Je suis très sensible à votre témoignage. Je vous confirme que je serais très heureux de recevoir une délégation de votre commission.
Nous constatons que les personnes qui viennent voir le chantier n'ont pas la même appréciation du projet, d'abord parce qu'ils voient que cela commence à ressembler à un tunnel, que l'ouvrage est assez beau esthétiquement et que des entreprises françaises, italiennes et suisses réalisent des prouesses techniques absolument remarquables. Il s'agit vraiment d'un projet d'échelle mondiale. Les entreprises et les personnels font un travail qui n'est pas toujours facile. En outre, malgré la crise sanitaire, le chantier n'a pratiquement pas été arrêté : des dispositions extrêmement rigoureuses ont été prises, qui ont permis au chantier de se dérouler sans accident. Il faut saluer l'intelligence des entreprises ainsi que le travail de recherche et d'innovation.
Pour ce qui concerne le calendrier des accès, le projet est prêt du côté italien. Son financement va être assuré par le plan de relance italien, très largement soutenu par l'Europe. Il est prévu que, dans un premier temps, la ligne existante soit aménagée jusqu'à Turin, qui est proche de Suse. Ce ne sera donc pas difficile à réaliser.
Côté français, les choses ont été relancées il y a un peu plus de deux ans. SNCF Réseau réalise actuellement un travail pour reprendre le projet que nous avions préparé à Réseau ferré de France. Ce projet d'accès était abondant, puisqu'il prévoyait deux lignes nouvelles de Lyon jusqu'à Saint-Jean-de-Maurienne, l'une pour le fret et l'autre pour les voyageurs. Ce projet a fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique (DUP). Il a été attaqué devant le Conseil d'État, qui l'a approuvé. Comme il est trop coûteux, le ministère a décidé de créer une commission de travail, présidée par le préfet, qui consiste à reprendre le projet qui a fait l'objet de la DUP et à le simplifier pour que la continuité du trafic soit assurée au moment de l'ouverture du tunnel, donc à l'horizon de 2030, et que l'on procède par étapes, une première étape permettant d'assurer un écoulement normal du trafic en 2030 dans le corridor qui va vers Lyon.
Deux scénarios, correspondant à deux itinéraires possibles, ont été approfondis. Le choix entre ces deux scénarios sera effectué l'année prochaine dans le cadre de la DUP. L'obstacle très important de la DUP ayant été franchi, le calendrier peut être compatible avec l'horizon de 2030-2032. Le choix entre les deux scénarios n'est pas facile. L'un accorde une priorité nette au fret et n'améliore pas beaucoup la situation pour les voyageurs dans un premier temps. Il y a un arbitrage à faire. Quoi qu'il en soit, la situation s'est plutôt bien rétablie. Quand le scénario sera choisi, nous pourrons aller de l'avant.
Il est vrai qu'il vaudrait mieux, pour un projet aussi long, que les financements soient assurés. Tel n'est pas vraiment le cas. L'Italie est le seul pays à assurer un financement pluriannuel du projet, le gouvernement Monti ayant fait voter un budget pluriannuel correspondant à 80 % de la part de l'Italie et à 35 % du coût total.
En France, nous sommes dépendants d'un vote annuel. Le financement de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) doit être renouvelé chaque année, même si nous avons l'engagement politique de l'État, qui nous autorise à signer les marchés.
Un travail a été réalisé voilà trois ou quatre ans pour proposer des financements d'une autre nature, notamment l'appel à l'eurovignette et un montage financier reposant sur un emprunt, qui n'a pas été accepté. La discussion n'est pas définitivement close, le respect des critères d'endettement étant en train d'être reconsidéré. Il est sans doute un peu dommage de ne pas recourir à l'emprunt pour financer un projet qui va durer plus de cinquante ans... En tout état de cause, le sujet reste ouvert.
Pour l'instant, l'Afitf nous accorde les crédits chaque année. Jusqu'à ces derniers temps, ces crédits étaient relativement modestes, mais les sommes seront nettement plus importantes en 2021, 2022 et 2023. L'Afitf devra gérer cette difficulté. Nous n'avons pas d'inquiétude particulière, mais on ne peut pas dire qu'il y ait un financement structuré, pluriannuel et assuré. On fonctionne un peu au coup par coup.
La situation n'est pas bien meilleure sur le plan européen : le financement était assuré jusqu'en 2021 et a été prolongé en 2022. La discussion va s'engager pour les prochaines années, mais il est désormais question de ramener à trois ans le contrat que nous pensions avoir pour sept ans. Autrement dit, nous n'aurons pas non plus de la part de Bruxelles un montant assuré avec les clés de financement que j'ai mentionnées. Je n'ai pas de doute sur la volonté d'aller jusqu'au bout, mais il faut périodiquement remettre le sujet sur la table et, chaque fois, discuter les conditions et les modalités. C'est probablement une faiblesse.
Concernant la régulation, je rappelle que MM. Destot et Bouvard avaient travaillé ensemble sur une proposition de montage, avec un emprunt qui était gagé en particulier par des recettes venant des axes autoroutiers, comme l'a fait la Suisse. Le sujet est sensible. Les deux parlementaires avaient démontré qu'il était possible d'opérer un prélèvement de coût assez modéré sur un très grand nombre de camions sur un territoire très large, comprenant Vintimille. Bruxelles avait plutôt vu cela d'un bon oeil. Je pense que le sujet n'est pas définitivement abandonné, mais, pour l'instant, il ne fait pas l'objet de propositions élaborées. Il faut vraiment jouer sur les deux pistes.
Faut-il interdire le trafic de camions ? Il faut en tout cas le réguler. On peut déjà contraindre le trafic en interdisant toute une catégorie de camions - ceux qui transportent des marchandises dangereuses, ceux qui ne respectent pas les normes environnementales... - et grâce à la tarification.
La volonté de l'Europe est de supprimer la possibilité qu'un camion traverse l'Europe entière, depuis la Lituanie jusqu'au Portugal. Une partie du trafic intraeuropéen devrait passer sur le train.