Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est un rapport dense que mes collègues rapporteures Catherine Deroche et Sylvie Vermeillet et moi-même avons produit et je veux saluer ici la qualité du travail que nous avons réalisé en commun. Nous nous sommes attachés à analyser la réponse de notre pays et, surtout, à proposer des pistes qui, si elles étaient suivies, permettraient à notre système de santé de tirer les leçons de cette épidémie.
Ce rapport a été intitulé « Pour un nouveau départ en santé publique ». Nous avons en effet partagé le constat que, si, ces dernières décennies, notre pays a su construire un système de soins, hospitaliers et de ville, qui a ses propres difficultés – nous les connaissons bien –, il a beaucoup moins su construire un système de santé publique. Ce n’est pas un hasard si des pays qui ont vécu une situation épidémique en 2003 ont beaucoup mieux répondu, en 2020, à la crise : c’est qu’ils avaient modifié leur approche, tirant les leçons de l’épidémie passée.
Pouvons-nous ensemble former le vœu que nous sachions désormais tirer les leçons de cette crise – c’est l’essentiel – et modifier en conséquence notre système de santé publique ?
L’une des grandes leçons que nous avons tirées, c’est que nous avions un défaut d’adaptation. Ce défaut fait que la réponse donnée est souvent uniforme, verticale, décidée d’en haut. On peut dire qu’après tout elle décalque le système politique du pays, mais on ne saurait s’en satisfaire.
La question que je souhaite poser aujourd’hui est la suivante : quand allons-nous tirer ces leçons ? Quand allons-nous prendre des dispositions qui modifient notre approche de la crise ?
On voit par exemple, dans le secteur de la culture, que persiste une réponse uniforme d’arrêt de toutes les activités, alors que vivre avec le virus en en maîtrisant au maximum la circulation pour ne pas saturer notre système de santé – telle est la stratégie générale – ne nécessite pas d’arrêter uniformément toutes les activités culturelles. L’adaptation n’est toujours pas au rendez-vous, même si elle commence à être annoncée.
On voit que, dans le domaine du commerce, après une première phase, à l’automne – je ne parle pas du printemps, quand, chacun en conviendra, la sidération s’est imposée à nous tous –, où l’on décide de l’ouverture ou de la fermeture en fonction de la qualité du bien acheté et non pas des conditions sanitaires de l’achat, cette approche ubuesque commence à être modifiée via les dernières annonces du Premier ministre. Ce sont désormais davantage les conditions sanitaires de l’achat qui autorisent ou non l’ouverture de tel ou tel commerce.
L’adaptation est donc extrêmement lente. Monsieur le ministre, nous appelons à ce que notre pays aille plus vite en la matière.
Des réponses pourraient être apportées en termes de gouvernance. « On verra après la crise », disent certains. Comment déterminer précisément à quel moment il sera possible de tourner la page ? Il y a eu une phase suraiguë, il y a encore des épisodes aigus, peut-être entrerons-nous demain ou après-demain dans une phase chronique, mais il me semble que, plus d’un an après le début de l’épidémie, il est temps d’adopter les modifications qui sont nécessaires.
Le Parlement devrait en légiférer. Après tout, n’allons-nous pas examiner une proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification qui est assez brouillonne et confuse ? Monsieur le ministre, pourquoi le temps d’une loi d’adaptation du système de santé aux leçons de la covid-19 ne serait-il pas venu ? Quand en débattrons-nous ?
La stratégie du « vivre avec » s’est trop souvent traduite par le fait d’arrêter de vivre et a surtout fait la preuve de la difficulté à territorialiser les réponses. Il est dommage que nous n’ayons pas mis en place une approche plus territoriale des mesures restrictives quand l’évolution de l’épidémie était très différente d’un territoire à l’autre. Une telle territorialisation n’est peut-être plus de mise à l’heure actuelle, car il faudra probablement demain décider de nouvelles mesures restrictives à l’échelon national.
Quoi qu’il en soit, je regrette qu’une approche territorialisée n’ait pas été davantage développée. Dans certains territoires, dans certains villages, par exemple en Bretagne, cela fait plus d’un an qu’aucun cas de covid n’a été recensé. Les habitants y sont pourtant soumis aux mêmes restrictions, à peu de chose près, que les autres territoires de notre pays.
Monsieur le ministre, nous espérons que le « vivre avec » s’arrêtera un jour. Nos capacités d’anticipation ont été mises à mal, mais nous devrions collectivement réfléchir pour déterminer à quel moment il sera possible de passer à une stratégie d’éradication ou d’élimination du virus.
Après tout, vous nous avez annoncé le 12 janvier dernier que la France disposerait au mois de juin prochain de 77 millions de doses de vaccin. Le chiffre de 135 millions de doses a également été avancé. Le chef de l’État a annoncé que, d’ici à l’été, tous les Français qui le souhaiteraient pourraient être vaccinés. Les conditions d’un changement de stratégie vers l’éradication du virus seront-elles posées dans quelques mois ?
C’est un point qui mérite d’être discuté et anticipé, mais pas seulement au sein du conseil de défense et du conseil scientifique. La démocratie sanitaire a trop souffert pendant cette épidémie. Il importe donc d’en discuter également avec les acteurs de santé, avec les élus des territoires et avec le Parlement.
Monsieur le ministre, nous avons la conviction que cette crise doit nous conduire à revivifier notre politique de santé publique grâce à une meilleure association de l’ensemble des acteurs. Si nous réussissons collectivement ce pari, les victimes beaucoup trop nombreuses de cette épidémie auront au moins servi à l’amélioration de notre système de santé.