Je souhaite vous alerter sur les modalités de facturation des fournisseurs d'électricité. Les producteurs d'électricité photovoltaïque envoient un relevé de production et une facture par mail à EDF, qui s'engage à les régler sous 30 jours. Les producteurs de méthanisation, eux, doivent d'abord convertir leur relevé de production de manière très fastidieuse puis envoyer leur facture par lettre recommandée avec accusé de réception. Depuis la Covid-19, cela peut heureusement se faire par mail. Quoi qu'il en soit, si on veut développer la méthanisation, il faut simplifier la procédure de facturation.
Jean-Bernard Lévy. - Je vous remercie de votre intérêt pour EDF. Depuis six ans, je ne cesse de répéter que si l'entreprise a une performance de court terme tout à fait remarquable, nous avons fait l'impasse sur des questions stratégiques qui, aujourd'hui, nous rattrapent.
Nous pouvons toujours dire « c'était mieux avant » mais nous sommes à l'intérieur de l'Europe, où des règles s'appliquent. Nous regrettons la manière dont la Commission met en oeuvre les différents textes qui s'imposent s'agissant d'EDF. Nous estimons que nous ne devrions pas être pénalisés par notre taille dès lors que nous n'en abusons pas. De fait, nous n'avons pas été mis en cause pour abus de position dominante. L'outil mis en oeuvre dans les années 2009-2011 pour ouvrir un espace à nos concurrents est en train de nous nuire. Ceux-ci vont très bien et nous prennent des parts de marché dans tous les domaines. Oui, nous perdons 80 000 clients chaque mois. Pourtant, EDF innove aussi. Depuis janvier, nous avons plus d'un million de clients hors tarif bleu. Nous sommes au bout de la démarche où un affaiblissement volontaire d'EDF était peut-être nécessaire pour laisser cette concurrence et cette innovation prospérer : il faut maintenant remettre les choses en place. Les concessions hydrauliques sont parmi les premières menacées. Mais qui dit qu'Enedis ne sera pas le suivant sur la liste ? Il n'y pas, dans les grands pays d'Europe, de distributeur ayant 95 % du territoire. Enedis est plus menacé dans la situation actuelle que dans le projet Hercule.
Hercule est angoissant parce que les négociations sont en cours et que, de ce fait, on ne peut pas tout savoir. L'État ne va pas négocier cartes sur table avec la Commission européenne. Nous ne sommes d'ailleurs pas présents à la table des négociations. L'objectif est qu'EDF revienne dans le peloton de tête des groupes énergétiques européens. Aujourd'hui, nous ne le sommes plus. Regardez les annonces faites par d'autres électriciens, qui n'ont pas subi les foudres de la Commission au titre de leur position, ou les menaces de la Commission, qui cherche à éviter la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, alors que ce n'est pas son rôle car elle doit respecter une neutralité technologique. Regardez les sommes investies par les majors pétrolières qui passent du tout hydrocarbure à l'électricité ou au biogaz. Au bout de dix ans, le statu quo nous menacerait d'un fort déclassement, d'une vente des joyaux de la couronne. Hercule est la meilleure solution qu'on ait trouvée pour l'éviter, tout en respectant les contraintes européennes. Ces contraintes existent sur l'entreprise, comme sur l'ensemble des parties prenantes. C'est un sujet difficile, d'une extrême importance pour l'entreprise.
Mme Pompili a effectivement indiqué que les négociations risquaient ne pas aboutir et qu'il fallait peut-être réfléchir à des alternatives. Il y a deux ans, le Président de la République m'a demandé de préparer une réforme de l'Arenh et une décision - dont nous savons qu'elle ne sera pas prise maintenant mais peut-être après l'élection présidentielle de 2022 - sur la construction de six réacteurs EPR. Voilà la mission qui m'a été confiée par l'État.
J'en viens à la question des tarifs. Pendant la crise sanitaire, nous avons suspendu les coupures. Par ailleurs, les Français qui ont des ressources limitées peuvent bénéficier d'un chèque énergie qui, je crois, fonctionne bien. En France, les tarifs sont nettement moins élevés que dans les pays voisins, par exemple l'Allemagne, où l'électricité est 70 % plus chère. Nous sommes attachés à la compétitivité de nos tarifs. Hercule n'aura d'impact ni sur la péréquation tarifaire ni sur les SEI.
Le capital d'Enedis, actuellement détenu à 100 % par EDF, sera détenu à 100 % par EDF vert. Le capital d'EDF a été ouvert il y a une quinzaine d'années. Il est détenu à 15 ou 16 % par des actionnaires privés. Il est prévu d'ouvrir davantage le capital d'EDF vert, peut-être par étapes, dans une limite de 30 % car la loi prévoit que l'État doit détenir 70 % du capital des structures publiques. C'est par EDF vert que se fera le développement d'EDF, pour rattraper les cinq ou six groupes qui sont clairement devant nous. Nous sommes franchement menacés de devenir un opérateur de deuxième zone, nous la « grande EDF ». Nous proposons par exemple 30 % dans EDF vert. Enedis changerait simplement de propriétaire.
J'en viens aux dividendes d'Enedis. Les concédants ont toujours la préoccupation que le concessionnaire fasse un minimum de dividendes. J'estime qu'ils devraient avoir pour objectif que le concessionnaire fasse un maximum d'investissements. Si le concessionnaire fait un maximum d'investissements, il a aussi le droit à des dividendes. Nous avons doublé les investissements d'Enedis par rapport au point bas que nous avons connu dans les années 2000, et nous les avons augmentés de 30 % depuis 2015. Si le concessionnaire n'a pas de dividendes, quel intérêt a-t-il à bien gérer sa concession ? Les performances d'Enedis en termes de coupures de courant en zone rurale sont jugées très bonnes par rapport à ses concurrents. Pourtant, nombre de nos concurrents ont un taux de retour du dividende vers l'actionnaire de 100 %, alors que le nôtre est de 65 %. Cet équilibre entre les investissements et les dividendes est important. Je suis très heureux d'aller régulièrement à la rencontre de la FNCCR. Pour Enedis, il n'est pas prévu de changement : je voudrais rassurer nos interlocuteurs.
S'agissant du nucléaire, je rappelle que de nombreux rapports - de nos commissaires aux comptes, de la Cour des comptes, du ministère de l'énergie - se sont penchés sur les provisions pour démantèlement et qu'il est admis que nous avons mis de côté au moins ce qu'il faut - 103 à 104 % du nécessaire - pour démanteler et gérer les combustibles de fin de vie après la fermeture. Nous avons appliqué ce qui est prévu par une loi postérieure à la construction des centrales nucléaires. Ceci est inclus dans les coûts du nucléaire, monsieur le Sénateur Daniel Salmon.
À la demande du Gouvernement, qui tranchera, nous allons déposer un dossier pour proposer la construction de six nouvelles centrales nucléaires. Dans le cadre du rapport RTE-AIE, nous avons déjà indiqué que nous estimons que c'est indispensable, au regard notamment du degré d'acceptation des alternatives et de leurs conséquences en termes d'artificialisation des sols, d'impact sur le pouvoir d'achat, de risques de coupures, de souveraineté, d'emploi...
Le Gouvernement souhaite que la décision soit prise après l'élection présidentielle, mais nous espérons qu'elle le sera le plus rapidement possible car la filière nucléaire - qui représente, en France, 220 000 emplois - nécessite une continuité d'activité et que le tissu industriel a été fragilisé par la pandémie. Nous avons fait savoir par une décision du conseil d'administration que, si cette décision intervenait, les premiers sites retenus seraient Penly, Gravelines et Bugey ou Tricastin - le choix entre Bugey ou Tricastin se faisant ultérieurement.
Monsieur le Sénateur Daniel Salmon, le conseil d'administration d'EDF nous a effectivement donné l'autorisation d'engager la commande de certaines pièces, aux risques d'EDF, afin d'accélérer la construction des éventuels EPR. Cela se traduira prochainement par des travaux dans certaines usines de notre filiale Framatome.
Nous ne pouvons pas vous préciser aujourd'hui la répartition financière entre les trois entités, puisque les négociations ne sont pas terminées sur les questions de prix, de valorisation et sur ce qu'on appelle le business plan des différentes entités du futur groupe intégré. Le moment venu, nous partagerons largement ces informations.
Pour Larivot, nous avons obtenu toutes les autorisations des différentes instances de la République au niveau national ou au niveau local. Le chantier va donc bientôt commencer. En ce qui concerne le combustible, nous appliquerons la réglementation européenne Renewable Energy Directive II (RED II), qui nous permet d'avoir une biomasse liquide dont les produits de base sont limitatifs et, en particulier, n'incluent pas les cultures à base d'huile de palme.
Mme la Sénatrice Marie-Noëlle Lienemann m'a interrogé sur la sécurité du nucléaire. Nous mettons un grand soin à ce que, à l'intérieur des règles du jeu, qui proviennent des directives européennes, et en particulier de celles de 1997 et 1999 en matière d'ouverture des marchés de l'énergie, le nucléaire bénéficie en permanence d'une gestion très attentive en matière de sûreté. Ce ne sont pas des installations comme les autres. À ce titre, l'ASN a des pouvoirs extrêmement importants d'enquête, d'inspection et d'injonction, que nous respectons de façon scrupuleuse. Nos relations techniques sont très étroites, et les partages d'information, intenses. Il nous est arrivé - rarement - d'être pénalisés par l'ASN, lorsqu'elle estime que nous n'avons pas fait ce que nous aurions dû faire. Dans ce cas, nous battons notre coulpe et nous appliquons les décisions de cette Autorité, très respectée en France et dans le monde.
Mme le Sénateur Dominique Estrosi Sassone m'interrogeait sur l'équilibre entre offre et demande sur le territoire des Alpes-Maritimes. C'est un vieux sujet, dont j'avais déjà entendu parler il y a bien longtemps. Il a été très largement résolu, je crois, en enfouissant la liaison qui avait été envisagée pour traverser une partie du parc naturel du Verdon. Il reste des éléments de fragilité. C'est à RTE, non à EDF, de les gérer. Mais si nous pouvons aider RTE à trouver des solutions qui rendent un peu moins fragiles les parties les plus extrêmes du territoire - je pense aussi à la Bretagne - EDF fera le maximum.
Sur la RE2020, la décision définitive, après consultation du Gouvernement, semble imminente. La RE2020 va permettre aux Français de faire, comme dans beaucoup d'autres pays, une migration ordonnée vers des systèmes de chauffage dans lesquels le combustible fossile, très émetteur de CO2 - comme le fioul, le gaz ou le charbon - sera progressivement remplacé par des combustibles non émetteurs. Il peut y avoir un peu de biogaz. Celui-ci représente aujourd'hui moins de 1 % de la consommation française. Le ministère souhaite privilégier son utilisation là où il n'y a pas d'autre possibilité. Les applications du biogaz pour l'électricité ne doivent donc pas être encouragées, car c'est une ressource rare.
Un sujet inquiète les professionnels de la construction, alors qu'il n'a pas grand-chose à voir avec EDF : l'obligation de matériaux biosourcés. Pour nous, l'enjeu est surtout de profiter de cette réglementation pour substituer au gaz, qui est devenu une source d'émission considérable au fil du temps dans les logements, de l'électricité décarbonée - en France, 95 % de l'électricité est décarbonée. C'est la voie empruntée par l'État, avec une mise en place progressive du chauffage par de l'électricité décarbonée ou par de la biomasse, d'abord dans les maisons individuelles, puis dans les logements collectifs. Je souligne que les pompes à chaleur sont une industrie française, avec un très fort contenu en emplois. La RE2020 va donc contribuer à la réindustrialisation du pays, tout en faisant baisser nos achats de gaz à des partenaires extraeuropéens.
M. le Sénateur Pierre Cuypers me demande s'il est déraisonnable d'envisager de rouler tout électrique.