Intervention de Dominique Schnapper

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 17 février 2021 à 16h30
Projet de loi confortant les principes de la république — Audition de Mme Dominique Schnapper sociologue présidente du conseil des sages de la laïcité

Dominique Schnapper, sociologue, présidente du Conseil des sages de la laïcité :

En tant que sociologue, je ne pense pas que ce projet de loi marque une évolution de la conception française de la laïcité, tout comme je ne pense pas qu'il risque de porter atteinte à la liberté du culte.

La loi de 1905 a été conçue pour une Église catholique ayant le statut de puissance politique, l'Église unique organisant majoritairement la vie collective en France. C'est bien contre ce pouvoir politique - bien que certains aient été contre l'Église elle-même - que la loi a été votée et a reçu l'appui des religions minoritaires de l'époque qu'étaient le protestantisme et le judaïsme. Le grand rabbin vous a d'ailleurs expliqué toute l'adhésion passionnée des juifs aux règles de la laïcité. Une passion que les protestants ont partagée à l'époque, mais qui, maintenant, s'est transformée en critique.

La société est, aujourd'hui, bien plus diverse par le degré de pratique et par un éclatement des croyances et des organisations religieuses. Elle est, en somme, moins religieuse dans l'ensemble, même si elle comprend des mouvements de retour, éventuellement extrémistes. Enfin, il faut prendre en compte cette nouvelle donnée qu'est la présence d'une forte proportion de la population musulmane, de l'ordre de 10 %.

Le problème est l'islam politique plutôt que l'islam lui-même, encore que certains islamologues soient plus nuancés en matière de rapport entre islam et islamisme. Je pense qu'un islam de type religieux impose à la loi de 1905 des adaptations s'agissant des lieux de culte, des fêtes et du régime alimentaire. Je suis convaincue que ces problèmes peuvent être réglés par une adaptation de la loi de 1905. Le cas des usines Renault est souvent pris en exemple pour son importation de populations musulmanes et son adaptation à des demandes purement religieuses comme l'ouverture de salles de prière. La République a, d'ailleurs, toujours mis en place cette adaptation aux conditions des gens, comme elle s'est adaptée à la Moselle ou à l'Alsace, et comme elle s'est adaptée dans les années trente rue des Rosiers, à Paris, où le jour de repos était non pas le jeudi, mais le samedi, pour tenir compte du shabbat.

Le problème est qu'il y a, désormais, derrière ces revendications au nom d'une religion, un véritable projet politique contestataire des valeurs démocratiques. L'an 2000 a constitué un moment charnière dans cette évolution. A paru, en 2002, le livre Les territoires perdus de la République, tandis qu'en 2004, Jean-Pierre Obin découvrait le départ des enfants juifs de certains établissements scolaires qui ne pouvaient plus assurer leur sécurité. Son rapport a été très soigneusement mis de côté et la publication par vingt intellectuels, l'année suivante, d'un commentaire du rapport Obin n'a eu aucun écho. Il y avait donc, déjà, un changement de ce qui se présentait comme des revendications religieuses et qui étaient des revendications politiques, marquées par de l'antisémitisme. Aujourd'hui, nous connaissons bien le phénomène grâce aux travaux des spécialistes de la question, depuis Gilles Kepel jusqu'à Hugo Micheron et Bernard Rougier.

Les différentes dispositions de ce projet de loi me paraissent répondre à un problème politique, et je me suis réjouie du fait que le Président de la République n'ait pas remis en question la loi de 1905, car il ne s'agit effectivement pas d'un problème religieux. J'ai apprécié le nouveau titre positif du projet de loi, qui rappelle que la laïcité est un régime de liberté. Par ailleurs, faire passer les associations de loi 1901 sur le régime de la loi de 1905 me semble naturel. Il est normal, non seulement de subordonner les subventions publiques aux associations à la signature d'une charte de la laïcité, mais, en outre, même sans subvention, de leur demander de respecter les lois communes. À ce titre, vous aurez remarqué que les trois associations musulmanes ayant refusé de signer la charte sont turques, ce qui me conforte dans l'opinion que le problème est bien politique et non religieux. Enfin, que ces associations rendent des comptes sur leur financement étranger ne me paraît, ainsi, nullement scandaleux.

Le problème de l'enseignement familial a été largement débattu et, à titre personnel, je regrette le passage du contrôle a posteriori à l'autorisation préalable. Celle-ci constitue, néanmoins, une adaptation à une situation objective, notamment illustrée par les remontées du terrain. On observe, désormais, des pères qui, amenant leurs petites filles de 3 ans à l'école, donnent comme conditions qu'elles ne soient pas assises à côté d'un petit garçon. On m'a également cité le cas d'un père restant derrière la grille pour vérifier que, pendant la récréation, sa fille ne joue pas avec des petits garçons. L'islamisme extrémiste remet donc en question nos valeurs collectives - la démocratie, l'égalité hommes-femmes - ainsi que la primauté de la loi républicaine sur la loi religieuse.

Vous me demandez de décrire nos activités. Je rappelle que le Conseil des sages de la laïcité dépend du ministère de l'éducation nationale. C'est d'ailleurs le ministre qui en a choisi les membres. Notre rôle devient tellement large que nous devons recruter. Nous n'avons pas essayé de faire un nouveau texte sur la laïcité, thème d'ores et déjà largement étudié, mais de produire un document susceptible d'apporter un certain nombre de solutions. Nous sommes donc très soucieux d'être en liaison avec les services du ministère ainsi qu'avec les référents laïcité nommés dans chaque académie. Nous sommes très souvent saisis et recevons de nombreux témoignages d'enseignants, même si nous n'avons eu connaissance du cas de Samuel Paty que dans la presse. À cet égard, il est frappant de constater que le problème se déplace vers l'école primaire, alors que le collège était jusqu'alors au coeur de la contestation. Il y a désormais une poussée organisée, notamment avec des avocats qui cherchent à entrer dans les établissements. Cela commence très tôt, dès la maternelle.

Nous avons activement participé à la rédaction des textes par lesquels nous essayons de préciser la définition intellectuelle de la laïcité ainsi que les conséquences pratiques de ses principes dans la gestion des établissements. Au ministère, un vade-mecum de la laïcité a recueilli un ensemble de textes et d'études de cas. Nous y avons beaucoup travaillé. Il se nourrit d'ailleurs régulièrement des remontées du terrain et des critiques, car de nouveaux problèmes apparaissent - je pense notamment à la présence d'avocats auprès des parents d'élèves. Nous avons également aidé à la rédaction d'un vade-mecum pour lutter contre le racisme et l'antisémitisme.

Vous m'avez posé la question du sport qui, effectivement, fait désormais partie du périmètre de M. Blanquer. Nous sommes donc en train de rédiger un nouveau vade-mecum pour le monde sportif qui, pour le dire en termes modérés, ne sait pas très bien ce qu'est la laïcité. Par ailleurs, nous avons fait quelques conférences de formation pour le service civique. Enfin, le ministre nous a demandé un certain nombre de notes, par exemple sur l'enseignement laïque des faits religieux. Nous avons également pour objectif de participer à la formation des enseignants, tant dans le recrutement que durant la formation continue. J'ai été extrêmement frappée, en allant parler à Poitiers devant les enseignants, les chefs d'établissement et les inspecteurs, que mes propos, tout compte fait assez plats, aient été écoutés avec beaucoup d'intérêt, mais avec grand étonnement. Les trentenaires d'aujourd'hui semblent découvrir ce qui allait de soi pour la génération de mes enfants en matière de laïcité. Les études de cas semblent donc être très appréciées.

Enfin, nous tentons de soutenir, à notre mesure, tous ceux qui nous transmettent des témoignages ou nous demandent des conseils, ainsi que ceux qui essayent de comprendre et de résister. Un de nos membres fait d'ailleurs partie de la mission pour l'ensemble de la fonction publique qu'a organisée la ministre de la fonction publique pour la question de la laïcité. Vous m'avez interrogée sur ce point, notre lien est institutionnel. Nous avons jugé utile, au terme de trois années de travail, de faire profiter l'ensemble de la fonction publique de l'expérience que nous avions accumulée, d'autant que certains ministères, comme celui de la santé, rencontrent d'importants problèmes.

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