Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons a pour objectif d’organiser l’autorégulation des professionnels du courtage en assurances. Elle intervient à la suite de la censure de la loi Pacte par le Conseil constitutionnel, qui avait vu, à l’époque, dans les dispositions reprises par ce texte des cavaliers législatifs. En ce sens, je le note, nous avons affaire à un projet de loi sous forme de proposition de loi. De ce fait, nous ne disposons pas d’une étude d’impact à proprement parler.
Le secteur du courtage compte de très nombreux acteurs et connaît un très fort turnover. Des scandales récents ont révélé la nécessité de le réguler davantage dans le but de remédier aux dysfonctionnements réglementaires constatés et, ainsi, de mieux protéger les consommateurs. Ce texte très technique, ramassé en un seul article, souhaite donc structurer ce secteur autour d’associations professionnelles agréées à adhésion obligatoire.
Cette réforme de la profession du courtage concerne près de 56 000 professionnels, lesquels sont soumis aujourd’hui à un premier autocontrôle du fait de leur enregistrement au registre de l’Orias, cet enregistrement étant nécessaire pour exercer. Un second contrôle peut intervenir de la part de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR, chargée de vérifier la véracité des documents transmis à l’Orias et les pratiques des courtiers. À ce titre, l’ACPR a encore récemment sanctionné un courtier pour des manquements en matière de démarchage commercial. Pour mémoire, ces organismes ont été mis en place à la suite de la crise financière de 2008 afin de garantir les services assurantiels.
Les contrôles effectués par l’ACPR sont trop peu nombreux : seulement 70 en 2020. Cette proposition de loi entend donc y remédier.
Pourtant, malgré les bonnes intentions des auteurs, le contenu du texte est décevant et loin des ambitions formulées dans l’exposé des motifs. Alors qu’il nous est présenté comme un renforcement des garanties pour le consommateur, dans les faits, ce texte consiste en la création d’associations de contrôle.
D’une part, ce texte n’apportera pas de solution aux dysfonctionnements de la libre prestation de services, alors même que de nombreuses défaillances ont été relevées dans le secteur du bâtiment et de l’assurance automobile. De même, rien n’est précisé quant au devoir de conseil vis-à-vis des clients.
D’autre part, c’est une manière pour l’autorité de régulation de déléguer sa mission de contrôle à des acteurs privés ayant leurs propres règlements. C’est donc une régulation de marché et en même temps un recul de l’État…
Cette autorégulation par associations professionnelles risque donc de générer des baronnies sur le marché, favorisant de fait les grosses entreprises de courtage. Elle organise donc une dérive oligopolistique sur un marché qui n’en a pas nécessairement besoin, et cela au détriment des consommateurs. Contrairement à l’intention présentée par les auteurs, concentrer de la sorte les acteurs sur le marché mènerait à pousser les prix à la hausse par le mécanisme d’offre et de demande.
Enfin, cette réforme génère une surlégislation en créant un intermédiaire supplémentaire entre les professionnels et les instances nationales de régulation.
Je vous avoue, mes chers collègues, mon scepticisme quand, lors du PLF, on supprime l’obligation d’adhésion à des organismes de gestion agréés, qui jouent un rôle similaire sur un autre marché, avant d’adopter quelques semaines plus tard la logique parfaitement inverse avec ce texte.
Une simple réforme réglementaire aurait pu permettre d’augmenter la fréquence des contrôles de l’ACPR. En effet, avec près de 6 millions d’euros de cotisations récoltées, elle devrait avoir les moyens de se consacrer à ces contrôles. Peut-être aurait-il été opportun d’examiner la situation d’un peu plus près avant de déléguer purement et simplement ses missions à des associations agréées.
De même, afin de protéger davantage les consommateurs, il serait nécessaire que les courtiers aient recours à des services de médiation. Pour les y inciter, un justificatif mentionnant ces services pourrait être exigé lors du renouvellement de l’inscription au registre de l’Orias.
Autre point important : cette réforme souligne également les besoins de formation continue et d’accompagnement. Cette problématique dépasse largement le secteur bancaire et assurantiel et nécessiterait une réflexion plus large. Pour autant, en l’espèce, l’Orias pourrait, là encore, demander aux intermédiaires, au titre de la formation continue, tout document attestant des formations suivies et de la qualité de celles-ci.
Avant de conclure, j’ajouterai deux remarques de méthode sur cette réforme.
En premier lieu, je regrette, comme je l’ai déjà dit, l’absence d’une étude d’impact qui aurait éclairé ce texte très technique. Une telle étude aurait pu démontrer pour quelles raisons nous devrions organiser un marché plus concentré et en quoi cette organisation aurait pu être favorable aux consommateurs. En effet, malgré la volonté affichée de protection des consommateurs, il n’y a rien dans ce texte qui garantisse une augmentation des droits ou la possibilité d’un recours.
En second lieu, au regard de la crise sociale inédite que nous traversons, le groupe socialiste ne comprend pas l’urgence d’une lecture de cette proposition de loi en procédure accélérée et sur le temps gouvernemental. Il y a effectivement de vraies urgences à traiter dans notre pays. Elles sont sanitaires, sociales et environnementales. Par ailleurs, ce texte de loi ne mérite pas d’être travaillé dans l’empressement d’un calendrier contraint par les échéances électorales à venir.
Ces dispositions, qui entendent réguler un secteur d’activité, désarment en fait la puissance publique au lieu de lui donner les moyens d’exercer ses missions et d’effectuer les contrôles qui seraient nécessaires à la réelle protection des consommateurs. Ces derniers sont quand même les laissés-pour-compte de ce texte alors qu’ils en étaient la principale justification.
Cependant, au-delà de la méthode qui n’est pas la bonne et ne permettra pas d’être efficace, ce texte a le mérite d’engager la réflexion sur une problématique réelle. Nous serons à cet égard très attentifs quant à la traduction réglementaire de ce texte de loi une fois son adoption actée.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe socialiste s’abstiendra sur ce texte, qui n’apporte pas de solutions en matière de protection des consommateurs.