Intervention de Olivier Cigolotti

Réunion du 9 février 2021 à 14h30
Opération barkhane : bilan et perspectives — Débat organisé à la demande de la commission des affaires étrangères

Photo de Olivier CigolottiOlivier Cigolotti :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais à mon tour et au nom de mon groupe remercier notre président Christian Cambon, qui a sollicité et obtenu ce débat très attendu sur toutes les travées de cet hémicycle. En effet, depuis neuf ans que nous avons débuté notre intervention au Mali et au Sahel, ce n’est que la seconde fois que nous avons l’occasion d’avoir un débat de fond sur la stratégie, les enjeux et les perspectives de l’opération Barkhane.

Je tiens à saluer unanimement l’engagement opérationnel de nos forces mobilisées sur les différents théâtres d’opérations de cette bande sahélo-saharienne, au Mali comme au Niger. Sur ce territoire grand comme l’Europe tout entière et au climat des plus arides, nos militaires mènent une lutte sans relâche contre le terrorisme et le fanatisme, parfois au péril de leur vie.

Je veux avoir une pensée pour nos soldats tombés au combat, leurs frères d’armes, leurs proches, leurs familles. Mes pensées vont également en cet instant à notre ami et ancien collègue Jean Marie Bockel.

Les opérations Serval puis Barkhane ont permis d’empêcher l’installation d’un califat territorial au Mali et la création d’un sanctuaire djihadiste comparable à celui qu’a instauré Daech au Levant. Cependant, malgré de nombreuses victoires stratégiques et la neutralisation de nombreux chefs de groupes armés terroristes, force est de constater que la guerre est loin d’être gagnée.

L’histoire nous démontre que l’intervention de pays occidentaux sur des théâtres d’opérations extérieures s’apparente le plus souvent à des conflits asymétriques : forces militaires conventionnelles, d’un côté, groupes armés terroristes noyés au sein des populations, de l’autre. Pourtant, cette asymétrie ne confère pas une supériorité très évidente et ne permet pas à nos forces de vaincre la détermination, l’imagination et la mobilité opérationnelle de ces groupes armés, qui évoluent en effectif réduit et sur un terrain qu’ils connaissent parfaitement.

Force est aussi de constater que la situation sécuritaire en Afrique de l’Ouest, loin de s’être améliorée, s’est véritablement dégradée : le conflit originel au nord du Mali s’est régionalisé ; il s’étend désormais vers le sud jusqu’au Burkina Faso et se propage jusqu’aux pays riverains du golfe de Guinée. Aux conflits interethniques plus locaux se mêlent désormais les revendications idéologiques et religieuses.

Ainsi, les forces françaises apparaissent bien seules sur ce terrain.

Depuis neuf ans, l’engouement des autres pays européens à s’engager aux côtés de la France demeure peu visible par l’opinion publique. Est-ce seulement parce que la France est encore l’une des seules nations européennes à disposer d’une armée d’emploi, madame la ministre ? Pourtant, la poursuite de notre engagement dans cette bande sahélo-saharienne nécessite indiscutablement une coopération européenne et internationale élargie et renforcée, ainsi qu’une prise de conscience de tous les États membres de l’Union de l’intérêt qu’il y a à lutter collectivement contre le terrorisme, au plus près de ses racines dans cette région du monde.

Cette coopération européenne ne peut se limiter à la mission européenne de formation de l’armée malienne. Celle-ci s’inscrit certes dans une approche globale pour renforcer les capacités militaires en vue de garantir l’intégrité territoriale, mais elle doit désormais aller au-delà d’une collaboration limitée au G5 Sahel, censée permettre aux armées locales d’intervenir de façon autonome dans la zone des trois frontières.

Ce dispositif nous paraît à ce jour insuffisant pour faire face à la progression vers le sud de la zone d’influence des groupes armés terroristes. Il doit rapidement s’étendre de façon effective à tous les États membres de la CEDEAO, que sont le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo ou le Bénin. Il s’avère désormais indispensable d’associer plus largement les pays riverains du golfe de Guinée.

Lors du sommet de Pau, les chefs d’État du G5 Sahel ont réaffirmé leur volonté de renforcer cette force conjointe. Son élargissement sera-t-il pour autant évoqué lors du prochain sommet de N’Djamena ?

Lorsque l’on évoque la collaboration européenne, il faut également parler de la task force Takuba, que vous appelez de vos vœux, madame la ministre, pour soutenir l’opération Barkhane. Cette composante de forces spéciales était également censée matérialiser l’engagement de l’Europe et renforcer la logique d’un partenariat de combat.

Au-delà des bonnes intentions de nos voisins, les premiers éléments des forces spéciales françaises et estoniennes sont arrivés sur le théâtre des opérations. Mais qu’en est-il de l’engagement de nos autres partenaires ? Pouvez-vous nous indiquer de façon précise, madame la ministre, comment s’effectuera la montée en puissance de Takuba ?

Une stratégie qui repose sur les deux piliers que sont l’« européanisation » et la « sahélisation » sera-t-elle suffisante pour sortir du conflit ? La question reste posée. Sans les citer, nous ne pouvons ignorer les velléités de certains États puissances très intéressés par cette région du monde et, plus particulièrement, par le continent africain.

Alors, certes, il n’y a pas de petites victoires dans une guerre à condition qu’il soit envisageable de la gagner. Celle que la France mène au Sahel dans le cadre de l’opération Barkhane avec ses alliés ne pourra se solder que par une implication politique plus forte, à commencer par celle des pays concernés.

Nous sommes tous conscients que l’absence de l’État dans ses missions régaliennes, que ce soit l’administration publique, les services de santé, l’éducation ou l’accès à des besoins vitaux, ne peut que favoriser l’emprise de groupes armés terroristes sur les populations locales. Il est difficile dans ces conditions de percevoir l’État comme protecteur et non comme prédateur. Sans un État plus fort, la paix sera impossible.

Une véritable issue politique passe inexorablement par des politiques d’aide au développement des populations sahéliennes plus fortes, avec une stratégie claire de la part des pays bénéficiaires et des acteurs de l’aide, ainsi que des fonds importants, qui ne peuvent là encore que résulter d’une collaboration internationale. Or, aujourd’hui, il s’avère souvent plus facile de trouver des financements pour faire la guerre que pour rétablir la paix.

L’ensemble de ces éléments doit certes nous conduire à faire évoluer notre manière de nous engager dans ce conflit. Même s’il n’est pas envisageable d’opérer une réduction massive de l’empreinte française sur le terrain, une réflexion sur un accompagnement à forte valeur ajoutée de notre participation – drones, renseignements ou frappes aériennes ciblées – ne doit pas être occultée.

À l’heure actuelle, le besoin prioritaire est d’établir une stratégie claire et un calendrier de transition adapté aux forces en présence, car la situation en Afrique de l’Ouest demeure d’une grande complexité.

Pour conclure mon propos, permettez-moi d’évoquer deux axes qui, à notre sens, pourraient être source d’évolutions positives.

Tout d’abord, à quelques jours de sa tenue, le sommet de N’Djamena devra bien entendu permettre de réaffirmer la volonté des pays du G5 Sahel, mais également de solliciter une véritable implication des pays qui sont désormais menacés.

Ensuite, le nouveau locataire de la Maison-Blanche a déclaré il y a quelques jours vouloir renouer avec le multilatéralisme et réinstaurer le dialogue avec l’Union africaine, afin « de faire face aux périls les plus imminents ».

Mes chers collègues, l’issue de ce conflit sera politique ou ne sera pas. Réfléchissons à ce que disait Paul Valéry : « Les guerres, ce sont des gens qui ne se connaissent pas et qui s’entretuent parce que d’autres qui se connaissent très bien ne parviennent pas à se mettre d’accord. »

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