Un an après le sommet de Pau, il me paraît particulièrement légitime que nous ayons un tel échange sur l'opération Barkhane.
Je souhaite d'abord rendre hommage au sergent-chef Yvonne Huynh, au maréchal des logis Tanerii Mauri, au brigadier-chef Loïc Risser, au brigadier Quentin Pauchet et au brigadier Dorian Issakhanian : cinq militaires morts pour la France ; cinq noms qui résonneront à jamais dans nos mémoires. Le plus bel hommage que nous puissions leur rendre est, me semble-t-il, d'expliquer au mieux quel est le combat pour lequel ils sont tombés et quelle est la mission en laquelle ils croyaient.
Je ne suis pas sûre d'épuiser toutes les questions, monsieur le président, que vous avez posées dans votre propos liminaire, mais je sais que les questions ultérieures me permettront de compléter ma réponse.
Je souhaiterais d'abord rappeler pourquoi nous sommes au Mali depuis 8 ans. D'abord, pourquoi sommes-nous intervenus au Mali ? Parce que les autorités maliennes nous l'ont demandé, en 2013, alors que des colonnes djihadistes fonçaient sur Bamako. Les autorités maliennes nous ont appelé à l'aide afin d'éviter la chute de leur État et son naufrage dans le terrorisme islamiste.
Pourquoi, après 8 ans, sommes-nous toujours au Mali ? Parce que le Mali et ses voisins, le Niger, le Tchad, la Mauritanie, le Burkina Faso, nous le demandent toujours. Ce sont les voeux qu'ils ont renouvelés sans ambiguïté, avec vigueur, au sommet de Pau, voilà un an exactement. C'est aussi parce que combattre le terrorisme au Mali, plus largement au Sahel, c'est protéger les citoyens français et européens.
Au Sahel, la France et ses partenaires ont deux ennemis : ils s'appellent Daech et Al-Qaïda, et, à vrai dire, peu importent les acronymes, les noms exacts de leur filiale locale, ce sont bien d'eux qu'il s'agit, deux multinationales du djihadisme qui n'hésitent pas à déstabiliser les États, à soumettre les populations et à cibler de manière indiscriminée les civils. Ce sont deux multinationales djihadistes qui veulent aussi combattre la France et les Français partout où ils le peuvent, comme le prouvent toutes leurs publications haineuses. Rappelons-nous que ce sont eux qui ont fomenté les attentats d'Ouagadougou et de Grand-Bassam en 2016, des attentats qui ont tué indistinctement des Français, des Européens et des personnes d'autres nationalités. Des Français qui étaient à la terrasse d'un café, qui étaient en vacances à la plage ou tout simplement là pour travailler. Des Français qui ont été froidement assassinés d'une balle dans la tête. Au Sahel, donc, la France se bat contre des terroristes qui torturent et qui assassinent des hommes, qui violent des femmes et qui tuent des enfants. Telle est la réalité.
Si Daech et Al-Qaïda s'emparent du Sahel, s'ils en font un sanctuaire, alors, il y a un risque de les voir s'étendre du Sahel à toute l'Afrique de l'Ouest. Il y a aussi un risque de voir la région, déstabilisée, devenir une sorte de base arrière de multinationales terroristes, qui, par ailleurs, menacent publiquement notre pays. Une base arrière où il serait possible d'entraîner des djihadistes et de préparer de nouveaux attentats. On a d'ailleurs déjà vu ce que cela a donné en Afghanistan, avant 2001, et au Levant, avant 2014. C'est évidemment un risque pour la France et pour l'Europe que le Sahel devienne une sorte d'académie du terrorisme. Et c'est parce que nos partenaires européens partagent pleinement cette évaluation qu'ils s'investissent chaque jour un peu plus au Sahel, chacun selon ses moyens, ses traditions ou ses pratiques. Cette mobilisation croissante de nos partenaires européens, ainsi qu'internationaux, a été actée par le sommet de Pau, qui a été provoqué par le Président de la République, il y a un an, alors que nous sortions d'une série de revers et d'attaques contre les armées malienne et nigérienne. Ce sommet nous a d'abord permis de fédérer les volontés. Les pays du Sahel ont en effet exprimé leur adhésion et leur détermination politique à conduire ce combat avec l'aide de la France. Depuis Pau, l'engagement des Sahéliens ne s'est plus démenti.
Ce sommet nous a aussi permis de mobiliser la communauté internationale autour des enjeux sécuritaires au Sahel et de la nécessaire montée en puissance des forces armées locales, ce qui constitue aujourd'hui l'axe majeur de notre action. Je vais y revenir. Enfin, ce sommet nous a permis d'inscrire formellement notre action dans une stratégie globale, qui se déroule en quatre temps, les fameux quatre piliers du sommet de Pau : lutter contre les groupes armés terroristes ; renforcer les capacités des forces armées des États de la région ; appuyer un retour de l'État sur tout le territoire et aider au développement. Nous ne parviendrons pas à la paix si nous concentrons uniquement nos efforts sur les opérations militaires. Nous ne pouvons pas gagner une guerre comme celle-ci seulement, si je puis dire, en neutralisant les terroristes, car, avec le temps, ils se régénèrent. Nous devons réussir à transformer les gains tactiques chèrement acquis sur le terrain en progrès politiques, économiques et sociaux. L'objectif de l'action militaire, c'est de préparer le terrain et de créer un espace pour l'action politique et pour le développement. Aujourd'hui, c'est-à-dire un an après le sommet de Pau, les premiers résultats sont là. La situation s'est améliorée. Je le dis évidemment avec une extrême prudence, mais, néanmoins, nous voyons plusieurs signaux positifs qui doivent nous encourager.
Monsieur le président, vous m'offrez la possibilité d'exposer un peu plus dans le détail certaines actions concrètes que nous menons.
Je voudrais notamment revenir sur une initiative née au sommet de Pau et qui s'appelle « Ménaka sans armes ». C'est une initiative qui est menée conjointement par les forces armées maliennes, et les groupes armés signataires de l'accord pour la paix et la réconciliation au Mali, signé en 2015, avec l'appui des Nations unies et de la force Barkhane. Elle vise à réduire l'insécurité dans la ville de Ménaka, qui était jusqu'à récemment un bastion des terroristes dans la région des trois frontières. Concrètement, des forces armées maliennes et des casques bleus patrouillent dans la ville, et ils assurent une présence à la fois dissuasive et préventive. En ce début d'année 2021, la population, les autorités, les acteurs locaux et les partenaires sont unanimes : les résultats de cette initiative sont très encourageants. Un malien issu de la société civile locale nous a déclaré : « Avant, à Ménaka, les gens ne dormaient pas, ne savaient pas à quoi s'en tenir. Maintenant on arrive à dormir, même si la peur persiste ».
Je voudrais maintenant vous dire quelques mots de la force Takuba, qui a été lancée avec nos partenaires européens en mars de l'année dernière. C'est une force complètement nouvelle, composée de forces spéciales européennes, qui est destinée à entraîner puis accompagner les forces maliennes dans leur combat contre le terrorisme. Il y a d'abord l'entraînement, où nous partageons avec les forces maliennes nos savoir-faire, notre savoir-être, les actes réflexes d'un combattant. Nous les entraînons à se déplacer, se protéger et à réagir en cas d'attaque. Nous les formons aussi au respect des règles du droit international humanitaire et du droit des conflits armés.
Ce qui est plus novateur, c'est l'accompagnement au combat. Nous leur apprenons à planifier une opération, à la conduire sur le terrain et à en tirer une expérience, une analyse après action. Nous intervenons avec eux en binôme.
C'est donc une formation qui est conduite de bout en bout, du premier jour d'engagement jusqu'à l'épreuve du feu. Takuba, ce sont aujourd'hui 8 pays européens partenaires mobilisés à nos côtés : la Suède, la République tchèque, l'Estonie, l'Italie, le Danemark, le Portugal, la Belgique et les Pays-Bas. Par ailleurs, il faut rappeler que nous sommes politiquement soutenus par l'Allemagne, la Norvège et la Grande-Bretagne. Depuis le 15 juillet, Takuba est une réalité opérationnelle. Elle a entamé sa mission auprès des forces armées maliennes avec un premier déploiement franco-estonien composé d'une cinquantaine de militaires, à savoir 28 Français et 22 Estoniens. Ce groupe franco-estonien a été engagé dans des opérations majeures, notamment les dernières, que vous avez rappelées, menées par Barkhane à partir du mois d'octobre.
Le baptême du feu est intervenu il y a quelques jours dans la région d'Ansongo, près de la frontière du Mali et du Niger. La force en est sortie victorieuse. Par ailleurs, le groupe franco-tchèque vient d'achever son déploiement et a déjà entamé son entraînement avec une unité malienne. Il sera bientôt engagé à son tour en opération. Quant au contingent suédois, il a également commencé son déploiement et il monte en puissance. Il sera composé d'environ 150 militaires et sera stationné à Ménaka. Il comprendra trois hélicoptères de manoeuvre, un avion de transport tactique, un groupe de forces spéciales, qui seront donc en mesure d'intervenir rapidement dans n'importe quel point de la région des trois frontières, et une équipe chirurgicale. D'autres contributions sont annoncées pour les prochains mois, notamment de la part du Danemark, du Portugal, de l'Ukraine, de la Grèce, de la Hongrie et de l'Italie, dont le Parlement a autorisé en juillet le déploiement d'un contingent pouvant aller jusqu'à 200 militaires et 8 hélicoptères de manoeuvre. L'Italie poursuit actuellement ses travaux de planification en vue d'un déploiement à partir du mois de mars de cette année.
Takuba, vous l'avez compris continuera d'être une priorité pour les armées en 2021, comme l'est la formation des forces armées sahéliennes. Depuis 2014, ce sont 17 000 soldats du G5 Sahel qui ont été formés au combat par la force Barkhane, dont 6 000 au cours de la seule année 2020, c'est-à-dire trois fois plus que les années précédentes. Je ne vous ai pas parlé de la force conjointe du G5 Sahel, mais je suis certaine que nous pourrons l'évoquer dans le cadre de vos questions.
J'en viens donc au mot de la fin. Au Sahel, la France n'a pas d'agenda caché. Nous avons un seul objectif : lutter contre le terrorisme, comme nous le faisons d'ailleurs au Levant. Moi aussi, je lis la presse, et je voudrais redire avec force devant votre commission que la France n'est pas engluée dans une guerre sans fin. Nous l'avons dit et répété à nos partenaires internationaux, notre présence n'est certainement pas éternelle. Nous ne resterons que le temps nécessaire pour que les forces armées de nos amis soient en mesure de mener ce combat elles-mêmes, et pas un jour de plus. C'est l'objectif vers lequel nos efforts collectifs convergent, et, comme le Président de la République a eu l'occasion de le dire hier lors de ses voeux aux armées, les résultats obtenus par nos forces au Sahel, conjugués à l'intervention plus importante de nos partenaires européens, vont nous permettre d'ajuster notre effort. Nous aurons l'occasion de faire un bilan complet et détaillé de notre action lors du sommet de N'Djamena. Nous aurons l'occasion de discuter avec nos partenaires et nos alliés des orientations que nous souhaitons collectivement donner à notre engagement pour les mois à venir. Aujourd'hui, je crois que, si nous disions aux Français que leur sécurité serait mieux prise en compte si tous nos soldats de Barkhane rentraient, nous ne dirions pas la vérité, même si, je le redis haut et fort, notre présence n'est pas éternelle.