Sur les immobilisations, nous avons pris en fin d'année une recommandation complémentaire à celles que nous avions prises au printemps, pour tenir compte de leur sous-utilisation, ou de leur sur-utilisation. Ce point est donc traité dans le cadre des normes actuelles, avec une recommandation spécifique qui donne à mon avis une réponse équilibrée à cette question difficile.
On dit souvent que la comptabilité est l'algèbre du droit. Le traitement des PGE ou des charges sociales est lié, en fait, aux dispositions prises pour accorder ces crédits ou ces différés de paiement. S'il s'agit d'un différé de paiement, le thermomètre dit que cela reste une dette - à plus long terme, mais cela reste une dette. Pour que la comptabilité puisse faire quelque chose pour la situation des entreprises, il faut passer à d'autres modes de traitement, comme des subventions ou des abandons de recouvrement. Cela relève davantage du domaine législatif et réglementaire que de celui du comptable. Ce dernier ne fait que constater ce qui se passe, et le thermomètre ne peut pas tordre la réalité ! Quand il s'agit des amortissements, il y a une latitude d'appréciation sur l'utilisation des immobilisations, et nous avons pris une recommandation.
Vous avez cité mon éminent prédécesseur. Nous avons des idées, nous avons des préférences, mais nous ne sommes pas seuls au niveau mondial ! J'essaie donc de naviguer, comme tout le monde, entre mes convictions et l'univers du possible. Oui, de 2000 à 2010, il y a eu la tentation de ce qu'on a appelé la full fair value, c'est-à-dire l'application de la valeur de marché sur tous les postes du bilan. L'idée, un peu folle, était qu'en remettant tous les actifs, et tous les passifs, à leur valeur de marché, on arriverait à la valeur de l'entreprise, par un prolongement systématique et dogmatique des théories de Milton Friedman. Heureusement, à mon humble avis, un coup d'arrêt a été mis à tout cela, et le cadre conceptuel actuel de l'IASB, sans être parfait, consiste en un modèle mixte, fondé sur la valeur historique pour l'ensemble des activités de services et industrielles. En revanche, pour toutes les activités financières, où les actifs tournent très vite, la valeur de marché, avec toutes ses faiblesses, est un élément qui permet de mesurer effectivement l'évolution de l'activité. C'est donc un Yalta, avec deux systèmes qui coexistent au sein d'un même univers comptable. Nous sommes très vigilants sur la frontière. Je suis pour ma part un grand partisan de la comptabilité historique pour tout ce qui est industriel et commercial et pour les services. Mais je reconnais que les marchés financiers fonctionnent sur des valeurs de marché. Ce partage est aujourd'hui à peu près stabilisé, ce qui est une bonne chose.
Si la recherche française a de grandes qualités, elle n'est pas assez tournée vers l'international. Nous sommes preneurs de très bons projets, mais nous avons quelques difficultés à trouver des équipes qui souhaitent s'investir dans des travaux de recherche. Certes, les sommes que nous proposons ne sont pas très importantes, mais elles apportent tout de même une véritable contribution. Nous avons un dialogue régulier, et il y a de très bonnes équipes en France. J'ai donc bon espoir que nous avancions.
Les dispositions qui ont été prises après la loi Pacte constituent un bon compromis. La profession est en train de passer ce cap.
L'évolution de l'ANC est une vraie question, que j'examine avec le commissaire du Gouvernement, c'est-à-dire la direction du Trésor et le cabinet du ministre. Il serait opportun de faire évoluer le rôle de l'ANC pour en faire également une plateforme : c'est la normalisation extrafinancière. Il a été convenu avec le commissaire du Gouvernement que nous allions voir comment l'Europe s'organisait - ce qu'elle va faire de manière imminente - pour calibrer l'évolution de l'ANC et faire sorte que ce soit le bon élément d'influence en Europe sur ces questions essentielles.
La comptabilité a ses limites, liées au cadre conceptuel dans lequel elle fonctionne. Beaucoup des réponses aux insuffisances se trouvent dans la comptabilité extra-financière. Cette dernière relève-t-elle de la compétence des comptables ? C'est un domaine émergent. Attention de ne pas attraire l'extrafinancier - qui répond à de multiples unités de compte, l'unité monétaire, ou encore des unités physiques, liées au nombre des personnes, aux heures, au temps, à l'espace - dans le monde des financiers. En revanche, les financiers ont un rôle à y jouer, parce qu'une partie de l'information extrafinancière est de nature monétaire.
Vous m'interrogez sur le rapport annuel. Compte tenu de la modicité de nos moyens, nous faisons un plan stratégique qui récapitule tous les trois ans les actions que nous avons conduites. Nous sommes assez modestes en matière de communication : nous nous bornons, à chaque renouvellement du collège, à faire le point de ce que nous avons fait et à fixer les axes.
S'agissant des collectivités territoriales, nous participons aux travaux du Conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP) et essayons de comprendre et de participer à un mouvement qui, évidemment, doit converger, mais en prenant en compte toutes les spécificités des collectivités publiques comme de l'État.
À propos de la crise de la covid, j'ai donné l'exemple fondamental des amortissements, qui a été un vrai sujet de débat en décembre dernier. Une recommandation est parue début janvier, prise en parfaite collaboration avec les professionnels d'un des secteurs les plus touchés, celui des indépendants.
Concernant l'influence des normes américaines, je la situe dans le cadre que j'ai évoqué tout à l'heure. Une très grande partie de ma vie professionnelle a été consacrée à faire vivre une certaine idée française et européenne de la comptabilité, de l'audit et du conseil. Je vois aujourd'hui une opportunité extraordinaire pour l'Europe d'être l'un des émetteurs, sinon l'émetteur principal, de normes dans le domaine de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et de l'extrafinancier. Dans la normalisation, celui qui tient le stylo a l'influence. L'Europe donc agir rapidement dans ce domaine, et faire valoir sa différence dans le domaine de l'information financière. Les choses ont été gravées dans le marbre en 2002, lorsqu'on a délégué ces normes à un organisme international. L'Europe, alors, n'avait pas de langage unique. Elle est arrivée à en élaborer un, qui a ses défauts : il faut faire très attention à ce que ces défauts ne deviennent pas trop lourds, et prendre l'initiative dans le domaine extrafinancier, où nous sommes en position de leadership.