Délégation aux entreprises

Réunion du 4 février 2021 à 9h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • PME
  • modes
  • télétravail
  • évolution

La réunion

Source

La réunion est ouverte à 9 heures.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Babary

Mesdames et Messieurs,

Mes cher(e)s collègues,

Nous sommes réunis ce matin pour auditionner tout d'abord la confédération des petites et moyennes entreprises, qui est notre interlocuteur sur bien des sujets.

La CPME a souhaité être entendue dans le cadre de la mission sur les nouveaux modes de travail et de management. Nous accueillons donc Florian Faure, directeur des affaires sociales et de la formation de la CPME ainsi que Philippe Chognard, responsable du pôle conditions de travail, et Pierre Thillaud, représentant titulaire au Conseil d'orientation des conditions de travail (COCT)

Je rappelle que les rapporteurs de cette mission sont Martine Berthet, Michel Canévet et Fabien Gay.

Je propose de vous donner sans plus tarder la parole, en rappelant que vous avez reçu un questionnaire pour lequel nous attendons des réponses écrites dans les prochains jours, ce qui vous permet d'aborder librement aujourd'hui les sujets qui sont prioritaires à vos yeux.

Après votre intervention liminaire d'environ 15 minutes, je donnerai la parole à mes collègues pour leur permettre de poser des questions, étant entendu que nous devons avoir terminé à 9h45 pour la table ronde qui suivra.

Debut de section - Permalien
Florian Faure, directeur des affaires sociales et de la formation

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, je souhaite vous remercier au nom de la CPME de nous avoir proposé de participer à cette audition sur ce sujet qui nous est cher.

Dr Pierre Thillaud, représentant titulaire de la CPME au COCT. -Médecin du Travail, je dirige depuis maintenant 40 ans un service de médecine du travail et j'assume la représentation de la CGPME et maintenant CPME depuis toutes ces années pour tout ce qui concerne les mandats d'hygiène et de santé et sécurité au travail. Je me propose de commencer par balayer rapidement le questionnaire que vous nous avez transmis, de sorte que puisse se dégager de nos réponses une philosophie générale sur le sujet de ce jour.

En réponse à la première question, qui porte sur les évolutions des modes travail au regard de la crise, je tiens à souligner que dans la mesure où ces évolutions se sont produites dans l'urgence la plus absolue, il est aussi urgent de laisser du temps au temps pour en apprécier les avantages, mais aussi les limites, notamment en ce qui concerne le télétravail. Toute réglementation hâtive qui viendrait enkyster des situations ou des attitudes risque d'être dommageable, tant pour les entreprises que pour les salariés.

Pour répondre à votre question n°2, tous les secteurs et toutes les tailles d'entreprises sont concernés par les nouveaux modes de travail, mais nous n'avons qu'une connaissance parcellaire de la situation.

S'agissant de savoir si la santé au travail doit évoluer (votre question n°3), j'estime qu'il serait prématuré, en pleine crise, d'en tirer des conséquences pour l'avenir. C'est d'autant moins souhaitable que l'ANI (accord national interprofessionnel), qui a été signé début décembre 2020, donnera lieu à une transcription sous la forme d'une proposition de loi qui est actuellement en discussion à l'Assemblée nationale.

Pour ce qui est de l'évolution de la médecine du travail (votre question n°4), je pense que les partenaires sociaux ont contribué largement à lui donner une vision, des objectifs et des espérances et je pense, là aussi, qu'il faut laisser les choses suivent leur cours avant d'en apprécier le résultat.

Il est exact que la crise sanitaire a mis en avant les nouveaux modes de travail (question n°5) d'une façon précipitée. Pour ce qui est du télétravail, plusieurs phases ont été vécues au cours des douze derniers mois : d'abord un grand enthousiasme, puis beaucoup de promesses et enfin l'apparition de nombreuses limites, avec des effets sanitaires, sociaux et mentaux. Cela confirme que l'appréciation des nouveaux modes requiert un certain recul.

Le dialogue social (question n°6) doit être apprécié selon la taille de l'entreprise. Alors qu'il est réglementaire et pour ainsi dire constitutionnel dans les grandes entreprises, il est sui generis dans les PME c'est-à-dire qu'il découle de la structure même des relations de travail. Le législateur doit donc tenir compte de cet aspect avant de codifier les rapports sociaux qui peuvent s'y développer.

Si l'évolution du droit (question n°7) accompagne les nouveaux modes de travail et de management, ce qui donne lieu, comme vous l'indiquez, à une évolution pléthorique du code du travail, la réactivité du politique et du législateur au regard des rapports sociaux est souvent très rapide, pour ne pas dire trop rapide, ce qui ne permet pas d'apprécier tous les avantages et les limites des évolutions constatées.

À la question portant sur la connaissance du droit du travail par les chefs d'entreprise (question n°8), mon expérience de médecin du travail me permet d'affirmer que le diseur de droit pour les PME reste le comptable, qui assure une veille juridique pour la PME ou la TPE dont il s'occupe.

S'agissant des conditions pour faire de ces évolutions des facteurs de croissance (question n°10), je suggère de laisser vivre les situations nouvelles pour pouvoir les apprécier. Avec la Covid, on recommence à considérer que le travail est d'abord une satisfaction personnelle et collective avant d'être l'objet systématique d'une réparation. À rebours du désamour du travail que l'on constate depuis de nombreuses années, la crise montre bien que le travail est autre chose qu'une obligation dont les défauts sont à réparer, mais d'abord une action qui vous rémunère, vous satisfait et qui est utile.

À la question « Comment le renforcement de l'autonomie des salariés et le principe de subordination hiérarchique s'appliquent-ils dans le rapport salarial ? » (question n°11), je répondrai qu'il faut porter un regard particulier sur les petites structures telles que les TPE et les PME tant il est vrai que les relations de travail obéissent à des règles qui sont souvent ignorées du législateur. Il est parfois lourd pour ces structures de supporter des obligations qui ne correspondent pas à la nature de leur activité, et de leur activité relationnelle en particulier.

Le passage de la protection des droits des travailleurs à celle des droits de la personne (question n°12) traduit le désamour du travail déjà évoqué et le passage de plus en plus frileux du niveau individuel au niveau collectif. Cela renvoie à une difficulté de partage des objectifs du travail. Même les représentations des salariés (question n°13) connaissent des difficultés à avoir une voix représentative à cause même de cet individualisme qui progresse et qui gagne les grandes structures davantage que les PME.

Le dernier message que je souhaitais passer à votre délégation sénatoriale (question n°14) consiste à rappeler que le temps du politique n'est pas celui de l'entreprise. Le politique a des contraintes majeures, dont les médias, tandis que l'entreprise a ses propres exigences qui sont marquées par le produit et le marché. Le dialogue que nous avons ce matin est l'occasion de mettre en alerte le législateur et le pouvoir réglementaire sur ces réalités propres aux PME.

Le télétravail a suscité un engouement au début de la crise sanitaire, et nous avons été très satisfaits d'aboutir à la négociation d'un accord national interprofessionnel qui a permis de poser les principes applicables en la matière. L'ANI de 2005 avait eu un effet contre-productif pour le développement du télétravail parce que son encadrement a conduit un trop grand nombre de chefs d'entreprise à ne pas vouloir mettre le doigt dans l'engrenage.

On assiste aujourd'hui à l'ouverture de discussions, voire de négociations, au sein des entreprises pour pouvoir mettre en place un ou quelques jours de télétravail par semaine. Ces négociations, qui ont surtout eu lieu à partir du mois de juin, ont pu être mises entre parenthèses par les mesures de couvre-feu et de confinement : elles devront prendre en compte le fait que des salariés et leurs représentants ont exprimé le souhait que le télétravail soit choisi et non subi. Il apparaît notamment que le télétravail à 100 % nuit à la qualité de vie au travail et n'est pas de nature à favoriser un bon équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. On assiste d'ailleurs en matière de dialogue social dans l'entreprise, qu'il soit direct ou indirect, à une vraie prise en considération du droit à la déconnexion.

Debut de section - PermalienPhoto de Fabien Gay

Comment appréciez-vous l'autonomie accrue dont bénéficient les salariés en télétravail ? Quels types de management induit-elle ? Il semble que dans certains cas le télétravail conduise à davantage de productivité car les durées de travail s'allongent, en dépit du droit à la déconnexion, avec des difficultés de conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle, alors que dans d'autres cas on assiste au contraire à une chute de la productivité, parce que certains salariés s'effondrent psychologiquement.

Vous avez parlé de « désamour du travail », mais je crois plutôt que la nouvelle génération est à la recherche d'intérêts et de sens dans le travail. Il ne suffit plus de donner des directives, mais il faut expliquer les motivations des projets et pourquoi il faut les mener collectivement. La rémunération du travail reste importante, mais elle n'est plus la priorité. Les jeunes veulent que leurs actions défendent des valeurs, par exemple la mise en avant de modes de production qui préservent au maximum la planète.

Comment envisagez-vous le développement des nouvelles plateformes, qui ont tendance à confondre l'autonomie et l'indépendance, ce qui motive le combat des livreurs à vélo pour davantage de protection sociale.

Debut de section - Permalien
Florian Faure, directeur des affaires sociales et de la formation

En ce qui concerne l'autonomie des salariés que permet le télétravail, les retours du terrain sont contrastés. Dans certaines structures, le management a été très efficace et réactif pour mettre en place des méthodes de management permettant de conserver le lien entre les équipes. Ils ont su prendre en main le bien-être de leurs collaborateurs. Dans d'autres, le télétravail a induit une dégradation du bien-être et une chute de la productivité, tant il est vrai qu'il n'est pas facile de travailler, manger et dormir dans une même pièce, comme c'est souvent le cas.

Nous sommes très actifs sur le dossier des travailleurs indépendants collaborant avec des plateformes qui leur imposent des modalités opératoires et des prix. Le ministère du Travail nous a auditionnés hier sur le sujet. J'alerte sur le fait que nous sommes en train de nous faire déborder par les travaux de la Commission européenne, qui considère que la question de la fixation des prix fait partie du champ conventionnel. Selon nous, le dialogue social ne devrait pas régir les relations commerciales entre un sous-traitant et un donneur d'ordre.

Dr Pierre Thillaud. - Je confirme qu'il existe une vraie dynamique en matière d'engagement au travail, mais force est de constater qu'elle reste cantonnée à l'entrepreneuriat ou aux start-ups.

Debut de section - Permalien
Philippe Chognard

Le « télétravail » dont nous parlons n'est pas à proprement du télétravail mais du travail à domicile qui nous a été imposé. Dans ce contexte, certains travailleurs deviennent des décrocheurs, comme on en trouve aussi dans le monde scolaire. Ce n'est pas le fait d'un désamour du travail, mais d'un manque d'appétence pour le télétravail, parfois en raison d'un manque de maîtrise des technologies de communication à distance. Ce décrochage s'observe aussi dans les grandes entreprises. Pour endiguer ce phénomène, nous avons milité auprès de la ministre du Travail pour qu'il soit permis aux salariés de revenir sur leur site de travail un jour par semaine. Cette mesure permet aux salariés de se resocialiser au travers de leur activité professionnelle. De plus, les échanges formels et informels qui ont lieu dans les locaux des entreprises sont essentiels pour mener et réussir des projets collectifs.

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Canevet

L'évolution des modes de travail a-t-elle été appréhendée dans l'ensemble des TPE et PME, comme cela a été le cas dans les grandes entreprises ? Entraîne-t-elle des fractures générationnelles ? La crise impacte-t-elle la gestion des relations sociales au sein des TPE et des PME ?

Debut de section - Permalien
Florian Faure, directeur des affaires sociales et de la formation

Nos adhérents ont généralement su anticiper le développement des nouveaux modes de travail. C'est moins le cas dans certains secteurs comme les commerces de proximité. Des accompagnements en matière d'équipement et de formation aux technologies ont été mis en place par le ministère du Travail avec des financements par les OPCO (opérateurs de compétences).

Il est vrai que les salariés les plus âgés n'ont pas toujours les mêmes facilités que leurs jeunes collègues pour utiliser les outils de travail à distance, au point parfois de décrocher.

J'ai le sentiment que la crise sanitaire a paradoxalement redonné une forte impulsion au dialogue social, dans et en dehors des instances représentatives du personnel. Des facilités ont été données pour permettre la réunion des CSE (comités sociaux et économiques) à distance, mais aussi la tenue en distanciel des réunions des branches professionnelles et des négociations interprofessionnelles. Fait historique, nous avons signé deux accords interprofessionnels sur le télétravail et la santé au travail sans jamais avoir eu la moindre réunion, y compris préparatoire, en présentiel.

Debut de section - PermalienPhoto de Martine Berthet

Les évolutions des modes de management en lien avec le travail à distance ont précédé la crise sanitaire. Pensez-vous qu'elles ont mis en difficulté certains managers qui n'ont pas su s'y adapter ?

Bien qu'il soit porté par la crise sanitaire, le boom du télétravail est un phénomène durable. Où en est votre réflexion sur le nouveau référentiel de la médecine du travail qui devrait en découler ?

Debut de section - Permalien
Florian Faure, directeur des affaires sociales et de la formation

Nous avions identifié les difficultés managériales liées au télétravail lors de la préparation des négociations relatives à l'ANI et préconisé un accompagnement dans ce domaine, car il n'est pas inné de savoir gérer des collaborateurs à distance. Cet accompagnement en termes d'information et de formation existait avant la crise pour ce qui est du télétravail classique. Les situations de télétravail à 100 % imposées pour faire face la crise sanitaire depuis mars 2020 n'ont pas fait l'objet d'une préparation des managers, puisqu'elles ont été mises en place en urgence. L'ANI distingue d'ailleurs ces deux cas de figure, qui n'appellent pas les mêmes réponses.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Babary

Comment réagissez-vous aux récentes déclarations de la ministre Élisabeth Borne relatives au renforcement des contrôles des inspecteurs du travail dans les entreprises sur l'application des recommandations sanitaires et imposant de prioriser le télétravail à 100 % dès que c'est possible ?

Debut de section - Permalien
Florian Faure, directeur des affaires sociales et de la formation

Ces prises de parole ne sont pas très différentes des précédentes. S'agissant des modalités d'exercice de l'activité professionnelle, le pouvoir de direction reste entre les mains des employeurs, qui sont responsables de la mise en oeuvre des mesures sanitaires de protection individuelle et collective, notamment en cas de maladie. Les contrôles de l'inspection du travail ne peuvent donc pas a priori conduire à des sanctions. Ils sont cependant l'un des seuls moyens pour la ministre de rappeler l'importance du maintien des salariés en télétravail à 100 %, alors que l'on constate un retour assez sensible des salariés en présentiel dans le cadre de la journée de présence qui leur est autorisée.

Debut de section - PermalienPhoto de Serge Babary

Je remercie, au nom des membres de la délégation, les représentants de la CPME pour la qualité de nos échanges. Nous vous réécouterons sur le sujet des nouveaux modes de travail, car c'est un sujet essentiel pour l'économie et les salariés de nos entreprises.

La séance est levée à 9 h 45.