Intervention de Jean-François Husson

Réunion du 16 février 2021 à 14h30
Réforme du courtage — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Jean-François HussonJean-François Husson :

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi relative à la réforme du courtage de l’assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement, introduite par notre collègue députée Valéria Faure-Muntian, sur laquelle le Gouvernement a engagé la procédure accélérée et qui a été adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale. Mon collègue Albéric de Montgolfier, qui a été désigné rapporteur par la commission des finances et qui a travaillé sur ce texte, ne pouvait malheureusement pas être des nôtres cet après-midi. Il m’a donc chargé de le remplacer.

Sans refaire l’historique complet du texte, rappelons qu’il s’agit d’une initiative ancienne. Il reprend un dispositif introduit par amendement sur l’initiative du Sénat par plusieurs collègues des groupes Les Républicains et La République En Marche dans le cadre du projet de loi Pacte. Ce dispositif avait finalement été censuré comme cavalier par le Conseil constitutionnel.

Sur le fond, la présente proposition de loi, examinée au sein de la commission des finances le 3 février, ambitionne d’organiser l’accès et l’exercice des professions de courtiers en assurances et en opérations de banque et en services de paiement. Les échanges que nous avons pu avoir en commission traduisent un constat clair : cette proposition de loi ne va pas révolutionner la profession de courtage en assurances et en services de paiement. Surtout, elle ne permettra pas de régler certaines difficultés majeures rencontrées par les courtiers et les consommateurs, sur lesquelles je reviendrai par la suite. Malgré tout, elle nous semble constituer un premier pas bienvenu, permettant d’accompagner les acteurs face aux défis réglementaires et commerciaux que doit relever la profession et de diffuser les bonnes pratiques au bénéfice des consommateurs.

En effet, l’article unique de la présente proposition de loi prévoit la mise en place d’un système d’adhésion obligatoire à des associations professionnelles agréées par l’ACPR, qui seront principalement chargées d’accompagner ces professionnels, de fournir un service de médiation et de vérifier certaines conditions d’accès et d’exercice de leur activité. Ce système s’inspire de celui qui a été mis en place par la loi de sécurité financière de 2003 pour les conseillers en investissements financiers, dont l’AMF (Autorité des marchés financiers) dresse un bilan positif. Je précise que ces associations existent déjà et que six à huit d’entre elles devraient être agréées.

L’entrée en vigueur de la réforme, initialement prévue pour le 1er janvier 2021, a été reportée au 1er avril 2022 par nos collègues députés, pour tenir compte du décalage du calendrier lié à la crise. La mise en œuvre de cette réforme est donc largement anticipée par les acteurs du secteur, et ce depuis la loi Pacte. Ils ne sont et ne seront donc pas pris au dépourvu.

Les travaux de la commission des finances ont permis de faire évoluer le texte adopté par l’Assemblée nationale sur deux points essentiels.

Tout d’abord, nous avons étendu les missions confiées à l’Organisme pour le registre unique des intermédiaires en assurance, banque et finance (Orias), en prévoyant qu’il exerce le contrôle de l’honorabilité non seulement des dirigeants des structures concernées, mais également de leurs salariés : en clair, l’absence de condamnation pénale. Actuellement, l’Orias tient un registre des intermédiaires et dispose à ce titre d’un accès automatisé et sécurisé au bulletin n° 2 du casier judiciaire pour vérifier les conditions d’honorabilité des seuls dirigeants.

Dans sa première version, la proposition de loi aurait imposé aux associations agréées de demander les documents justifiant de l’honorabilité des dirigeants et salariés, ce qui aurait représenté une charge administrative non négligeable, pour un niveau de garantie plus faible. Il nous a donc semblé préférable de confier à l’Orias l’ensemble du contrôle des conditions d’honorabilité des dirigeants et salariés, dans la mesure où cet organisme dispose des habilitations et de processus de vérification déjà rodés.

Le deuxième aménagement substantiel apporté lors de l’examen en commission concerne les domaines pour lesquels le droit européen interdit de confier aux associations des pouvoirs de contrôle, à savoir la fourniture de conseils, les pratiques de vente et la prévention des conflits d’intérêts. Pour ces derniers, nous avons permis aux associations agréées d’édicter des recommandations à l’égard de leurs membres. Cette évolution permettra aux associations de promouvoir les bonnes pratiques professionnelles et commerciales sans pour autant créer d’obligations pour leurs adhérents.

Cela étant, malgré les ambitions affichées par ses auteurs dans l’exposé des motifs, cette proposition de loi ne permettra pas de régler certaines problématiques pourtant majeures rencontrées par les courtiers et les consommateurs.

D’une part, la proposition de loi n’apportera pas de solution aux dysfonctionnements de la libre prestation de services, qui s’est traduite – Mme la secrétaire d’État l’a rappelé – par des défaillances successives de plusieurs assureurs étrangers dont les polices étaient souscrites par des particuliers ou des professionnels en France, notamment – hélas ! – dans le domaine de l’assurance construction ou en automobile. En effet, le droit européen interdit de soumettre à une adhésion obligatoire les courtiers exerçants en France au titre de la libre prestation de service ou de la liberté d’établissement.

D’autre part, la proposition de loi ne mettra pas fin aux pratiques commerciales déloyales parfois observées dans le secteur. En effet, les associations professionnelles ne seront pas habilitées à contrôler le respect des pratiques de vente et du devoir de conseil vis-à-vis des clients.

Le système proposé diffère sur ce point de celui qui est en vigueur pour les conseillers en investissements financiers, qui peuvent être contrôlés à ce titre par l’association à laquelle ils adhèrent. Le règlement général de l’AMF impose même un contrôle sur place de chacun des membres au moins une fois tous les cinq ans. Il n’y a rien d’équivalent dans la proposition de loi, mais il s’agit, là encore, non d’un choix, mais d’une contrainte du droit européen, qui ne permet pas aux autorités publiques de déléguer leurs pouvoirs de contrôle dans ces domaines dans le champ de l’assurance.

En dépit de ces deux limites, je pense qu’il s’agit d’un pas dans la bonne direction. En effet, si les courtiers font l’objet d’un encadrement croissant à l’échelon européen avec la directive de 2016 sur la distribution d’assurances, les conditions d’exercice qui leur sont imposées sont peu contrôlées. Pour vous donner un ordre de grandeur, l’ACPR réalise 70 contrôles par an, alors que 24 470 courtiers et 32 557 intermédiaires en opérations de banque et services de paiement sont immatriculés à l’Orias. Vous voyez le ratio

Le turnover – je serais tenté de dire la « pratique éphémère » – est massif. Albéric de Montgolfier a insisté sur le fait que 11 000 intermédiaires ne sont pas renouvelés chaque année. En outre, les exigences d’accès à la profession sont souvent peu respectées.

Avec le système proposé, les associations pourront désormais vérifier que les conditions d’exercice sont remplies, en particulier l’obligation d’offrir un service de médiation, de se former régulièrement et de souscrire à une garantie financière adéquate. C’est particulièrement nécessaire dans un secteur très atomisé où l’essentiel des acteurs – vous l’avez compris – sont des TPE.

L’obligation d’adhésion devrait par ailleurs permettre de limiter le turnover et de décourager les projets professionnels les moins aboutis. Le coût de cette adhésion n’apparaît pas prohibitif. D’après les auditions, il se situerait autour de 500 euros en moyenne, avec une modulation selon la taille de l’entreprise.

Il faut également garder à l’esprit que de nombreux intermédiaires ont déjà adhéré sur une base volontaire aux associations existantes et que la souscription comprend certains services, comme la médiation, auxquels les courtiers auraient de toute façon été tenus de souscrire. À plus long terme, la présence de plusieurs associations professionnelles nous paraît également de nature à susciter une modération de ces tarifs, dans une logique à la fois de concurrence et d’attractivité.

Enfin, comme il ne s’agit pas d’embêter inutilement des professions déjà bien encadrées, soulignons que les agents généraux sont exclus du champ de l’obligation d’adhésion, y compris pour leurs activités accessoires de courtier. En effet, les assureurs opèrent une sélection stricte des candidats à l’exercice de la profession d’agent général, leur imposent des obligations de formation bien supérieures au minimum requis par le droit européen et les auditent régulièrement.

Au total, et compte tenu des contraintes du droit européen, il nous semble donc que l’équilibre trouvé doit permettre de structurer la profession sans excès de zèle. C’est pourquoi la commission des finances vous invite à adopter cette proposition de loi.

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