Intervention de Florian Faure

Délégation aux entreprises — Réunion du 4 février 2021 à 9h00
Audition de M. Florian Faure directeur des affaires sociales et de la formation M. Philippe Chognard responsable du pôle conditions de travail à la confédération des pme cpme et du dr pierre thillaud représentant titulaire de la cpme au conseil d'orientation des conditions de travail coct

Florian Faure, directeur des affaires sociales et de la formation :

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je souhaite vous remercier au nom de la CPME de nous avoir proposé de participer à cette audition sur ce sujet qui nous est cher.

Dr Pierre Thillaud, représentant titulaire de la CPME au COCT. -Médecin du Travail, je dirige depuis maintenant 40 ans un service de médecine du travail et j'assume la représentation de la CGPME et maintenant CPME depuis toutes ces années pour tout ce qui concerne les mandats d'hygiène et de santé et sécurité au travail. Je me propose de commencer par balayer rapidement le questionnaire que vous nous avez transmis, de sorte que puisse se dégager de nos réponses une philosophie générale sur le sujet de ce jour.

En réponse à la première question, qui porte sur les évolutions des modes travail au regard de la crise, je tiens à souligner que dans la mesure où ces évolutions se sont produites dans l'urgence la plus absolue, il est aussi urgent de laisser du temps au temps pour en apprécier les avantages, mais aussi les limites, notamment en ce qui concerne le télétravail. Toute réglementation hâtive qui viendrait enkyster des situations ou des attitudes risque d'être dommageable, tant pour les entreprises que pour les salariés.

Pour répondre à votre question n°2, tous les secteurs et toutes les tailles d'entreprises sont concernés par les nouveaux modes de travail, mais nous n'avons qu'une connaissance parcellaire de la situation.

S'agissant de savoir si la santé au travail doit évoluer (votre question n°3), j'estime qu'il serait prématuré, en pleine crise, d'en tirer des conséquences pour l'avenir. C'est d'autant moins souhaitable que l'ANI (accord national interprofessionnel), qui a été signé début décembre 2020, donnera lieu à une transcription sous la forme d'une proposition de loi qui est actuellement en discussion à l'Assemblée nationale.

Pour ce qui est de l'évolution de la médecine du travail (votre question n°4), je pense que les partenaires sociaux ont contribué largement à lui donner une vision, des objectifs et des espérances et je pense, là aussi, qu'il faut laisser les choses suivent leur cours avant d'en apprécier le résultat.

Il est exact que la crise sanitaire a mis en avant les nouveaux modes de travail (question n°5) d'une façon précipitée. Pour ce qui est du télétravail, plusieurs phases ont été vécues au cours des douze derniers mois : d'abord un grand enthousiasme, puis beaucoup de promesses et enfin l'apparition de nombreuses limites, avec des effets sanitaires, sociaux et mentaux. Cela confirme que l'appréciation des nouveaux modes requiert un certain recul.

Le dialogue social (question n°6) doit être apprécié selon la taille de l'entreprise. Alors qu'il est réglementaire et pour ainsi dire constitutionnel dans les grandes entreprises, il est sui generis dans les PME c'est-à-dire qu'il découle de la structure même des relations de travail. Le législateur doit donc tenir compte de cet aspect avant de codifier les rapports sociaux qui peuvent s'y développer.

Si l'évolution du droit (question n°7) accompagne les nouveaux modes de travail et de management, ce qui donne lieu, comme vous l'indiquez, à une évolution pléthorique du code du travail, la réactivité du politique et du législateur au regard des rapports sociaux est souvent très rapide, pour ne pas dire trop rapide, ce qui ne permet pas d'apprécier tous les avantages et les limites des évolutions constatées.

À la question portant sur la connaissance du droit du travail par les chefs d'entreprise (question n°8), mon expérience de médecin du travail me permet d'affirmer que le diseur de droit pour les PME reste le comptable, qui assure une veille juridique pour la PME ou la TPE dont il s'occupe.

S'agissant des conditions pour faire de ces évolutions des facteurs de croissance (question n°10), je suggère de laisser vivre les situations nouvelles pour pouvoir les apprécier. Avec la Covid, on recommence à considérer que le travail est d'abord une satisfaction personnelle et collective avant d'être l'objet systématique d'une réparation. À rebours du désamour du travail que l'on constate depuis de nombreuses années, la crise montre bien que le travail est autre chose qu'une obligation dont les défauts sont à réparer, mais d'abord une action qui vous rémunère, vous satisfait et qui est utile.

À la question « Comment le renforcement de l'autonomie des salariés et le principe de subordination hiérarchique s'appliquent-ils dans le rapport salarial ? » (question n°11), je répondrai qu'il faut porter un regard particulier sur les petites structures telles que les TPE et les PME tant il est vrai que les relations de travail obéissent à des règles qui sont souvent ignorées du législateur. Il est parfois lourd pour ces structures de supporter des obligations qui ne correspondent pas à la nature de leur activité, et de leur activité relationnelle en particulier.

Le passage de la protection des droits des travailleurs à celle des droits de la personne (question n°12) traduit le désamour du travail déjà évoqué et le passage de plus en plus frileux du niveau individuel au niveau collectif. Cela renvoie à une difficulté de partage des objectifs du travail. Même les représentations des salariés (question n°13) connaissent des difficultés à avoir une voix représentative à cause même de cet individualisme qui progresse et qui gagne les grandes structures davantage que les PME.

Le dernier message que je souhaitais passer à votre délégation sénatoriale (question n°14) consiste à rappeler que le temps du politique n'est pas celui de l'entreprise. Le politique a des contraintes majeures, dont les médias, tandis que l'entreprise a ses propres exigences qui sont marquées par le produit et le marché. Le dialogue que nous avons ce matin est l'occasion de mettre en alerte le législateur et le pouvoir réglementaire sur ces réalités propres aux PME.

Le télétravail a suscité un engouement au début de la crise sanitaire, et nous avons été très satisfaits d'aboutir à la négociation d'un accord national interprofessionnel qui a permis de poser les principes applicables en la matière. L'ANI de 2005 avait eu un effet contre-productif pour le développement du télétravail parce que son encadrement a conduit un trop grand nombre de chefs d'entreprise à ne pas vouloir mettre le doigt dans l'engrenage.

On assiste aujourd'hui à l'ouverture de discussions, voire de négociations, au sein des entreprises pour pouvoir mettre en place un ou quelques jours de télétravail par semaine. Ces négociations, qui ont surtout eu lieu à partir du mois de juin, ont pu être mises entre parenthèses par les mesures de couvre-feu et de confinement : elles devront prendre en compte le fait que des salariés et leurs représentants ont exprimé le souhait que le télétravail soit choisi et non subi. Il apparaît notamment que le télétravail à 100 % nuit à la qualité de vie au travail et n'est pas de nature à favoriser un bon équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. On assiste d'ailleurs en matière de dialogue social dans l'entreprise, qu'il soit direct ou indirect, à une vraie prise en considération du droit à la déconnexion.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion