Je vous remercie.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne peux commencer mon intervention sans avoir à mon tour, au nom du groupe socialiste, une pensée pour nos militaires, leurs familles et leurs proches.
À ce jour, plus de 5 000 militaires sont engagés dans l’opération Barkhane. Depuis 2013, 55 militaires y ont perdu la vie, dont – comme nos collègues l’ont rappelé – le fils de notre ancien collègue Jean-Marie Bockel. Ce sont des femmes et des hommes fiers et libres, qui ont fait de leur vie un engagement au service, non seulement de notre drapeau, mais plus encore d’une certaine idée de la liberté.
Alors secrétaire d’État à vos côtés, monsieur le ministre, je garde le souvenir de celles et de ceux que j’ai croisés, de leur professionnalisme indiscutable, de leur très haut niveau d’entraînement, de leur détermination sans faille, de leur courage en somme. Ce qui m’a frappé et qui restera gravé en moi, c’est que revient toujours dans les yeux et les mots des proches de celles et ceux qui sont morts au combat le sens du devoir. On entend chaque fois cette phrase : « Nous n’aurions jamais pu le ou la dissuader de partir en opération, d’être aux côtés de ses camarades pour servir. »
Dans un monde où l’on ne cesse d’observer les effets de l’individualisme, nos militaires, dont la plupart sont très jeunes, démentent les idées reçues. Ensemble, avec leurs familles et leurs proches, avec tous les Français aussi, ils ne font qu’un. Il est important de rappeler régulièrement cet engagement et de le mettre en valeur.
Je ne reviendrai pas longuement sur les raisons qui ont conduit à la situation actuelle. Ces éléments sont connus.
Loin des fake news et des réseaux sociaux, l’opération Barkhane a été lancée le 1er août 2014. Elle fait suite à l’opération Serval, mise en œuvre à partir du 11 janvier 2013. Rappelons-nous toujours qu’en quelques heures, à l’appel du Président démocratiquement élu du Mali, François Hollande, Président de la République française, alors commandant en chef de nos armées, a dû prendre la difficile décision de recourir à l’usage de la force pour protéger la liberté à plus de 6 000 kilomètres de chez nous.
Telle est la seule raison de notre présence au Mali : la liberté. Nous serons toutes et tous d’accord ici, et par-delà nos travées, pour saluer le courage de cette décision, celle du Président François Hollande. La France s’est honorée de ne pas rester les bras croisés quand le peuple malien a fait appel à elle. Cette décision était nécessaire, responsable et digne.
Dans les faits, cette première bataille a été remportée en quelques semaines. Dès les premières heures, le dispositif français se déployait, démontrant une fois de plus les exceptionnelles capacités opérationnelles de projection de l’ensemble de nos forces armées.
Oui, la France fait partie d’un club mondial très fermé, celui des nations capables de projeter massivement leurs forces dans le cadre d’opérations extérieures ! Au nom de nos valeurs, ces capacités militaires exceptionnelles confèrent, dans le concert des nations, une responsabilité supplémentaire dont notre pays a pleinement conscience.
Ces derniers temps, nous entendons et lisons des choses insupportables pour la raison, dénuées de tout fondement rationnel. Il est essentiel de rappeler régulièrement les faits, les causes et les objectifs, de ne pas laisser s’installer des rumeurs nauséabondes pour notre pays, mais plus encore et plus largement pour la démocratie.
La France n’est pas un pays impérialiste, colonisateur ou déstabilisateur. La France ne poursuit qu’un seul but : la paix ; d’abord et avant toute autre considération, la paix dans la dignité pour les peuples, la paix, ici, au Mali et dans les pays voisins, pour que les peuples de cette région aient la possibilité de vivre librement, sans être maintenus sous le joug quotidien du terrorisme et de son aboutissement politique, dont la communauté internationale sait ce qu’il représente pour les peuples afghan, irakien, syrien et tous les autres.
Redire la véracité des faits n’a rien d’artificiel dans un contexte de développement de suspicions, notamment dans le pot-pourri qu’est de plus en plus souvent internet, où tout se mélange. Face aux attaques dans le cyberespace, dont nous savons qu’au moins deux grandes puissances n’hésitent plus à faire un usage assidu, la vérité des faits est essentielle. Il faut en effet toujours revenir aux causes profondes pour déterminer la situation telle qu’elle se présente.
En ce sens, ne serait-il pas plus urgent d’associer régulièrement les parlementaires et, notamment, de leur donner plus de moyens, afin qu’ils exercent leur pouvoir de contrôle sur l’exécutif, un pouvoir traditionnellement relégué au second plan sur ces questions sensibles ? Nous avons ici l’occasion de changer de prisme et d’améliorer nos pratiques pour ne pas laisser le poison des rumeurs se propager et en revenir à l’objectivité des faits. Si, tactiquement, le succès de nos opérations militaires est indiscutable, il est tout aussi essentiel de débattre de notre stratégie, comme nous le faisons aujourd’hui.
En décembre 2015, le gouvernement, par la voix de son ministre de la défense – vous-même, monsieur le ministre, puisque c’est le poste que vous occupiez alors –, avait soulevé une question qui, avec le recul, apparaît encore plus fondamentale : qui est l’ennemi ?
Pour agir sereinement et efficacement, la nature de la réponse doit nous conduire à reposer régulièrement cette question. Cet ennemi est effectivement mouvant, en évolution permanente, immergé dans les sociétés pour déstabiliser les États et tenter d’y diffuser un ensemble idéologique à rebours de la liberté, toujours avec la perspective, ne l’oublions jamais, d’instauration de proto-États de type Daech.
Cette situation ne relève ni des angoisses ni des fantasmes du monde occidental. C’est la réalité du terrain, telle qu’elle a été décrite, notamment, dans le Livre blanc de 2013.
Pour faire face, la France n’a jamais eu la culture et l’obsession de la guerre préventive, là où d’autres pays ont pu s’y confondre, prenant le risque de s’y perdre moralement, culturellement et économiquement. Les comparaisons avec ces pays, si elles pourraient avoir le mérite de questionner notre stratégie – ce qui est nécessaire –, retomberaient immédiatement à l’épreuve des faits. En effet, la France, fidèle à ses valeurs et à sa tradition, a intégré que la sécurité absolue est un leurre et que l’ennemi doit sans cesse être redéfini, au plus juste et en réaction.
Au Mali, comme ailleurs, notre stratégie ne varie pas : la France ne mène aucune guerre préventive ; la stratégie française est défensive et dissuasive.
Je le disais, ce débat est nécessaire, parce qu’il faut toujours questionner et redéfinir l’ennemi au plus juste, parce qu’il s’agit, aussi, de dépasser le simple cadre militaire.
Pour ne pas sombrer dans ce chaos où des forces obscures connues souhaitent entraîner les pays de la région, en premier lieu le Mali, les opérations militaires, y compris lorsqu’elles sont couronnées de succès, ne suffisent pas. Elles peuvent même conduire à l’impasse sans une approche globale politique, diplomatique, économique, éducative et judiciaire.
Nous le savons, une stratégie durable repose sur cet éventail de dispositions. Or, madame la ministre, le sentiment grandissant, dans les médias, mais aussi, à bien des égards, sur le terrain opérationnel et parfois même jusque dans nos armées, c’est que ces dispositions, par-delà les opérations militaires, sont de moins en moins visibles.
Madame la ministre, monsieur le ministre, vous le savez, de nombreuses questions sont posées. Je me permets d’en relayer quelques-unes.
Où en sommes-nous sur le terrain diplomatique, notamment au sein du G5 Sahel ? Nous le savons, la situation en Libye est loin d’être stabilisée ; quels sont les effets de la crise libyenne pour la zone de travail de Barkhane ? Peut-on s’attendre à un changement d’attitude de la part des États-Unis et de la nouvelle administration du Président Biden ? Sans tomber dans le risque opérationnel que ferait courir la publication d’un calendrier, à quelle échéance les pays auront-ils localement suffisamment de moyens pour prendre le relais militaire ? En d’autres termes, où en sommes-nous de la formation et de l’accompagnement ? Dans les champs économique et éducatif, comment accompagnons-nous les pays menacés ? Quels sont les projets structurants qui permettront aux territoires du Nord, où la misère est grandissante, de sortir de l’impasse ?