Intervention de Guillaume Gontard

Réunion du 9 février 2021 à 14h30
Opération barkhane : bilan et perspectives — Débat organisé à la demande de la commission des affaires étrangères

Photo de Guillaume GontardGuillaume Gontard :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis la prorogation en 2013 de l’opération Serval, devenue Barkhane, le Parlement est muet. Mis à part les débats budgétaires, n’autorisant aucune discussion stratégique, son rôle est réduit à néant. L’esprit de l’article 35 de notre Constitution s’est évanoui depuis bien longtemps ! Aussi, je me félicite de l’organisation de ce débat à la demande de notre commission, même si celui-ci n’engage nullement le Gouvernement.

Il y a pourtant beaucoup à dire et à proposer ! Sept ans après le début de l’opération Barkhane, le bilan de l’engagement français nous laisse perplexes.

Voilà un an, lors du sommet de Pau, le Président de la République annonçait une montée en puissance de l’opération, notamment par l’envoi d’un renfort de 600 hommes. Le coût financier de l’opération, lui aussi, s’est accru : de 520 millions d’euros en 2014 à environ 1 milliard d’euros en 2020. Pour quels résultats ?

Certes, l’opération Barkhane engendre des succès tactiques, comme les opérations Bourrasque et Éclipse. Mais ces succès nous rapprochent-ils des objectifs de la France et de ses partenaires ? Les armées locales sont-elles en capacité de circonscrire la menace terroriste ? Les États du Sahel ont-ils rétabli leur autorité et engagé un processus de réconciliation ? Si tels sont nos objectifs, nous en sommes encore loin…

En effet, il est clair que la neutralisation d’individus de haut rang ne fera pas disparaître le terrorisme sur le long terme. L’hybridation des groupes armés avec le tissu local et la montée des conflits communautaires sont nourries par des tensions systémiques, au premier rang desquelles, le changement climatique.

La désertification, les sécheresses, qui déciment les cheptels et assèchent les points d’eau, touchent durement les éleveurs et les populations. L’insécurité alimentaire s’ajoute aux violences quotidiennes et permet aux groupes terroristes de proliférer.

Face à ce bilan, les insuffisances de l’intervention militaire deviennent évidentes. Or ces insuffisances ont un coût humain, qu’il n’est plus possible de négliger. Je pense d’abord aux pertes parmi l’armée française. À ce jour, nous déplorons 55 morts français au Sahel depuis 2013 ; les derniers, le brigadier Loïc Risser et le sergent Yvonne Huynh, sont tombés au mois de janvier 2021, et je leur rends ici, ainsi qu’à leur famille, un hommage appuyé. Mais la population civile locale est la première victime de ces conflits. Les pertes civiles ne se comptent plus en centaines, mais en milliers de personnes, sans parler des millions de déplacés et de réfugiés.

Dans un tel contexte, les circonstances de la frappe opérée le 3 janvier près de Bounti au Mali, qui aurait potentiellement touché des civils, doivent impérativement être éclairées. Cette transparence est nécessaire, car une intervention qui ne serait plus soutenue par la population locale perdrait sa légitimité.

Nous sommes aujourd’hui à la veille du sommet de N’Djamena, où se réuniront de nouveau le Président de la République et ses homologues du Sahel pour un bilan d’étape. Ce bilan doit être un tournant, car l’enlisement, qui devait être à tout prix évité, semble déjà une réalité. À cet effet, il nous apparaît important de rappeler que la solution militaire ne remplacera jamais la solution politique.

Dans un contexte de démocratie fragilisée, voire absente depuis le coup d’État d’août 2020, il faut en priorité appuyer les transitions démocratiques et redonner un souffle à l’accord d’Alger pour la paix et la réconciliation au Mali. À ce jour, malgré l’activisme affiché par l’Algérie à la fin de l’été, sa mise en œuvre reste laborieuse. Les États et organisations médiateurs, avec, en tête, l’Algérie, la France et l’ONU, doivent donner ensemble une nouvelle impulsion à l’accord.

Par ailleurs, le tabou des pourparlers avec certaines des organisations armées doit être débattu. Les négociations poursuivies par certaines personnalités maliennes avec ces groupes sont déjà une réalité et doivent être accompagnées par la France, lorsque les revendications politiques ou territoriales portées ne sont pas incompatibles avec nos exigences. À cette fin, la France doit soutenir l’évolution d’un cadre politique clair et légitime.

Ensuite, si notre pays décide un désengagement progressif, celui-ci doit s’accompagner d’une participation européenne accrue et garantie par un renforcement du G5 Sahel.

Malgré le lancement de la task force Takuba l’année dernière, la participation de nos partenaires européens reste trop limitée : les contingents estoniens, tchèques et suédois intégrés à l’opération ne représentent pas une capacité supplémentaire décisive. Or, au vu de la responsabilité que portent nos voisins européens sur l’intervention au Sahel, une participation plus importante sur le volet développement serait entièrement justifiée.

Pour conclure, je dirai que la solution politique que nous appelons de nos vœux ne saurait exister, nous semble-t-il, sans un renforcement considérable de l’aide publique au développement. C’est un point sur lequel nous reviendrons au cours du débat.

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