Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui a pour objectif d’encadrer et de surveiller l’activité des courtiers en assurances. C’est un objectif que nous partageons, car l’autorégulation souhaitée doit servir à protéger le consommateur – or cet impératif majeur est au cœur de notre mission de législateur. Dès lors, la seule question qui vaille en réalité est de savoir si ce texte y concourt vraiment. Permettez-nous d’en douter au regard des nombreuses questions que soulève ce texte.
Tout d’abord, rappelons que, d’inspiration gouvernementale, cette proposition de loi issue de la majorité à l’Assemblée nationale s’apparente – disons-le clairement – à un projet de loi qui ne dit pas son nom. Preuve de cette ambiguïté à peine cachée, l’oubli initial du gage pour la charge supplémentaire créée par la nouvelle compétence d’agrément des associations par l’ACPR.
Ensuite, le texte fait l’économie d’une étude d’impact qui aurait sans doute été utile pour apprécier le dispositif proposé, dont le fonctionnement reste ardu et que vous nous demandez de voter presque à l’aveugle.
En outre, nous nous interrogeons sur l’articulation du texte avec le droit européen. Si la directive de 2016 prévoit bien que des courtiers peuvent fonder des associations de cadrage, il reste que les activités de contrôle doivent être réservées à l’autorité publique.
Le problème sous-jacent réside précisément dans la faiblesse des moyens de contrôle de l’État. Alors que les acteurs de ce secteur sont près de 50 000, ce nombre augmentant de manière exponentielle, l’ACPR n’effectue qu’une moyenne de 70 contrôles par an. Dès lors, n’aurait-on pas eu plus intérêt à étudier la possibilité de renforcer les moyens de l’ACPR pour qu’elle puisse suivre l’évolution du secteur ?
Par ailleurs, nous nous interrogeons sur les modalités d’application de la réforme : elles doivent être précisées par décrets en Conseil d’État, c’est-à-dire sans aucune intervention du Parlement.
En l’absence d’étude d’impact, ce texte pose problème. Les gagnantes semblent être les associations professionnelles, qui bénéficieront de cotisations, sans que rien assure l’efficacité de l’autorégulation évoquée.
L’adhésion obligatoire des courtiers constitue pour lesdites associations une manne financière considérable. Elles sont de fait en situation de conflit d’intérêts : en excluant un de leurs membres, elles perdront leur cotisation. Dès lors, quelle sera leur motivation réelle à agir en faveur de l’autorégulation ? Pire encore, ces associations professionnelles au service des courtiers pourraient devenir des groupes d’intérêts et aggraver le problème initial de régulation.
N’aurait-il pas été préférable de taxer les banques, les assurances et les courtiers à hauteur de leurs dépenses consacrées à la mise en conformité aux règles prudentielles afin de financer un contrôle externe et renforcer les moyens de l’ACPR et de l’AMF ? À cette condition, la puissance publique aurait peut-être pu s’assurer que certains ne profitaient pas de l’aubaine constituée par un désert juridique et un encadrement assez évasif.
Dès lors, ce texte, certes amélioré en commission, semble répondre partiellement aux objectifs, pourtant louables, que ses auteurs lui ont fixés, mais au risque de me répéter, il est impossible, en l’absence d’étude d’impact, d’évaluer les effets de cette réforme.
Il nous semblait que, au regard de la crise que traverse la France et des terribles difficultés qu’endurent les citoyens, la mise en place de dispositifs de soutien à leur égard était plus prioritaire. Aussi aurions-nous largement préféré discuter de la place que prennent les assurances dans le soutien à la population, alors que le contexte sanitaire, économique et social extrêmement préoccupant exige une mobilisation sans faille du Parlement.
C’est donc au regard du droit du Parlement à légiférer dans des conditions acceptables et de ne pas être réduits à une fonction d’approbation, mais également, car aucun élément n’accrédite l’idée d’une meilleure protection du consommateur, que nous conservons des doutes réels, et qui nous paraissent légitimes, sur l’utilité de voter en faveur de ce texte, qui nous laisse circonspects, tant sur la forme que sur le fond.