Il faut aussi avoir en tête que montrer des images, c'est montrer à notre ennemi ce que nous voyons de lui. Il ne sait pas précisément ce que nous savons et voyons de lui. C'est tout le problème. Il y a, et je le comprends, un besoin de l'opinion publique de savoir et de se sentir rassurée sur le fait que la France mène et conduit ces opérations conformément au droit humanitaire international, au droit de la guerre. C'est extrêmement important, c'est la raison d'être même de nos forces. Et puis il y a aussi la nécessité de protéger nos soldats, en ne livrant pas à nos adversaires des éléments qui pourraient modifier leur mode opératoire. C'est une question éternelle. Je comprends la demande. Mais la raison pour laquelle nous n'y accédons pas est celle que je vous indique. Parfois cela nous place nous-même dans une situation qui n'est pas facile. Ce serait plus simple, d'une certaine façon, de pouvoir partager certaines images, certaines vidéos. Mais les conséquences de cette révélation publique seraient tout à fait importantes du point de vue de la conduite de nos opérations sur le théâtre.
Nous avons passé l'an dernier beaucoup de temps et d'énergie pour nous assurer du soutien américain à Barkhane : ce soutien, important notamment en matière de renseignement, était contesté au début de l'année 2020, puis l'administration américaine sortante a demandé à se faire payer en échange de son aide. Finalement, nous avons obtenu le rétablissement du soutien américain dans les termes initiaux. Cette question sera l'une des premières que nous aurons à aborder avec la nouvelle administration.
J'en viens à votre question sur la réaction de nos partenaires à l'idée d'un « retrait » de la France. Le Président de la République n'a pas parlé de « retrait », mais d'un « ajustement » de notre dispositif. Les pays du G5 sont très attachés à la coopération avec la France. Nous avons de nombreux contacts avec les nouvelles autorités maliennes depuis le mois d'août et celles-ci ont réaffirmé publiquement leur souhait que la coopération avec la France se poursuive. Il en va de même de nombreux pays de la zone.
La désinformation constitue l'une des armes utilisées par nos adversaires au Mali, et par ce terme je désigne aussi des pays comme la Russie ou la Turquie, qui ont l'habitude d'utiliser ces méthodes. Si la Russie est très active en Centrafrique, elle l'est beaucoup moins au Mali, en tout cas notre connaissance, mais nous surveillons cela avec beaucoup d'attention. Nous n'hésiterions pas à en parler avec les Russes si cela apparaissait nécessaire.
Les organisations terroristes sont à la fois dans un rapport de coordination et de compétition. La coordination existe du côté d'Al-Qaïda, puisque le Rassemblement pour la victoire de l'Islam et des musulmans (RVIM), lié à Al-Qaïda, s'appuie lui-même sur des katibas réparties dans différentes zones géographiques : on pourrait citer la katiba Macina, Ansarul Islam, l'émirat de Tombouctou, etc. La coordination est étroite entre les différents échelons de l'organisation, qui sont, en fait, rattachés à la même organisation principale. Il y a aussi une compétition entre le RVIM et l'EIGS, qui relève de Daech. Ces organisations se combattent avec acharnement, et cela a entraîné un affaiblissement supplémentaire de l'EIGS, au-delà des coups que nous pouvons lui porter.
La force conjointe bénéficie du soutien de Barkhane et des opérations de combat ont été menées ensemble. La création d'un commandement conjoint à Niamey constituait l'une des demandes que nous avons exprimées au sommet de Pau, afin de faciliter la coordination entre Barkhane, la force conjointe et les forces nationales des différents pays du Sahel. Ce commandement a été constitué, il fonctionne extrêmement bien et c'est notamment dans ce cadre que les Américains ont pu nous fournir du renseignement.
En ce qui concerne les équipements, tous les pays ne sont pas au rendez-vous, et nous continuons inlassablement, avec les Européens, à rappeler à un certain nombre de nos partenaires leurs promesses de dons. Certaines n'ont pas été tenues, d'autres le sont désormais partiellement : je pense notamment aux pays du Golfe, comme les Émirats arabes unis. On attend toujours le don de l'Arabie Saoudite.
Si la présence de mercenaires russes est certaine en Centrafrique, nous n'avons pas pu en identifier au Sahel, mais nous avons bien conscience de la forte porosité entre la Libye et le nord du Tchad, qui est susceptible de faciliter la circulation des combattants ou des armements. Nous suivons cela avec une grande vigilance.
Nous vous fournirons tous les éléments sur le coût de Barkhane dans le cadre des données relatives à l'exécution 2020. Le chiffre que vous avez avancé, de l'ordre de 900 millions, constitue un bon ordre de grandeur. En tout cas, ce chiffre est plus élevé qu'en 2019, où il s'élevait à 800 millions d'euros, la différence s'expliquant par la hausse des effectifs de 600 personnes.
Les populations civiles sont les premières victimes de cette guerre. Il suffit de se remémorer le massacre par l'EIGS d'une centaine de villageois, au début de cette année, au Niger. Oui, les pertes civiles sont très importantes, et des centaines de milliers de personnes sont déplacées, mais ce n'est pas la présence de la force Barkhane qui est à l'origine de ces massacres : ils sont dus à la volonté de deux organisations terroristes d'asservir des populations civiles et de remettre en cause les fondements mêmes d'un État, déjà très fragile. Il n'y a pas de lien entre la présence de nos forces et les effets visibles des actes des terroristes. Et si d'ailleurs nous les combattons, c'est pour éviter que les États ne tombent, que des populations entières soient massacrées, et pour empêcher que ces organisations terroristes ne développent des bases arrière depuis lesquelles elles pourraient mener des actions contre la France et l'Europe.
L'action militaire ne rétablira pas seule la stabilité dans la région. Celle-ci doit être relayée par des initiatives politiques. Il ne m'appartient pas, aujourd'hui, de vous dire quelles sont celles qui pourraient être prises dans le cadre du sommet de N'Djamena, mais il est déjà dans l'agenda des autorités maliennes de reprendre l'accord d'Alger pour en assurer la mise en oeuvre. Nous verrons quels seront les actes qui en découleront, mais la volonté est là.
S'agissant de la force Takuba, je note une prise de conscience progressive, en Europe, qu'au Sahel c'est bien la sécurité des Européens et de l'Europe qui se joue. Au-delà des échanges très nombreux que nous avons dans le cadre des institutions européennes, l'Initiative européenne d'intervention constitue un très bon forum pour convaincre bon nombre de nos alliés de nous rejoindre. La crise sanitaire a réduit le nombre de mes déplacements pour rencontrer mes homologues, par rapport à 2019. La Suède et l'Estonie sont désormais convaincues de la pertinence de participer à Takuba. Les échanges au niveau européen sont permanents et doivent être poursuivis, mais je crois pouvoir dire que les Européens ont bien compris qu'il s'agissait d'une question de sécurité pour eux-mêmes. Reste alors à définir les conditions dans lesquelles chacun, en fonction de sa culture, de ses capacités ou de ses moyens, peut apporter une contribution utile à cette force Takuba. En tout cas, je poursuivrai mon travail pour mobiliser nos partenaires européens.
Malgré la crise sanitaire et les perturbations très profondes qu'elle a entraînées, nous avons consommé, quasiment à l'euro près, les crédits dont nous dispositions en loi de finances initiale, soit quelque 37,5 milliards d'euros. Nous avons bénéficié d'un dégel de crédits à hauteur de 800 millions d'euros dans le courant du mois de novembre, soit bien plus tôt que d'habitude, ce qui a facilité l'exécution budgétaire. Nous avons également obtenu, dans le cadre de la loi de finances rectificative, les ouvertures de crédits dont nous avions besoin pour couvrir les surcoûts des OPEX. Il s'agit d'une taxation interministérielle qui était surtout ministérielle...