Le rapport que je vous présente n'est pas encore totalement abouti. Les conclusions ne sont pas encore toutes arrêtées. Vos remarques pourront donc être intégrées dans ses conclusions.
Ce rapport pourrait s'intituler : « mieux se déplacer dans les espaces peu denses, un défi à relever dès aujourd'hui ». Le rapport de la délégation à la prospective de novembre 2018 soulevait le risque de relégation des espaces peu denses. Nous étions alors avant la discussion de la LOM. Nous redoutions un scénario très négatif de développement d'une offre de mobilité très diversifiée et moderne dans les territoires denses, tandis que les campagnes ne bénéficieraient pas du tout des progrès et seraient condamnées à utiliser des modes de transport chers et peu performants. Après la LOM, il est apparu plus que nécessaire d'approfondir cette question car les réponses en termes de moyens pour certains territoires ne sont toujours pas au rendez-vous, qu'il s'agisse de capacité d'ingénierie ou de moyens financiers. J'ai effectué une quinzaine d'auditions en complément des échanges de la table ronde du 23 septembre dernier, afin de nourrir la réflexion.
La première question posée est celle de la définition des espaces peu denses. L'INSEE fournit une réponse à travers sa grille de densité en quatre niveaux qui vont de la ville dense aux espaces très peu denses comptant moins de 10 habitants par kilomètre carré. Même dans les espaces peu denses, on peut être dans la zone d'attraction d'une métropole. La situation des territoires est très différente selon qu'ils sont reliés ou non à une grande ville. Lorsqu'on veut traiter la question des espaces peu denses du point de vue des mobilités, l'approche se complexifie encore. Il existe un florilège de définitions. Certains caractérisent les espaces peu denses comme ceux où il est difficile d'organiser des transports en commun classiques de type urbain comme le car ou le train. D'autres caractérisent les espaces peu denses comme étant ceux où l'on ne se déplace qu'en voiture et où l'on ne marche pas car l'espace n'est pas à l'échelle du piéton. Une autre définition peut être avancée : les espaces peu denses seraient ceux où le poste « mobilité » est le plus important dans le budget des ménages avec, en conséquence, un impact fort des hausses de prix du carburant. De ce point de vue, les espaces ruraux font évidemment partie des espaces peu denses, mais le périurbain, voire certaines parties enclavées des villes, pourraient être considérées comme faisant partie de ce périmètre.
L'expression « espace peu dense » suscite une interrogation. Le mot « peu » laisse entendre qu'il existerait une insuffisance de densité, alors qu'il y a une vraie richesse dans ces territoires. On pourrait plutôt parler de « grands espaces » ou de « campagnes ». Ces espaces sont recherchés, valorisés, et attirent les urbains. Le phénomène s'est sans doute renforcé depuis l'expérience d'immobilité du confinement lié au Covid.
Une réalité objective reste néanmoins dans les espaces peu denses : les mobilités se font sur de plus longues distances que dans les métropoles, où, du fait de la densité, on se déplace plus nombreux sur des parcours plus courts. Depuis des décennies, les espaces peu denses se sont déséquipés en transports collectifs : les petites lignes ferroviaires ont fermé, les cars ont progressivement disparu. La voiture est devenue ultra-dominante.
La question qui se pose pour l'avenir est la suivante : doit-on tout miser sur la voiture individuelle combinée à des modes collectifs résiduels pour les non-motorisés, comme c'est le cas aujourd'hui, ou bien essayer de diversifier le modèle pour les mobilités du quotidien en proposant des solutions alternatives ? Nous devons aussi prendre en compte des paramètres importants comme l'objectif de décarbonation des déplacements. Nous devons également nous interroger sur le concept de « démobilité », qui vise à moins de déplacements subis, et à une meilleure organisation des déplacements et des temps, avec l'aide du numérique. L'expérience du confinement a montré le potentiel de bouleversement du quotidien apporté par le télétravail.
D'une manière générale, on constate qu'il existe, même dans les espaces peu denses, de réelles alternatives à la voiture individuelle, comme le covoiturage, l'auto-partage, les transports à la demande, le taxi collectif. On observe aussi des innovations en matière de transports solidaires, ainsi que l'utilisation des modes actifs, marche et vélo, qui peuvent se développer même à la campagne. Le vélo à assistance électrique (VAE) conduit en effet à reconsidérer le vélo dans les transports du quotidien, qui font bien souvent moins de 5 kilomètres. Toutes ces solutions peuvent aussi être envisagées pour faire du rabattement vers des modes lourds. Nos concitoyens utilisent de plus en plus des chaînes multimodales : ils se rendent par exemple sur un parking-relais et poursuivent leur trajet dans un mode collectif. On peut citer quelques expériences intéressantes, comme le parking-relais de Briis-sous-Forges dans l'Essonne, connecté à une ligne de bus rapide qui relie les grandes gares du Sud francilien.
On observe une vraie dynamique d'innovation en matière de mobilités dans les espaces peu denses. Des appels à projets sont lancés par France Mobilités, qui est une agence de l'État. Ces projets montrent une vraie inventivité, pas seulement technologique mais aussi organisationnelle. Une de nos hypothèses repose sur l'idée que la densité du lien social dans les campagnes permet de mettre en place des solutions adaptées.
Avant de passer à la suite, je voudrais vous présenter trois innovations grâce à de courtes vidéos : l'une porte sur un système de ramassage scolaire en vélo collectif (S'Cool Bus) expérimenté aux Pays-Bas et importé en France depuis quelques années, une autre montre l'expérience que j'ai personnellement faite de l'utilisation d'un vélomobile, c'est-à-dire un vélo caréné permettant de doubler la vitesse en utilisant la même énergie musculaire, enfin la dernière porte sur une expérience de covoiturage organisé proposée par une société s'appelant Ecov.
Trois courtes vidéos sont projetées.
Ces expériences sont très prometteuses. Le covoiturage organisé s'appuie sur les autorités organisatrices des mobilités qui encouragent les automobilistes à suivre des trajets précis, ce qui en fait presque des lignes de bus. La masse des utilisateurs garantit aux automobilistes et aux passagers de toujours disposer d'une solution en 5 à 10 minutes. Le covoiturage organisé à travers des lignes de covoiturage fonctionne aussi dans des secteurs très ruraux, dès lors que les circuits sont organisés. Il s'agit là d'un bien meilleur système que des cars interurbains qui circulent quasiment à vide. 90 % des déplacements du quotidien dans les espaces peu denses se faisant en voiture, il convient de s'appuyer sur les flux existants et de transformer la voiture en un mode de déplacement semi-collectif. C'est une solution peu coûteuse, car dans le cadre du covoiturage les conducteurs sont rémunérés seulement à hauteur de 1 à 2 euros pour prendre des passagers. Et le covoiturage est souvent gratuit pour les passagers.
La réponse aux besoins de mobilités dans les espaces peu denses repose aussi sur des dispositifs de rabattement vers les gares existantes. Ma conviction est qu'il n'existe pas une solution unique et magique à mettre en oeuvre pour améliorer les mobilités dans les espaces peu denses, mais qu'il faut encourager un bouquet de solutions, à imaginer en fonction des spécificités de chaque territoire.
Une des principales difficultés que l'on rencontre pour développer des solutions de mobilités dans les espaces peu denses est l'insuffisance voire l'absence de moyens techniques et financiers. Il n'y a pas aujourd'hui de modèle économique. Le modèle du transport collectif repose sur le versement mobilité. Mais cette base fiscale n'existe bien souvent pas dans les espaces peu denses. Or, nous avons besoin d'ingénierie pour mener des expériences innovantes et les pérenniser.
Une autre difficulté pour faire évoluer les mobilités dans les zones peu denses est l'obstacle psychologique que représente encore la culture automobile. Le véhicule individuel est une bulle personnelle de confort. Le covoiturage constitue un changement culturel. Mais il n'est pas insurmontable. On a bien réussi à faire évoluer le rapport au tabac en quelques décennies, pourquoi ne pas imaginer faire évoluer le rapport à la voiture ? Les constructeurs adaptent leurs véhicules. Il n'est pas utopique d'envisager un autre usage, plus partagé, de l'automobile.
Grâce au confinement, on a fait l'expérience concrète de la démobilité. La preuve a été apportée qu'une organisation différente des temps et des lieux permettait d'envisager les mobilités d'une manière nouvelle. Cela appelle à des remises en question : le modèle TGV de la SNCF, basé sur une clientèle d'affaire, qui est précisément celle qui a le plus basculé en télétravail, risque d'être totalement remis en question.
La crise du Covid a certainement renforcé l'attrait pour les campagnes. Mais l'isolement peut aussi être mal vécu. Par ailleurs, les métropoles sont des aimants puissants à activités. Les tendances sont donc contradictoires et plusieurs scénarios sont envisageables pour le futur des mobilités dans les espaces peu denses. Un scénario pourrait être celui du développement d'un système de navettes mais celui-ci risque de congestionner les circulations autour des grandes métropoles. Un autre scénario pourrait reposer sur moins de déplacements et le développement du télétravail.
Je termine par un point sur les espaces très peu denses : les solutions y sont difficiles à mettre en place du fait de la faiblesse des flux de population. La voiture individuelle y est dominante. Certains recommandent même de ne pas y développer de politiques publiques de mobilité et de se contenter de payer le taxi à ceux qui ne peuvent pas se déplacer autrement, pour un coût final moins élevé pour la collectivité.