Intervention de Bruno Retailleau

Réunion du 9 février 2021 à 14h30
Opération barkhane : bilan et perspectives — Débat organisé à la demande de la commission des affaires étrangères

Photo de Bruno RetailleauBruno Retailleau :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour, je voudrais remercier le président Christian Cambon, à qui, comme cela a déjà été souligné, nous devons ce débat.

Ce débat tombe à pic : dans quelques jours, le sommet de N’Djamena réunira nos partenaires du G5 Sahel, dans un contexte où, il faut bien le dire, nos modalités d’intervention sont de plus en plus questionnées. C’est donc l’occasion pour nous, membres du groupe Les Républicains, non seulement d’adresser un message au Gouvernement, mais également de rendre un hommage appuyé à nos armées, qui, très loin d’ici, font la fierté de toute la Nation et l’admiration d’une très grande partie des armées du monde. En effet, ce que l’armée française accomplit au Sahel, dans des conditions si difficiles, sur un territoire si vaste, avec des moyens somme toute limités, très peu d’armées dans le monde en seraient capables.

« Loin des yeux, loin du cœur »… Jamais dicton populaire n’aura été aussi faux : les Français savent parfaitement que nos soldats luttent contre l’islamisme et le terrorisme. Là-bas, comme chez nous, c’est le même combat, un combat sans cesse recommencé pour la paix, pour la liberté et, bien évidemment, pour la vie ! Nous avons à l’esprit leur courage – vertu suprême selon Aristote, puisque c’est elle qui permet toutes les autres. Nous avons à l’esprit leur engagement au nom d’un idéal français, leur don de soi, tellement différent de cette obsession de soi si contemporaine.

Non, nos 55 soldats, auxquels je veux rendre un hommage particulier, ne sont pas morts pour rien ! Sans l’intervention de la France, portée par ses différents Présidents de la République et ses gouvernements successifs, que se serait-il passé ? Nous aurions sans doute eu un sanctuaire islamiste, un nouveau califat, un autre proto-État, au cœur du Sahel, aux portes du Maghreb ; c’est-à-dire à la frontière sud de l’Europe et de la France.

Nous avons connu et nous connaîtrons encore des succès militaires. Le succès militaire que représente Barkhane doit, malgré tout, nous ouvrir des perspectives pour discuter de cet engagement.

Nous savons parfaitement – c’est une leçon de ces dernières années – qu’aucun succès militaire ne peut déboucher sur une paix durable sans succès diplomatique ou politique. C’est d’ailleurs le sens des propos que vous avez tenus devant notre commission, madame la ministre, lorsque vous avez indiqué qu’il fallait désormais « transformer les gains tactiques […] en progrès politiques, économiques et sociaux ». À quelles conditions pouvons-nous accomplir cette transformation ?

À Brest, à l’occasion de ses vœux aux armées, nous avons entendu le Président de la République dire qu’il faudrait sans doute « ajuster notre effort », comme si – mais je me trompe peut-être et, dans ce cas, vous me démentirez – il s’agissait de revenir aux effectifs d’avant le sommet de Pau. Ce serait, à notre sens, le statu quo. Or nous voulons vous dire que le retrait n’est pas une option : il ruinerait tous nos efforts et rendrait inutile la mort de nos soldats ; le statu quo ne saurait tenir lieu de stratégie, car il risquerait de nous conduire à l’embourbement.

Alors, quelles sont précisément ces conditions, en tout cas les pistes pour un engagement réussi, alliant succès militaires et succès politiques ?

La première piste est celle du dispositif militaire. Sans reprendre ce qu’a très bien dit Christian Cambon, je veux insister sur le fait qu’il faudra s’adapter en permanence, se concentrer sur les forces spéciales, aéroporter nos forces pour limiter les risques liés aux bombes et, bien sûr, sécuriser avec un blindage approprié le transport de nos troupes.

La deuxième piste est celle qui demandera plus d’efforts, sans doute plus d’engagement à nos partenaires, à commencer par nos partenaires européens. Certes, Takuba est une avancée, mais celle-ci est insuffisante. La perspective la plus prometteuse et la plus immédiate concernant nos partenaires européens, c’est le renforcement de la mutualisation, le renforcement de leur contribution à notre effort pour la sécurité globale. Cela me paraît capital.

Bien sûr, il y a le G5 Sahel, qui paie le prix du sang – un très lourd tribut. Ce sont des partenaires que nous devons accompagner, mais qui doivent aussi renforcer leur engagement. Je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire…

Enfin, je veux insister sur une troisième piste, qui m’apparaît capitale : l’adéquation de notre effort pour la sécurité avec notre effort de coopération. Cette combinaison semble aujourd’hui mal calibrée : si j’en crois les chiffres du président Cambon, l’opération Barkhane nous coûte chaque jour 2 millions d’euros, alors que nous accordons 200 000 euros à la coopération. C’est insuffisant !

La France, seule, ne peut pas tout. Ce que je propose, c’est que l’Europe contribue plus ! L’Europe, mes chers collègues, est le premier contributeur mondial en matière de soutien humanitaire. Elle doit pouvoir mieux nous aider, de même que l’AFD, dont la logique – permettez-moi de le dire – nous dépasse parfois. Nous aimerions, à cet égard, beaucoup plus de transparence.

En tout cas, cette association entre effort pour la sécurité et effort de coopération est essentielle, car, dans ces zones désertiques, une école, un dispensaire, un accès à l’eau font beaucoup plus que bien d’autres actions.

Pour finir, je voudrais dire qu’il ne peut évidemment pas y avoir de reconstruction sans réconciliation. Il faudra exiger du Mali qu’il applique les accords d’Alger ; il faudra sans doute que l’Algérie elle-même entre en jeu pour garantir l’application de ces accords. De même, il faudra encourager le dialogue entre le Nord et le Sud, entre le peuple peul et le peuple dogon.

Madame la ministre, monsieur le ministre, nos soldats au Sahel connaissent leur devoir. À nous de leur indiquer le sens de leur mission, quelle est notre vision, selon quelle stratégie. Nous attendons des éléments de votre part à ce sujet. Mais sachez que mon groupe assumera toujours ce devoir : au-delà de nos divergences politiques, dès lors qu’est en jeu l’intérêt supérieur de la Nation, nous serons toujours à vos côtés et aux côtés de l’armée française.

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