Intervention de Stéphane Pimbert

Délégation aux entreprises — Réunion du 4 février 2021 à 9h45
Table ronde sur « l'impact des nouveaux modes de travail et de management sur la santé »

Stéphane Pimbert, directeur général de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS) :

Je remercie la Délégation sénatoriale aux entreprises et son président de m'avoir invité pour cette table ronde. Je vous rappelle que l'INRS est l'Institut national pour la Recherche et la Sécurité. Cette structure créée en 1947 sous l'égide de la CNAM a pour objet la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Son budget provient notamment du fonds national des accidents du travail. Notre action s'adresse aux entreprises et aux salariés ainsi qu'aux médecins du travail et aux préventeurs.

Je tiens tout d'abord à souligner que le télétravail avait été imaginé avant la crise sanitaire comme pouvant être exercé une ou deux journées par semaine, dans des conditions fixées par accord d'entreprise sans rapport avec celles de salariés auxquels la pandémie interdit de venir dans l'entreprise pendant plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

Le télétravail intensif que l'on vit actuellement conduit à un appauvrissement du collectif de travail. Le rôle du management de proximité, auparavant centré sur la préparation des activités et leur contrôle, s'est distendu. De plus, la démarcation entre la vie personnelle et la vie professionnelle est complètement brouillée, sous l'effet d'une sur-sollicitation des collaborateurs, souvent en dehors des horaires de travail de référence.

Le télétravail intensif est aussi problématique pour l'intégration des nouveaux salariés et du point de vue de la charge mentale des salariés. S'y ajoute, cela a été dit, une plus grande exposition aux troubles musculo-squelettiques, aux maladies liées à l'inactivité physique et aux troubles oculaires liés au travail sur écran.

Quant aux risques psychosociaux liés au télétravail, ils résultent de multiples facteurs :

· une absence de régulation par le collectif ;

· une mauvaise évaluation de la charge de travail ;

· l'accroissement des risques de violences verbales ou écrites ;

· l'isolement ;

· un manque de démarcation entre la vie professionnelle et la vie personnelle ;

· la perte de repères dans un métier impacté par la digitalisation ;

· un sentiment d'exclusion lié à une mauvaise maîtrise des outils de travail ;

· une perte du sens du travail.

La prévention de ces risques passe beaucoup par l'encadrement de proximité, auquel il incombe, en période de crise sanitaire, de faire vivre le collectif de travail sans présence physique. Le manager de proximité doit être à l'écoute de chacun des membres de son équipe, ce qui fait peser sur lui une lourde charge mentale, alors qu'il ne dispose pas toujours de la formation et des moyens techniques requis. Car un management par objectif diffère d'un management en présentiel basé sur le suivi continu de la performance des collaborateurs, par le biais d'interactions directes. Il nécessite une formation des managers comme des salariés.

Les directions, qui ont été souvent favorables à la signature d'accords d'entreprise sur le télétravail, ont fréquemment une impression de déconnexion des équipes, lesquelles seraient plus attachées au travail prescrit qu'au travail réel. Or le maintien du collectif de travail, qui est un rouage essentiel de la santé mentale, est déséquilibré. De plus, le télétravail à 100 % conduit à ce que les salariés ne se rencontrent plus dans les lieux de convivialité de l'entreprise. Un manager charismatique en présentiel le devient beaucoup moins en cas de télétravail intensif. La valeur ajoutée issue dans des conditions ordinaires de l'échange entre les salariés a tendance à disparaître très largement.

L'employeur doit se préoccuper des risques psychosociaux et physiques occasionnés par le télétravail, car il en est responsable. Le document unique d'évaluation des risques (DUER) doit en rendre compte et se traduire sous la forme d'un plan d'actions annuel. C'est le socle de la prévention dans l'entreprise.

Professeur Jean-Dominique Dewitte, président de la Société française de médecine du travail (SFMT). - La Société française de médecine du travail que je préside a été créée il y a 35 ans et s'est préoccupée des nouveaux modes de travail, à propos desquels elle a émis des recommandations. À cet égard, le télétravail n'est qu'une des nouvelles organisations du travail, à côté par exemple du travail en open space qui est, lui aussi, très problématique. Force est de constater que la plupart se traduisent par une intensification du travail et une forme de déshumanisation. Il suffit pour s'en convaincre d'analyser les méthodes d'un des géants mondiaux de la distribution de biens à domicile, où les salariés portent des lunettes connectées qui pilotent chaque geste des opérateurs.

En tant que médecins du travail, nous sommes en charge essentiellement de la prévention primaire, bien que nos missions devraient intégrer, à la suite de l'ANI et d'une proposition de loi en préparation, la prévention de la désinsertion. Dans le cas du télétravail, la prévention est évidemment compliquée par le fait que l'exercice de l'activité professionnelle se fait à domicile.

Étant aussi président d'une commission régionale de reconnaissance des maladies professionnelles, j'ai participé au débat sur la justification d'une reconnaissance éventuelle du burn-out comme maladie professionnelle, celui-ci étant jusqu'à présent davantage analysé comme une collection de symptômes ou de syndromes plutôt qu'une maladie à part entière. Le dernier rapport de gestion de la CNAM, publié en décembre 2020, fait cependant apparaître une augmentation constante et considérable des déclarations et des reconnaissances de maladies professionnelles depuis 2013, sous l'effet d'une modification des critères de reconnaissance intégrant les RPS (risques psycho-sociaux), avec toutefois des disparités régionales. On enregistre notamment en 2019 une proportion considérable de syndromes dépressifs déclarés et reconnus, ce qui tend à attester la souffrance psychique au travail évoquée par mes collègues psychologues du travail. C'est un phénomène majeur.

En tant qu'experts, nous sommes inquiets de l'effacement progressif de la fonction de médecin du travail que devrait entraîner la mise en place des praticiens correspondants, qui seront des médecins généralistes n'ayant pas reçu de formation particulière. Alors que les médecins du travail ont déjà des difficultés à donner des préconisations sur l'environnement de travail (ergonomique et matériel) au domicile des salariés qui télétravaillent, cette réforme va tendre à accroître encore leur éloignement de la réalité quotidienne de ceux-ci. Cela met en cause l'avenir même de notre profession.

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