Intervention de Florence Parly

Réunion du 9 février 2021 à 14h30
Opération barkhane : bilan et perspectives — Débat organisé à la demande de la commission des affaires étrangères

Florence Parly :

Monsieur le président, monsieur le ministre – cher Jean-Yves -, mesdames, messieurs les présidents de commission et de groupe, mesdames, messieurs les sénateurs, en introduction de mon propos, je souhaite naturellement m’associer à l’hommage que vous avez tous rendu à nos militaires et avoir une pensée particulière pour la famille de Jean-Marie Bockel.

La question qui me paraît devoir être abordée à la suite de l’ensemble de vos interventions est celle-ci : pourquoi sommes-nous au Sahel ?

Il y a huit ans, le Mali a fait appel à la France pour stopper des colonnes de djihadistes qui fonçaient sur Bamako. Nous avons répondu à cet appel, car c’est ainsi que nous nous comportons avec nos partenaires ; et c’est ainsi que nous souhaiterions que nos partenaires se comportent si nous étions un jour agressés.

Nous avons répondu à cet appel pour protéger le Mali et sa population, mais aussi pour protéger les États sahéliens des groupes terroristes qui veulent les détruire et les soumettre pour imposer leur loi, terroriser et tuer tous ceux qui s’opposent à eux. Nous avons aussi répondu à cet appel du Mali, parce que, comme le ministre de l’Europe et des affaires étrangères l’a rappelé, nous ne voulons pas que le Sahel devienne un sanctuaire terroriste, nous ne voulons pas qu’il leur permette de préparer des attentats dans l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, voire en Europe.

Depuis huit ans, les forces armées françaises se sont sans cesse adaptées – certains ont dit « ajustées » – à cette menace : l’opération Barkhane a évolué, évolue et sera encore amenée à évoluer.

Je voudrais maintenant revenir avec vous sur l’évolution de la stratégie de la France au Sahel que le Président de la République a opérée il y a un an au moment du sommet de Pau.

Souvenez-vous, il y a un an, les forces armées sahéliennes étaient débordées de toutes parts, pour ainsi dire au bord de la rupture. En l’espace de deux mois seulement, le Niger avait enterré 160 de ses soldats, après les attaques d’Inates et de Chinagodrar, et le Mali 53 militaires et civils après l’attaque de la garnison à Indelimane.

Il y a un an, on observait la montée du discours antifrançais, qui n’était pas clairement démenti, souvenez-vous-en, par certaines autorités des pays du G5 Sahel.

Il y a un an, on observait aussi que la mobilisation des pays sahéliens n’était pas forcément à la hauteur des enjeux.

Au milieu, il y avait un véritable boulevard pour Daech et Al-Qaïda au Sahel, qui multipliaient leurs actions et se renforçaient chaque jour davantage.

Le Président de la République a donc convoqué un sommet avec l’ensemble de nos alliés et de nos partenaires pour revoir notre stratégie commune et pour s’assurer que la présence des armées françaises au Sahel était bien voulue et non pas subie. De ce sommet, je crois pouvoir dire que nous sommes sortis plus forts et plus nombreux. C’était en effet un message fort de solidarité avec les pays sahéliens, un message de remobilisation régionale et internationale dans la lutte contre le terrorisme.

La création de la Coalition pour le Sahel – le ministre de l’Europe et des affaires étrangères l’a rappelé – nous a offert un cadre d’action reposant sur quatre piliers autour desquels nous articulons notre stratégie. Je concentrerai mon propos sur les deux premiers.

Le premier pilier, c’est la lutte contre le terrorisme, en particulier contre l’État islamique dans le Grand Sahara, affilié à Daech dans la région des trois frontières, cette région qui se situe à cheval sur le Mali, le Niger et le Burkina Faso. C’est pour intensifier cette lutte que le Président de la République a décidé il y a un an de renforcer les effectifs de Barkhane de 600 militaires supplémentaires.

Le second pilier, c’est la montée en puissance des forces armées sahéliennes.

Depuis un an, ce sont ces deux objectifs qui ont guidé notre action.

Au bout d’un an, des résultats significatifs ont été obtenus : l’effort militaire sur la zone des trois frontières a porté ses fruits. Daech au Sahel est fortement entravé, même s’il conserve encore une capacité de régénération importante.

Concrètement, en 2019, 300 membres des forces de sécurité – garde nationale, police, gendarmerie ou militaires – avaient été tués en six mois. Si, depuis un an, nous déplorons près de 100 policiers ou militaires tués par des groupes terroristes au gré d’actions d’opportunité dans la région du Liptako, qui est à cheval entre le Mali et le Niger, il convient de noter que, depuis janvier 2020, plus aucune attaque d’ampleur n’a été commise.

Nous avons également réussi à affaiblir Al-Qaïda en neutralisant son numéro un dans la région ainsi qu’un certain nombre de ses cadres.

Par ailleurs, la montée en puissance des armées sahéliennes se confirme : nous observons chaque jour des progrès et des résultats encourageants. Au début de cette année 2021, à partir du 2 janvier très exactement, jusqu’au 3 février, près de 2 000 militaires des forces armées maliennes, burkinabées et nigériennes, ainsi que de la force conjointe du G5 Sahel, ont conduit, au côté de la force Barkhane, une opération de grande ampleur baptisée Éclipse, qui a pris donc le relais de l’opération Bourrasque.

L’ennemi a été bousculé et surpris par la rapidité de l’intervention. Face à la puissance des unités engagées, les groupes terroristes se sont repliés et ont abandonné de nombreuses ressources : des motos, des pick-up, des équipements de communication, ainsi que d’importants matériels et produits permettant la fabrication d’engins explosifs improvisés qui peuvent être si meurtriers, comme nous le savons si bien.

Contrairement à il y a un an, les forces armées locales sont désormais capables de résister et de répliquer. Elles ne sont plus démunies face à la violence des attaques terroristes, même si, bien sûr, elles ont encore besoin d’être accompagnées. Cela est possible grâce à Barkhane, bien sûr, mais aussi et surtout grâce à un engagement international et européen qui s’est confirmé et renforcé. Je pense en premier lieu tout particulièrement aux Européens, dont l’engagement en faveur de la formation des forces armées locales est essentiel au travers de la mission de l’Union européenne EUTM Mali.

Quand je dis qu’il y a des Européens au Sahel, on me pose à peu près systématiquement la question : « Mais où sont les Allemands ? » Eh bien, je peux vous dire qu’ils sont là ! Ce sont même les deuxièmes contributeurs, derrière la France, à la mission de formation des forces armées maliennes de l’Union européenne.

Partenaire européen de premier plan, l’Allemagne fournit 800 soldats au travers de ses déploiements au sein de la Minusma et de l’EUTM et elle devrait en fournir 450 de plus à la fin de l’année 2021 ou au début de l’année 2022.

Il y a aussi des Européens au sein même de Barkhane : des Espagnols, des Britanniques, des Estoniens, qui nous appuient par des moyens et des renseignements précieux. Un détachement danois a en outre renforcé Barkhane pendant toute l’année 2020. Naturellement, le soutien américain contribue lui aussi au succès de nos opérations.

Plus récemment, nous avons mis sur pied une force composée de forces spéciales européennes, entièrement consacrée à l’entraînement et à l’accompagnement au combat des forces armées maliennes : c’est la force Takuba. Cette force est aujourd’hui composée d’un groupe de forces spéciales franco-estonien, d’un groupe franco-tchèque et d’un détachement suédois composé de 150 militaires, qui, au moment où je vous parle, est en train de se déployer. Ils fournissent des capacités aéromobiles essentielles et une unité de réaction rapide. D’autres nations sont prêtes, elles aussi, à s’engager.

Si l’on nous avait décrit pareil engagement il y a encore un ou deux ans, aucun d’entre nous ne l’aurait sans doute cru possible. Pourtant, en engageant un contingent dans Takuba, ces pays acceptent d’aller au combat. Ils acceptent le contact direct avec l’ennemi. Ce sont des alliés qui ont compris que la stabilité du Sahel était clé pour la sécurité européenne. Ils sont prêts à se battre auprès de nous pour lutter contre le terrorisme. Leurs contributions – vous en conviendrez – sont tout sauf insignifiantes.

Si des Européens s’engagent aujourd’hui à nos côtés, c’est parce qu’ils croient au sens de cet engagement. C’est aussi parce que la France y est et que l’organisation et le savoir-faire de nos armées facilitent la présence d’armées moins puissantes.

Je l’ai dit et je le répète : Barkhane n’est pas éternelle. Mais à court terme nous allons rester, ce qui n’exclut pas que les modalités de notre intervention évoluent – s’ajustent, diraient certains –, bien au contraire.

Les pays sahéliens souhaitent que nous continuions à les aider ; les résultats obtenus nous permettent d’accentuer la stratégie d’accompagnement des forces locales avec nos partenaires et avec nos alliés sur le terrain.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le contre-terrorisme au Sahel est et reste une priorité, contre Daech et contre Al-Qaïda. Comme le rappelait Bernard Emié, directeur général de la sécurité extérieure, il y a quelques jours, à la sortie du comité exécutif ministériel que nous avons consacré au contre-terrorisme, le risque d’expansion du djihadisme vers le golfe de Guinée et l’Afrique de l’Ouest est réel. Certains d’entre vous l’ont souligné. Le projet politique qu’il y a derrière est clair : faire de la région la base arrière du djihadisme.

Notre enjeu est donc de réussir à transformer les gains et les victoires tactiques en progrès politiques, économiques et sociaux, tout en adaptant sans cesse notre engagement, de façon collective et concertée. Ce sera tout l’objet du sommet de N’Djamena qui se déroulera la semaine prochaine.

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