Sur la gratuité, je vais résumer : elle est envisageable, quand le réseau est neuf et vide ! Ce n'est évidemment pas le cas en Île-de-France, où une telle mesure serait en fait contre-productive.
Quelques mots sur le RER B. Je rappelle qu'Alstom a racheté son principal concurrent, Bombardier, avec l'accord de la Commission européenne. J'ai soutenu ce rapprochement, parce qu'il me semblait important de créer un géant ferroviaire français face aux offensives des entreprises étrangères, notamment chinoises. D'ailleurs, j'étais également intéressée par le rapprochement avec Siemens, même si les conditions étaient différentes et les complémentarités moins grandes - les risques sociaux étaient aussi plus élevés.
Au moment de l'annonce du rapprochement avec Bombardier, j'ai contacté le président d'Alstom pour savoir si cela remettait en cause l'appel d'offres sur le RER B, qui est extrêmement important pour la région.
Je rappelle que cette ligne qui relie Roissy et Saclay est utilisée par 900 000 personnes par jour ; c'est la deuxième ligne la plus utilisée dans la région, l'une des plus utilisées en Europe. Les besoins de régénération de cette ligne sont colossaux ; d'ailleurs, l'appel d'offres atteignait 2,5 milliards d'euros.
Je rappelle aussi que nous avions reçu deux offres : l'une d'Alstom, l'autre d'un consortium regroupant Bombardier et CAF, une entreprise espagnole qui a une usine en Occitanie à Bagnères-de-Bigorre.
J'avais reçu des assurances sur le fait que la fusion n'aurait aucune conséquence sur l'appel d'offres. Pourtant, après le rapprochement et à quelques semaines de la clôture de l'appel d'offres, Alstom a déclaré que l'offre de Bombardier et de CAF lui paraissait anormalement basse et pas soutenable financièrement. Un expert a été mandaté par la RATP et la SNCF ; il n'a pas conclu dans le sens des déclarations d'Alstom. Il faut savoir que l'offre de Bombardier et de CAF était sensiblement moins chère que celle d'Alstom, même si je ne suis pas autorisée à révéler les chiffres.
Il y avait donc clairement un imbroglio. Alstom a déposé des recours successifs pour empêcher la signature du contrat. La justice s'en est saisie et a fait une petite remarque de forme. Finalement, les offres modifiées ont été validées par la justice le 4 janvier et la RATP a pu notifier à Alstom le rejet de son offre. Là encore, Alstom a attaqué dans le but évident de gagner du temps, puisque l'entreprise devenait effectivement propriétaire de Bombardier le 29 janvier. C'est ce jour-là qu'Alstom a annoncé le retrait de l'offre de Bombardier !
Nous avons bien sûr été sidérés par ces manoeuvres, d'autant que l'offre de Bombardier avait été formulée conjointement avec CAF. Légalement, Alstom ne pouvait donc pas retirer cette offre, si bien que la RATP et la SNCF ont décidé de notifier le marché en bonne et due forme - j'étais d'accord avec cette décision. Qui plus est, Alstom s'était désisté de ses recours.
Nous avons la volonté très forte de voir ce contrat exécuté. Nous en sommes là et les deux cocontractants doivent se revoir pour fixer les conditions d'exécution du marché. Dans ce dossier, les délais sont essentiels au regard de l'importance de cette ligne et de ses besoins de régénération. J'avais d'ailleurs décidé, quand j'ai été élue, d'avancer l'appel d'offres de trois ans. Il me paraît incompréhensible et même impossible pour une entreprise qui en rachète une autre de ne pas respecter les engagements pris par cette dernière.
En ce qui concerne l'autorisation environnementale de CDG Express, je vous rappelle que cette ligne n'est pas financée par la région, mais par un groupement ADP/SNCF.
Pour autant, nous avions obtenu deux engagements importants pour nous :
- d'une part, assouplir le calendrier de réalisation : initialement, l'État voulait terminer les travaux pour les Jeux olympiques mais il ne nous paraissait pas acceptable de faire passer ce projet avant les trains du quotidien.
- d'autre part, dégager une enveloppe de 500 millions d'euros de travaux pour fiabiliser le faisceau nord de notre réseau ferroviaire - ces travaux qui concernent les lignes B, D et K sont donc financés par le groupement qui réalise le CDG Express. Est alors intervenue la décision du tribunal administratif de Montreuil qui s'est appuyée, étonnamment, sur l'absence d'intérêt majeur du projet. L'État a fait appel de cette décision. Le problème, c'est que cette décision bloque de facto l'enveloppe de 500 millions d'euros, alors que ce projet n'est pas seulement majeur, il est capital ! Ainsi, ceux qui ont déposé ce recours ont aussi bloqué, par effet boomerang, les travaux qu'ils appelaient par ailleurs de leurs voeux...
Nous considérons que les deux projets - le CDG Express et la régénération du faisceau nord - sont d'un intérêt majeur et, plutôt que d'attendre la décision de la cour administrative d'appel, nous allons demander à l'État de les « désimbriquer ». Mais il faut au moins un an pour le faire, car de nouvelles autorisations environnementales sont nécessaires.
Cet exemple nous montre clairement que les procédures judiciaires ne sont vraiment pas la meilleure méthode pour faire avancer des dossiers...
En ce qui concerne l'écotaxe poids lourds, qu'on appelle maintenant contribution poids lourds, j'y ai toujours été favorable. Quand j'étais ministre en charge du budget, j'ai d'ailleurs signé avec Jean-Louis Borloo le contrat Écomouv qui instaurait une écotaxe sur tout le territoire - chacun connaît la suite de l'histoire... Je suis favorable par principe à cette idée, car je crois que le bilan carbone doit être compté dans le prix des produits. C'est en particulier important, si nous voulons retrouver notre compétitivité et relocaliser des installations industrielles dans notre pays - la fiscalité écologique est un outil pour mener une telle politique.
Toutefois, je vois aussi les effets pervers d'une telle fiscalité. C'est pourquoi je considère qu'elle ne devrait être destinée qu'aux poids lourds en transit. L'Île-de-France est au centre du noeud routier français et nous avons le triste privilège d'être traversés en permanence par de multiples camions qui polluent, détruisent les routes, tout en ne payant rien. Cependant, limiter cette taxe aux camions en transit serait contraire, me dit-on, aux normes européennes. Dans ces conditions, je reste favorable à une telle mesure, mais je suis prête à prendre des engagements pour que son montant soit entièrement réinvesti en travaux d'amélioration des routes franciliennes et pour soutenir le changement de motorisation des véhicules, ce qui inclut les travaux d'installation de bornes de recharge, qu'elles soient hydrogènes ou électriques. Pour mettre en place cette taxe, il faut donc une négociation avec les transporteurs et que nous nous mettions d'accord avec les acteurs du secteur pour bâtir ensemble un nouvel écosystème. Il ne s'agit évidemment pas de mettre à mal tout un secteur économique, déjà très touché par crise et qui fonctionne de toute façon avec des marges très faibles. Cette écotaxe pourrait les aider à réaliser leur transition écologique.
La logistique urbaine constitue une importante source de préoccupation pour la région. L'utilisation de la voiture a reculé de 5 % en dix ans, tandis que la population d'Île-de-France croissait de 50 000 habitants par an. Nous devons travailler sur le dernier kilomètre. Je ne suis pas hostile aux zones à faibles émissions, mais il faudra veiller aux conséquences sociales d'un tel dispositif pour ceux qui habitent et travaillent loin et qui, souvent, possèdent d'anciens véhicules. Il convient de réconcilier écologie et politique sociale. Nous avons, à cet effet, mis en place des aides au renouvellement des véhicules pour les artisans et les commerçants - 5 000 aides ont été versées cette année. Il nous faut imaginer l'avenir à l'horizon de 2030-2040. Nous pensons, à cet égard, également au transport fluvial, auquel nous croyons.
M. Jacquin m'a interrogée sur le modèle financier de notre politique de transport. Peut-être suis-je optimiste, mais je ne crois pas que la crise sanitaire affecte durablement les transports et le tourisme en Île-de-France, même s'il faudra du temps pour retrouver la fréquentation d'avant-crise. Les classes moyennes se développent partout dans le monde et on continuera à visiter Paris et la France. J'estime notre modèle de financement solide. La confiance des usagers dans les transports en commun n'est pas perdue, notamment parce que nous appliquons des normes sanitaires parmi les plus strictes du monde. Notre endettement, dont nous maintenons la durée maximale à quinze ans, est sous contrôle. En 2028, nous aurons réalisé les investissements les plus importants et pourrons rembourser l'avance de l'État. Je vous rappelle, en outre, que nous nous endettons à des taux quasiment négatifs : les marchés considèrent IDFM comme sûr.
Le projet du Grand Paris Express comprend 170 kilomètres de voies supplémentaires et une soixantaine de gares à entretenir. Achevé, il coûtera 1 milliard d'euros en exploitation, soit une augmentation des coûts d'exploitation inférieure à 10 % au regard des 10,8 milliards d'euros dépensés chaque année. Nous devrons néanmoins nous montrer créatifs pour trouver de nouvelles recettes. Le rapport remis par Gilles Carrez sur le financement de la Société du Grand Paris proposait des pistes intéressantes mais certaines, comme la taxation des touristes et du secteur de l'hôtellerie, ne peuvent plus guère être utilisées. Avec 650 milliards de produit intérieur brut (PIB) par an, la région d'Île-de-France doit être en mesure de financer ses transports, même si l'État devra également fournir de nouvelles recettes. Le pass Navigo ne pourra suffire à financer l'exploitation du Grand Paris Express !
Je suis très intéressée par les péages positifs qui existent en Scandinavie, mais hostile à tout dispositif conduisant à une fracture sociale, à une ségrégation aux portes de Paris. Je serais heureuse de travailler avec le Sénat sur les dispositifs incitant les automobilistes à se déplacer hors des heures de pointe. Cela me semble plus efficace qu'une énième taxation.
Mon souhait est-il qu'IDFM soit attaché à la seule région ? Absolument pas. Ce syndicat rassemble la ville de Paris, sept départements, les intercommunalités rurales, les usagers, les chambres de commerce et d'industrie (CCI) et la région : il s'agit d'une instance de débat et de concertation. Il me semble important que les différents financeurs bénéficient d'un droit de regard sur la politique des transports. Il conviendrait, en revanche, de travailler sur les compétences d'IDFM, notamment sur les routes, dont la convergence avec les transports en commun apparaît évidente. La route est un chemin ; il s'agit de savoir ce qu'on souhaite y faire circuler : des véhicules propres, silencieux, en covoiturage et des vélos. Les voies comme le périphérique, l'A86, l'A104 peuvent être des espaces multimodaux.
Je suis favorable au projet du Grand Paris Express, qui bénéficie d'un financement dédié, à condition de ne pas sacrifier les travaux de rénovation des transports du quotidien.
Monsieur de Nicolaÿ, nous avons eu beaucoup de chance s'agissant du RER V : un collectif de cyclistes a travaillé en amont sur un tracé. Leur projet a ensuite mobilisé les villes et les départements. La région, qui finance les routes et notamment les contournements des villes, a évidemment repris la balle au bond.
S'agissant de la mise en concurrence, monsieur Tabarot, il faut reconnaître que le législateur nous a beaucoup freinés. Il faudra attendre 2039 pour le RER et la RATP, alors que nous étions prêts à aller plus vite. Nous avons beaucoup de demandes pour les transports en commun, dont il est indispensable d'améliorer la qualité de service. Nous avons d'ores et déjà mis en concurrence les transports scolaires, obtenant à cette occasion une réduction des prix. Nous avons également lancé le processus pour les bus en grande couronne, avec succès. Pourquoi faut-il attendre trois ans pour mettre en concurrence les bus de la RATP ? Voilà un mystère de la loi française... Dans les marchés déjà ouverts, la mise en concurrence n'a pas conduit à un grand soir, mais plutôt à une stabilité. Reste le sujet des petites compagnies de bus que nous ne souhaitons pas voir disparaître et que nous incitons, à cet effet, au regroupement. À l'occasion de la mise en concurrence, les périmètres des lignes de bus ont été revus et le nombre de contrats est passé de cent-vingt à quarante. Nous avons repris les dépôts de bus et étalé, à la demande de l'Autorité de la concurrence, le calendrier des appels d'offres.
La mise en concurrence arrive prochainement pour la RATP ; ce sera un sujet majeur. Le cadre législatif prévoit heureusement une reprise intégrale du personnel et l'engagement social constituera l'un des trois critères d'analyse des offres. Néanmoins, le projet de décret d'application de la LOM imposait trop de barrières s'agissant du temps de travail : il s'alignait sur les 31 heures de travail hebdomadaires de la RATP. Le décret ne doit pas reprendre le statut de la RATP, sauf à dissuader les opérateurs alternatifs de déposer une offre. En Allemagne, la mise en concurrence lancée en 1994 a conduit à une augmentation de 50 % de la fréquentation des transports en raison de l'amélioration de la qualité de l'offre.
Monsieur Blanc m'a interrogée sur la sécurité dans les transports. Notre première priorité porte sur la régularité et la ponctualité, qui nécessitent une solidification du réseau. Certaines caténaires avaient plus de quatre-vingts ans ! Pour décongestionner le trafic et l'accélérer, nous avons multiplié les trains à étage. La propreté et le confort apparaissent également essentiels, car certains usagers effectuent quotidiennement de très longs trajets. La sécurité représente donc notre troisième objectif. De nombreuses lignes sont très sûres et, avec des millions de passagers transportés, il y a peu d'insécurité sur le réseau aux heures de pointe.
Trois problèmes demeurent en matière de sécurité. D'abord, certains territoires sont peu sûrs, notamment le soir, la nuit et pendant les heures creuses. Dans le nord-est de Paris sévissent de nombreux traqueurs et nous avons renforcé les patrouilles de police. Ensuite, les pickpockets sont de plus en plus jeunes et violents, parfois sur fond d'usage de stupéfiants. Enfin, le harcèlement des femmes, en particulier dans des transports congestionnés, a longtemps été sous-estimé et passé sous silence. Nous avons lancé des campagnes d'information et mis en place le numéro d'urgence 3117.
Je partage votre analyse, monsieur Blanc, sur les contrôles d'identité, utiles à la lutte contre la fraude et la délinquance. J'ai étudié les mesures mises en oeuvre par Rudolph Giuliani à New-York dans les années 2000, en partenariat avec la police. Quand un délinquant ou un fraudeur était interpellé, il était retenu trois heures dans un commissariat mobile. Il faut les ennuyer pour les dissuader de sévir dans les transports ! Quoi qu'il en soit, les contrôles d'identité ne peuvent suffire. Je connais un sénateur de Seine-et-Marne dont l'identité a été usurpée par un fraudeur multirécidiviste et qui se voyait régulièrement réclamer le paiement d'amendes...
Enfin, monsieur Mandelli a évoqué la prime rétrofit. Il s'agit, de la part de la région, d'un acte militant et volontariste pour créer une filière industrielle. Le dispositif est encore balbutiant et coûteux, mais nous espérons le développer. Renault, avec ses usines de Flins et de Choisy-le-Roi, souhaite ainsi faire de la région d'Île-de-France le plus grand site mondial du rétrofit. Déjà, nous versons une prime de 2 500 euros aux particuliers, qui a vocation à devenir plus significative.