Intervention de Christian Cambon

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 janvier 2021 à 16h35
Opération barkhane — Audition de Mme Florence Parly ministre des armées

Photo de Christian CambonChristian Cambon, président :

Madame la ministre, c'est la seconde fois que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat vous auditionne sur l'opération Barkhane, un an environ après le sommet de Pau et avant deux événements importants : le débat au Sénat en séance publique le 9 février prochain et le sommet de N'Djamena dans quelques semaines. C'est un moment clé pour vous interroger sur le bilan des huit années d'engagement militaire français au Sahel et sur les perspectives d'avenir de Barkhane. En ces instants nous avons une pensée en mémoire des huit militaires qui ont perdu la vie récemment - les cinq soldats et les trois gendarmes auxquels notre commission a rendu hommage ce matin.

Durant ce cycle d'auditions sur un an, la commission a interrogé des experts, des chercheurs et des militaires, dont le chef d'état-major des armées, le COMANFOR. Nous en avons tiré plusieurs enseignements.

Premièrement, Serval et Barkhane ont permis d'éviter que les djihadistes ne prennent le pouvoir ou qu'ils ne réussissent à établir un sanctuaire sur une partie du territoire malien, même si les populations sont toujours exposées, en particulier dans le centre du Mali, à une violence endémique. L'intervention française qui s'est faite à la demande du Gouvernement malien de l'époque a permis d'éviter l'instauration, au coeur du Sahel, d'un pouvoir djihadiste, ce qui aurait pu avoir des conséquences politiques notamment pour le Maghreb.

Ensuite, les opérations Serval puis Barkhane ont permis d'obtenir de nombreux succès tactiques. Des cibles djihadistes de haut rang ont été neutralisées. L'effort supplémentaire accompli depuis Pau a permis de porter des coups sévères à l'« État islamique au grand Sahara » (EIGS). Plus récemment, il faut saluer les résultats remarquables obtenus dans le cadre de l'opération Bourrasque.

Troisièmement, ces opérations s'inscrivent dans le temps long. Il est malheureusement fort probable que la poussée djihadiste reprenne en cas de départ de nos troupes, avec un risque de contagion vers le golfe de Guinée. Les raisons de ce caractère non pérenne de nos succès ne sont non pas militaires, mais politiques et institutionnelles.

D'abord, les progrès politiques, dont dépend la résolution définitive de la crise, sont loin d'être allés au même rythme que les avancées militaires. Or nous savons bien qu'il n'y a pas ici de solution militaire. L'accord d'Alger n'a été que très partiellement mis en oeuvre. Pire, nous sommes en quelque sorte revenus en 2013, avec le coup d'État militaire au Mali et un processus démocratique qui repart de zéro. L'État n'est toujours pas revenu dans de vastes zones au Nord et au Centre, et cette absence est le terreau de toutes les formes de djihadisme.

Ensuite, les forces locales, malgré un courage remarquable et des pertes terribles, sont encore loin d'être capables de prendre la relève de nos soldats pour affronter les djihadistes. Certes, l'armée malienne a progressé et les forces tchadiennes ont montré depuis longtemps leur courage, et la force conjointe du G5 Sahel prend lentement ses marques. Mais tout cela n'est pas suffisant.

En outre, le soutien de nos alliés n'est pas non plus celui que nous espérions. En particulier, la création de la force Takuba a constitué une avancée certaine, et c'est aussi un embryon d'Europe de la défense. Mais les partenaires européens qui veulent nous rejoindre ne se bousculent pas. Si l'on compare les forces présentes à nos côtés et les deux millions de militaires en Europe, on voit qu'il reste des progrès à accomplir, même si nous saluons vos efforts pour mobiliser des équipements et des partenaires.

Enfin, l'approche dite « 3D », c'est-à-dire diplomatie, défense et développement, reste très incantatoire. Le développement est d'ailleurs très lié à la « bonne gouvernance », qui reste souvent un voeu pieux.

D'où notre principale interrogation. Et nous n'oublions pas que nous, parlementaires, avons une responsabilité dans la présence de nos forces, ayant voté la prolongation de celle-ci. Mais puisque la fin de la crise au Sahel dépend d'une évolution politique qui mettra peut-être encore des années, voire des décennies à se produire, devons-nous rester engagés pendant toute cette durée dans les conditions actuelles, c'est-à-dire avec des milliers d'hommes ? Une différence de 500 ou 600 hommes ne va pas changer le sort de cet engagement. Ne faut-il pas revoir nos objectifs politiques et stratégiques dans un sens plus réaliste, et adapter notre dispositif en conséquence ?

Cette interrogation est d'autant plus forte à la suite des événements récents. Même si nous devons rester très prudents à propos des sondages, une récente consultation fait état d'une opposition désormais majoritaire, à hauteur de 51 %, des Français à l'opération. Les Français se posent des questions, relayées par les élus ou sur les réseaux sociaux. Il y a aussi la question du coût très lourd de l'opération pour le budget de nos armées.

Madame la ministre, nous aimerions que vous puissiez revenir à la question des objectifs politiques de cette opération, même s'ils relèvent aussi de la diplomatie et des initiatives du Président de la République. La décision de retrouver le niveau des effectifs d'il y a un an, qui semble déjà prise, doit être complétée par une stratégie d'ensemble. Que se passera-t-il si, dans un an, le Mali n'a pas avancé d'un pas vers une solution politique globale ? La classe politique malienne nous paraît un peu étanche à la nécessité d'organiser une réconciliation nationale. Allez-vous poser un certain nombre de conditions à nos partenaires à ce sujet à N'Djamena ?

Pouvons-nous imaginer une forme de présence préservant nos intérêts à long terme tout en ménageant davantage la vie de nos soldats ? Est-ce que tout est fait pour assurer la sécurité de nos militaires dans les convois ? Utilisons-nous les meilleurs matériels et les meilleurs blindages ? Un colonel bien connu a plaidé devant nous pour un engagement moins visible, quitte à frapper plus fort si la menace dépasse à nouveau un certain seuil. Se pose également la question de notre présence au Tchad : un redéploiement ne supposerait-il pas de réactiver une forme d'opération Épervier, puisque Barkhane l'a absorbée ?

D'autres questions ne peuvent être éludées. Nos militaires, en particulier des forces spéciales, ne perdent-ils pas au Sahel l'expérience de la haute intensité ? Quelle sera, selon vous, l'approche de la future administration Biden sur ces questions ? Nous avons besoin de l'appui tactique et logistique américain. Merci d'avoir accepté ce débat, qui se veut constructif. Le parlement ne peut pas rester absent de ce sujet.

Enfin, madame la ministre, nous aimerions vous interroger sur l'exécution du budget 2020 et sur l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM).

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