Intervention de Jean-Baptiste Blanc

Réunion du 9 février 2021 à 14h30
Sécurisation de la procédure d'abrogation des cartes communales — Vote sur l'ensemble

Photo de Jean-Baptiste BlancJean-Baptiste Blanc :

Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, en matière d’urbanisme, on pense souvent, à tort, que certaines mesures législatives relèvent d’ajustements techniques : l’urbanisme ne serait qu’affaire de technique… Tel n’est pas le cas, comme nous le savons tous.

À la vérité, comme les travaux en commission l’ont bien montré, cette proposition de loi de mon collègue Rémy Pointereau soulève une question profondément politique, que je résumerai ainsi : souhaitons-nous une modernisation accompagnée, concertée, différenciée de nos politiques d’urbanisme local ou une transition à marche forcée, sanctionnée de recentralisation ?

Rien ne reflète davantage la diversité de nos territoires que leurs documents d’urbanisme. Voilà plus de vingt ans, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, a instauré le plan local d’urbanisme (PLU), envisagé comme un nouveau document de référence pour les communes françaises.

En réalité, la transition vers le PLU ne se fait que progressivement, pour des raisons que les élus locaux connaissent bien : d’abord, la complexité des procédures, qui évidemment s’accroît au fil des nouvelles lois ; ensuite, le coût de l’élaboration – en moyenne, 35 000 euros par commune ; enfin, le transfert, en 2017, de la compétence à l’échelon intercommunal, qui a retardé la transition vers le PLU, car il n’est pas facile de faire converger les visions de dizaines de communes.

La transition vers le PLU avance, mais de nombreuses communes ont préféré rester régies par une carte communale ou, jusqu’à récemment, par un plan d’occupation des sols (POS). Il s’agit souvent de communes rurales de petite taille, qui ont fait ce choix par manque de moyens ou d’opportunités. Elles doivent être respectées et entendues.

À rebours de ce constat différencié et territorialisé, la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, a imposé la caducité des POS qui n’auraient pas été transformés en PLU. L’échéance de caducité, trop proche, a été aménagée plusieurs fois, notamment sur l’initiative du Sénat. Par exemple, à un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) ayant acquis la compétence d’urbanisme en 2017, la loi laissait moins de deux ans pour élaborer un plan local d’urbanisme intercommunal (PLUi), procédure qui prend d’ordinaire jusqu’à six ans…

La proposition de loi déposée par Rémy Pointereau, que je salue, vise à faciliter la transition des documents d’urbanisme locaux par deux mesures.

Premièrement, elle a pour objet de fixer une procédure applicable au remplacement des cartes communales par les PLUi dans la loi, alors que celle-ci est aujourd’hui silencieuse. Nous savons, de la voix même des maires, que cette incertitude les place dans des situations délicates : d’abord, devoir conduire une seconde enquête publique ; ensuite, tomber sous le régime du règlement national d’urbanisme (RNU) sans l’avoir anticipé ; enfin, retarder l’entrée en vigueur des PLUi.

Deuxièmement, cette proposition de loi tend à repousser de deux ans l’échéance de caducité des POS, pour la porter au 1er janvier 2023, afin que les dernières communes puissent faire aboutir leur nouveau PLUi. Malheureusement, l’ordre du jour parlementaire n’ayant pas permis d’examiner à temps ce texte, force est de constater que la caducité est bel et bien intervenue au début de l’année 2021.

Le rapport que j’ai réalisé au nom de la commission des affaires économiques a suivi deux principes : la souplesse, d’abord, afin d’offrir aux maires confrontés à des problèmes concrets des outils ciblés pour avancer, en cohérence avec le projet de territoire ; le pragmatisme, ensuite, car j’estime qu’il n’était pas envisageable de remettre en vigueur les POS, pour des raisons évidentes de sécurité juridique, de rétroactivité notamment – cela aurait engendré trop de contentieux.

La commission a adopté quatre amendements traduisant ces principes.

Tout d’abord, elle a ajusté la rédaction de l’article 1er pour renforcer la procédure combinée introduite par l’auteur de la proposition de loi. L’abrogation de la carte communale et l’élaboration du PLUi pourront ainsi être menées de front avec des délibérations jointes et une enquête publique unique. C’est là davantage non seulement de sécurité, avec une abrogation explicite et articulée dans le temps, mais aussi de souplesse, avec une réduction des lourdeurs procédurales.

Ensuite, à l’article 2, la commission a offert aux maires des communes frappées par la caducité des POS ce que nous avons appelé une « boîte à outils », afin d’en atténuer les conséquences les plus problématiques et d’améliorer le dialogue avec le préfet. Il s’agit de gérer au mieux la période intermédiaire avant l’adoption du nouveau PLUi sans que l’application du RNU vienne bouleverser un projet de territoire construit pendant des années. Cette « boîte à outils » se compose précisément de trois outils, sous la forme de trois dérogations.

La première dérogation vise à restaurer le droit de préemption des communes dont le POS est caduc. Elles pourront ainsi continuer à constituer des réserves foncières pour mener leurs projets d’équipement collectif, de logement ou d’autres projets structurants.

Les deux autres dérogations tendent à améliorer le dialogue entre le maire et le préfet et à favoriser le traitement au cas par cas des difficultés de terrain. Sous le régime du RNU, toute décision du maire relative aux autorisations d’urbanisme est soumise à l’avis conforme du préfet. Parfois, cela se traduit par des blocages sur des projets pourtant pertinents ou, à l’inverse, par l’autorisation de projets prédateurs.

Pour améliorer le dialogue, la commission a instauré deux dispositifs.

Il s’agit, d’une part, du recours à un sursis à statuer élargi, permettant d’attendre l’adoption du PLUi avant de statuer sur une demande : c’est une sorte de dérogation défensive. La commission a prévu, d’autre part, que les maires puissent solliciter du préfet l’usage de dérogations élargies : c’est une dérogation dite « offensive », toujours de nature à lever les blocages. Dans les deux cas, ces propositions devront être justifiées par un intérêt communal.

Madame la ministre, je conclurai mon propos en revenant sur les échanges que nous avons eus en commission. Certes, une partie des articulations que nous proposons auraient pu être apportées par un décret. Peut-être nous direz-vous ce que devient ce projet de décret… S’il est en cours de préparation, pourquoi avoir attendu si longtemps, et plus précisément la mobilisation du Sénat ?

En outre, nombre des apports de la commission nécessitent de passer par la loi : restaurer le droit de préemption ; élargir le sursis à statuer ; modifier la procédure d’avis du préfet sur l’abrogation de la carte. En tant que législateurs, il nous appartient de nous assurer de la précision de la loi, et non pas de renvoyer la définition des procédures à la seule jurisprudence ou à une pratique. Cela va mieux en le disant…

Vous l’avez également suggéré, certaines rédactions votées en commission pourraient être encore améliorées. C’est là tout l’intérêt de la navette parlementaire. Aussi, j’espère que le Gouvernement demandera l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, afin que la proposition de loi puisse poursuivre son chemin et apporter enfin aux élus locaux des solutions concrètes.

Comme toute transition, celle que nous appelons de nos vœux vers des documents d’urbanisme plus concertés, plus respectueux de l’environnement, plus intégrés aux enjeux de logement et de développement économique, mérite un véritable accompagnement et des gages de confiance envers celles et ceux qui la conduisent au quotidien.

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