations d’enseignement général.

Enfin, la proposition n° 30 prévoyait de réitérer par circulaire le droit inconditionnel des MNA à se voir délivrer une autorisation provisoire de travail, dans le cadre d’une formation professionnelle.

Pouvez-vous nous indiquer les mesures que vous comptez mettre en œuvre, afin que les MNA engagés dans une formation puissent réellement bénéficier d’un parcours plus facilitant vers l’obtention d’un titre de séjour ?

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Madame la sénatrice, je suis désolé de ne pas avoir mentionné votre rapport dans mon propos introductif. Un certain nombre des propositions que vous aviez formulées sont encore en expertise chez nous. Je peux vous indiquer ce que nous avons d’ores et déjà mis en place.

Vous avez fait référence à la nécessité d’anticiper les situations pour éviter les ruptures. Une circulaire du 21 septembre 2020 du ministre de l’intérieur a été adressée à l’ensemble des préfectures pour qu’elles se rapprochent des départements. C’est une initiative issue du terrain.

Ainsi, la préfecture et le conseil départemental de l’Oise ont mis en place une convention permettant d’examiner la situation d’un jeune à l’âge de 17 ans au plus tard, non pas forcément pour lui promettre qu’il aura des papiers à 18 ans, mais pour considérer le parcours d’études professionnalisant dans lequel il s’inscrit, afin de dresser une trajectoire et de faire un peu baisser la pression sur ses épaules.

Je sais que la circulaire n’est pas encore forcément appliquée sur l’ensemble du territoire.

Je me suis entretenu cet après-midi au téléphone avec le boulanger dont vous avez parlé. La tension étant un peu retombée, nous avons échangé sur la situation du jeune en question, qui n’est effectivement pas un cas isolé.

Toujours dans l’esprit des propositions que vous avez formulées, en matière d’insertion professionnelle, nous avons récemment annoncé un dispositif en faveur de tous les jeunes de l’ASE, dont les mineurs non accompagnés. En compagnie de Brigitte Klinkert, ministre déléguée chargée de l’insertion, nous avons signé, sous le haut patronage de l’ADF, une convention avec l’Union nationale des missions locales (UNML), dont l’une de vos collègues est vice-présidente, et l’Union nationale pour l’habitat des jeunes (Unhaj).

L’idée est que les missions locales aillent vers les jeunes de l’ASE, par exemple dans les foyers, au plus tard lorsqu’ils atteignent l’âge de 17 ans, au moment de l’entretien d’autonomie, afin de voir dans quel parcours ils s’inscrivent et quels dispositifs – je pense notamment à tout ce que nous avons déployé dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution » – peuvent être mis à leur disposition.

J’ai également annoncé une solution financière pour les jeunes de l’ASE : 500 euros seront attribués à ceux qui n’ont ni formation ni emploi.

Debut de section - PermalienPhoto de Hussein Bourgi

Je remercie nos collègues du groupe Les Républicains d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour de ce débat.

Dans un courrier du 8 octobre dernier, le Premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, écrivait au Premier ministre pour évoquer la politique publique relative aux MNA. Il y pointait un certain nombre de défaillances et de carences de la part de l’État dans la prise en charge des mineurs non accompagnés, en tout cas de ceux qui se déclarent comme tels. Il insistait en particulier sur le manque de pilotage et d’organisation interministériels, et soulignait même des fragilités. En filigrane, il confirmait ce que nous constatons toutes et tous dans nos territoires – je précise que mon département, l’Hérault, est mitoyen de celui de M. Burgoa, le Gard.

Nous avons le sentiment que l’État se défausse sur les départements, laissant à ceux-ci le soin de prendre en charge les mineurs non accompagnés. Pourtant, une politique ambitieuse et transversale de prise en charge des MNA devrait réunir autour d’une même table les départements, votre ministère, mais aussi les ministères de l’éducation nationale, de l’intérieur, de la justice, de l’emploi et de la formation professionnelle.

Le courrier de M. Moscovici soulignait aussi la préparation insuffisante à la sortie des jeunes pris en charge par l’ASE.

Quelles mesures ont-elles été adoptées depuis que ce courrier a été adressé ? Quelles dispositions le Gouvernement compte-t-il prendre dans les prochains mois et les prochaines années pour desserrer l’étau autour des départements ? Le sujet est sensible et sérieux ; j’aurai l’occasion d’y revenir tout à l’heure. Dans l’immédiat, j’aimerais avoir votre éclairage sur le pilotage et la coordination de l’action gouvernementale, monsieur le secrétaire d’État.

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Monsieur le sénateur, ces remarques du Premier président de la Cour des comptes portaient en fait sur l’aide sociale à l’enfance dans son ensemble. Il y a d’ailleurs eu un autre rapport de la Cour des comptes à cet égard. Le pilotage de cette politique est effectivement insuffisant.

Je pense avoir toujours été très clair avec les élus, notamment les présidents de conseil départemental ; d’ailleurs, je salue les personnes présentes dans l’hémicycle qui exerçaient encore récemment ce mandat, juste avant leur élection au Sénat. L’État n’a pas toujours été au rendez-vous de ses propres responsabilités. À mes yeux – cela a toujours été ma position –, la protection de l’enfance est une compétence non pas décentralisée mais partagée.

En effet, la vie d’un enfant, mineur non accompagné ou pas, ne suit pas notre organisation administrative et institutionnelle. Les points de contact entre l’État et les départements sont permanents tout au long de la vie d’un enfant.

Nous le savons, les enfants relevant de l’ASE, et notamment les mineurs non accompagnés, ont une scolarité plus compliquée que les autres enfants de leur âge, et leur santé est moins bonne. C’est une problématique qui relève de la compétence de l’État.

Il y a aussi un point de contact entre l’État et les départements sur l’accompagnement vers l’autonomie.

Les conclusions du rapport rejoignent les enjeux de la réforme de la gouvernance de l’ASE, laquelle concerne aussi les mineurs non accompagnés ; j’espère que vous aurez bientôt l’occasion d’en débattre. L’objectif est précisément de renforcer le pilotage politique et d’améliorer la coordination tant entre les différents intervenants au sein de l’État qu’entre l’État et les départements.

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Alain Cadec

Monsieur le secrétaire d’État, le coût annuel de la prise en charge des mineurs non accompagnés par les départements est estimé à 2 milliards d’euros ! Et, en 2020, le coût d’accueil d’un MNA est estimé à 50 000 euros par an.

Face à l’augmentation massive du nombre de MNA étrangers, qui a triplé entre 2016 et 2018, même si cela va un peu mieux maintenant, les services départementaux doivent s’organiser dans l’urgence sans les moyens et les structures adaptées.

D’un point de vue budgétaire, les dépenses ont considérablement augmenté. À titre d’exemple, le département des Côtes-d’Armor dépensait 2, 5 millions d’euros pour la prise en charge des mineurs non accompagnés en 2016, contre 8 millions d’euros aujourd’hui. Certes, il reçoit des aides de l’État, mais celles-ci sont loin de compenser toutes les dépenses.

En 2019, l’État budgétait ainsi seulement 141 millions d’euros, alors que le coût évalué par l’ADF était – je le rappelle – de 2 milliards d’euros. C’est un gouffre financier pour les départements, qui s’ajoute d’ailleurs à la non-compensation croissante des allocations individuelles de solidarité.

Chaque département se voit imposer chaque année par l’État un pourcentage de MNA à accueillir, lesquels se révèlent parfois, au terme d’une procédure d’évaluation ou même au cours de leur prise en charge, être des majeurs.

L’État laisse les collectivités gérer seules les conséquences de son manque de courage politique. Une fois de plus, il est aux abonnés absents !

La question des MNA est liée à la politique migratoire, monsieur le secrétaire d’État. C’est donc bien une prérogative régalienne.

Cerise sur le gâteau, le Gouvernement vient de décider unilatéralement d’interdire aux départements d’héberger les MNA dans des hôtels, tout cela sans proposer de solution de remplacement. D’ailleurs, il n’en existe pas.

Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a-t-il l’intention de prendre sa part de responsabilité dans la gestion du flux migratoire, afin de désengorger les demandes d’accueil et d’accompagnement de ces jeunes et d’assumer ainsi ses responsabilités ? Va-t-il enfin soutenir efficacement les conseils départementaux en leur donnant les moyens nécessaires pour accueillir ces mineurs non accompagnés ?

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Monsieur le sénateur, quand nous décidons qu’il ne peut pas y avoir d’enfant à l’hôtel dans notre pays, nous assumons, je le crois, nos responsabilités. Nous le faisons collectivement, en tant que Nation n’acceptant pas que certains gamins de 15 ans n’aient aucun accompagnement éducatif et soient abandonnés à eux-mêmes.

Je ne tombe pas dans les généralités… Il s’agit d’une réalité que le confinement a exacerbée, parfois de manière dramatique. Je sais que nous nous rejoignons sur ce point.

Encore une fois, je ne fais pas d’idéologie ou de politique sur ces sujets ; je suis simplement conscient des raisons pour lesquelles des enfants vivent aujourd’hui à l’hôtel. J’ai commandé à l’IGAS voilà un an un rapport pour connaître la réalité de la situation. Car tout le monde en parle sans savoir précisément de quoi il s’agit…

Il y a aujourd’hui, nous le savons, entre 7 000 et 10 000 mineurs hébergés à l’hôtel. Dans 95 % des cas, ce sont effectivement des MNA. Dans 5 % des cas, ce sont des enfants « à parcours complexe » ; nous pourrons y revenir si vous le souhaitez.

Je pense que nous devons collectivement poser le principe de l’interdiction d’hébergement des mineurs à l’hôtel. Nos concitoyens ne comprendraient pas que nous décidions le contraire.

Pour être pragmatique, il faut proposer d’autres solutions, et même un encadrement strict dans le temps sur les modalités d’accompagnement et le type d’hôtel, afin de faire face de manière temporaire aux situations vécues par les départements lors de l’arrivée de nombreux MNA.

Telle est notre démarche ; nous allons y travailler avec les départements et l’ADF.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Vous ne pouvez pas répliquer, monsieur Cadec, car vous avez épuisé votre temps de parole.

La parole est à M. Joël Guerriau.

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais partager avec vous un témoignage.

Au mois de septembre dernier, quelques jours après l’attentat qui a eu lieu devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, j’ai pu m’entretenir avec une famille accueillant trois mineurs isolés étrangers. Deux d’entre eux, jeunes gens de nationalité pakistanaise, venaient du foyer où était hébergé l’auteur de l’attentat. Je dois dire que plusieurs points m’ont interpellé au cours de mes échanges avec cette famille d’accueil.

Ces deux jeunes mineurs considéraient de bonne foi le blasphème comme un crime. Ils approuvaient même l’attentat qui venait d’être commis. Le couple qui les accueille a pris le parti, contre l’avis des éducateurs, de leur enlever quelque temps après l’attentat leurs téléphones, grâce auxquels ils entretenaient des liens avec d’autres personnes partageant cette opinion.

Les deux mineurs ont également été entendus par des gendarmes. J’ai été surpris de constater qu’aucun suivi éducatif ou pédagogique ne leur avait été apporté dans leur foyer d’origine. Il n’y a pas de cours d’éducation civique leur permettant de s’intégrer en acquérant les valeurs de la Nation française ! En fait, ils viennent avec leur culture et ignorent la nôtre.

À ce titre, l’insertion en lieu de vie, plutôt qu’en foyer, semble être une bien meilleure solution. Les lieux de vie sont sous-utilisés, et nos départements manquent de moyens pour réaliser ces accueils dans de bonnes conditions.

Dans le témoignage que j’ai recueilli, les accueillants m’ont affirmé que ces jeunes gardaient des contacts réguliers avec leur famille. Dans ce cas, si l’on connaît les parents, si l’on peut les identifier, pourquoi ces jeunes restent-ils en France ?

Enfin, les passeurs sont souvent connus dans le cas des mineurs non accompagnés ; c’était le cas pour ces deux jeunes. Ces gens utilisent la misère du monde. C’est inadmissible !

Quels moyens sont mis en œuvre aux échelons français et européen pour arrêter les passeurs et démanteler ces filières ? Quelles discussions sont en cours avec les pays de départ des MNA sur ces sujets ?

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Monsieur le sénateur, vous évoquez énormément de sujets. Vous vous référez à un cas dramatique, qui avait d’ailleurs suscité – ce n’est pas du tout votre cas – un certain nombre d’amalgames à l’époque. J’en avais longuement discuté avec la présidente du conseil départemental du Val-d’Oise, Marie-Christine Cavecchi, et la vice-présidente chargée de l’enfance.

Il s’agissait, souvenez-vous, d’un jeune qui était passé par l’ASE, mais qui en réalité n’était pas mineur, ce que les services départementaux avaient confirmé. En outre, d’après l’enquête administrative, il n’y avait eu aucun signe de radicalisation au sein du foyer où il était hébergé.

Je m’étonne d’entendre que des jeunes ne bénéficient pas d’un suivi éducatif. Normalement, c’est un principe de base, et les travailleurs sociaux sont soumis aux règles de signalement de suspicion de radicalisation s’ils sont confrontés à de telles situations. Nous avions un peu investigué, avec le ministère de l’intérieur, pour savoir ce qu’il en était. Peu de signes inquiétants remontaient des foyers ou des familles d’accueil.

Je vous remercie d’appréhender le sujet dans sa globalité. Il y a évidemment une action à mener avec les pays d’origine. Elle peut être policière, notamment pour lutter contre les passeurs et les trafics, car un certain nombre de ces enfants sont effectivement victimes de la traite.

Pour ma part, j’ai toujours abordé cette problématique sans idéologie et avec une grande humilité. Le sujet est complexe. Le débat sur les questions migratoires nous anime depuis des années. À mes yeux, tout faire pour éviter qu’un môme de 15 ans ne monte sur un canot pneumatique pour traverser la Méditerranée, cela relève de la protection de l’enfance ! Notre responsabilité est de faire en sorte qu’il ne parte pas.

Nous devons donc, à la fois, lutter contre les filières clandestines et discuter avec les pays sources pour retenir les enfants. En outre – j’y reviendrai peut-être –, le ministère de l’intérieur mène un travail sur la reconstruction de l’état civil dans un certain nombre de pays d’origine.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Monsieur le secrétaire d’État, malgré une baisse importante des arrivées en 2020, la situation alarmante dans laquelle se retrouvent les mineurs non accompagnés perdure.

En effet, les délais de traitement des recours de reconnaissance de minorité auprès d’un juge peuvent varier de six à vingt-quatre mois, et certains jeunes arrivent à majorité avant d’obtenir une réponse.

Par ailleurs, on note de grandes disparités territoriales : dans certains départements, l’évaluation de ces mineurs ne va durer qu’un seul jour ; dans d’autres, ils seront placés à l’hôtel pendant plus de six mois.

Mais, outre que le placement en hôtel a été décrié dans un récent rapport de l’IGAS – je vous ai interpellé sur le sujet en vous adressant une question écrite le 4 février dernier –, les évaluations ne durant qu’un jour ne sont pas plus vertueuses, car elles sont souvent expéditives, et les jeunes sont directement remis à la rue. Ces derniers se retrouvent ainsi confrontés à des problèmes d’hébergement et de scolarisation. Beaucoup d’entre eux ne font l’objet d’aucune prise en charge sanitaire, notamment dentaire, ce qui est problématique en plein hiver et en pleine pandémie.

De ce fait, non seulement il apparaît urgent d’appliquer immédiatement la présomption de minorité pour ces jeunes en recours, mais il convient aussi d’aller au-delà et de tout simplement prendre en compte leur vulnérabilité pour qu’ils aient accès à une réelle prise en charge pluridisciplinaire. Les associations qui pallient ces carences ne peuvent pas remplacer à elles seules l’État. Quand celui-ci prendra-t-il ses responsabilités ?

Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Michelle Meunier applaudit également.

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Madame la sénatrice, aujourd’hui, les conseils départementaux ou les associations qui ont reçu une délégation en ce sens évaluent en moyenne sous quinze jours. Ces dernières années, les délais ont été réduits ; il est vrai que c’était un sujet de préoccupation.

À cet égard, les contributions financières de l’État vers les départements dont je parlais précédemment, notamment les 90 euros pendant quatorze jours, ont un effet levier. Nous avons calé les choses pour essayer de réduire les délais d’instruction, d’évaluation et de mise à l’abri.

En outre, et ce point n’est pas toujours très bien compris par les associations – il est vrai que chacun est dans son rôle –, celui qui n’a pas été évalué comme mineur par les services compétents est réputé majeur. Le recours au juge par des jeunes ou des associations, comme cela se pratique de manière systématique dans certains territoires, ne vaut pas interjection d’appel. Le jeune est considéré comme étant majeur et ne peut pas bénéficier des dispositifs réservés aux mineurs.

Encore une fois, notre dispositif, avec tous ses bienfaits, ses difficultés, ses limites, ses points de friction et de tension, doit être là pour protéger les mineurs, c’est-à-dire ceux qui sont reconnus comme tels. Le débat se pose dans les mêmes termes pour l’asile. Nous voulons avant tout protéger ceux qui ont droit au dispositif. Ne prenons pas le risque de faire souffrir les véritables mineurs à cause d’un système bloqué par des personnes majeures !

En 2018, sur les quelque 40 000 jeunes qui sont venus se déclarer mineurs, seuls 17 000 à 18 000 l’étaient vraiment !

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Tout de même, monsieur le secrétaire d’État, plus de la moitié des jeunes qui font un recours, accompagnés par des associations, sont finalement reconnus comme mineurs par la justice ! Des centaines de jeunes sont donc laissés par erreur dans la rue pendant des mois, voire des années.

Pour ma part, j’ai suivi pendant un mois des mineurs dans le 11e arrondissement.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Il faut conclure, ma chère collègue ; vous avez dépassé votre temps de parole.

Debut de section - PermalienPhoto de Esther Benbassa

Pour le moment, la ville a placé quarante d’entre eux dans un centre. Les soixante autres sont dans la rue.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Madame Benbassa, il y a un règlement. Les auteurs d’une question ont un droit de réplique s’ils n’ont pas consommé la totalité des deux minutes dont ils disposent. Mais chacun doit respecter le temps de parole qui lui est imparti.

Debut de section - PermalienPhoto de Thani Mohamed Soilihi

Monsieur le secrétaire d’État, lorsqu’elle porte sur Mayotte, la question des mineurs non accompagnés déborde largement le champ de la politique de l’aide sociale à l’enfance ou du secteur associatif.

La situation du 101e département reste en effet singulière sur le territoire national. Je ne peux pas éluder en disant cela les événements très graves qui se produisent sur le sol mahorais, opposant des bandes de jeunes armés, lesquels ont très récemment tué deux mineurs.

La particularité se retrouve également dans les chiffres, rappelés par le dernier rapport de la chambre régionale des comptes sur le sujet. Ainsi, plus de 4 000 MNA ont été dénombrés en 2016.

Alors que les MNA représentent entre 15 % et 20 % des mineurs pris en charge par l’ASE en 2018 à l’échelon national, ce pourcentage est plus du double à Mayotte, dans une proportion qui a elle-même presque doublé en deux ans.

Cette situation est d’ailleurs qualifiée d’« atypique » par la Cour des comptes, qui, dans son rapport de 2020, justifie de cette façon le fait que ce département ne soit pas pris en compte dans les données nationales qu’elle utilise.

Cette spécificité est aussi celle de la situation géographique de Mayotte, qui se traduit par une pression migratoire insupportable depuis les Comores, ainsi que par l’absence de répartition entre départements de la prise en charge des MNA se trouvant sur le sol mahorais, lesquels sont livrés à une grande précarité et à toutes les vulnérabilités.

La complexité est grande – j’en ai bien conscience –, et la solution ne peut se faire au mépris du droit.

Monsieur le secrétaire d’État, vous vous êtes rendu dans notre territoire au mois d’octobre dernier, et vous avez pu constater ces difficultés. À ce titre, quel bilan pouvez-vous dresser de l’action de l’État en appui du département ?

Je pense notamment à la convention de 2017 relative aux concours en faveur de l’ASE. Dans la continuité, quelles actions sont-elles envisagées pour traiter cette réelle difficulté de prise en charge des MNA dans notre département ?

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Monsieur le sénateur, comme vous l’avez souligné, la situation à Mayotte est pour le moins atypique. Pour ma part, j’ai toujours considéré qu’on ne pouvait pas la comprendre depuis Paris sans la sentir dans sa chair, en se rendant sur place. J’avais d’ailleurs fait le même raisonnement à propos de la Guyane.

Vous l’avez rappelé, je suis venu à Mayotte au mois d’octobre dernier. Vous étiez à mes côtés, et je vous en remercie.

La situation est éminemment complexe. Stricto sensu, il y a 300 mineurs non accompagnés. Mais il y a également 4 000 jeunes qui ne sont pas totalement isolés, puisqu’ils ont des membres de leur famille sur le territoire mahorais.

Une convention spécifique a effectivement été mise en place, avec une aide de l’État de 10 millions d’euros chaque année ; celle-ci arrivera d’ailleurs à son terme à la fin de cette année. Nous réfléchissons actuellement sur les modalités de prorogation de cette dotation exceptionnelle.

Vous le savez, lors de ma venue, j’ai apporté un concours financier exceptionnel de 2 millions d’euros à destination non pas du conseil départemental, mais directement des associations qui agissent auprès des enfants à Mayotte. Il s’agit de les aider à créer des places supplémentaires et à mettre en place des dispositifs de prévention spécialisée.

J’ai par ailleurs tendu la main au président du conseil départemental, en proposant de contractualiser avec l’État dans le cadre de la stratégie de prévention et de protection de l’enfance que j’ai déployée. Il m’a dit qu’il y réfléchissait. Je suis bien évidemment toujours à sa disposition pour accompagner le territoire.

La politique de reconduite à la frontière est importante. En 2019, ce sont 27 000 personnes, pas seulement des enfants, qui ont été reconduites, essentiellement aux Comores. L’objectif est à peu près similaire pour 2020.

Toutes ces dispositions doivent permettre de faire face aux difficultés que vous évoquez.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Monsieur le secrétaire d’État, depuis deux ans, la quiétude et la sérénité qui caractérisaient notre belle ville de Bordeaux sont perturbées par l’afflux massif de jeunes étrangers isolés. Ils sont livrés à eux-mêmes, errant dans le centre-ville et devenant ainsi les proies idéales de réseaux de traite d’êtres humains. La hausse des violences est sans précédent : vols à l’arrachée, cambriolages, agressions, trafic de stupéfiants et d’armes sont devenus monnaie courante.

Pour la préfecture, plus de 40 % de la délinquance des mineurs à Bordeaux seraient le fait de ces mineurs non accompagnés ; 1 400 d’entre eux ont d’ores et déjà été pris en charge par le département, mais au moins 200 posent encore problème. Pourtant, une trentaine seulement seraient réellement âgés de moins de 18 ans.

Ce phénomène qui, à Bordeaux, inquiète autant nos habitants qu’il désarme nos forces de police, nous fait débattre à Paris, alors que nous ne sommes toujours pas dotés sur le terrain d’outils pour identifier correctement ces mineurs !

Nous devons faire ici l’aveu de l’échec de notre politique d’évaluation de l’âge de ces étrangers, malgré quelques coopérations fructueuses, mais trop lourdes, avec l’Espagne. Il faut mettre un terme aux polémiques stériles qui surgissent de toutes parts et nous empêchent d’avancer.

Sur les tests osseux, l’avis du Conseil constitutionnel de 2019 aurait dû mettre un terme à certaines controverses injustifiées, d’autant que ces examens radiologiques, sous-exploités, sont la seule solution pour régler l’épineuse question de la présomption de minorité.

Pourquoi le recours aux radiographies osseuses n’est-il pas systématique lorsqu’un jeune migrant souhaite contester la décision du département devant un juge pour enfants, seul habilité à statuer définitivement sur l’âge ? Pourquoi cette demande d’appel ne constitue-t-elle pas une expression de consentement de sa part ?

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Madame la sénatrice, l’évaluation est un sujet complexe.

En droit et en fait, les tests osseux ne garantissent pas de connaître avec certitude l’âge d’une personne, ainsi que nous le disent les scientifiques. C’est encore plus vrai pour les jeunes âgés de 15 à 18 ans : le corps se développant à cette période, il est difficile de déterminer l’âge avec précision. Il est donc impossible de savoir avec certitude si un jeune a 17 ans et demi ou 18 ans et demi.

Pour cette raison, le Conseil constitutionnel a réaffirmé que ces tests osseux, pratiqués sur décision d’un juge – ils ne sont pas systématiques –, faisaient partie du faisceau d’indices permettant d’évaluer la minorité, notamment avec l’entretien d’évaluation sociale.

Ce faisceau a été redéfini par l’arrêté du 20 novembre 2019. Doivent être pris en compte explicitement ce qui permet de déterminer l’âge, l’état civil, l’état de vulnérabilité, les éléments de projet personnel ayant émergé lors de l’évaluation ou encore ce qui, dans les entretiens, est apparu comme de nature à faire douter de la minorité ou de l’isolement.

Ces éléments doivent être appréciés dans le cadre d’une politique d’homogénéisation par les services de la DGCS, mais également du ministère de l’intérieur et de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ).

Madame la sénatrice, vous êtes élue en Gironde. Dans les 80 départements qui utilisent ou sont sur le point d’utiliser le fichier AEM, on a constaté une baisse de 20 % à 30 % du nombre de jeunes qui se présentent. Il y avait effectivement du nomadisme administratif !

Il me semble important que l’ensemble des départements utilisent ce fichier, tant pour la bonne tenue de l’ensemble du système que pour la protection des enfants.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Nathalie Delattre

Les MNA représentent 15 % à 20 % des mineurs pris en charge par l’ASE. Le coût de leur prise en charge est estimé en moyenne à 50 000 euros par mineur et par an, bien plus qu’une radiographie osseuse, examen pourtant jugé fiable par certains spécialistes.

Il faut trouver le moyen de rendre ce test obligatoire, beaucoup de mineurs étant en réalité majeurs.

Vous avez cité le fichier AEM, monsieur le secrétaire d’État. J’ai aussi évoqué notre collaboration avec l’Espagne. Elle est assez lourde à mettre en place, mais beaucoup de mineurs en France sont déclarés majeurs en Espagne, où ils bénéficient de droits plus importants.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Jacquemet

Monsieur le secrétaire d’État, après une dizaine d’années d’augmentation exponentielle du nombre de MNA accueillis dans nos départements, le nombre de jeunes mineurs étrangers semble se stabiliser. Il est temps maintenant de faire fonctionner correctement le système.

Les départements réclament de la cohérence entre les actions de chaque intervenant : la justice, l’État et les collectivités. Le système souffre en effet d’un parcours en deux étapes qui crée de fausses espérances pour les jeunes et des coûts indus importants pour les collectivités.

J’attire votre attention, monsieur le secrétaire d’État, sur ce qui pourrait constituer une incohérence dans la mise en œuvre de notre politique publique.

La première étape consiste en un accueil du jeune par la protection de l’enfance. Le doute sur la minorité profite à l’intéressé et l’état civil est rarement reconstitué. Les jeunes bénéficient alors d’un système très généreux qui va les accueillir, les former et les accompagner pendant des mois, voire des années, sans se soucier de la suite de leur parcours.

La deuxième étape a lieu lors du passage à la majorité. En cas de doutes sérieux sur leur identité, les services de l’État peuvent alors leur refuser l’accès au séjour ou à la nationalité française et les reconduire à la frontière.

Il apparaît donc nécessaire de déterminer très rapidement, dès l’arrivée des MNA en France, leurs chances d’y séjourner durablement, avant qu’ils ne prennent racine dans notre pays sans espoir de pouvoir y rester. Nous avons évoqué le cas du jeune Traoré.

Le fichier AEM est très efficace. Il apporte toutes les garanties au jeune en matière de recours devant le juge des enfants. Son utilisation doit être généralisée à l’ensemble des départements.

Il est également nécessaire de déterminer très rapidement les chances des mineurs de rester durablement dans notre pays, en rendant obligatoire le dépôt anticipé d’une demande de titre de séjour six mois après leur arrivée, en mobilisant le réseau diplomatique pour obtenir des réponses plus fiables de la part des pays d’origine et en garantissant une réponse rapide des préfectures.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Jacquemet

Mme Annick Jacquemet. Comment articuler le fichier AEM et une réponse plus rapide au niveau des préfectures ?

Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Sébastien Meurant applaudit également.

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

C’est tout le sens du fichier AEM, à partir duquel les services de la préfecture vont effectuer une recherche documentaire sur le jeune dans un certain nombre de bases, notamment celle des visas. Ce n’est pas toujours possible, néanmoins. Certains pays, comme le Mali, rencontrent des difficultés avec leurs registres d’état civil.

C’est aussi le sens de la circulaire du ministre de l’intérieur du 21 septembre 2020, qui vise à mieux anticiper le devenir du jeune à sa majorité. On a connu des situations ubuesques, où la procédure de régularisation était enclenchée à 18 ans. Pendant le temps de son instruction – deux à trois mois –, l’enfant n’avait plus de papiers. Le patron qui l’employait, pour ne pas se trouver dans l’illégalité, mettait fin à son contrat d’apprentissage, et le jeune ne pouvait plus prétendre à ses papiers…

Il faut donc anticiper à l’âge de 17 ans, en faisant cette recherche documentaire et en essayant de reconstituer l’état civil. Si, lors de cette procédure, on se rend compte que le jeune n’est manifestement pas mineur, on mettra fin à la prise en charge. Il pourra toutefois aller devant le juge pour contester la décision.

Mme Michelle Meunier applaudit.

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Je remercie le groupe Les Républicains d’avoir organisé ce débat, qui nous permet d’évoquer ce sujet épineux.

En raison de leur situation géographique particulière, les outre-mer reçoivent beaucoup de personnes en situation irrégulière, en particulier des mineurs.

Mon collègue a déjà évoqué la situation de Mayotte. En Guyane, c’est la catastrophe. À Saint-Laurent-du-Maroni, j’ai pu constater que le fleuve était régulièrement traversé et que les jeunes étaient utilisés pour transporter de la drogue.

Aux Antilles aussi, en Guadeloupe comme en Martinique, de nombreux enfants arrivent. Ils sont parfois confiés à des personnes avec lesquelles ils n’ont aucun lien de parenté, ce qui les prive de tout droit.

Certains sont placés en centres de rétention en attendant leur renvoi vers leurs territoires d’origine. D’autres alimentent les réseaux de la prostitution et de la drogue et vivent dans des squats ou des zones de non-droit. C’est une triste réalité.

Monsieur le secrétaire d’État, il est temps que l’État prenne ses responsabilités et qu’il engage des discussions bilatérales pour inciter les États voisins à prendre également leurs responsabilités. On ne peut pas laisser des enfants dans des situations aussi dramatiques.

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Je ne reviendrai pas sur les problèmes de Mayotte, que nous avons déjà évoqués. La situation est également complexe en Guyane, où je me suis rendu l’an dernier. Beaucoup de mineurs, mais aussi de jeunes mères, traversent en effet le fleuve à Saint-Laurent-du-Maroni, en provenance du Surinam pour la plupart. Le Gouvernement mène une politique de coopération bilatérale avec le Surinam et le Brésil, tout comme il essaie de le faire avec les Comores s’agissant de Mayotte.

Soyons honnêtes, nous avons assez peu de données fiables sur les mineurs non accompagnés en Guyane. Parmi les populations très éloignées qui habitent en forêt amazonienne, les déclarations de naissance à l’état civil ne sont pas systématiques. Les cas d’enfants sans identité originaires d’Haïti ou du Brésil sont en revanche très rares. Il s’agit essentiellement d’enfants nés de mère surinamaise en Guyane. Pour les autorités surinamaises, ces enfants sont français, et nous ne pouvons pas expulser de mineurs de notre territoire, conformément à notre devoir de protection. Environ 1 500 enfants surinamais naissent en Guyane française chaque année, un tiers n’étant pas enregistrés à l’état civil du Surinam.

Il y a aussi la question de la prostitution et celle des « mules ». Ces jeunes désœuvrés sont en effet utilisés pour passer de la drogue. Les forces de police et les douanes ont intensifié leurs contrôles aux frontières à l’arrivée des vols en provenance de Paris, et le nombre de personnes arrêtées a augmenté.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Je dois vous interrompre, monsieur le secrétaire d’État. Nous avons déjà pris beaucoup de retard.

La parole est à M. Gilbert Favreau.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Favreau

Monsieur le secrétaire d’État, je veux parler pour ma part du nombre de jeunes qui se trouvent en situation irrégulière en France. Ces jeunes majoritairement en provenance d’Afrique ou d’Asie ne sont pas mineurs pour la plupart, mais ils réussissent, souvent par des artifices juridiques, à prolonger le plus longtemps possible leur présence sur le sol national.

L’évaluation organisée par la France pour vérifier leur minorité montre que la plus grande partie de ces jeunes sont majeurs. Ils intentent généralement un recours en justice pour prolonger leur séjour. Qu’ils soient faux mineurs ou devenus majeurs, tous ces jeunes restent sur le territoire national, et c’est bien le vrai problème.

Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais aujourd’hui que vous nous donniez les chiffres du nombre de ces jeunes sur le territoire national. Je suis certain que l’on en dénombre des dizaines de milliers en situation irrégulière. À mon sens, l’État n’a jamais fait ce qu’il fallait, soit pour leur donner un statut légal – carte de séjour ou statut de réfugié –, soit pour leur signifier une obligation de quitter le territoire.

Contrairement à ce que vous avez dit, monsieur le secrétaire d’État, les départements ne sont pas en cause. Ils font leur possible pour trouver à ces jeunes, avant leur majorité, des contrats de jeunes majeurs lorsqu’ils peuvent en avoir.

Debut de section - PermalienPhoto de Gilbert Favreau

Même si ces termes sont inappropriés pour un tel sujet, j’aimerais que l’on raisonne en stocks et en flux, et que l’on fasse enfin le calcul !

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Monsieur Favreau, je suis ravi de vous retrouver ici au Sénat, après vous avoir rendu visite, pour évoquer un autre sujet, quand vous étiez président du conseil départemental des Deux-Sèvres.

Je n’ai jamais mis en cause les départements. J’ai dit que chacun avait sa part de responsabilités, et qu’il nous fallait agir ensemble pour mieux accompagner ces enfants.

En 2017 – je vais vous répondre « en flux et en stock », bien que ces termes soient malheureux –, 44 000 jeunes se sont déclarés mineurs non accompagnés pour être évalués, et 14 000 ont été reconnus comme tels ; en 2018, ils étaient 17 000 sur 51 000 ; en 2019, on en comptait 16 000 sur 36 000. Le taux d’acceptation est donc compris entre 30 % et 40 %.

Chaque année, environ 11 500 mineurs non accompagnés accèdent à la majorité, une grande partie d’entre eux étant arrivés sur notre territoire à l’âge de 15 ou 16 ans. En 2019, ce sont 5 630 titres de séjour qui ont été délivrés à des MNA et 400 ont été refusés.

Debut de section - PermalienPhoto de Hussein Bourgi

Monsieur le secrétaire d’État, évoquer un sujet aussi sensible et aussi sérieux oblige à parler avec générosité, gravité et lucidité.

Dans mon département, comme un peu partout en France, des jeunes arrivent de pays en guerre après avoir traversé mers et continents, parfois au péril de leur vie.

La plupart d’entre eux souhaitent travailler et envoyer de l’argent à leur famille. Mais la vérité oblige à dire qu’il y a aussi des filières mafieuses, qui causent un vrai problème d’ordre public et jettent le discrédit sur l’ensemble des mineurs non accompagnés. Dans l’Hérault, l’an dernier, 77 MNA ont été mis en cause dans 254 infractions. Systématiquement, quand ils passent devant la justice, ils sont remis en liberté à la charge du département, même lorsqu’ils sont jeunes majeurs.

Ma conviction, c’est que 90 % des MNA ne posent pas de problèmes. J’ai d’ailleurs l’honneur de parrainer un certain nombre de ces jeunes. L’un d’eux, un modèle d’intégration pour nous tous, a rejoint les Compagnons du devoir le 17 décembre dernier.

Il semblerait toutefois que l’État français ait quelques difficultés à reconduire à la frontière les 10 % de jeunes qui se comportent mal. Le pacte de Marrakech sur les migrations nous empêcherait ainsi de reconduire à la frontière de jeunes majeurs que leur pays d’origine ne veut pas recevoir.

Debut de section - PermalienPhoto de Hussein Bourgi

M. Hussein Bourgi. Quelles réponses le Gouvernement peut-il apporter à cette situation particulièrement critique ?

Mme Victoire Jasmin, MM. Sébastien Meurant et Laurent Burgoa applaudissent.

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Je l’évoquais dans mon propos introductif : ces trois lettres, MNA, masquent des parcours, des réalités et des motivations très différentes. Vous avez raison, monsieur le sénateur, une très grande majorité de ces jeunes sont là pour s’intégrer : ils se lèvent le matin, apprennent le français en six mois, intègrent des parcours professionnalisants. Certains patrons sont très contents de les employer et ils vont voir le président du conseil départemental ou le préfet pour qu’ils puissent rester en France.

Mais certains mineurs sont aussi victimes de la traite, ou eux-mêmes délinquants. Je vous remercie en tout cas de nous inciter à éviter les amalgames, monsieur Bourgi.

Sans vouloir stigmatiser le Maroc, il y a en effet certains jeunes issus de ce pays, généralement originaires de la même région, qui ne sont pas du tout en France pour s’intégrer. Ils sont soit majeurs, soit très jeunes, refusent tous les systèmes d’accompagnement et souffrent parfois de gros problèmes de santé, étant souvent polytoxicomanes et dépendants au Rivotril.

Le ministre de l’intérieur, le garde des sceaux et certains juges se sont rendus au Maroc. Un travail conjoint a été mené avec les autorités marocaines pour élaborer, à droit constant, un schéma de procédure relatif à la prise en charge des mineurs non accompagnés respectueux des conventions de La Haye, et développer une coopération sur la décision et l’exécution du retour de ces mineurs au Maroc, selon leur situation. Je vous renvoie à la circulaire du 8 février 2021 pour plus de détails.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Bonne

Monsieur le secrétaire d’État, les véritables mineurs non accompagnés ne le sont pas, ou mal, ou pas assez longtemps…

Leur prise en charge est un problème récurrent, d’une grande complexité. Et je ne parlerai pas des problèmes de financement ou d’évaluation de leur âge…

Certes, le dispositif actuel de l’ASE, qui place ces mineurs sous la responsabilité du président du conseil départemental, permet de répondre à leurs besoins vitaux, mais il ne permet pas toujours un accompagnement social débouchant sur une réelle intégration et insertion professionnelle.

Ainsi, depuis 2015, la proportion de jeunes de plus de 16 ans pris en charge mais non scolarisés a largement augmenté, malgré le souhait de la plupart d’entre eux de poursuivre leur formation afin de trouver un emploi.

Si certains mineurs non accompagnés nécessitent un suivi dans des structures de l’ASE de type MECS (maison d’enfants à caractère social) en raison de leur parcours chaotique, nombre d’entre eux pourraient intégrer des parcours de formation courts de type alternance ou apprentissage, afin de bénéficier d’une qualification et des compétences leur permettant d’être orientés vers des métiers en tension comme ceux du bâtiment et de l’industrie.

Toutefois, leur installation fréquente dans des structures hôtelières en raison de la saturation des structures d’hébergement adaptées ne facilite guère un tel suivi éducatif.

Nous savons que de bons résultats ont été enregistrés dans le cadre de la transposition à des mineurs non accompagnés du dispositif HOPE – hébergement, orientation, parcours vers l’emploi – mis en œuvre par l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA).

Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d’État, si cette solution d’accueil dans des structures de type foyers pour jeunes travailleurs, tendant à l’insertion professionnelle de ces mineurs non accompagnés, se développe ?

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Monsieur le sénateur, nous mettons tout en œuvre pour que ce soit le cas.

Dans leur grande majorité, les mineurs non accompagnés s’inscrivent déjà dans des filières professionnalisantes, car ils y voient, non sans raison, le meilleur « passeport » pour une régularisation administrative à 18 ans.

En dépit des circonstances, l’apprentissage a augmenté de 15 % environ l’année dernière, les mineurs non accompagnés contribuant à nourrir cette croissance.

Pour l’ensemble des enfants de l’aide sociale, y compris les MNA, nous avons mis en place une démarche « d’aller vers », à travers un partenariat avec l’UNML. Les missions locales devront avoir une sorte de référent ASE dans chaque territoire pour proposer aux jeunes les dispositifs que nous avons déployés dans le cadre du plan « 1 jeune, 1 solution ».

Par ailleurs, nous travaillons aussi avec les associations qui gèrent les foyers de jeunes travailleurs pour augmenter le « quota » des jeunes provenant de l’ASE dans ces foyers, étant entendu que ces établissements ont aussi à cœur de préserver la diversité et la mixité des populations qu’ils hébergent.

Ces différentes mesures concourent à la réalisation de vos souhaits, monsieur le sénateur. Les progrès sont réels, avec également, en parallèle, le travail d’anticipation que nous menons sur la reconstruction des papiers d’identité et la régularisation administrative, pour éviter une rupture supplémentaire. Les jeunes de l’ASE, qu’ils soient MNA ou pas, ont connu des ruptures dans leur parcours de vie, souvent dramatiques. Tout l’enjeu est d’éviter que le système n’en produise de nouvelles.

Debut de section - PermalienPhoto de Bernard Bonne

Lorsque notre collègue Olivier Cigolotti dirigeait un foyer de jeunes travailleurs, nous avions créé des places supplémentaires, justement pour éviter qu’on ne confie ces jeunes à n’importe quelle structure. Avec un suivi social allégé, cela permettait aussi de réduire les coûts.

Enfin, monsieur le secrétaire d’État, vous avez parlé de partage avec les départements. Je souscris à cette idée, mais 140 millions d’euros sur 2 milliards d’euros, ce n’est pas un partage très équitable !

Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Meurant

Monsieur le secrétaire d’État, dans un rapport de la commission des affaires sociales paru en 2017, Élisabeth Doineau et Jean-Pierre Godefroy mettaient en lumière la situation des mineurs non accompagnés, communément appelés, à tort, « mineurs isolés » – selon vos propres dires, 70 % d’entre eux sont majeurs.

Trois ans et demi plus tard, qu’en est-il, mes chers collègues ? Le Gouvernement a-t-il pris la mesure de la situation et des conditions parfois dramatiques dans lesquelles ces jeunes vivent ?

En 2011, dans mon département du Val-d’Oise, 65 mineurs ont été pris en charge par l’ASE, pour un coût de 3 millions d’euros. En 2019, ce sont 751 mineurs et 152 jeunes majeurs qui l’ont été, pour un coût de 43 millions d’euros. On relève aussi une augmentation de 50 % entre 2017 et 2019. Selon l’Assemblée des départements de France (ADF), en 2019, il y avait 40 000 MNA sur le territoire national, mais seulement 16 760 à en croire le ministère de la justice. Comment expliquer ce rapport de 1 à 2, 5 ? Qui dit vrai ?

Monsieur le secrétaire d’État, vous ne pouvez ignorer que les services de police sont débordés par les plaintes : des petits larcins jusqu’au crime commis en 2020 devant Charlie Hebdo par un « mineur » de 25 ans, victimes de filières organisées, souvent en bandes, ces jeunes squattent, volent et se droguent.

Les chiffres sont accablants : 10 000 interpellations dans l’agglomération parisienne en 2019, et les infractions explosent ! Qu’attendez-vous pour que la réponse judiciaire soit à la hauteur des préjudices moraux et financiers subis par des milliers de citoyens français ?

Bien souvent, l’absence de recours aux tests osseux conduit à abandonner les poursuites et à remettre en liberté des délinquants que la police qualifie de « mijeurs » : ils se disent mineurs, mais tout le monde sait qu’ils sont majeurs. Comment expliquez-vous que certains utilisent des dizaines de fausses identités et soient toujours dans la nature ?

Monsieur le secrétaire d’État, ce phénomène est grandissant et la réponse n’est pas à la hauteur. Il faut vraiment s’attaquer à la source du problème. Qu’en est-il ?

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Monsieur le sénateur, je pense n’avoir jamais nié la réalité de la situation, ni les difficultés que peuvent rencontrer un certain nombre de territoires et de jeunes. Mais je n’adhère pas à votre vision exclusivement catastrophiste.

Oui, il y a des dysfonctionnements. Il faut les mettre en lumière, les dénoncer et essayer d’y remédier. Mais il faut aussi dire que notre système protège des dizaines de milliers d’enfants chaque jour qui passe. C’est l’honneur de notre pays d’avoir un tel système, l’honneur des départements d’en assumer la responsabilité, l’honneur des travailleurs sociaux de s’occuper de ces jeunes.

Je ne pourrai pas répondre à tous les sujets que vous avez évoqués, et il me semble déjà avoir apporté quelques éléments. L’ADF estime la charge financière de la prise en charge des MNA à 2 milliards d’euros. Nous n’avons pas exactement les mêmes chiffres. Dans le Val-d’Oise, en 2019, 1 192 jeunes ont été évalués mineurs.

La réforme de la clé de répartition, à laquelle je m’étais engagé, a permis de retenir comme critère démographique la population générale, et non pas les seuls jeunes de moins de 19 ans présents sur le territoire. C’est la seule modification que l’on pouvait faire à droit constant. Il ne serait pas inutile selon moi de passer par la loi pour intégrer également des critères socioéconomiques.

Sur ce fondement, 421 mineurs non accompagnés évalués dans le Val-d’Oise ont été répartis dans d’autres départements en France. C’est l’un des moyens d’action que nous développons pour accompagner les collectivités.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

La parole est à M. Sébastien Meurant, pour la réplique.

Debut de section - PermalienPhoto de Sébastien Meurant

Monsieur le secrétaire d’État, laisser faire, c’est se rendre complice des trafics d’êtres humains.

Un mineur ne part pas tout seul du Pakistan en bateau. L’une des explications de cet afflux de jeunes qui se poursuit partout sur le territoire français, c’est la loi Collomb, qui permet d’élargir le regroupement familial. Faire passer un « mineur », c’est l’assurance, vous le savez très bien, de ne pas être expulsé, et de pouvoir ensuite faire venir sa famille.

En 2020, les Français, pourtant confinés aux frontières de leurs logements, ont accueilli 115 000 demandeurs d’asile, conséquence de votre incapacité à maîtriser les frontières.

Si les prétendus mineurs causent des problèmes pour certains, en Île-de-France, on estime que 60 % à 70 % des cambriolages sont dus aux MNA.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Muller-Bronn

Monsieur le secrétaire d’État, la responsabilité des mineurs non accompagnés, qui sont souvent de jeunes migrants, est à la charge des départements. On constate que l’évaluation de la minorité est défaillante, cela a été dit à plusieurs reprises aujourd’hui.

Les conséquences sont importantes : cette fraude massive représente un coût exponentiel pour les budgets de la protection de l’enfance. En effet, l’État ne finance que la phase d’évaluation et de mise à l’abri sur une durée maximale de vingt-trois jours, alors que les mineurs non accompagnés sont confiés aux départements en moyenne au moins deux ans.

Pour la collectivité européenne d’Alsace, par exemple, où les mineurs non accompagnés viennent souvent des filières mafieuses des pays de l’Est, qui ne sont pas en guerre, mais où l’attractivité de la France est réelle, sur un budget de 20, 3 millions d’euros consacrés aux mineurs non accompagnés, l’apport de l’État n’est que d’un demi-million d’euros, soit 2, 5 % réellement compensés par l’État.

L’autre difficulté, c’est que nous sommes face non plus à des enfants, mais à de jeunes adultes, qui s’intègrent moins facilement à la culture française. Parce que leur insertion est plus compliquée, des phénomènes de violences, de drogues et d’addictions apparaissent dans les lieux d’accueil qui sont normalement réservés à l’enfance mineure isolée.

En milieu carcéral, les établissements pénitentiaires pour mineurs observent l’émergence d’un phénomène nouveau. La violence explose ; les personnels des lieux d’incarcération pour les mineurs l’affirment : huit mineurs sur dix sont en fait majeurs.

Pour sortir de cet engrenage, seul un système d’évaluation de l’âge, avec des tests osseux, que l’on a déjà évoqués, médical, centralisé, et contrôlé permettrait aux départements de revenir à leur vraie mission, celle de l’accompagnement et de l’insertion de ces jeunes de moins de 18 ans.

Debut de section - PermalienPhoto de Laurence Muller-Bronn

Ma question est la suivante : au lieu de prendre le problème à la source, pour éviter aux départements d’avoir à gérer des faux mineurs illégaux qui leur coûtent très cher, pourquoi votre futur projet de loi s’attache-t-il surtout à contrôler l’action sociale des départements par les préfets ?

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Madame la sénatrice, je pense que vous pouvez faire confiance au président de votre département, Frédéric Bierry, avec lequel je parle depuis deux ans, très régulièrement, parce que, outre le fait que nous nous apprécions à titre personnel, outre le fait que nous partageons une certaine vision de la protection de l’enfance précaire, c’est un président engagé à titre personnel.

J’ai compris avec lui que l’orientation et l’implication d’un département dans la protection de l’enfance étaient aussi liées à l’histoire. Je crois que c’est le cas dans le Bas-Rhin, notamment s’agissant d’une longue tradition de recours aux assistantes familiales, que je salue à cette occasion.

N’ayez pas d’inquiétude : Frédéric Bierry, vice-président de l’Assemblée des départements de France, président de la commission sociale, veillera à ce que la réforme que j’évoquais tout à l’heure ne conduise pas à un contrôle par les préfets de l’action sociale des départements. Ce n’est pas du tout mon intention et cela n’aurait pas de sens, me semble-t-il.

Vous affirmez que les mineurs viennent de pays qui ne sont pas en guerre. Je crois que, juste avant ce débat, vous discutiez de l’opération Barkhane. Le Mali est un pays en guerre, madame la sénatrice. Or c’est un des principaux pays d’origine des mineurs non accompagnés, comme je l’évoquais.

Je ne reviens pas sur la question des conditions d’évaluation, notamment sur le recours aux tests osseux. Une fois encore, je n’ai pas de souci, par principe ou par idéologie, avec les tests osseux ; je mentionne simplement les limites scientifiques de son recours.

Je constate que le Conseil constitutionnel a estimé que ce n’était pas contraire à la dignité humaine, mais que cela ne peut pas être l’élément unique de la décision. Nous avons travaillé avec les différentes directions – DPGJ, DGCS, ministère de l’intérieur – pour tenter d’homogénéiser les pratiques et de guider au mieux les différentes associations, ainsi que les fonctionnaires des départements, dans ce travail difficile qu’est l’évaluation.

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Je ne sais pas si vous avez déjà assisté à ce travail ; pour ma part, je l’ai fait, et c’est très complexe. Nous essayons d’accompagner les départements dans cette mission.

Debut de section - PermalienPhoto de Stéphane Sautarel

Monsieur le secrétaire d’État, la question des mineurs non accompagnés, anciennement appelés mineurs isolés étrangers – ils le demeurent, d’ailleurs –, relève d’abord d’un sujet migratoire, donc de l’État. Le Président de la République l’avait d’ailleurs reconnu avant le congrès de Rennes de l’ADF en 2018.

Pour ma part, à l’issue de ce débat, je veux attirer votre attention sur le continuum de la protection de l’enfance, qui doit concerner les MNA, comme tous les enfants pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. En effet, ces jeunes bénéficient d’un accompagnement de l’ASE au titre du contrat jeune majeur. Or, nombre d’entre eux doivent mettre un terme à leur parcours d’insertion en raison de leur situation administrative.

Alors qu’ils sont engagés dans un parcours scolaire et/ou d’apprentissage, leur majorité, faute de titre de séjour, les condamne. Les mêmes pour lesquels l’État a demandé aux conseils départementaux d’assurer la protection et la prise en charge inconditionnelle sont ensuite parfois chassés par ce même État, de manière aveugle, alors qu’ils sont bien souvent en phase d’insertion et de construction d’un nouveau projet de vie.

Les services de l’ASE instruisent régulièrement une demande d’asile auprès de l’Ofpra ou d’accession à la nationalité française, lorsque cela est possible, mais se heurtent à des blocages liés bien évidemment au fait que ces jeunes MNA ne disposent souvent pas de documents d’état civil authentifiés par les services de la police aux frontières, la PAF.

Bref, nous sommes dans un cadre kafkaïen, qui provoque de véritables drames humains.

Ces parcours interrompus stoppent l’engagement de ces jeunes, vous l’avez dit, monsieur le secrétaire d’État. Ils mettent aussi en difficulté des entreprises qui avaient investi dans leur parcours d’apprentissage et qui se retrouvent accusées d’avoir recours au travail clandestin. Ce n’est acceptable ni pour les jeunes, ni pour les entreprises, ni pour les professionnels de l’ASE qui voient leurs missions niées, ni pour nos finances publiques, qui ont investi sur ces jeunes pour les abandonner ensuite.

Dans mon département par exemple, le Cantal, plusieurs jeunes sont dans cette situation, et les réponses administratives apportées, qui confinent à l’impuissance, sont désespérantes pour tous, y compris pour notre reconquête démographique.

Aussi, monsieur le secrétaire d’État, quand mettrez-vous de la cohérence et des moyens pour une gestion responsable et solidaire de la situation de ces jeunes ?

Debut de section - Permalien
Adrien Taquet

Monsieur le sénateur, au risque de me répéter un peu, c’est, je crois, tout le sens de ce que nous essayons de faire pour les mineurs non accompagnés, comme pour les jeunes de l’aide sociale à l’enfance.

En effet, la question de la majorité, c’est-à-dire de la fin de la prise en charge dans un certain nombre de cas par les services de l’aide sociale à l’enfance à 18 ans, soulève, s’agissant de l’aide sociale à l’enfance, un certain nombre de questions, de difficultés, parfois de situations dramatiques, avec ce que l’on appelle les sorties sèches. Un certain nombre de jeunes, du jour au lendemain, ne sont plus pris en charge.

C’est la raison pour laquelle, dans un cas comme dans l’autre, je pense que la coopération entre l’État et les départements et ce continuum que vous évoquiez doit être mobilisée au maximum.

C’est tout le sens, s’agissant de l’insertion professionnelle, de cette convention avec l’Union nationale des missions locales que j’évoquais et à laquelle nous avons adjoint une contribution financière de la part de l’État de 500 euros pour tout jeune qui ne serait pas dans un parcours d’études ou d’insertion, afin d’éviter justement ces fameuses sorties sèches. Je précise ici que cette mesure n’a pas vocation à se substituer à un éventuel contrat jeune majeur, ou en tout cas à l’accompagnement éducatif qui pourrait continuer à être nécessaire de la part du département.

Par ailleurs, dans le cadre de la régularisation administrative, il est nécessaire de mieux anticiper les situations, pour faire sortir tout le monde de l’incertitude actuelle : le jeune au premier chef, évidemment, mais aussi le département, parce que celui-ci ne sait pas s’il va devoir continuer à s’occuper de ce jeune, et les chefs d’entreprise. Pour ma part, j’en ai rencontré beaucoup, je le disais, qui sont confrontés à ces situations.

Essayons d’anticiper, de mieux nous coordonner, de mieux coopérer, de mieux accompagner ces jeunes et de faire en sorte que l’investissement qui a été réalisé à leur profit – je le dis avec une connotation très positive – ne soit pas perdu pour l’avenir, parce que cela pourrait s’apparenter, dans un très grand nombre de cas, à du gâchis.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

En conclusion de ce débat, la parole est à M. Arnaud Bazin, pour le groupe auteur de la demande.

Debut de section - PermalienPhoto de Arnaud Bazin

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, conclure un tel débat est une gageure, c’est évident. En tout cas mon propos, qui va relever certaines des questions qui ont été abordées, n’a pas vocation à mettre un point final, bien évidemment, mais à faire saillir quelques éléments.

Le point principal par lequel je voudrais commencer, c’est la nécessité et le caractère indispensable du débat que nous avons et dont les seize orateurs ont évoqué toutes les dimensions. En effet, une politique publique qui voit son volume multiplié par douze ou par treize, voire davantage, en cinq à sept ans doit nous interroger en tant que responsables publics. Quelles en sont les causes ? Examinons les conséquences et essayons de comprendre ce qui se passe.

Ensuite, cela a été dit également, monsieur le secrétaire d’État, il s’agit là d’une compétence départementale majeure, particulièrement sensible et même emblématique de l’action sociale des départements.

Pour avoir siégé pendant près de sept ans au bureau de l’Assemblée des départements de France, je puis vous assurer que l’ensemble des présidentes et présidents de départements ont à cœur de remplir cette noble mission de donner une deuxième chance à ces enfants qui ne trouvent pas toutes les chances dans leur famille. Je puis attester qu’ils y sont tous très attachés. C’est justement cela qui les amène à s’inquiéter de cette situation de dégradation.

Ensuite, ce débat était absolument nécessaire parce que les départements, qui sont la cheville ouvrière de ces politiques, sont déjà en grande difficulté, bien évidemment pour d’autres raisons.

Les dépenses sociales n’ont cessé de croître : elles représentent de 57 % à 60 % de leurs dépenses de fonctionnement. On peut déjà constater, avec la crise sanitaire et ses conséquences économiques, que le RSA a encore augmenté ; dans nombre de départements, il a même connu une croissance à plus de deux chiffes, ce qui est tout à fait considérable.

Par ailleurs, pèsent des risques importants sur les recettes des départements, notamment les droits de mutation à titre onéreux, dans ce contexte de crise. L’impact a déjà été souligné à plusieurs reprises ; il est très lourd, je n’y reviens pas.

Enfin, depuis dix ans, les départements sont confrontés à une surdité chronique de l’État, qui s’inscrit dans un contexte déjà ancien de maltraitance de ces collectivités par l’État.

Je vous renvoie au rapport de Cécile Cukierman et à celui de la mission d’information, que j’ai eu l’honneur de présider, sur la place des départements dans les grandes régions. Mes chers collègues, vous connaissez tous les différentes étapes de la disparition programmée des départements, avec les lois NOTRe, Maptam, ainsi que l’étranglement financier de cette collectivité, notamment avec la baisse de 40 % de la dotation de fonctionnement pendant le quinquennat précédent, ce qui est tout de même considérable.

Ce débat était donc absolument nécessaire, dans une situation particulièrement difficile.

Nous sommes également face à un angle mort des politiques migratoires ; ce point est apparu très clairement pendant l’ensemble du débat. Nous avons affaire maintenant à un phénomène économique, l’eldorado européen. On continue à attirer les jeunes, fragilisés ou non d’ailleurs dans leur pays, ainsi que leurs familles, qui, souvent, les mandatent pour en faire des sources de revenus pour divers besoins dont ils estiment qu’ils seront les leurs par la suite.

Ce phénomène économique est adossé, cela a été dit également, à un phénomène mafieux évident. Nous connaissons bon nombre de filières ; monsieur le secrétaire d’État, nous pouvons même vous donner les tarifs par pays et par région dans ces pays, puisque ces éléments sont apparus dans les différents départements.

Enfin, je vous le concède, monsieur le secrétaire d’État, l’évaluation de la minorité est un sujet extrêmement délicat, pour lequel il n’y a pas de réponse évidente.

C’est pourquoi d’ailleurs, je pense, le Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe, quand il est venu au congrès de l’ADF en octobre 2017, a pratiquement dit que cette mission d’accueil et d’évaluation devait relever de l’État. Ensuite, il a considéré que peut-être les départements pouvaient l’assurer pour le compte de l’État. Le problème, c’est que les moyens n’ont pas été au rendez-vous, loin de là, avec, on l’a rappelé, 120 millions d’euros de crédits pour 2021 ; ces sommes baissent d’ailleurs par rapport à l’année précédente, ce qui est difficile à comprendre.

À l’évidence, nous sommes confrontés à un état d’urgence qui est temporairement masqué par la crise sanitaire – on comprend bien qu’il est difficile de se déplacer en ce moment, vu la situation –, mais qui est appelé à prospérer, et nous ferions une erreur considérable en restant sur la même appréhension du problème après cette brève accalmie.

Je pense qu’il faut nous mobiliser dès maintenant pour apporter des réponses qui soient plus solides que celles qui ont été les nôtres jusque-là.

Enfin, dans cet état d’urgence, nous mettons en danger l’aide sociale à l’enfance elle-même dans les départements, notre capacité à l’assurer de façon satisfaisante, les départements eux-mêmes dans leurs finances, mais aussi les Français. Il a été fait état d’un certain nombre de faits délinquants, qui sont de plus en plus préoccupants, notamment dans les territoires d’outre-mer.

À droit constant, y a-t-il une réponse possible ? C’est à vous de nous le dire, monsieur le secrétaire d’État. S’il n’y en a pas, il faudra envisager une réflexion plus large et remettre en cause bien des choses dans ce pays.

Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et SER.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Delahaye

Nous en avons terminé avec le débat sur les mineurs non accompagnés.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à vingt heures trente, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Roger Karoutchi.