Je commence par votre question sur les prévisions de trafic et la question du report modal. Quand le projet a été lancé, la SNCF avait l'intention de développer un réseau de TGV européen. Quand les États ont repris en main le projet et quand l'Union européenne l'a inscrit dans son projet de réseau, la composante du fret est devenue dominante, même si le tunnel doit être mixte.
Ainsi, si l'on pense que le fret ferroviaire n'a pas d'avenir ni d'intérêt, il faut mettre fin au projet, qui ne peut pas se défendre si l'on a seulement la perspective du transport de voyageurs. Il y a d'autres projets de transport de voyageurs qui sont plus urgents en France, dont celui que vous mentionnez.
Ce projet n'a donc d'intérêt que si l'on croit que le report modal est possible et nécessaire. Est-il nécessaire ? Tout le monde voit bien son intérêt environnemental. Est-il possible et à quelles conditions ? Nous partons avec un handicap important, car nous sommes parmi les pays européens dont le fret ferroviaire est au plus bas. Si l'on pense que l'on ne peut pas faire mieux et qu'il faut se contenter du trafic autoroutier, il faut renoncer au projet.
Néanmoins, je ne crois pas que ce soit impossible. J'ai été très impressionné, dans les années 2000, par ce qui s'est passé en Suisse. La situation alpine de ce pays rend le trafic difficile, mais les Suisses ont refusé le laisser-aller du transport routier et ont fait ce qu'il fallait pour assurer le report modal, c'est-à-dire investir dans des infrastructures performantes de fret, avec deux grands tunnels nord-sud à travers les Alpes, déjà terminés, et réguler le trafic routier, c'est-à-dire faire payer. Ils l'ont fait avec un soutien populaire fort. Ils ont donc les mêmes difficultés que nous, mais ils ont construit leurs tunnels et, maintenant, plus des deux tiers du trafic passent par le rail. Ce qui a été fait en Suisse relève de la même logique, du même objectif - la lutte contre la pollution, le développement ferroviaire - et des mêmes difficultés que nous. Pourquoi ce qui est possible en Suisse ne le serait-il pas en France ?
Toutefois, cela ne suffit pas. Si nous pensons être aussi capables qu'eux, pour que le fret ferroviaire soit important, il faut d'autres conditions, notamment la qualité de service et l'existence de sillons. Une fois que le train a traversé les Alpes, il doit passer par Lyon puis remonter vers le nord. Les sillons réservés au trafic de marchandises doivent être de qualité. Il faut donc, pour le fret, les mêmes exigences de fiabilité et de sécurité que pour les trains de voyageurs. On le sait, quand il y a des travaux ou des mouvements sociaux, les trains de fret ne passent pas, il n'y a pas d'engagement de qualité de service. Le report modal n'aura lieu que s'il y a une volonté en ce sens et cette volonté est largement partagée.
D'autre part, un effort national est nécessaire, avec des moyens financiers, des investissements sur le réseau et des priorités en faveur du trafic de marchandises pour que ce trafic réponde aux mêmes exigences de qualité ici qu'ailleurs. En Suisse et en Italie du Nord, on est étonné de la façon dont le transport de marchandises est traité. Nous avons, en France, des TGV ultraperformants, mais notre système pour les trains de marchandises a des années de retard.
Il faut donc travailler sur tous ces registres, mais l'idée que le report modal n'est plus opportun me choque profondément.
Sur la question de la ligne Paris-Lyon, je serai moins capable de vous répondre. L'attention de Bruxelles porte sur le corridor sud - Espagne, sud de la France jusqu'à Lyon, puis traversée des Alpes. Le Paris-Lyon n'y appartient pas. Cela dit, le raccourcissement considérable de la durée des trajets devait augmenter le trafic vers Turin, puisque l'on gagnera deux heures.
Il faut réfléchir au sujet Paris-Lyon en tenant compte des perspectives de croissance du trafic italien. Je ne sais pas où en est le projet de doublement sur lequel j'avais travaillé à l'époque. Les progrès techniques et l'amélioration des outils de signalisation devraient permettre de densifier encore les lignes actuelles. Je ne peux dire comment évoluera le trafic TGV dans ce monde où tout change si vite, mais l'axe Paris-Lyon restera la flèche de notre réseau national.
Très peu de passagers empruntent aujourd'hui le Paris-Turin, car le trajet est trop long. Nous allons gagner deux heures entre Lyon et Turin et je pense, même si d'autres sont plus compétents que moi pour évoquer ces questions, que la proximité entre ces deux dernières villes devrait conduire à un développement du trafic, y compris avec Paris.