Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, alors que le sujet de ce projet de loi paraît périphérique, on y aborde de fait un élément déterminant du fonctionnement de la démocratie : la périodicité des élections. Il s’avère qu’un consensus a été trouvé en commission mixte paritaire pour accepter que ces élections se tiennent au mois de juin ; c’était important.
Comme le rappelle Yves Mény dans son dernier ouvrage, la périodicité est la règle de la démocratie : « La démocratie possède un trait qui n’appartient pratiquement qu’à elle : le rapport au temps. Le pouvoir que le peuple concède à ses dirigeants ne l’est que pro tempore. La démocratie offre un double mécanisme protecteur au peuple souverain : éviter qu’il ne soit dépossédé de sa faculté de rester maître des horloges et garantir périodiquement des élections. »
C’est ce que nous faisons, car il y a eu un consensus politique pour faire en sorte que ces élections puissent se tenir au mois de juin, comme le préconisait le rapport Debré. Pour autant, c’est la version du Gouvernement et de l’Assemblée nationale qui a prévalu : les dates exactes des 13 et 20 juin ne sont pas inscrites dans ce texte, quand bien même ces dates sont systématiquement réaffirmées par le Gouvernement. Pourquoi alors ne pas les avoir inscrites dans le texte ?
Nous avons encore quelques doutes du fait, notamment, du périmètre retenu pour le rapport du conseil scientifique, doutes renforcés par la prolongation de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 1er juin et par le fait qu’il est précisé dans le texte que le conseil scientifique prendra en compte la notion de « risque sanitaire ». Cela seul ouvre une petite porte qui peut nous amener à douter.
Ce texte procède à un report pratiquement sec des élections, à droit constant. Quelques éléments ont déjà été développés : la mise en place d’un numéro d’appel gratuit des candidats pour les électeurs, dont la portée ne sera sans doute pas très importante ; l’augmentation de 20 % du plafond des dépenses de campagne, compte tenu de l’allongement de la période de prise en compte des dépenses électorales dans les comptes de campagne ; l’allongement d’une semaine de la durée de campagne officielle et son passage à trois semaines ; une communication sur le rôle et le fonctionnement des conseils départementaux et régionaux, au détriment d’un mécanisme que nous aurions souhaité plus ambitieux – j’y reviendrai.
Les doubles procurations ont été reconduites. Ce système a été maintes fois critiqué, car il est inégalitaire socialement et dans son utilisation. Après avoir voulu supprimer cette disposition, l’Assemblée nationale y est finalement revenue, mais en a retiré la possibilité de déterritorialisation.
Ont également été maintenus les articles 8 et 9, adoptés par le Sénat, qui étendent jusqu’au 31 juillet 2021 la faculté pour les régions et les départements de voter le budget primitif et le compte administratif ; ce sera utile pour certaines collectivités.
C’est à peu près tout, avec la mise en place de la proposition portée par Jean-Pierre Sueur d’obliger les instituts de sondage à communiquer leurs marges d’erreur.
Ce texte génère forcément des regrets. Qu’il le reconnaisse ou non, le Gouvernement connaît depuis un an des difficultés avec le droit électoral. On constate un refus presque systématique d’adapter notre droit électoral à la période particulière que nous traversons. Il y a quelques heures encore, on aurait pu faire le même reproche au projet de loi organique relatif à l’élection du Président de la République, mais cela a changé brusquement : je reviendrai sur les nouvelles dispositions arrivées par effraction !
Tout se passe comme si l’on refusait de réellement penser les échéances et la nécessité de les adapter. D’une certaine façon, les élections municipales ont été le péché originel : des hésitations, aucune volonté d’adaptation et l’attente d’un retour à la normale dont on savait pourtant qu’il ne serait pas rapide.
On ne prévoit ici ni vote par correspondance ni vote anticipé, alors que le Gouvernement y réfléchissait déjà, manifestement. En l’espèce, la cerise est l’article 4 ter, qui demande qu’un rapport sur le recours aux machines à voter soit remis au plus tard le 1er octobre 2021 ; si j’ai bien compris, cette disposition sera caduque avant même d’avoir servi.
Pour conclure, je rappellerai que le Portugal, la Catalogne ou encore le Kosovo ont récemment tenu des élections. Il n’y a aucune raison de ne pas en tenir, en tout cas aucune raison sanitaire, au vu des adaptations qui ont pu être mises en œuvre dans de multiples pays. C’est d’autant plus saisissant que l’histoire de notre droit de vote et des modes de scrutin est bien l’histoire de l’adaptation : c’est la lutte contre l’arbitraire social, la façon dont on a encadré celui-ci de sorte que le droit électoral soit de plus en plus efficace. Depuis un an, tout cela manque, alors même que nous traversons une période tout à fait particulière qui aurait justifié de telles évolutions. Ce blocage est assez étonnant, alors même que de multiples exemples d’adaptation existent ailleurs. Certes, nous ne sommes pas forcément les meilleurs, mais la question se pose : pourquoi ne va-t-on pas plus loin ?
Alors, nous voterons forcément en faveur de ce texte, parce que nous voulions que les élections aient lieu en juin, mais nous le voterons avec un regret, celui de ce report sec, qui ne sert pas la cause de notre démocratie.