Intervention de Jean-Jacques Lozach

Réunion du 16 février 2021 à 14h30
Code mondial antidopage et lutte contre le dopage — Adoption définitive en procédure accélérée d'un projet de loi

Photo de Jean-Jacques LozachJean-Jacques Lozach :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’harmonisation internationale des régimes de contrôle et de sanction du dopage est fondamentale. Le système ne peut être accepté et respecté par la totalité des acteurs du monde sportif que si chacun est soumis aux mêmes règles, tant dans le cadre des épreuves nationales que dans celui des épreuves internationales.

À quoi servirait l’application d’un plan national de prévention du dopage et des conduites dopantes dans les activités physiques et sportives, et à quoi servirait notre politique de contrôle et de sanction, si à la moindre compétition internationale nos athlètes se trouvaient confrontés à des adversaires enfreignant la loi et violant le principe de l’équité dans la compétition ? Le talent et le travail doivent demeurer les moteurs de la performance.

Le présent projet de loi vise à habiliter le Gouvernement à procéder par voie d’ordonnance aux modifications législatives nécessaires pour assurer dans le droit interne le respect des principes du code mondial antidopage, l’échelon international fixant le cadre de la réflexion et de la coopération entre les différentes agences étatiques antidopage.

La France, qui figure parmi les pays leaders dans la lutte contre le dopage, a toujours veillé à créer les conditions juridiques nécessaires à la mise en œuvre complète du code mondial antidopage, édicté depuis 2003 par l’Agence mondiale antidopage et qui fait régulièrement l’objet d’évolutions. Ce code constitue la base juridique s’imposant à l’ensemble des pays signataires de la convention internationale contre le dopage dans le sport, adoptée en 2005 sous l’égide de l’Unesco.

La création de l’AMA et la rédaction du code mondial antidopage ont marqué une étape historique dans l’histoire des compétitions. Nous devons tout mettre en œuvre pour créer un environnement favorable à une opérationnalité optimale de l’Agence et du code – tel est l’enjeu essentiel de ce projet de loi.

La lutte antidopage nécessite une politique nationale et une politique internationale ; cette dernière est portée par l’AMA, dont les décisions sont parfois critiquées mais dont le rôle est incontournable. L’AMA doit être défendue et consolidée toujours davantage, notamment financièrement. Elle est financée à parts égales par le CIO, d’une part, et les gouvernements, d’autre part. Mais alors que 191 États ont adopté en 2005, à l’unanimité, la convention internationale de l’Unesco contre le dopage dans le sport, le budget de l’AMA s’élève seulement à 32 millions d’euros, soit 5 % du seul budget du PSG !

La loi du 5 avril 2006 relative à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs avait par avance mis la législation en adéquation avec la première version du code mondial antidopage. Puis trois révisions dudit code entraînèrent des mises en conformité de sa partie législative, successivement intervenues par voie d’ordonnance en 2010, 2015 et 2018.

Dans la continuité de cette mise en conformité régulière, il nous revient aujourd’hui d’adapter le droit national à la version du code mondial adoptée lors de la conférence mondiale de Katowice de 2019, version entrée en vigueur depuis le 1er janvier 2021. La réforme organisationnelle se poursuit donc, étape après étape.

Mais le retard pris par la France a conduit l’AMA à lui adresser un rapport de mesures correctives qualifiant de « critique » cette irrégularité et lui accordant un délai de trois mois, soit jusqu’au 12 avril prochain. Il expose le pays à des sanctions lourdes de conséquences ; la France doit respecter ses engagements internationaux.

Mettons-nous un instant à la place du sportif de haut niveau et de son encadrement ; ils sont soumis à de multiples contraintes : contrôles réguliers, inopinés ou en compétition, localisation par le système dit « Adams » (système d’administration et de gestion antidopage), suivi longitudinal, etc.

Ils ne comprendraient pas que les efforts consentis soient contrariés par des difficultés, voire des entraves, à caractère administratif et institutionnel. D’où notre niveau d’exigence élevé quant à l’accomplissement des missions de l’AFLD, aux moyens qui lui sont accordés et à l’application du code mondial.

La mise en œuvre de telles sanctions aurait également des répercussions négatives en termes d’image dans la perspective de l’organisation de la coupe du monde de rugby de 2023 et des jeux Olympiques de 2024. L’enjeu est donc majeur pour la France, qui, précisément, s’est fixé des objectifs pour 2024, en nombre de médailles ou en augmentation du nombre de pratiquants ; elle doit également se fixer de hautes ambitions sur les plans déontologique et éducatif.

Concrètement, les nouveaux standards internationaux déclinés dans l’unique article de ce projet de loi offrent de réelles avancées.

Au sein de la commission d’enquête parlementaire sur l’efficacité de la lutte contre le dopage, nous avions identifié les obstacles auxquels cette lutte était confrontée : la loi du silence, l’internationalisation des trafics, internet – en quarante-huit heures, on peut se faire livrer de l’érythropoïétine (EPO) à domicile – et, parfois, les pressions politiques et les complicités institutionnelles, mais aussi les difficultés de détection de certains produits, l’apparition de nouveaux protocoles très individualisés, un paysage audiovisuel peu motivé par des campagnes de prévention, un manque d’informations transmises aux sportifs de haut niveau.

Ces difficultés demeurent, mais le contour des ordonnances envisagées dans ce projet de loi d’habilitation représente des avancées dans divers domaines : l’éducation et la prévention, la coordination des acteurs, la prise en compte des preuves non analytiques, l’individualisation des sanctions, l’actualisation de la liste des produits concernés, l’autonomisation des laboratoires, la protection des individus qui dénoncent des faits de dopage aux autorités, c’est-à-dire des lanceurs d’alerte ; tout cela va dans le bon sens.

Mais deux évolutions ont particulièrement alerté notre commission, au point que celle-ci a rejeté le texte lors de son examen le 3 février dernier, alors qu’il avait pourtant été adopté largement par l’Assemblée nationale quelques semaines plus tôt.

La première de ces évolutions a trait au statut du laboratoire d’analyses antidopage français, qui doit dorénavant être administrativement et opérationnellement indépendant de toute organisation antidopage, ce qui revient à acter sa séparation d’avec l’AFLD, qui, depuis 2006, l’administrait. Alors que le laboratoire et ses personnels doivent rejoindre la faculté de pharmacie de l’université Paris-Saclay au 1er novembre prochain, cette intégration semble souffrir d’un manque d’ingénierie et de moyens déployés.

Le laboratoire assumera lui-même le coût de son fonctionnement à partir de la rémunération des prestations qu’on lui achètera, de recettes extérieures, mais également de la subvention d’équilibre du ministère des sports, qui lui permettront de financer ses investissements. Il convient donc, madame la ministre, d’apporter les éclaircissements et les garanties indispensables à la réussite de ce projet. J’ajoute que les opérations de recherche et développement, éléments structurants de la lutte antidopage, apparaissent peu dans ce texte de mise en conformité.

Le second point d’achoppement concerne l’impossibilité pour l’AFLD, au regard du droit français actuel, de mener des enquêtes administratives, en dépit de ce que commande le code mondial antidopage. La doter de cette compétence renforcerait considérablement l’efficacité de ses actions d’investigation – je pense en particulier au pouvoir de convocation.

Sur ces points aussi, madame la ministre, nous souhaitons que les divergences apparues entre le ministère des sports et la chancellerie soient aplanies ; nous espérons que les avancées du code révisé se traduiront dans les termes de cette ordonnance.

Quant à la problématique des financements mis à disposition de l’AFLD, autorité administrative indépendante, elle demeure un véritable sujet, que notre commission, parmi d’autres, a soulevé.

Depuis la loi Herzog de 1965, qui a fait de la France le second pays au monde après la Belgique à se doter d’une législation réprimant le dopage, le Parlement a légiféré à de nombreuses reprises, avec une continuité évidente dans la recherche de l’efficacité. Cette action s’inscrit dans la durée, la France devant continuer à jouer un rôle moteur dans cette lutte, traduction d’une vision humaniste du sport. Je rappelle que la généralisation du passeport biologique et du suivi longitudinal est due à un amendement sénatorial.

Plus globalement, la lutte antidopage progresse, mais tout relâchement serait coupable. S’il semble de plus en plus difficile de passer entre les mailles du filet, les substances et les protocoles indécelables menacent toujours.

Nous sommes dans un système de tolérance zéro où la finalité est claire : l’éradication des substances prohibées. Mais il faut aussi reconnaître que la suspicion de dopage peut parfois ternir l’image d’une discipline sans preuve objectivement démontrée.

La relation sport-dopage est rythmée de drames, d’affaires, de scandales, depuis les jeux Olympiques antiques. Pour la période contemporaine, le décès du cycliste Tom Simpson, les affaires Festina, Puerto, Pistorius, Ferrari, Balco, le scandale Armstrong, le dopage d’État aux jeux Olympiques de Sotchi, les démêlés judiciaires de la Juventus de Turin, pour ne citer qu’eux, furent autant de révélateurs fracassants d’une réalité encore souvent dominée par le secret et le refus d’assumer ses responsabilités.

Les sportifs tricheurs ont souvent bénéficié d’un manque de transparence et de coopération entre les parties concernées, menaçant parfois la crédibilité même de la lutte antidopage.

La valorisation du rôle des sportifs repentis, véritables briseurs d’omerta, va dans le sens d’une meilleure connaissance du phénomène du dopage.

Les valeurs du sport, toujours prônées, mais souvent perverties, comptent la loyauté dans leur arsenal, mais également la sécurité sanitaire du pratiquant. Le dopage est bien un enjeu de santé publique. Il n’est pas lié à tel ou tel sport puisqu’il concerne l’homme face à la compétition.

Mais les mentalités évoluent : sont de moins en moins nombreuses les personnes qui pensent que le dopage n’existe pas ou n’est pas un problème dans le sport, ou qui remettent en cause la nécessité, voire les principes, de la lutte antidopage, ou bien encore qui veulent garder les yeux fermés sur ces pratiques délictuelles pervertissant la loyauté des compétitions.

Le sujet n’est plus vraiment tabou. Le combat contre le dopage est un combat juste ; nous devons en tirer les conséquences en donnant des moyens financiers et juridiques à l’ensemble des acteurs impliqués – et ils sont nombreux.

Madame la ministre, sur les trois sujets qui méritaient à nos yeux un éclaircissement et des garanties, nous prenons acte des avancées enregistrées ces derniers jours. Nous sommes prêts à voter ce texte.

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