Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Réunion du 20 janvier 2021 à 16h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Photo de Christian Cambon

Je suis bien conscient de l'ampleur des difficultés et de l'inquiétude des routiers, largement relayée par la presse. J'ai cosigné aujourd'hui même avec Jean-François Rapin, président de la commission des Affaires européennes, une lettre pour demander un débat dans l'hémicycle sur ce sujet.

La réunion est close à 12 h 30.

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Madame la ministre, c'est la seconde fois que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat vous auditionne sur l'opération Barkhane, un an environ après le sommet de Pau et avant deux événements importants : le débat au Sénat en séance publique le 9 février prochain et le sommet de N'Djamena dans quelques semaines. C'est un moment clé pour vous interroger sur le bilan des huit années d'engagement militaire français au Sahel et sur les perspectives d'avenir de Barkhane. En ces instants nous avons une pensée en mémoire des huit militaires qui ont perdu la vie récemment - les cinq soldats et les trois gendarmes auxquels notre commission a rendu hommage ce matin.

Durant ce cycle d'auditions sur un an, la commission a interrogé des experts, des chercheurs et des militaires, dont le chef d'état-major des armées, le COMANFOR. Nous en avons tiré plusieurs enseignements.

Premièrement, Serval et Barkhane ont permis d'éviter que les djihadistes ne prennent le pouvoir ou qu'ils ne réussissent à établir un sanctuaire sur une partie du territoire malien, même si les populations sont toujours exposées, en particulier dans le centre du Mali, à une violence endémique. L'intervention française qui s'est faite à la demande du Gouvernement malien de l'époque a permis d'éviter l'instauration, au coeur du Sahel, d'un pouvoir djihadiste, ce qui aurait pu avoir des conséquences politiques notamment pour le Maghreb.

Ensuite, les opérations Serval puis Barkhane ont permis d'obtenir de nombreux succès tactiques. Des cibles djihadistes de haut rang ont été neutralisées. L'effort supplémentaire accompli depuis Pau a permis de porter des coups sévères à l'« État islamique au grand Sahara » (EIGS). Plus récemment, il faut saluer les résultats remarquables obtenus dans le cadre de l'opération Bourrasque.

Troisièmement, ces opérations s'inscrivent dans le temps long. Il est malheureusement fort probable que la poussée djihadiste reprenne en cas de départ de nos troupes, avec un risque de contagion vers le golfe de Guinée. Les raisons de ce caractère non pérenne de nos succès ne sont non pas militaires, mais politiques et institutionnelles.

D'abord, les progrès politiques, dont dépend la résolution définitive de la crise, sont loin d'être allés au même rythme que les avancées militaires. Or nous savons bien qu'il n'y a pas ici de solution militaire. L'accord d'Alger n'a été que très partiellement mis en oeuvre. Pire, nous sommes en quelque sorte revenus en 2013, avec le coup d'État militaire au Mali et un processus démocratique qui repart de zéro. L'État n'est toujours pas revenu dans de vastes zones au Nord et au Centre, et cette absence est le terreau de toutes les formes de djihadisme.

Ensuite, les forces locales, malgré un courage remarquable et des pertes terribles, sont encore loin d'être capables de prendre la relève de nos soldats pour affronter les djihadistes. Certes, l'armée malienne a progressé et les forces tchadiennes ont montré depuis longtemps leur courage, et la force conjointe du G5 Sahel prend lentement ses marques. Mais tout cela n'est pas suffisant.

En outre, le soutien de nos alliés n'est pas non plus celui que nous espérions. En particulier, la création de la force Takuba a constitué une avancée certaine, et c'est aussi un embryon d'Europe de la défense. Mais les partenaires européens qui veulent nous rejoindre ne se bousculent pas. Si l'on compare les forces présentes à nos côtés et les deux millions de militaires en Europe, on voit qu'il reste des progrès à accomplir, même si nous saluons vos efforts pour mobiliser des équipements et des partenaires.

Enfin, l'approche dite « 3D », c'est-à-dire diplomatie, défense et développement, reste très incantatoire. Le développement est d'ailleurs très lié à la « bonne gouvernance », qui reste souvent un voeu pieux.

D'où notre principale interrogation. Et nous n'oublions pas que nous, parlementaires, avons une responsabilité dans la présence de nos forces, ayant voté la prolongation de celle-ci. Mais puisque la fin de la crise au Sahel dépend d'une évolution politique qui mettra peut-être encore des années, voire des décennies à se produire, devons-nous rester engagés pendant toute cette durée dans les conditions actuelles, c'est-à-dire avec des milliers d'hommes ? Une différence de 500 ou 600 hommes ne va pas changer le sort de cet engagement. Ne faut-il pas revoir nos objectifs politiques et stratégiques dans un sens plus réaliste, et adapter notre dispositif en conséquence ?

Cette interrogation est d'autant plus forte à la suite des événements récents. Même si nous devons rester très prudents à propos des sondages, une récente consultation fait état d'une opposition désormais majoritaire, à hauteur de 51 %, des Français à l'opération. Les Français se posent des questions, relayées par les élus ou sur les réseaux sociaux. Il y a aussi la question du coût très lourd de l'opération pour le budget de nos armées.

Madame la ministre, nous aimerions que vous puissiez revenir à la question des objectifs politiques de cette opération, même s'ils relèvent aussi de la diplomatie et des initiatives du Président de la République. La décision de retrouver le niveau des effectifs d'il y a un an, qui semble déjà prise, doit être complétée par une stratégie d'ensemble. Que se passera-t-il si, dans un an, le Mali n'a pas avancé d'un pas vers une solution politique globale ? La classe politique malienne nous paraît un peu étanche à la nécessité d'organiser une réconciliation nationale. Allez-vous poser un certain nombre de conditions à nos partenaires à ce sujet à N'Djamena ?

Pouvons-nous imaginer une forme de présence préservant nos intérêts à long terme tout en ménageant davantage la vie de nos soldats ? Est-ce que tout est fait pour assurer la sécurité de nos militaires dans les convois ? Utilisons-nous les meilleurs matériels et les meilleurs blindages ? Un colonel bien connu a plaidé devant nous pour un engagement moins visible, quitte à frapper plus fort si la menace dépasse à nouveau un certain seuil. Se pose également la question de notre présence au Tchad : un redéploiement ne supposerait-il pas de réactiver une forme d'opération Épervier, puisque Barkhane l'a absorbée ?

D'autres questions ne peuvent être éludées. Nos militaires, en particulier des forces spéciales, ne perdent-ils pas au Sahel l'expérience de la haute intensité ? Quelle sera, selon vous, l'approche de la future administration Biden sur ces questions ? Nous avons besoin de l'appui tactique et logistique américain. Merci d'avoir accepté ce débat, qui se veut constructif. Le parlement ne peut pas rester absent de ce sujet.

Enfin, madame la ministre, nous aimerions vous interroger sur l'exécution du budget 2020 et sur l'actualisation de la loi de programmation militaire (LPM).

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre des armées

Un an après le sommet de Pau, il me paraît particulièrement légitime que nous ayons un tel échange sur l'opération Barkhane.

Je souhaite d'abord rendre hommage au sergent-chef Yvonne Huynh, au maréchal des logis Tanerii Mauri, au brigadier-chef Loïc Risser, au brigadier Quentin Pauchet et au brigadier Dorian Issakhanian : cinq militaires morts pour la France ; cinq noms qui résonneront à jamais dans nos mémoires. Le plus bel hommage que nous puissions leur rendre est, me semble-t-il, d'expliquer au mieux quel est le combat pour lequel ils sont tombés et quelle est la mission en laquelle ils croyaient.

Je ne suis pas sûre d'épuiser toutes les questions, monsieur le président, que vous avez posées dans votre propos liminaire, mais je sais que les questions ultérieures me permettront de compléter ma réponse.

Je souhaiterais d'abord rappeler pourquoi nous sommes au Mali depuis 8 ans. D'abord, pourquoi sommes-nous intervenus au Mali ? Parce que les autorités maliennes nous l'ont demandé, en 2013, alors que des colonnes djihadistes fonçaient sur Bamako. Les autorités maliennes nous ont appelé à l'aide afin d'éviter la chute de leur État et son naufrage dans le terrorisme islamiste.

Pourquoi, après 8 ans, sommes-nous toujours au Mali ? Parce que le Mali et ses voisins, le Niger, le Tchad, la Mauritanie, le Burkina Faso, nous le demandent toujours. Ce sont les voeux qu'ils ont renouvelés sans ambiguïté, avec vigueur, au sommet de Pau, voilà un an exactement. C'est aussi parce que combattre le terrorisme au Mali, plus largement au Sahel, c'est protéger les citoyens français et européens.

Au Sahel, la France et ses partenaires ont deux ennemis : ils s'appellent Daech et Al-Qaïda, et, à vrai dire, peu importent les acronymes, les noms exacts de leur filiale locale, ce sont bien d'eux qu'il s'agit, deux multinationales du djihadisme qui n'hésitent pas à déstabiliser les États, à soumettre les populations et à cibler de manière indiscriminée les civils. Ce sont deux multinationales djihadistes qui veulent aussi combattre la France et les Français partout où ils le peuvent, comme le prouvent toutes leurs publications haineuses. Rappelons-nous que ce sont eux qui ont fomenté les attentats d'Ouagadougou et de Grand-Bassam en 2016, des attentats qui ont tué indistinctement des Français, des Européens et des personnes d'autres nationalités. Des Français qui étaient à la terrasse d'un café, qui étaient en vacances à la plage ou tout simplement là pour travailler. Des Français qui ont été froidement assassinés d'une balle dans la tête. Au Sahel, donc, la France se bat contre des terroristes qui torturent et qui assassinent des hommes, qui violent des femmes et qui tuent des enfants. Telle est la réalité.

Si Daech et Al-Qaïda s'emparent du Sahel, s'ils en font un sanctuaire, alors, il y a un risque de les voir s'étendre du Sahel à toute l'Afrique de l'Ouest. Il y a aussi un risque de voir la région, déstabilisée, devenir une sorte de base arrière de multinationales terroristes, qui, par ailleurs, menacent publiquement notre pays. Une base arrière où il serait possible d'entraîner des djihadistes et de préparer de nouveaux attentats. On a d'ailleurs déjà vu ce que cela a donné en Afghanistan, avant 2001, et au Levant, avant 2014. C'est évidemment un risque pour la France et pour l'Europe que le Sahel devienne une sorte d'académie du terrorisme. Et c'est parce que nos partenaires européens partagent pleinement cette évaluation qu'ils s'investissent chaque jour un peu plus au Sahel, chacun selon ses moyens, ses traditions ou ses pratiques. Cette mobilisation croissante de nos partenaires européens, ainsi qu'internationaux, a été actée par le sommet de Pau, qui a été provoqué par le Président de la République, il y a un an, alors que nous sortions d'une série de revers et d'attaques contre les armées malienne et nigérienne. Ce sommet nous a d'abord permis de fédérer les volontés. Les pays du Sahel ont en effet exprimé leur adhésion et leur détermination politique à conduire ce combat avec l'aide de la France. Depuis Pau, l'engagement des Sahéliens ne s'est plus démenti.

Ce sommet nous a aussi permis de mobiliser la communauté internationale autour des enjeux sécuritaires au Sahel et de la nécessaire montée en puissance des forces armées locales, ce qui constitue aujourd'hui l'axe majeur de notre action. Je vais y revenir. Enfin, ce sommet nous a permis d'inscrire formellement notre action dans une stratégie globale, qui se déroule en quatre temps, les fameux quatre piliers du sommet de Pau : lutter contre les groupes armés terroristes ; renforcer les capacités des forces armées des États de la région ; appuyer un retour de l'État sur tout le territoire et aider au développement. Nous ne parviendrons pas à la paix si nous concentrons uniquement nos efforts sur les opérations militaires. Nous ne pouvons pas gagner une guerre comme celle-ci seulement, si je puis dire, en neutralisant les terroristes, car, avec le temps, ils se régénèrent. Nous devons réussir à transformer les gains tactiques chèrement acquis sur le terrain en progrès politiques, économiques et sociaux. L'objectif de l'action militaire, c'est de préparer le terrain et de créer un espace pour l'action politique et pour le développement. Aujourd'hui, c'est-à-dire un an après le sommet de Pau, les premiers résultats sont là. La situation s'est améliorée. Je le dis évidemment avec une extrême prudence, mais, néanmoins, nous voyons plusieurs signaux positifs qui doivent nous encourager.

Monsieur le président, vous m'offrez la possibilité d'exposer un peu plus dans le détail certaines actions concrètes que nous menons.

Je voudrais notamment revenir sur une initiative née au sommet de Pau et qui s'appelle « Ménaka sans armes ». C'est une initiative qui est menée conjointement par les forces armées maliennes, et les groupes armés signataires de l'accord pour la paix et la réconciliation au Mali, signé en 2015, avec l'appui des Nations unies et de la force Barkhane. Elle vise à réduire l'insécurité dans la ville de Ménaka, qui était jusqu'à récemment un bastion des terroristes dans la région des trois frontières. Concrètement, des forces armées maliennes et des casques bleus patrouillent dans la ville, et ils assurent une présence à la fois dissuasive et préventive. En ce début d'année 2021, la population, les autorités, les acteurs locaux et les partenaires sont unanimes : les résultats de cette initiative sont très encourageants. Un malien issu de la société civile locale nous a déclaré : « Avant, à Ménaka, les gens ne dormaient pas, ne savaient pas à quoi s'en tenir. Maintenant on arrive à dormir, même si la peur persiste ».

Je voudrais maintenant vous dire quelques mots de la force Takuba, qui a été lancée avec nos partenaires européens en mars de l'année dernière. C'est une force complètement nouvelle, composée de forces spéciales européennes, qui est destinée à entraîner puis accompagner les forces maliennes dans leur combat contre le terrorisme. Il y a d'abord l'entraînement, où nous partageons avec les forces maliennes nos savoir-faire, notre savoir-être, les actes réflexes d'un combattant. Nous les entraînons à se déplacer, se protéger et à réagir en cas d'attaque. Nous les formons aussi au respect des règles du droit international humanitaire et du droit des conflits armés.

Ce qui est plus novateur, c'est l'accompagnement au combat. Nous leur apprenons à planifier une opération, à la conduire sur le terrain et à en tirer une expérience, une analyse après action. Nous intervenons avec eux en binôme.

C'est donc une formation qui est conduite de bout en bout, du premier jour d'engagement jusqu'à l'épreuve du feu. Takuba, ce sont aujourd'hui 8 pays européens partenaires mobilisés à nos côtés : la Suède, la République tchèque, l'Estonie, l'Italie, le Danemark, le Portugal, la Belgique et les Pays-Bas. Par ailleurs, il faut rappeler que nous sommes politiquement soutenus par l'Allemagne, la Norvège et la Grande-Bretagne. Depuis le 15 juillet, Takuba est une réalité opérationnelle. Elle a entamé sa mission auprès des forces armées maliennes avec un premier déploiement franco-estonien composé d'une cinquantaine de militaires, à savoir 28 Français et 22 Estoniens. Ce groupe franco-estonien a été engagé dans des opérations majeures, notamment les dernières, que vous avez rappelées, menées par Barkhane à partir du mois d'octobre.

Le baptême du feu est intervenu il y a quelques jours dans la région d'Ansongo, près de la frontière du Mali et du Niger. La force en est sortie victorieuse. Par ailleurs, le groupe franco-tchèque vient d'achever son déploiement et a déjà entamé son entraînement avec une unité malienne. Il sera bientôt engagé à son tour en opération. Quant au contingent suédois, il a également commencé son déploiement et il monte en puissance. Il sera composé d'environ 150 militaires et sera stationné à Ménaka. Il comprendra trois hélicoptères de manoeuvre, un avion de transport tactique, un groupe de forces spéciales, qui seront donc en mesure d'intervenir rapidement dans n'importe quel point de la région des trois frontières, et une équipe chirurgicale. D'autres contributions sont annoncées pour les prochains mois, notamment de la part du Danemark, du Portugal, de l'Ukraine, de la Grèce, de la Hongrie et de l'Italie, dont le Parlement a autorisé en juillet le déploiement d'un contingent pouvant aller jusqu'à 200 militaires et 8 hélicoptères de manoeuvre. L'Italie poursuit actuellement ses travaux de planification en vue d'un déploiement à partir du mois de mars de cette année.

Takuba, vous l'avez compris continuera d'être une priorité pour les armées en 2021, comme l'est la formation des forces armées sahéliennes. Depuis 2014, ce sont 17 000 soldats du G5 Sahel qui ont été formés au combat par la force Barkhane, dont 6 000 au cours de la seule année 2020, c'est-à-dire trois fois plus que les années précédentes. Je ne vous ai pas parlé de la force conjointe du G5 Sahel, mais je suis certaine que nous pourrons l'évoquer dans le cadre de vos questions.

J'en viens donc au mot de la fin. Au Sahel, la France n'a pas d'agenda caché. Nous avons un seul objectif : lutter contre le terrorisme, comme nous le faisons d'ailleurs au Levant. Moi aussi, je lis la presse, et je voudrais redire avec force devant votre commission que la France n'est pas engluée dans une guerre sans fin. Nous l'avons dit et répété à nos partenaires internationaux, notre présence n'est certainement pas éternelle. Nous ne resterons que le temps nécessaire pour que les forces armées de nos amis soient en mesure de mener ce combat elles-mêmes, et pas un jour de plus. C'est l'objectif vers lequel nos efforts collectifs convergent, et, comme le Président de la République a eu l'occasion de le dire hier lors de ses voeux aux armées, les résultats obtenus par nos forces au Sahel, conjugués à l'intervention plus importante de nos partenaires européens, vont nous permettre d'ajuster notre effort. Nous aurons l'occasion de faire un bilan complet et détaillé de notre action lors du sommet de N'Djamena. Nous aurons l'occasion de discuter avec nos partenaires et nos alliés des orientations que nous souhaitons collectivement donner à notre engagement pour les mois à venir. Aujourd'hui, je crois que, si nous disions aux Français que leur sécurité serait mieux prise en compte si tous nos soldats de Barkhane rentraient, nous ne dirions pas la vérité, même si, je le redis haut et fort, notre présence n'est pas éternelle.

Debut de section - PermalienPhoto de Cédric Perrin

Madame la ministre, vous avez commencé votre propos en rendant hommage à nos militaires, aux enfants de la France qui sont tombés pour notre sécurité, mais aussi pour la protection de l'Europe. Vous avez eu des mots très justes et je vous en remercie.

Le 4 septembre 2017, aux universités d'été de la défense à Toulon, vous avez annoncé une évolution de la doctrine sur l'armement des drones. Les drones armés sont évidemment des atouts remarquables pour Barkhane. Cependant, nous sommes loin d'une totale efficacité, puisque l'autorisation de vol des deux derniers systèmes Block 5 n'est pas encore effective et qu'ils sont toujours cloués au sol. Par ailleurs, la livraison du Patroller au 61e régiment d'artillerie semble décalée. Comment comptez-vous combler le retard de la France dans ce domaine, sachant que les événements du Haut-Karabakh ont encore montré l'importance des flottes de drones dans les combats actuels ? Comment pensez-vous pouvoir adapter nos systèmes de défense sol-air à cette nouvelle menace, que l'on pourrait presque qualifier de low cost ?

Enfin, dernière question, loin de tout esprit polémique. Nous le savons, les pertes militaires de Barkhane sont souvent liées à des IED (Improvised Explosive Device) qui visent nos véhicules blindés légers (VBL). Or, d'après les informations dont je dispose, nos Mk1, et je ne parle pas des Ultima, doivent recevoir de nouveaux kits de blindage contre les mines et les IED. Les commandes dateraient de 2016, mais l'industriel a pris beaucoup de retard. Que pouvez-vous nous en dire ?

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Cela rejoint ma question. Les attaques ont principalement lieu pendant les transports.

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cadic

Madame la ministre, je veux tout d'abord vous remercier pour la force et la hauteur de votre propos introductif. Le groupe Union Centriste s'associe à l'hommage que vous avez rendu à nos soldats tombés au combat.

Le groupe Union centriste vous remercie pour votre décision courageuse de ne pas autoriser la prise de contrôle par l'américain Teledyne de la société Photonis, fleuron français de la vision nocturne.

Je souhaite vous sensibiliser sur la suppression envisagée à l'été par le ministère de l'intérieur du poste d'expert fraude et immigration à Douala. Ce serait un point d'affaiblissement majeur, car comme j'ai pu le constater en décembre dernier à Faya-Largeau, le port de Douala dispose d'une importance stratégique en matière de logistique pour approvisionner nos forces armées au Sahel. Puisqu'il s'agit d'une décision interministérielle, je relaye l'inquiétude émanant de notre poste diplomatique au Cameroun pour que vous puissiez alerter le ministre de l'intérieur sur les effets potentiellement négatifs de ce choix.

Lors de ma visite de la zone de commandement Barkhane à N'Djamena le mois dernier, j'ai eu l'opportunité de féliciter nos forces pour les remarquables résultats obtenus face au terrorisme en 2020 et de rendre hommage à leurs sacrifices et à leur dévouement quotidiens.

Nos militaires soulignent l'engagement collectif au Sahel, où la France n'est pas seule à agir. Grâce à l'impulsion donnée par le Président de la République, le Sahel est aujourd'hui un laboratoire qui permet à l'Union européenne de démontrer sa capacité à peser sur le rétablissement de la paix et de la sécurité : aide aux populations, conseil, formations militaires, engagement opérationnel. Qui sait que l'Allemagne, par exemple, compte près de 1 000 hommes engagés dans la Minusma ?

La France est aussi engagée aux côtés des armées du G5 Sahel. Leur connaissance du terrain et des populations locales est fondamentale pour rétablir la paix dans la région, apaiser les séparatismes et chasser le terrorisme.

Huit ans après le début de l'opération Barkhane, quel regard portez-vous sur le niveau d'implication des forces armées des pays du G5 Sahel ? Quels sont les progrès concrets que vous avez observés dans leurs engagements opérationnels ?

Debut de section - PermalienPhoto de Olivier Cigolotti

L'histoire de ces dernières décennies nous démontre qu'il est difficile pour des forces conventionnelles occidentales de remporter des victoires importantes dans des conflits asymétriques. Les exemples sont nombreux, qu'il s'agisse du Vietnam, de l'Indochine ou de l'Afghanistan. Au Sahel, le conflit originel s'est transformé en une pluralité de conflits interethniques et parfois localisés. Il est difficile de gagner la guerre lorsque l'État est perçu, non pas comme protecteur, mais comme prédateur.

Nos forces font un travail remarquable et remportent de nombreuses victoires, malheureusement parfois au prix du sacrifice suprême, face à une certaine forme de lâcheté des groupes armés terroristes qui utilisent de plus en plus régulièrement des IED. Faut-il voir un lien entre l'intensification d'utilisation des IED et l'arrivée, notamment dans le Sud libyen, de mercenaires syriens à la solde de la Turquie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Isabelle Raimond-Pavero

Je me joins à l'hommage rendu à nos soldats morts pour la France, mais aussi à nos soldats de la force Barkhane. Ces derniers accomplissent des missions délicates et de grande intensité contre des cibles de haute valeur en milieu extrême.

La crise sanitaire et économique crée des rapports de force entre les différents États et affaiblit certains pays, entraînant des changements et des réactions d'une extrême violence. Nous ne pouvons pas laisser le champ libre aux groupes armés terroristes.

Il y a un an, le Président de la République avait indiqué que les résultats obtenus par nos forces, conjugués à l'intervention plus importante de nos partenaires européens, nous permettraient d'ajuster nos efforts. Madame la ministre, face aux interrogations soulevées par l'opinion publique, n'estimez-vous pas qu'il est aujourd'hui impératif de se donner les moyens de communiquer sur les enjeux de notre intervention militaire au Sahel et sur les progrès permis par cette force ?

Debut de section - PermalienPhoto de Richard Yung

Nos résultats militaires sont meilleurs que ce que l'on dit, mais nous combattons une forme de guérilla. La victoire militaire est d'autant plus difficile que nous combattons une multiplicité de mouvements dont les objectifs peuvent être différents. Or pendant les huit ans où il a été au pouvoir, IBK (Ibrahim Boubacar Keïta) n'a rien fait sur le plan de la réconciliation politique, et les accords d'Alger sont restés lettre morte. La situation politique est bloquée, mais nous savons qu'il faudra pourtant discuter avec la partie adverse. Quelles sont vos réflexions en la matière, madame la ministre ?

Debut de section - PermalienPhoto de Hélène Conway-Mouret

Je m'associe à l'hommage appuyé que vous avez rendu à nos soldats, madame la ministre. Le moment n'est pas opportun pour parler de désengagement, car cela pourrait redonner espoir à notre ennemi à un moment où nous pourrions être en position de force. Pour autant, il est naturel qu'après huit ans d'engagement croissant, nous débattions de celui-ci. Pouvez-vous nous donner des précisions quant aux « ajustements » évoqués par le Président de la République dans ses voeux aux armées ?

Nos moyens de renseignement, de liaison et de détection des IED par imagerie radar seront-ils renforcés ?

Deux avions légers de reconnaissance ont été livrés à Évreux en août et en décembre 2020. Quand seront-ils opérationnels sur le théâtre sahélien ?

Debut de section - PermalienPhoto de Yannick Vaugrenard

Il y a huit ans, personne n'aurait imaginé que nous serions aujourd'hui encore présents au Sahel, où nous déplorons la perte de 57 hommes. Le Président de la République a indiqué que les efforts militaires allaient être ajustés, mais sous quelles conditions ?

Le général Lecointre a récemment indiqué : « Il y a effectivement un positionnement de principe de la France qui considère qu'on ne négocie pas avec des terroristes, mais il faudra bien trouver une solution politique. Pour moi, ce n'est pas une question morale. On ne pourra pas faire la paix au Mali sans une vaste réconciliation qui dépasse les critères occidentaux. » Madame la ministre, quelles sont les formes de réconciliation qui dépasseraient les critères occidentaux ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Je ne suis pas certaine de pouvoir répondre à toutes vos questions, car certaines doivent d'abord être tranchées au terme d'un échange avec les pays partenaires dans le cadre du sommet de N'Djamena. À ce stade, je ne puis donc vous donner de détails sur les ajustements qui seront apportés.

Monsieur le président Cambon, je partage votre regret que l'accord d'Alger n'ait pas été mis en oeuvre pendant toutes ces années. L'absence d'une véritable volonté politique a privé nos avancées sur le plan militaire d'une partie de leur efficacité. De plus, certains territoires, notamment dans la partie nord du Mali, ont rarement eu des contacts avec l'État malien.

La protection de nos forces est une préoccupation majeure. Les drones armés dont nous disposons constituent un atout considérable, qui a permis d'élargir et amplifier nos capacités sur le terrain. De nouveaux drones sont arrivés sur le théâtre sahélien ; nous pourrons prochainement en tirer pleinement parti. Le retard européen pris en matière de drones MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) a vocation à être comblé par l'Eurodrone, mais dans cette attente, nous avons pris des initiatives afin d'y remédier. Ainsi, l'armée de terre sera livrée prochainement de drones de petite taille qui vont compléter notre panel.

Dans le contexte d'une multiplication des attaques par IED, le renforcement du blindage est crucial. En 2019 et 2020, les attaques dirigées contre les forces sahéliennes et les civils ont été quotidiennes. S'agissant des VBL Mk1, des kits de blindage ont été commandés en 2018 et sont en train d'être livrés, si bien que les VBL Mk1 ainsi renforcés seront acheminés sur le théâtre sahélien par voie aérienne - et non maritime, afin de gagner du temps - dans le courant du premier trimestre 2021. J'en profite, monsieur Cadic, pour vous indiquer que je ferai part de votre remarque relative à la suppression d'un poste d'expert à Douala à mon collègue.

D'autres décisions ont été prises pour améliorer la protection contre les IED, notamment l'acquisition de VBL dits « Ultima », dont les premières livraisons sont attendues en début d'année prochaine.

Au-delà du renforcement des structures, une réflexion doit être menée rapidement sur l'usage des VBL.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Permettez-moi de vérifier ce point et de revenir vers vous ultérieurement.

La question est grave, et il nous faut forcer le rythme pour faire face à la multiplication des IED. Dans le courant de l'année 2021, nous serons en mesure de présenter un certain nombre d'innovations pour améliorer la protection de nos forces, mais il faudra ensuite les déployer, ce qui est toujours plus difficile.

J'estime qu'il est nécessaire de communiquer davantage sur nos résultats au Sahel. Un an après le sommet de Pau, la situation sécuritaire s'est améliorée. La concentration des forces dans la zone des trois frontières a permis d'entamer significativement les capacités des groupes armés terroristes, en particulier l'État islamique au Grand Sahara. Par ailleurs, les forces armées locales ont beaucoup progressé. Les opérations Bourrasque et Éclipse reposent pour la moitié de leurs effectifs sur les forces armées locales.

Paradoxalement, les commentateurs semblent juger que rien ne fonctionne. Il me semble pourtant que les Français dans leur ensemble soutiennent nos militaires parce qu'ils ont conscience qu'ils contribuent à les protéger. Le Mali n'est pas l'Afghanistan, et nous ne sommes pas englués dans une guerre éternelle. Le sommet de N'Djamena devrait permettre de dresser un bilan avec nos partenaires sahéliens et européens. C'est notre mission que de contribuer à faire connaître ces avancées.

J'en viens aux moyens déployés pour avoir une meilleure compréhension du théâtre d'opération. Nous faisons du renseignement humain et du renseignement technique à la fois terrestre, aérien et par voie spatiale. Le renseignement fait partie des moyens permettant de prévenir un certain nombre de tentatives d'attaque par IED. Enfin, dans le cadre des innovations que j'ai évoquées, nous travaillons également sur des solutions d'imagerie radar.

Les avions légers de surveillance et de reconnaissance seront prochainement déployés sur le théâtre. Ces moyens sont complétés par des drones qui ne font pas que de la frappe, mais également de la reconnaissance.

S'agissant de la discussion avec la partie adverse, les choses ont été dites clairement par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères lorsqu'il s'est rendu au Mali pour nouer le premier contact avec les nouvelles autorités maliennes. Nous savons que notre adversaire au Sahel n'est pas homogène, mais qu'il s'agit de combattants dont certains ont été manipulés ou embrigadés et qui souhaitent retrouver toute leur place dans leur pays d'origine. En revanche, avec les groupes terroristes qui se réclament d'Al-Quaïda ou de Daech, le dialogue n'est pas possible. Il nous faut donc revenir à la mise en oeuvre des accords d'Alger.

L'engagement des forces américaines, notamment en matière de renseignement, est plus fort que jamais. Nous bénéficions ainsi d'une masse d'informations. Nous souhaitons obtenir de la nouvelle administration américaine l'assurance que ces moyens seront prolongés, voire renforcés, mais à ce stade je n'ai aucune certitude.

Je vous remercie pour votre soutien à nos militaires et à l'action de la France.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Les dangers surviennent à l'occasion des transports routiers. Ne pourrait-on renforcer les transports aériens ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

C'est bien parce que les transports terrestres sont très dangereux que nous avons cherché à mobiliser les capacités aériennes de nos partenaires, notamment britannique, danois, espagnol et américain. Nous ne pourrons pas éliminer les convois terrestres, mais nous nous efforçons de les limiter aux stricts besoins et d'accompagner ces transports d'une préparation permettant préventivement de déjouer un certain nombre d'attaques.

Permettez-moi de répondre au sénateur Cadic sur les progrès réalisés par les armées sahéliennes : jamais nous n'avons vu des forces maliennes ou nigériennes mener le combat comme elles l'ont fait à la fin de l'année 2020. Le niveau d'imbrication n'a jamais été aussi poussé, ce qui permet une transmission efficace des savoirs et des savoir-faire. Nous avons donc franchi une étape très significative, mais il faut aussi que ces armées puissent se régénérer, ce qui suppose de recruter des effectifs. Ce processus est en construction.

Debut de section - PermalienPhoto de Hugues Saury

Je m'associe à l'hommage rendu à nos soldats. Les accusations portées contre les forces françaises à la suite des frappes qui auraient tué des civils lors d'un mariage près de Douentza au Mali le 3 janvier dernier ont mis en exergue l'impopularité de notre armée dans l'opinion publique locale et nous confirment l'existence d'une guerre de désinformation qui pèse sur l'opération Barkhane. Si nous rencontrons des succès militaires, je ne suis pas certain que nous gagnions la bataille de l'information. La présence des soldats français est perçue par une partie de la population locale comme une occupation de territoire, cette perception défavorable étant alimentée par des tactiques de communication via les réseaux sociaux. Comment lutter contre ce phénomène et quelle stratégie adopter pour rétablir une relation de confiance avec la population locale ? L'ajustement des troupes déployées s'inscrit-il dans cette stratégie ?

Debut de section - PermalienPhoto de Joël Guerriau

Les premières incursions de djihadistes revendiquant l'indépendance de l'Azawad sont intervenues il y a neuf ans, le 17 janvier 2012. Depuis, la situation politique du Mali est instable. Aujourd'hui même, des manifestations se tiennent à Bamako pour protester contre la présence française au Mali. Si le gouvernement malien était renversé, un nouveau gouvernement pourrait nous demander de nous retirer. Que ferions-nous dans ce cas ? Quelles sont les mesures prises aujourd'hui pour éviter ce scénario, alors que les réseaux sociaux sont extrêmement pollués par des positions maliennes anti-françaises ?

Par ailleurs, quelles incidences positives pouvons-nous attendre du changement de président américain ?

Debut de section - PermalienPhoto de Robert del Picchia

Je m'associe à mon tour à l'hommage à nos soldats. Il me semble nécessaire de faire un effort de pédagogie à l'intention des Français.

Quelles sont les réactions des autres pays à l'idée d'un retrait de la France ?

Debut de section - PermalienPhoto de Vivette Lopez

Permettez-moi d'exprimer l'admiration et le respect que j'ai pour nos forces armées. Quelle est selon vous l'influence de la propagande russe au Mali ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marc Todeschini

Je m'associe également à l'hommage à nos soldats. Disposez-vous d'informations sur une éventuelle montée en puissance d'une coordination entre les différents groupes armés terroristes ? Barkhane fournit un important soutien logistique et opérationnel aux forces du G5 Sahel. Une montée en puissance de ce soutien est-elle prévue en matière de forces aériennes ? Le sommet de Pau a instauré un mécanisme de commandement conjoint. Donne-t-il réellement satisfaction ? La Chine et la Turquie s'étaient engagées à apporter leur soutien en matière d'équipement. Qu'en est-il ? Avez-vous connaissance de l'intervention de mercenaires étrangers, notamment turcs ou syriens ?

Debut de section - PermalienPhoto de Pierre Laurent

Je m'associe à l'hommage à nos soldats. Toutefois, je ne partage pas votre analyse qui reste, selon moi, marquée par une cécité sur l'impasse politique de la situation au Sahel. Les pays continuent à se désagréger, ce qui complique l'émergence d'une solution politique, pourtant indispensable pour mettre un terme au terrorisme. Tous les pays où l'on a fait la guerre au djihadisme - Afghanistan, Libye, Syrie, etc. - sont en lambeaux. Les djihadistes profitent de cet engrenage de violences et leur recrutement ne se tarit pas, car la guerre nourrit de nouvelles formes d'engagement, qui n'ont pas de motif religieux à la base. Cela nous avait été dit par un chercheur lors de son audition en commission. Quels sont les coûts de Barkhane ? Nous engageons des moyens disproportionnés dans une guerre asymétrique pour des résultats limités. Nous ne pourrons continuer longtemps ainsi. Comment chiffrez-vous les pertes humaines pour les populations ? Combien de déplacés à cause de la guerre ? Inversement, on peine à voir les moyens consacrés au développement. N'est-il pas temps de définir un agenda de retrait ? Paradoxalement, cela inciterait les acteurs à rechercher une solution politique.

Debut de section - PermalienPhoto de Guillaume Gontard

Je veux aussi rendre hommage aux soldats morts pour la France. L'État malien est un État failli, fragile. Pourriez-vous nous confirmer que le coût lié à l'opération Barkhane s'est élevé à 911 millions l'an dernier ? L'aide publique au développement (APD) au Mali s'est élevée à 473 millions entre 2013 et 2017. Ne faut-il pas rééquilibrer la balance ? Un sentiment antifrançais commence à s'implanter dans l'opinion malienne. Ne vaut-il pas mieux repenser notre action au profit d'opérations plus ciblées, de renseignement par exemple, mais aussi en faveur du développement ou de l'aide aux populations ?

Debut de section - PermalienPhoto de Nicole Duranton

Je veux aussi rendre hommage à nos soldats morts pour la liberté. L'opération Barkhane ne s'arrêtera que le jour où il n'y aura plus de terroristes islamistes dans la région et lorsque la souveraineté pleine et entière des États de la région sera restaurée. La France combine actions diplomatiques, militaires et en faveur du développement. Chacun a conscience que l'action militaire, hélas, ne suffira pas à écarter la menace terroriste et qu'il faut absolument obtenir des États du Sahel des engagements pour combattre la corruption, développer des services publics et permettre le retour à une vie normale. Mais la reconstruction d'un État prendra des années, voire des décennies. Des discussions sont-elles engagées en ce sens avec les États du Sahel pour obtenir certains engagements ?

Debut de section - PermalienPhoto de Mickaël Vallet

Ma question concerne le renforcement de la force Takuba. Quelle est l'attitude nos partenaires européens à cette perspective ? Certains de nos voisins sont réticents en raison du souvenir de la seconde Guerre mondiale. On a reçu le soutien d'un certain nombre de pays, mais celui-ci est-il opérationnel ? L'intérêt de Barkhane n'est pas perçu partout de la même façon, dans tous les pays. Quelles démarches effectuez-vous pour convaincre nos partenaires de s'impliquer davantage ? Je sais que vous ne pouvez préjuger des conclusions du sommet de N'Djamena, mais estimez-vous que l'appui de nos partenaires est suffisant ? Estimez-vous qu'il faut davantage de moyens ?

Debut de section - PermalienPhoto de Ludovic Haye

Je tiens aussi à m'associer à l'hommage rendu à nos soldats tombés pour la liberté ainsi qu'à leurs frères d'armes. Il sera intéressant de voir comment se traduira l'ajustement annoncé par le Président de la République hier, sur les plans militaire, financier, humain, logistique, technique ou même géographique. La montée en puissance de Takuba sera-t-elle en mesure de compenser un éventuel allégement de l'engagement de la France au Sahel ? Vous avez évoqué la pédagogie, mais celle-ci suffira-t-elle ? Les forces sahéliennes, lorsqu'elles auront été formées, seront-elles en mesure de poursuivre le combat efficacement ?

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Vous avez évoqué la question, cruciale, de la guerre de l'information. Il y a plusieurs domaines de conflictualité et l'information en fait partie. Nous l'avons vu encore récemment lorsque sur toutes sortes de réseaux sociaux, la France a été accusée d'avoir été à l'origine d'une frappe ayant soi-disant tué des civils. Quand je dis « soi-disant », je ne doute pas que des civils aient été tués, mais c'était ailleurs et ce n'est pas du fait de l'intervention de la France. J'ai eu l'occasion de bien préciser tout cela, l'état-major également. Ce que nous pouvons déplorer désormais c'est que face aux faits, il y a des rumeurs et que désormais, les faits ne pèsent pas plus lourd que les rumeurs. C'est donc en effet une sorte de guerre qui s'engage sur notre capacité à opérer la distinction entre de la propagande, de la rumeur amplifiée par des réseaux sociaux, et des faits qui sont des données vérifiées, certifiées par nos forces. Nous assurons la traçabilité de tout ce que nous faisons, mais organiser la traçabilité ne signifie pas nécessairement que dans la seconde nous puissions réagir au même rythme que sur les réseaux sociaux. Tout cela crée en effet une asymétrie et il faut avoir bien conscience qu'il ne s'agit pas nécessairement de rumeurs qui sont répandues par des acteurs locaux, mais qu'il y a aussi un jeu de puissances, des compétiteurs qui ne verraient que des avantages à ce que les Européens - pour avoir une appréhension large du sujet - quittent ce théâtre, afin de pouvoir mieux s'y déployer eux-mêmes, avec probablement d'autres intentions que les nôtres. Donc c'est un sujet que nous prenons très au sérieux, mais je voudrais dire que pour ce qui nous concerne, nous tenons absolument, lorsque nous communiquons, à communiquer sur des faits qui sont vérifiés. Rien ne serait pire que d'engager la parole de l'État sur des données partielles et pas totalement certaines.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Les réseaux sociaux sont prompts à s'enflammer avec toutes sortes d'informations. Je comprends tout à fait que votre réponse ne puisse intervenir que lorsqu'elle est parfaitement certifiée, mais ne peut-on pas avoir, de la part des services de communication des armées, des preuves - il y a des photos puisque les forces armées ont dit « nous avons, de toutes façons, toutes les preuves ». Mais nous, nous ne les avons pas, ni l'opinion publique. J'ai lu un communiqué qui disait « nous avons très bien repéré qu'il s'agissait d'une organisation terroriste, nous avons vu le chef arriver, etc. ». Vous avez donc des éléments visuels. Je pense que plutôt que de laisser s'enflammer les réseaux sociaux, les éléments qui ont amené l'intervention pourraient être produits. Certes il y a la dimension confidentielle, mais quelques éléments renforceraient la crédibilité des forces armées.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Il faut aussi avoir en tête que montrer des images, c'est montrer à notre ennemi ce que nous voyons de lui. Il ne sait pas précisément ce que nous savons et voyons de lui. C'est tout le problème. Il y a, et je le comprends, un besoin de l'opinion publique de savoir et de se sentir rassurée sur le fait que la France mène et conduit ces opérations conformément au droit humanitaire international, au droit de la guerre. C'est extrêmement important, c'est la raison d'être même de nos forces. Et puis il y a aussi la nécessité de protéger nos soldats, en ne livrant pas à nos adversaires des éléments qui pourraient modifier leur mode opératoire. C'est une question éternelle. Je comprends la demande. Mais la raison pour laquelle nous n'y accédons pas est celle que je vous indique. Parfois cela nous place nous-même dans une situation qui n'est pas facile. Ce serait plus simple, d'une certaine façon, de pouvoir partager certaines images, certaines vidéos. Mais les conséquences de cette révélation publique seraient tout à fait importantes du point de vue de la conduite de nos opérations sur le théâtre.

Nous avons passé l'an dernier beaucoup de temps et d'énergie pour nous assurer du soutien américain à Barkhane : ce soutien, important notamment en matière de renseignement, était contesté au début de l'année 2020, puis l'administration américaine sortante a demandé à se faire payer en échange de son aide. Finalement, nous avons obtenu le rétablissement du soutien américain dans les termes initiaux. Cette question sera l'une des premières que nous aurons à aborder avec la nouvelle administration.

J'en viens à votre question sur la réaction de nos partenaires à l'idée d'un « retrait » de la France. Le Président de la République n'a pas parlé de « retrait », mais d'un « ajustement » de notre dispositif. Les pays du G5 sont très attachés à la coopération avec la France. Nous avons de nombreux contacts avec les nouvelles autorités maliennes depuis le mois d'août et celles-ci ont réaffirmé publiquement leur souhait que la coopération avec la France se poursuive. Il en va de même de nombreux pays de la zone.

La désinformation constitue l'une des armes utilisées par nos adversaires au Mali, et par ce terme je désigne aussi des pays comme la Russie ou la Turquie, qui ont l'habitude d'utiliser ces méthodes. Si la Russie est très active en Centrafrique, elle l'est beaucoup moins au Mali, en tout cas notre connaissance, mais nous surveillons cela avec beaucoup d'attention. Nous n'hésiterions pas à en parler avec les Russes si cela apparaissait nécessaire.

Les organisations terroristes sont à la fois dans un rapport de coordination et de compétition. La coordination existe du côté d'Al-Qaïda, puisque le Rassemblement pour la victoire de l'Islam et des musulmans (RVIM), lié à Al-Qaïda, s'appuie lui-même sur des katibas réparties dans différentes zones géographiques : on pourrait citer la katiba Macina, Ansarul Islam, l'émirat de Tombouctou, etc. La coordination est étroite entre les différents échelons de l'organisation, qui sont, en fait, rattachés à la même organisation principale. Il y a aussi une compétition entre le RVIM et l'EIGS, qui relève de Daech. Ces organisations se combattent avec acharnement, et cela a entraîné un affaiblissement supplémentaire de l'EIGS, au-delà des coups que nous pouvons lui porter.

La force conjointe bénéficie du soutien de Barkhane et des opérations de combat ont été menées ensemble. La création d'un commandement conjoint à Niamey constituait l'une des demandes que nous avons exprimées au sommet de Pau, afin de faciliter la coordination entre Barkhane, la force conjointe et les forces nationales des différents pays du Sahel. Ce commandement a été constitué, il fonctionne extrêmement bien et c'est notamment dans ce cadre que les Américains ont pu nous fournir du renseignement.

En ce qui concerne les équipements, tous les pays ne sont pas au rendez-vous, et nous continuons inlassablement, avec les Européens, à rappeler à un certain nombre de nos partenaires leurs promesses de dons. Certaines n'ont pas été tenues, d'autres le sont désormais partiellement : je pense notamment aux pays du Golfe, comme les Émirats arabes unis. On attend toujours le don de l'Arabie Saoudite.

Si la présence de mercenaires russes est certaine en Centrafrique, nous n'avons pas pu en identifier au Sahel, mais nous avons bien conscience de la forte porosité entre la Libye et le nord du Tchad, qui est susceptible de faciliter la circulation des combattants ou des armements. Nous suivons cela avec une grande vigilance.

Nous vous fournirons tous les éléments sur le coût de Barkhane dans le cadre des données relatives à l'exécution 2020. Le chiffre que vous avez avancé, de l'ordre de 900 millions, constitue un bon ordre de grandeur. En tout cas, ce chiffre est plus élevé qu'en 2019, où il s'élevait à 800 millions d'euros, la différence s'expliquant par la hausse des effectifs de 600 personnes.

Les populations civiles sont les premières victimes de cette guerre. Il suffit de se remémorer le massacre par l'EIGS d'une centaine de villageois, au début de cette année, au Niger. Oui, les pertes civiles sont très importantes, et des centaines de milliers de personnes sont déplacées, mais ce n'est pas la présence de la force Barkhane qui est à l'origine de ces massacres : ils sont dus à la volonté de deux organisations terroristes d'asservir des populations civiles et de remettre en cause les fondements mêmes d'un État, déjà très fragile. Il n'y a pas de lien entre la présence de nos forces et les effets visibles des actes des terroristes. Et si d'ailleurs nous les combattons, c'est pour éviter que les États ne tombent, que des populations entières soient massacrées, et pour empêcher que ces organisations terroristes ne développent des bases arrière depuis lesquelles elles pourraient mener des actions contre la France et l'Europe.

L'action militaire ne rétablira pas seule la stabilité dans la région. Celle-ci doit être relayée par des initiatives politiques. Il ne m'appartient pas, aujourd'hui, de vous dire quelles sont celles qui pourraient être prises dans le cadre du sommet de N'Djamena, mais il est déjà dans l'agenda des autorités maliennes de reprendre l'accord d'Alger pour en assurer la mise en oeuvre. Nous verrons quels seront les actes qui en découleront, mais la volonté est là.

S'agissant de la force Takuba, je note une prise de conscience progressive, en Europe, qu'au Sahel c'est bien la sécurité des Européens et de l'Europe qui se joue. Au-delà des échanges très nombreux que nous avons dans le cadre des institutions européennes, l'Initiative européenne d'intervention constitue un très bon forum pour convaincre bon nombre de nos alliés de nous rejoindre. La crise sanitaire a réduit le nombre de mes déplacements pour rencontrer mes homologues, par rapport à 2019. La Suède et l'Estonie sont désormais convaincues de la pertinence de participer à Takuba. Les échanges au niveau européen sont permanents et doivent être poursuivis, mais je crois pouvoir dire que les Européens ont bien compris qu'il s'agissait d'une question de sécurité pour eux-mêmes. Reste alors à définir les conditions dans lesquelles chacun, en fonction de sa culture, de ses capacités ou de ses moyens, peut apporter une contribution utile à cette force Takuba. En tout cas, je poursuivrai mon travail pour mobiliser nos partenaires européens.

Malgré la crise sanitaire et les perturbations très profondes qu'elle a entraînées, nous avons consommé, quasiment à l'euro près, les crédits dont nous dispositions en loi de finances initiale, soit quelque 37,5 milliards d'euros. Nous avons bénéficié d'un dégel de crédits à hauteur de 800 millions d'euros dans le courant du mois de novembre, soit bien plus tôt que d'habitude, ce qui a facilité l'exécution budgétaire. Nous avons également obtenu, dans le cadre de la loi de finances rectificative, les ouvertures de crédits dont nous avions besoin pour couvrir les surcoûts des OPEX. Il s'agit d'une taxation interministérielle qui était surtout ministérielle...

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

La disposition que le Sénat avait introduite dans la LPM était pourtant claire !

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Notre exécution 2020 est excellente compte tenu du contexte économique qui est le nôtre : nous avons consommé la totalité de nos crédits, nous sommes venus en aide à nos entreprises et nous avons réussi à couvrir les surcoûts des OPEX.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Pour la troisième année consécutive, la LPM est correctement exécutée : le mérite vous en revient. Hier soir, à Brest, le Président de la République a donné des assurances sur la poursuite de la LPM, qui serait « maintenue » et même « accentuée » : j'y ai été sensible. Sachez que le Sénat restera toujours très attentif à défendre la défense. D'autres considèrent que les dépenses de défense sont inutiles. Ce n'est pas notre point de vue.

Debut de section - Permalien
Florence Parly, ministre

Je voudrais adresser mes remerciements aux armées, directions et services, car ils se sont mobilisés de manière exceptionnelle, notamment afin de recruter conformément à notre plafond d'emplois. C'est une performance tout à fait exceptionnelle compte tenu du contexte dans lequel nous avons géré les processus de recrutement.

Debut de section - PermalienPhoto de Christian Cambon

Je tiens à souligner le rôle de grande entreprise d'insertion sociale des forces armées. Nous l'avons constaté dans l'engagement des jeunes dans les écoles de la marine ou dans le cadre du service militaire adapté en Guyane.

Nous arrivons au terme de cette très intéressante audition. Le débat que nous avons prévu n'est pas polémique, il est démocratique et nécessaire et je regrette que l'Assemblée nationale n'ait pas fait de même. Il n'est pas exclu que le ministre des affaires étrangères souhaite y participer afin d'évoquer les initiatives politiques et diplomatiques. Les armées « font le job », avec un courage, un dynamisme incroyables. Mais diplomatiquement il faut aller encore plus loin, car une réconciliation nationale est indispensable. Compte tenu du prix que nous payons en vies humaines et en blessés, la France a, plus que d'autres, le droit de parler aux militaires à la tête du Mali. Je compte sur le sommet de N'Djamena pour que des conditions soient posées, car les manifestations anti-françaises sont très pénibles.

Je vous remercie, ainsi que votre cabinet. Continuez, madame la ministre, à nous donner l'information et portez nos messages auprès du Président de la République.

La réunion est close à 18 h 45.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.