Nous avons le plaisir de recevoir Mme Valérie Pécresse, présidente du conseil régional d'Île-de-France. Pour ma part, c'est la première fois que je vous reçois depuis mon élection à la présidence de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable.
Lors de vos deux dernières auditions devant notre commission, en février 2019 et en mai 2020, nous avions pu aborder l'avenir du Grand Paris, le projet de liaison Charles-de-Gaulle Express, la loi d'orientation des mobilités (LOM), la gestion de la crise sanitaire et votre vision de l'après-crise en Île-de-France.
Votre audition d'aujourd'hui nous permettra de poursuivre ces échanges et de traiter d'autres enjeux essentiels pour votre région.
Je pense d'abord à la proposition de loi relative à la sécurité globale, qui comporte plusieurs articles relatifs à la sûreté dans les gares et les transports, visant à adapter les compétences et conditions d'intervention des services internes de sécurité de la RATP et de la SNCF (SUGE, service de la sûreté générale pour la SNCF, et GPSR, le groupe de protection et de sécurité des réseaux pour la RATP), à faciliter la transmission aux forces de l'ordre des images réalisées en vue de la protection des véhicules et des emprises immobilières des transports publics de voyageurs, à renforcer les enquêtes administratives sur les personnels concourant à l'exploitation des services de transport ou encore à pérenniser l'expérimentation du port de caméras mobiles par les agents de la SNCF et de la RATP.
Nous portons une attention constante à ces sujets qui, je le sais, vous sont également chers. Nous avions eu l'occasion d'y travailler en 2016 dans le cadre d'une mission d'information commune avec la commission des lois sur la sécurité dans les transports face à la menace terroriste, dont nos collègues Alain Fouché et François Bonhomme étaient rapporteurs. Les propositions formulées dans ce cadre avaient ensuite nourri les travaux de notre commission sur la loi dite « Savary », sur la loi pour un nouveau pacte ferroviaire en 2018, dont Gérard Cornu était rapporteur, et plus récemment, en 2019, la loi d'orientation des mobilités, dont Didier Mandelli était rapporteur.
En cohérence avec ce travail, notre commission s'est saisie pour avis du volet relatif à la sûreté et à la sécurité dans les transports de la proposition de loi relative à la sécurité globale et a désigné, ce matin, Étienne Blanc, rapporteur pour avis.
Quel regard portez-vous sur les mesures inscrites dans cette proposition de loi ? Avez-vous des propositions complémentaires à nous faire dans l'objectif de renforcer encore davantage la sécurité dans les transports publics de voyageurs ? Que vous évoquent les réserves de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ?
Deuxième sujet sur lequel nous souhaiterions vous entendre : l'ouverture à la concurrence des transports en Île-de-France avec d'abord le réseau Optile pour la couronne parisienne, et bientôt les services de transport ferroviaire. Le 10 décembre dernier, Île-de-France Mobilités (IDFM), que vous présidez, a adopté son calendrier pour les lignes opérées par la SNCF sur le réseau francilien, avec un début programmé pour 2023. Comment se déroule le processus à ce stade ? Avez-vous identifié des freins qui nécessiteraient une intervention du législateur ou de l'État ?
Autre sujet connexe, l'évolution du modèle de financement des transports. La crise sanitaire a entraîné un manque à gagner important pour Île-de-France Mobilités, du fait de la baisse du versement mobilité et des recettes passagers. En outre, alors que la prochaine génération de contrat de plan État-région (CPER) pour 2021-2027 se profile, il faut définir de nouvelles priorités et il y aura des arbitrages à réaliser.
L'État a compensé une partie des pertes accusées au plus fort de la crise, mais est-ce suffisant ? Pourriez-vous faire le point sur les besoins financiers nécessaires au maintien et au développement des mobilités structurantes en Île-de-France ?
Quelles sont vos priorités pour les mobilités en Île-de-France ? Au-delà des mobilités actives, avec un ambitieux plan Vélo que vous mettez en oeuvre, quels sont vos projets pour les mobilités partagées et les infrastructures de transport dans votre région ?
Mes collègues vous interrogeront sans doute sur le Charles-de-Gaulle Express, projet que nous suivons depuis son lancement. Le calendrier de mise en service a été décalé de deux ans, à fin 2025, et ce service ne sera donc pas disponible pour les jeux Olympiques et Paralympiques, ce que l'on ne peut que regretter.
Récemment, le tribunal administratif de Montreuil a annulé partiellement un arrêté interpréfectoral du 11 février 2019 portant autorisation environnementale, à la demande de la commune de Mitry-Mory. L'État a fait appel de ce jugement avec les exploitants. Alors que l'acceptabilité du projet semblait acquise, notamment compte tenu des engagements pris pour maintenir et rénover le RER B, cette décision est un nouveau coup dur. Alors, comment voyez-vous la suite pour le CDG Express ?
J'en profite pour vous interroger sur un point d'actualité, à savoir la commande des 146 nouveaux trains du RER B, pour laquelle Alstom a décidé de retirer l'offre de Bombardier. Quels recours entendez-vous engager contre cette décision pour imposer à Alstom l'exécution du contrat ?
Ensuite, je souhaiterais avoir votre regard sur l'aménagement du Grand Paris et de la région d'Île-de-France. Lors de votre audition en 2019, dans le contexte des « gilets jaunes », vous aviez rappelé que le phénomène de désertification touche également votre région, pourtant très dynamique au plan macroéconomique global.
La crise sanitaire a encore accru le fossé entre les territoires et mis en lumière des problématiques qui avaient été reléguées au second plan ; je pense notamment à l'accès territorial aux soins, qui devient un serpent de mer. Notre commission a fait de nombreuses propositions pour réguler l'offre de soins et résorber les déserts médicaux, mais elles n'ont pas été reprises par l'État à ce jour. Quelles sont vos priorités d'action aujourd'hui pour lutter contre la désertification en Île-de-France ?
Comment garantir un équilibre territorial en région Île-de-France, entre centre et périphéries, territoires dynamiques et territoires en difficulté, entre quartiers prioritaires et territoires ruraux ?
Enfin, avant de conclure, un mot sur la qualité de l'air, qui, je le rappelle, entraîne environ 47 000 décès par an en France selon l'Agence européenne pour l'environnement (AEE) et un coût global à environ 100 milliards d'euros par an selon un rapport de notre assemblée. La Cour des comptes a rendu en juillet dernier un nouveau rapport à la demande de la commission des finances du Sénat dans lequel elle regrette des niveaux encore préoccupants de polluants dans l'air malgré une diminution sensible depuis les années 1990. Elle doute de l'atteinte des objectifs fixés pour les oxydes de soufre, les particules fines et les ammoniacs à l'horizon de 2030. Elle appelle à une articulation accrue entre l'État et les collectivités tant sur le plan de la conception des politiques publiques que des financements et note que les mesures nécessaires pour améliorer la qualité de l'air ne pourront être acceptées que si elles font l'objet d'un débat public suffisamment documenté. Pouvez-vous nous rappeler les actions que vous menez sur ce dossier ? Avez-vous des propositions à nous faire en la matière ? Je vous remercie.
Vos questions sont nombreuses et les sujets vastes !
Les transports publics constituent beaucoup plus qu'un moyen de déplacement dans une métropole, ils contribuent à la qualité de vie, au développement économique et participent à la transition écologique. Toutefois, leur situation est préoccupante, la crise sanitaire ayant bouleversé leur modèle économique. Ils souffrent aussi d'un sous-investissement chronique pendant des décennies. Île-de-France Mobilités dispose d'un budget de 10,8 milliards d'euros et nous travaillons en liaison avec l'État pour compenser ce manque d'investissement : la région rénove les matériels et développe de nouvelles offres ou de nouvelles lignes, tandis que l'État intervient par le biais du Grand Paris Express ou du CPER, auxquels participent aussi les départements et la Ville de Paris.
La crise sanitaire a conduit à une forte limitation des déplacements compte tenu du télétravail, la crainte de prendre les transports en commun s'est installée et le nombre de touristes a baissé de 80 %, soit 40 millions de touristes de moins. Le nombre de voyageurs a baissé de 50 % et pendant le confinement de mars 2020, la fréquentation était à 10 % ! En 2020, nous avions estimé que la perte de recettes s'élèverait à 2,6 milliards d'euros, soit 25 % de nos recettes, ce qui correspond à la situation de la plupart des autres autorités organisatrices de transport (AOT) en France et dans le monde.
Pour y faire face, nous nous sommes mis d'accord avec l'État sur un plan de renflouement de 2,6 milliards d'euros, avec des subventions directes pour compenser les pertes de recettes au titre du versement mobilité, c'est-à-dire des cotisations des entreprises, tandis que, pour les pertes de recettes liées à la chute du nombre de passagers, un système d'avances remboursables, et non de prêts, a été prévu, car la réglementation européenne nous interdit de nous endetter au-delà de quinze ans, si nous voulons continuer à bénéficier des prêts de la Banque européenne d'investissement (BEI).
Nous nous sommes fixé comme objectif de renouveler intégralement le matériel roulant d'ici à 2032 - RER B et toutes les rames de métro, ferré et sur roues. D'ici à la fin de l'année 2021, 700 rames neuves ou rénovées auront déjà été livrées. Notre plan est donc très ambitieux pour un réseau de transport décarboné, fiable, vidéoprotégé, bref conforme à l'image que l'on veut donner de la capitale de la France, ce qui est nécessaire si nous voulons améliorer la qualité de l'air et réussir la transition écologique. Nous voulons maintenir notre plan d'investissement et l'État a accepté de nous renflouer, avec une avance remboursable de 1,6 milliard d'euros, que nous commencerons à rembourser progressivement à partir de 2023, et surtout à partir de 2028, date à laquelle nous aurons fini d'acheter tout le matériel roulant neuf pour les RER B et les métros mais aussi pour le Grand Paris Express, que nous allons opérer lorsqu'il sera achevé.
Nous espérions que l'année 2021 serait l'année du retour à la normale ; ce n'est pas le cas. Nous avons dû voter en décembre dernier un budget en déficit de 1 milliard d'euros, ou, plus précisément, qui inscrit un plan de renflouement de l'État de 1 milliard d'euros, car nous n'avons pas le droit de voter un budget en déficit. Certains de nos voisins, comme l'Allemagne ou la Grande-Bretagne, en sont déjà à leur deuxième plan de renflouement. Il est prévu que nous ferons le point à l'été, après les élections et lorsque nous aurons plus de visibilité sur la pandémie. Nous estimons que le manque à combler s'élèvera à 1 milliard d'euros, voire plus si un nouveau confinement devait intervenir, affectant les recettes du versement mobilité. La situation est donc instable, mais nous maintenons le cap : investissements massifs, circulation des trains maintenue au maximum pour garantir la plus grande distanciation sociale possible, même si l'offre de transports a été réduite après 18 heures.
J'en profite pour aborder la question de la gratuité des transports en IDF. Les recettes voyageurs d'IDF Mobilités s'élèvent à 4 milliards d'euros, dont une partie est prise en charge par les employeurs mais ceux-ci n'auraient plus rien à rembourser si les transports étaient gratuits ! Cette piste ne semble donc guère envisageable, d'autant plus que le versement mobilité est déjà très élevé en Île-de-France - il atteint 3 % de la masse salariale, pour un montant de 4 milliards d'euros -, et que les entreprises se plaignent du poids des impôts de production. Les entreprises payent déjà beaucoup et il s'agit d'une vraie cotisation sur les salaires, il faut le dire.
Comment financer la gratuité ? Il faudrait doubler le versement mobilité en Île-de-France, ce qui est totalement impossible et impensable, surtout en cette période post-Covid où les entreprises sont en très grande difficulté et où l'emploi doit être notre priorité absolue. À ce stade, je ne vois pas de mode de financement crédible à hauteur de 4 milliards d'euros. Si l'on créait une taxe sur les ménages, cela représenterait 500 euros d'impôts par an et par ménage. Le problème, c'est qu'on ferait payer les cyclistes, les piétons, les retraités qui ne prennent pas les transports ou très peu... J'ajoute que la gratuité, dans une région très touristique comme la nôtre, représente un effet d'aubaine pour les touristes. Au lieu de faire financer une partie du fonctionnement des transports par les visiteurs étrangers, on ferait payer les contribuables français.
La gratuité est illusoire en Île-de-France parce que les montants de recettes à trouver sont trop importants. Nous ne sommes pas ici dans un réseau de bus qui coûte 1 million d'euros et qui peut être financé intégralement par les entreprises, comme c'est le cas à Niort. Notre réseau coûte 10,8 milliards d'euros par an, et les entreprises payent déjà 4 milliards.
Autre problème, ceux qui prônent la gratuité le font soi-disant pour des motifs écologiques. L'illusion écologique, c'est de dire que si les transports étaient gratuits les Franciliens lâcheraient leur voiture et prendraient davantage les transports en commun, ce qui entraînerait une moindre pollution de l'air. Nous avons fait réaliser une étude indépendante il y a un peu plus de dix-huit mois quand ce sujet est venu sur la table, porté par les communistes franciliens. Cette étude a montré que seuls 2 % des automobilistes franciliens arrêteraient de prendre leur voiture si les transports en commun étaient gratuits. En effet, si on prend sa voiture, ce n'est pas parce que le transport est cher. Le pass Navigo en Île-de-France après le remboursement des employeurs coûte 37,60 euros par mois, soit un peu plus d'un euro par jour pour un pass Navigo totalement dézoné, qui permet de traverser l'Île-de-France et de faire autant de trajets que l'on veut.
Le problème vient de l'offre : ceux qui prennent leur voiture le font parce qu'il n'y a pas de transports en commun pour leurs déplacements ou parce que les transports en commun sont vétustes, pas assez ponctuels, pas assez sûrs. Pour diminuer la place de la voiture dans les déplacements en Île-de-France, il faut proposer une offre qui soit, à la fois, plus étendue - plus de lignes, plus de trains - et meilleure, ce qui suppose beaucoup d'investissements.
En réalité, il faut de l'argent pour avoir des transports plus propres et décarboner l'Île-de-France. Se priver de ressources serait une aberration anti-écologique. On ne peut pas comparer l'Île-de-France à une ville qui n'a ni métro ni RER. Je tenais à le dire, car vous allez être saisis de ces sujets. J'ajoute qu'il serait très injuste de faire financer la gratuité par des taxes sur des personnes qui ne prennent pas les transports en commun. Le principe de la redevance pour service rendu, de l'utilisateur-payeur, est le principe le plus juste. Enfin, je crains que les usagers ne dégradent les transports publics si ceux-ci sont totalement gratuits.
La situation financière des transports n'est donc pas totalement stabilisée, mais relativement sous contrôle.
J'en viens à la sécurité, qui est un enjeu très fort dans les transports en commun. Il existe aujourd'hui un ressenti d'accroissement de l'insécurité, qui ne se traduit pas dans les chiffres de la délinquance recueillis par la préfecture de police. Comme le nombre de personnes transportées a diminué de moitié, le nombre d'actes par voyageur augmente. Une bonne partie de la délinquance qui se déroulait dans les transports en commun touchait surtout les touristes : en effet, ces deniers portent plus difficilement plainte, ont souvent de l'argent liquide sur eux, ne parlent pas notre langue, sont perdus... Les réseaux mafieux de pickpockets, qui sont souvent internationaux et emploient de nombreux mineurs isolés, se focalisaient donc largement sur les touristes, notamment asiatiques ou américains. Comme il n'y a plus de touristes, la délinquance se reporte sur les usagers du quotidien.
Sur la sécurité, Île-de-France Mobilités a fait un double choix. D'abord, mailler totalement en vidéoprotection l'ensemble du réseau. Le réseau de surface, les bus, les gares et maintenant les gares routières sont vidéoprotégés. Ensuite, assurer une présence humaine en plus de la vidéoprotection massive. Nous avons recruté 1 000 personnes supplémentaires grâce à des financements d'Île-de-France Mobilités sur les réseaux RATP, SNCF et Optile. Il peut s'agir de personnels sous statut, mais il est aujourd'hui difficile de recruter et de former de tels personnels rapidement. Nous avons également recruté des médiateurs et de la sécurité privée, notamment des équipes cynophiles pour détecter les explosifs afin d'aller plus vite dans la levée de doute en cas de colis suspects.
Le numéro d'appel d'urgence 3117, qui était un numéro SNCF, a été étendu à l'ensemble du réseau RATP ; il s'adresse aussi aux femmes victimes de violences, un sujet qui me tient particulièrement à coeur. Île-de-France Mobilités est en train de financer, à hauteur de 8 millions d'euros, la préfecture de police afin de disposer rapidement d'un centre régional de coordination opérationnelle de sécurité, c'est-à-dire d'un centre unique comprenant la SNCF, la RATP, la police et la gendarmerie et couvrant tout le réseau de l'Île-de-France.
Nous avons aussi un partenariat tout à fait innovant avec la gendarmerie nationale qui nous permet de disposer de 1 000 patrouilles de réservistes de gendarmerie dans les bus de la grande couronne.
J'ai souhaité que les forces de sécurité dans les transports puissent être équipées de caméras-piétons pour apaiser les relations entre elles et la population, mais aussi leur permettre d'avoir des preuves quand elles se font agresser et que les vidéos sont uniquement à charge.
Je regrette que les agents de sécurité privée qui patrouillent dans les transports n'aient pas de pouvoir d'éviction dans les bus et les gares pour interdire ces lieux à des personnes qui causeraient des troubles manifestes. Ils doivent faire appel à un policier de la police nationale ou à un agent assermenté.
Autre sujet complexe, celui des abords de la gare. Les délinquants évacués d'une gare s'agglutinent sur le parvis, qui relève de la compétence de la police municipale ou nationale, et non plus de celle des agents de sécurité des opérateurs de transports. Nous rencontrons également des problèmes avec les réseaux de pickpockets mineurs ou soi-disant mineurs, notamment étrangers. Je plaide depuis longtemps pour l'élargissement de l'interdiction de paraître qui peut être prononcée lorsqu'un pickpocket ou un harceleur est condamné.
L'élargissement de l'interdiction de paraître à tout le réseau francilien serait, paraît-il, inconstitutionnel, car il constituerait une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir. Le juge n'a le droit de prononcer cette interdiction que ligne par ligne, ce qui n'est pas très efficace... Nous aimerions que l'interdiction de paraître soit élargie au moins à l'ensemble du réseau de métro, ce qui laissera le réseau de surface pour se déplacer. Avec les pickpockets et les harceleurs, nous avons vraiment une délinquance de multirécidivistes : un pickpocket par an, ce sont des milliers d'actes, et donc des milliers de personnes importunées. Les interdictions de paraître ont permis, par exemple, de pacifier complètement les matchs de foot. Ces sanctions me paraissent proportionnées et très utiles : si l'on reconnaît la personne, on peut la faire sortir du réseau avant qu'elle ne commette un acte réprimé.
Sur le réseau de transport, la règle de la comparution devant un officier de police judiciaire (OPJ) dans l'heure de la personne qui a commis un délit nous pose problème. Cette obligation mobilise énormément de monde. Il peut se produire que l'on n'arrive pas à faire comparaître une personne dans l'heure, par exemple à cause des embouteillages. Nous sommes favorables à la comparution devant un OPJ par smartphone, mais cette solution est juridiquement assez compliquée.
De la même façon, nous pensons que les pré-plaintes pour les femmes victimes de violences devraient être expérimentées. Notre étude sur les femmes victimes de violences dans les transports montre que 80 % des cas de harcèlement de femmes dans les transports sont commis en semaine, le soir, c'est-à-dire entre 18 heures et 20 heures, quand les femmes rentrent du bureau. C'est le pire moment pour aller porter plainte, puisqu'elles sont en train de rentrer chez elles, où une autre vie commence, avec des obligations familiales... Elles ne portent pas plainte ; or les vidéoprotections ne sont gardées que 72 heures, ce qui pose un problème de preuve. Un dispositif de pré-plainte sur internet permettrait de suspendre la destruction des vidéos.
Avec la CNIL, nous avons deux dossiers. Le premier devrait être réglé assez facilement et le second pose des problèmes fondamentaux, éthiques.
Il s'agit, d'abord, de l'assouplissement des conditions d'expérimentation du traitement des images vidéo par une intelligence artificielle, sans reconnaissance biométrique. Nous avons innové pendant la crise sanitaire en mettant très vite en place avec la RATP une expérimentation de comptage des masques dans les transports en commun - une start-up nous avait proposé de faire un algorithme à cette fin. Cela nous a beaucoup aidés, car nous avons vu quelles lignes posaient problème : nous avons distribué des masques dans les quartiers populaires. Nous avons été obligés de suspendre cette expérimentation à cause de la CNIL, alors même qu'il y avait aucune reconnaissance biométrique, parce que nous n'avions pas les autorisations.
Deuxième sujet : nous avons besoin d'un cadre légal sur la question de la reconnaissance faciale. J'ai proposé la création d'un comité d'éthique ; il serait intéressant que le Sénat puisse aussi se saisir de cette question. Mon objectif n'est pas de généraliser la reconnaissance faciale tous azimuts. Aujourd'hui, le réseau de transport est complètement fermé : des valideurs de tickets sont installés dans quasiment toutes les grandes gares, avec des caméras. Nous sommes en Vigipirate rouge, et il est assez rageant de se dire que passent certainement devant ces caméras des personnes recherchées pour des actes très graves et que nous n'avons pas la possibilité légale et juridique de les reconnaître.
Beaucoup de pays recourent déjà à cette mesure. Je ne voudrais pas qu'il faille un drame pour réussir à débloquer ce dossier, comme cela a été d'ailleurs le cas pour le fichier des délinquants sexuels. Il est tout même paradoxal que l'on soit davantage protégé dans un avion de 300 places que dans un train de 1 000 places... Est-ce parce que les assureurs des avions sont privés et que le train est assuré par l'État lui-même ?
Sur la qualité de l'air, il nous faut davantage de transports en commun neufs, rénovés et décarbonés. J'ai acté en arrivant à la présidence d'Île-de-France Mobilités la fin définitive de l'achat des bus diesel. Il n'y aura plus de bus diesel en circulation dans l'aire urbaine en 2025 et dans l'ensemble des territoires ruraux en 2029. À la fin de cette année, 27 % du parc de bus sera composé de véhicules propres, contre 6 % en 2015, pour un investissement de 4 milliards d'euros. Le renouvellement des bus et nos investissements dans les bus propres ont permis à Île-de-France Mobilités de réduire les émissions de sa flotte de bus d'un tiers pour les émissions de dioxyde d'azote et de 5 % pour les émissions de CO2.
S'agissant du réseau ferré, nous n'avons plus qu'une seule ligne non électrique, la ligne P en Seine-et-Marne. J'ai pris l'engagement de l'électrifier : ce sera fait en 2022 pour la branche Paris-Provins et je souhaite inscrire dans le prochain CPER la ligne Paris-La Ferté-Milon. Nous aurons ensuite un réseau ferré totalement électrique, donc totalement décarboné.
Sur la pollution de l'air dans le métro et dans les gares RER souterraines, là aussi, le renouvellement des métros va permettre de changer la donne : nous allons généraliser les freinages électrostatiques. Par ailleurs, nous avons investi 200 millions d'euros dans des systèmes d'évacuation de l'air pollué et de renouvellement de l'air et 150 millions dans des extracteurs. Nous sommes en train d'innover avec des appels à projets de dépollution de l'air dans le métro, avec des filtrages par ionisation positive qui permettent de capturer 20 à 30 % des particules fines dans l'air ambiant de la station, mais aussi avec du captage à la source des particules issues du freinage derrière la roue, grâce à un dispositif d'aspiration situé derrière les freins.
Bien évidemment, en matière de pollution de l'air, il ne faut pas oublier d'évoquer la route. Île-de-France Mobilités serait extrêmement heureuse dans le cadre de la loi « 4D » de se voir confier la compétence des routes d'intérêt régional, c'est-à-dire le périphérique, l'A86, l'A104, et les autoroutes pénétrantes dans Paris au-delà des péages.
Nous voulons mettre fin à l'autosolisme : en Île-de-France, il y a en moyenne 1,1 passager par voiture. Nous voulons développer le covoiturage et les liaisons de bus à grande vitesse avec des parkings-relais. Ce système marche très bien sur l'A10 dans l'Essonne, il est en train d'être mis en place sur l'A12 dans les Yvelines et bientôt sur la N118. Dans le car, on peut télétravailler, envoyer des messages... Avant, on prenait sa voiture parce qu'on pouvait y téléphoner, écouter la radio ; aujourd'hui, on peut tout écouter avec un casque dans un car. Le temps de transport en commun est vécu comme un temps non plus subi, mais choisi. Pour cela, il faut utiliser les bandes d'arrêt d'urgence. La congestion de l'Île-de-France est telle que si l'on met en place ce système en supprimant des voies on va vers la thrombose !
Malheureusement, faute d'investissements routiers, la seule solution que l'État nous propose pour l'instant est de supprimer des voies sur des autoroutes pénétrantes dans Paris ou sur le périphérique. Une étude vient d'être faite par la mairie de Paris sur l'acceptabilité de la suppression d'une voie sur le périphérique : la population y est complètement opposée. Dans une période où de nombreux Français ont repris leur voiture parce qu'ils se méfient des transports en commun, il est compliqué de supprimer des voies. Je préférerais qu'on attende la réalisation du Grand Paris Express pour s'attaquer à la place de la voiture.
Par ailleurs, il faut que nous allions vers le changement de motorisation des véhicules, et donc vers l'installation de bornes de recharge pour véhicules électriques - c'est un frein important à l'acquisition de tels véhicules. Nous devons prévoir des aides au remplacement de véhicules polluants. Nous lançons aussi, en partenariat avec Renault, l'idée qu'il faut remplacer les véhicules thermiques en développant les filières industrielles de rétrofit. La région a mis en place des primes de 2 500 euros pour le rétrofit des véhicules thermiques, des primes au remplacement des véhicules polluants des artisans et des commerçants et la carte grise gratuite pour les acheteurs de véhicules propres.
Je n'évoque que très rapidement l'écosystème vélo : nous sommes très engagés dans le RER vélo, un réseau de 700 kilomètres de voies cyclables qui permettra d'entrer dans Paris le long des routes départementales et nationales et en traversées de ville. Nous avons mis en place des aides de 500 euros à l'achat de vélos électriques et avons créé 7 000 places de parking vélo sécurisées.
Merci pour ces réponses. En tant que parlementaires, nous devons réfléchir à des solutions aux problèmes de sécurité que vous avez évoqués.
Avec ma collègue Nicole Bonnefoy, nous sommes chargés d'une mission d'information sur le transport de marchandises face aux impératifs environnementaux. La Convention citoyenne pour le climat a formulé un ensemble de propositions sur ce sujet, parmi lesquelles figure l'idée de mettre en place une contribution des véhicules de transport de marchandises qui roulent sur les routes françaises.
Le projet de loi qui a été présenté ce matin en conseil des ministres prévoit d'ouvrir la possibilité aux régions d'instituer une telle contribution. Quel regard portez-vous sur cette mesure ? Ne craignez-vous pas un effet de distorsion ou de compétition entre les régions ? Que répondez-vous également aux fédérations de transporteurs routiers, dont les marges sont très faibles et pour lesquels la concurrence est féroce ?
Ma deuxième question porte sur la logistique urbaine, et plus particulièrement sur la problématique du fameux « dernier kilomètre ». Alors que les livraisons aux particuliers se sont multipliées ces dernières années et plus encore sous l'effet des confinements, notamment « grâce » à Amazon, comment endiguer la multiplication des véhicules utilitaires légers en zone urbaine ou, du moins, répondre aux défis qui sont posés par la logistique urbaine ?
L'équation des transports est particulièrement complexe en ce moment. L'effondrement du modèle financier inquiète. Vous avez peu parlé du Grand Paris Express et des financements qu'il nécessitera demain pour fonctionner. Vous n'avez pas non plus évoqué l'endettement d'Île-de-France Mobilités, dont l'encours de dette augmente indépendamment de la crise sanitaire. Il y a véritablement une impasse financière. Mais tout est relatif : le PIB de votre région est de près de 650 milliards d'euros. J'ai eu un échange avec Philippe Duron, qui a été missionné par Jean-Baptiste Djebbari pour travailler sur le financement des systèmes de transport. Des solutions nouvelles peuvent être envisagées. Je pense aussi au rapport Durovray, que vous n'avez pas cité, et qui comprend des idées assez intéressantes.
J'aurais pu citer de nombreux rapports !
Le rapport Durovray n'évoque pas le péage urbain, qui est une solution utilisée dans bien des pays pour répondre aux problématiques de congestion. Péage ne veut pas dire forcément payer ; les incitations peuvent être positives. Cela nous permet d'évoquer les questions de tarification incitative. Ne faudrait-il pas réfléchir aux contours d'Île-de-France Mobilités ? Que gagne-t-on à avoir un syndicat isolé de la région Île-de-France ? Pouvez-vous nous dire un mot du Grand Paris Express ? Quid de la possibilité de prélever une taxe sur les plus-values immobilières privées, et pas seulement sur les parkings et bureaux ? Je défends cette position ici depuis des années.
Vous avez raison !
Mon collègue a déjà posé une question sur le Grand Paris Express, je n'insisterai pas.
Le RER vert sera un RER de pistes cyclables, mis en place avec les départements et les villes. Comment la région pourra-t-elle instituer un dispositif qui concernera, dans les investissements, d'autres collectivités ? Nous réfléchissons à un tel système dans l'ouest de la France avec des villes beaucoup plus petites, mais se pose à chaque fois le problème de l'articulation entre les différentes collectivités.
Permettez-moi tout d'abord de vous féliciter de la manière dont vous avez obtenu du Gouvernement les compensations financières que vous avez évoquées face à la baisse importante des recettes de votre région pendant la pandémie ! Le Gouvernement n'a pas été aussi généreux avec d'autres autorités organisatrices de la mobilité (AOM)...
Nous avons commencé à travailler sur les questions de sécurité - Étienne Blanc va être amené à rapporter pour avis le volet des transports dans le cadre de la proposition de loi sur la sécurité globale. Sous réserve de l'accord du président et de notre rapporteur, nous préparons des amendements sur des thèmes que vous avez abordés : éviction des personnes nuisibles, OPJ à contacter par le biais des nouvelles technologies...
Quelle est votre position sur ce qu'on appelle non plus l'écotaxe, mais la contribution poids lourds ? Le terme « écotaxe » n'a pas une très bonne connotation dans notre pays depuis quelques années...
Concernant l'ouverture à la concurrence, j'aimerais savoir si vous vous engagez dans cette voie parce que la loi vous y oblige ou si vous y allez avec le même état d'esprit que certaines régions. Je pense à l'Alsace, qui se sert de l'ouverture à la concurrence pour rouvrir des lignes qui ont été fermées ou redynamiser des lignes moribondes. L'excellente région Sud souhaite, quant à elle, améliorer la qualité du service pour les usagers et, bien sûr, diminuer le coût pour la collectivité.
Première question, vous l'avez dit, la sécurité est une priorité pour les Franciliens et pour les usagers des transports. Comment classez-vous les différentes priorités ? Car il y a la régularité, la propreté, la sécurité...
Il faut rappeler politiquement que si la gratuité est une question importante, la sécurité l'est aussi ; elle est même parfois prioritaire sur d'autres sujets plus médiatisés.
Si l'on se penche sur les questions de sécurité, on constate des lourdeurs administratives et judiciaires. Par exemple, lorsqu'une infraction est commise, les agents chargés de la surveillance d'une gare ou d'un train ne peuvent effectuer qu'un relevé d'identité, mais pas un contrôle d'identité. Si une personne refuse de donner son identité, il faut l'emmener devant un officier de police judiciaire. Je ne connais pas particulièrement l'ensemble du réseau francilien, mais j'imagine que certaines stations de métro ou de bus sont assez éloignées du lieu où se trouve l'officier de police... Auriez-vous quelques suggestions pour améliorer la fluidité et faciliter les procédures en la matière ?
Je suis heureux de vous retrouver, madame la présidente. Nous avons beaucoup travaillé ensemble, dans le cadre de la LOM, avec la RATP pour prendre en compte la spécificité de la région d'Île-de-France, très dense et concentrée, qui nécessite beaucoup d'aménagement en termes d'infrastructures.
Je voudrais revenir sur la notion de la gratuité, en lien avec la mission d'information que nous avons menée il y a un an et qui a rendu un rapport assez équilibré. Nous avions conclu que la gratuité en Île-de-France serait une énorme erreur parce que le réseau est très utilisé - presque saturé - à certains moments et sur certaines lignes. Par ailleurs, un argument complémentaire milite en défaveur de la gratuité : la santé publique. Nous avions relevé que les personnes qui aujourd'hui font de la marche ou du vélo entre deux stations seraient tentées de prendre les transports en commun.
Une question sur la prime rétrofit, que je trouve vraiment judicieuse. Dans le cadre de la LOM, avec le ministère, nous avions fait en sorte d'accélérer le processus d'agrément de ces procédures. L'aide que vous accordez aux particuliers existe-t-elle pour les transporteurs, pour les petits véhicules par exemple ?
Sur ce sujet, je vous rappelle le titre exact du rapport dont vient de parler Didier Mandelli et qui est évocateur : « La gratuité totale des transports collectifs : fausse bonne idée ou révolution écologique et sociale des mobilités ? »
Et aviez-vous tranché ?
Ce choix est évidemment le résultat de priorités politiques et il oblige à opérer des arbitrages - nous l'avons bien vu dans le cas de Dunkerque -, mais il est vrai que la gratuité pose des problèmes pour un réseau saturé et des difficultés en termes de report modal.
Je reviens à la question posée par le président Longeot sur l'attitude d'Alstom : est-ce que cette position entraînera un retard dans la commande des matériels ? Avez-vous des alternatives ?
Sur la gratuité, je vais résumer : elle est envisageable, quand le réseau est neuf et vide ! Ce n'est évidemment pas le cas en Île-de-France, où une telle mesure serait en fait contre-productive.
Quelques mots sur le RER B. Je rappelle qu'Alstom a racheté son principal concurrent, Bombardier, avec l'accord de la Commission européenne. J'ai soutenu ce rapprochement, parce qu'il me semblait important de créer un géant ferroviaire français face aux offensives des entreprises étrangères, notamment chinoises. D'ailleurs, j'étais également intéressée par le rapprochement avec Siemens, même si les conditions étaient différentes et les complémentarités moins grandes - les risques sociaux étaient aussi plus élevés.
Au moment de l'annonce du rapprochement avec Bombardier, j'ai contacté le président d'Alstom pour savoir si cela remettait en cause l'appel d'offres sur le RER B, qui est extrêmement important pour la région.
Je rappelle que cette ligne qui relie Roissy et Saclay est utilisée par 900 000 personnes par jour ; c'est la deuxième ligne la plus utilisée dans la région, l'une des plus utilisées en Europe. Les besoins de régénération de cette ligne sont colossaux ; d'ailleurs, l'appel d'offres atteignait 2,5 milliards d'euros.
Je rappelle aussi que nous avions reçu deux offres : l'une d'Alstom, l'autre d'un consortium regroupant Bombardier et CAF, une entreprise espagnole qui a une usine en Occitanie à Bagnères-de-Bigorre.
J'avais reçu des assurances sur le fait que la fusion n'aurait aucune conséquence sur l'appel d'offres. Pourtant, après le rapprochement et à quelques semaines de la clôture de l'appel d'offres, Alstom a déclaré que l'offre de Bombardier et de CAF lui paraissait anormalement basse et pas soutenable financièrement. Un expert a été mandaté par la RATP et la SNCF ; il n'a pas conclu dans le sens des déclarations d'Alstom. Il faut savoir que l'offre de Bombardier et de CAF était sensiblement moins chère que celle d'Alstom, même si je ne suis pas autorisée à révéler les chiffres.
Il y avait donc clairement un imbroglio. Alstom a déposé des recours successifs pour empêcher la signature du contrat. La justice s'en est saisie et a fait une petite remarque de forme. Finalement, les offres modifiées ont été validées par la justice le 4 janvier et la RATP a pu notifier à Alstom le rejet de son offre. Là encore, Alstom a attaqué dans le but évident de gagner du temps, puisque l'entreprise devenait effectivement propriétaire de Bombardier le 29 janvier. C'est ce jour-là qu'Alstom a annoncé le retrait de l'offre de Bombardier !
Nous avons bien sûr été sidérés par ces manoeuvres, d'autant que l'offre de Bombardier avait été formulée conjointement avec CAF. Légalement, Alstom ne pouvait donc pas retirer cette offre, si bien que la RATP et la SNCF ont décidé de notifier le marché en bonne et due forme - j'étais d'accord avec cette décision. Qui plus est, Alstom s'était désisté de ses recours.
Nous avons la volonté très forte de voir ce contrat exécuté. Nous en sommes là et les deux cocontractants doivent se revoir pour fixer les conditions d'exécution du marché. Dans ce dossier, les délais sont essentiels au regard de l'importance de cette ligne et de ses besoins de régénération. J'avais d'ailleurs décidé, quand j'ai été élue, d'avancer l'appel d'offres de trois ans. Il me paraît incompréhensible et même impossible pour une entreprise qui en rachète une autre de ne pas respecter les engagements pris par cette dernière.
En ce qui concerne l'autorisation environnementale de CDG Express, je vous rappelle que cette ligne n'est pas financée par la région, mais par un groupement ADP/SNCF.
Pour autant, nous avions obtenu deux engagements importants pour nous :
- d'une part, assouplir le calendrier de réalisation : initialement, l'État voulait terminer les travaux pour les Jeux olympiques mais il ne nous paraissait pas acceptable de faire passer ce projet avant les trains du quotidien.
- d'autre part, dégager une enveloppe de 500 millions d'euros de travaux pour fiabiliser le faisceau nord de notre réseau ferroviaire - ces travaux qui concernent les lignes B, D et K sont donc financés par le groupement qui réalise le CDG Express. Est alors intervenue la décision du tribunal administratif de Montreuil qui s'est appuyée, étonnamment, sur l'absence d'intérêt majeur du projet. L'État a fait appel de cette décision. Le problème, c'est que cette décision bloque de facto l'enveloppe de 500 millions d'euros, alors que ce projet n'est pas seulement majeur, il est capital ! Ainsi, ceux qui ont déposé ce recours ont aussi bloqué, par effet boomerang, les travaux qu'ils appelaient par ailleurs de leurs voeux...
Nous considérons que les deux projets - le CDG Express et la régénération du faisceau nord - sont d'un intérêt majeur et, plutôt que d'attendre la décision de la cour administrative d'appel, nous allons demander à l'État de les « désimbriquer ». Mais il faut au moins un an pour le faire, car de nouvelles autorisations environnementales sont nécessaires.
Cet exemple nous montre clairement que les procédures judiciaires ne sont vraiment pas la meilleure méthode pour faire avancer des dossiers...
En ce qui concerne l'écotaxe poids lourds, qu'on appelle maintenant contribution poids lourds, j'y ai toujours été favorable. Quand j'étais ministre en charge du budget, j'ai d'ailleurs signé avec Jean-Louis Borloo le contrat Écomouv qui instaurait une écotaxe sur tout le territoire - chacun connaît la suite de l'histoire... Je suis favorable par principe à cette idée, car je crois que le bilan carbone doit être compté dans le prix des produits. C'est en particulier important, si nous voulons retrouver notre compétitivité et relocaliser des installations industrielles dans notre pays - la fiscalité écologique est un outil pour mener une telle politique.
Toutefois, je vois aussi les effets pervers d'une telle fiscalité. C'est pourquoi je considère qu'elle ne devrait être destinée qu'aux poids lourds en transit. L'Île-de-France est au centre du noeud routier français et nous avons le triste privilège d'être traversés en permanence par de multiples camions qui polluent, détruisent les routes, tout en ne payant rien. Cependant, limiter cette taxe aux camions en transit serait contraire, me dit-on, aux normes européennes. Dans ces conditions, je reste favorable à une telle mesure, mais je suis prête à prendre des engagements pour que son montant soit entièrement réinvesti en travaux d'amélioration des routes franciliennes et pour soutenir le changement de motorisation des véhicules, ce qui inclut les travaux d'installation de bornes de recharge, qu'elles soient hydrogènes ou électriques. Pour mettre en place cette taxe, il faut donc une négociation avec les transporteurs et que nous nous mettions d'accord avec les acteurs du secteur pour bâtir ensemble un nouvel écosystème. Il ne s'agit évidemment pas de mettre à mal tout un secteur économique, déjà très touché par crise et qui fonctionne de toute façon avec des marges très faibles. Cette écotaxe pourrait les aider à réaliser leur transition écologique.
La logistique urbaine constitue une importante source de préoccupation pour la région. L'utilisation de la voiture a reculé de 5 % en dix ans, tandis que la population d'Île-de-France croissait de 50 000 habitants par an. Nous devons travailler sur le dernier kilomètre. Je ne suis pas hostile aux zones à faibles émissions, mais il faudra veiller aux conséquences sociales d'un tel dispositif pour ceux qui habitent et travaillent loin et qui, souvent, possèdent d'anciens véhicules. Il convient de réconcilier écologie et politique sociale. Nous avons, à cet effet, mis en place des aides au renouvellement des véhicules pour les artisans et les commerçants - 5 000 aides ont été versées cette année. Il nous faut imaginer l'avenir à l'horizon de 2030-2040. Nous pensons, à cet égard, également au transport fluvial, auquel nous croyons.
M. Jacquin m'a interrogée sur le modèle financier de notre politique de transport. Peut-être suis-je optimiste, mais je ne crois pas que la crise sanitaire affecte durablement les transports et le tourisme en Île-de-France, même s'il faudra du temps pour retrouver la fréquentation d'avant-crise. Les classes moyennes se développent partout dans le monde et on continuera à visiter Paris et la France. J'estime notre modèle de financement solide. La confiance des usagers dans les transports en commun n'est pas perdue, notamment parce que nous appliquons des normes sanitaires parmi les plus strictes du monde. Notre endettement, dont nous maintenons la durée maximale à quinze ans, est sous contrôle. En 2028, nous aurons réalisé les investissements les plus importants et pourrons rembourser l'avance de l'État. Je vous rappelle, en outre, que nous nous endettons à des taux quasiment négatifs : les marchés considèrent IDFM comme sûr.
Le projet du Grand Paris Express comprend 170 kilomètres de voies supplémentaires et une soixantaine de gares à entretenir. Achevé, il coûtera 1 milliard d'euros en exploitation, soit une augmentation des coûts d'exploitation inférieure à 10 % au regard des 10,8 milliards d'euros dépensés chaque année. Nous devrons néanmoins nous montrer créatifs pour trouver de nouvelles recettes. Le rapport remis par Gilles Carrez sur le financement de la Société du Grand Paris proposait des pistes intéressantes mais certaines, comme la taxation des touristes et du secteur de l'hôtellerie, ne peuvent plus guère être utilisées. Avec 650 milliards de produit intérieur brut (PIB) par an, la région d'Île-de-France doit être en mesure de financer ses transports, même si l'État devra également fournir de nouvelles recettes. Le pass Navigo ne pourra suffire à financer l'exploitation du Grand Paris Express !
Je suis très intéressée par les péages positifs qui existent en Scandinavie, mais hostile à tout dispositif conduisant à une fracture sociale, à une ségrégation aux portes de Paris. Je serais heureuse de travailler avec le Sénat sur les dispositifs incitant les automobilistes à se déplacer hors des heures de pointe. Cela me semble plus efficace qu'une énième taxation.
Mon souhait est-il qu'IDFM soit attaché à la seule région ? Absolument pas. Ce syndicat rassemble la ville de Paris, sept départements, les intercommunalités rurales, les usagers, les chambres de commerce et d'industrie (CCI) et la région : il s'agit d'une instance de débat et de concertation. Il me semble important que les différents financeurs bénéficient d'un droit de regard sur la politique des transports. Il conviendrait, en revanche, de travailler sur les compétences d'IDFM, notamment sur les routes, dont la convergence avec les transports en commun apparaît évidente. La route est un chemin ; il s'agit de savoir ce qu'on souhaite y faire circuler : des véhicules propres, silencieux, en covoiturage et des vélos. Les voies comme le périphérique, l'A86, l'A104 peuvent être des espaces multimodaux.
Je suis favorable au projet du Grand Paris Express, qui bénéficie d'un financement dédié, à condition de ne pas sacrifier les travaux de rénovation des transports du quotidien.
Monsieur de Nicolaÿ, nous avons eu beaucoup de chance s'agissant du RER V : un collectif de cyclistes a travaillé en amont sur un tracé. Leur projet a ensuite mobilisé les villes et les départements. La région, qui finance les routes et notamment les contournements des villes, a évidemment repris la balle au bond.
S'agissant de la mise en concurrence, monsieur Tabarot, il faut reconnaître que le législateur nous a beaucoup freinés. Il faudra attendre 2039 pour le RER et la RATP, alors que nous étions prêts à aller plus vite. Nous avons beaucoup de demandes pour les transports en commun, dont il est indispensable d'améliorer la qualité de service. Nous avons d'ores et déjà mis en concurrence les transports scolaires, obtenant à cette occasion une réduction des prix. Nous avons également lancé le processus pour les bus en grande couronne, avec succès. Pourquoi faut-il attendre trois ans pour mettre en concurrence les bus de la RATP ? Voilà un mystère de la loi française... Dans les marchés déjà ouverts, la mise en concurrence n'a pas conduit à un grand soir, mais plutôt à une stabilité. Reste le sujet des petites compagnies de bus que nous ne souhaitons pas voir disparaître et que nous incitons, à cet effet, au regroupement. À l'occasion de la mise en concurrence, les périmètres des lignes de bus ont été revus et le nombre de contrats est passé de cent-vingt à quarante. Nous avons repris les dépôts de bus et étalé, à la demande de l'Autorité de la concurrence, le calendrier des appels d'offres.
La mise en concurrence arrive prochainement pour la RATP ; ce sera un sujet majeur. Le cadre législatif prévoit heureusement une reprise intégrale du personnel et l'engagement social constituera l'un des trois critères d'analyse des offres. Néanmoins, le projet de décret d'application de la LOM imposait trop de barrières s'agissant du temps de travail : il s'alignait sur les 31 heures de travail hebdomadaires de la RATP. Le décret ne doit pas reprendre le statut de la RATP, sauf à dissuader les opérateurs alternatifs de déposer une offre. En Allemagne, la mise en concurrence lancée en 1994 a conduit à une augmentation de 50 % de la fréquentation des transports en raison de l'amélioration de la qualité de l'offre.
Monsieur Blanc m'a interrogée sur la sécurité dans les transports. Notre première priorité porte sur la régularité et la ponctualité, qui nécessitent une solidification du réseau. Certaines caténaires avaient plus de quatre-vingts ans ! Pour décongestionner le trafic et l'accélérer, nous avons multiplié les trains à étage. La propreté et le confort apparaissent également essentiels, car certains usagers effectuent quotidiennement de très longs trajets. La sécurité représente donc notre troisième objectif. De nombreuses lignes sont très sûres et, avec des millions de passagers transportés, il y a peu d'insécurité sur le réseau aux heures de pointe.
Trois problèmes demeurent en matière de sécurité. D'abord, certains territoires sont peu sûrs, notamment le soir, la nuit et pendant les heures creuses. Dans le nord-est de Paris sévissent de nombreux traqueurs et nous avons renforcé les patrouilles de police. Ensuite, les pickpockets sont de plus en plus jeunes et violents, parfois sur fond d'usage de stupéfiants. Enfin, le harcèlement des femmes, en particulier dans des transports congestionnés, a longtemps été sous-estimé et passé sous silence. Nous avons lancé des campagnes d'information et mis en place le numéro d'urgence 3117.
Je partage votre analyse, monsieur Blanc, sur les contrôles d'identité, utiles à la lutte contre la fraude et la délinquance. J'ai étudié les mesures mises en oeuvre par Rudolph Giuliani à New-York dans les années 2000, en partenariat avec la police. Quand un délinquant ou un fraudeur était interpellé, il était retenu trois heures dans un commissariat mobile. Il faut les ennuyer pour les dissuader de sévir dans les transports ! Quoi qu'il en soit, les contrôles d'identité ne peuvent suffire. Je connais un sénateur de Seine-et-Marne dont l'identité a été usurpée par un fraudeur multirécidiviste et qui se voyait régulièrement réclamer le paiement d'amendes...
Enfin, monsieur Mandelli a évoqué la prime rétrofit. Il s'agit, de la part de la région, d'un acte militant et volontariste pour créer une filière industrielle. Le dispositif est encore balbutiant et coûteux, mais nous espérons le développer. Renault, avec ses usines de Flins et de Choisy-le-Roi, souhaite ainsi faire de la région d'Île-de-France le plus grand site mondial du rétrofit. Déjà, nous versons une prime de 2 500 euros aux particuliers, qui a vocation à devenir plus significative.
Je vous remercie beaucoup de la qualité de vos réponses et de votre disponibilité. Vous avez donné à la commission des pistes à explorer tout à fait intéressantes.
Je tenais beaucoup à cette audition, car je me souviens du travail remarquable que vous avez mené sur la LOM. Je sais pouvoir compter sur le Sénat.
La réunion est close à 19 heures 15.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 15.