Intervention de Monique Lubin

Réunion du 17 février 2021 à 15h00
Amélioration du système de santé par la confiance et la simplification — Demande de renvoi à la commission

Photo de Monique LubinMonique Lubin :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, certaines manières de légiférer installées par l’actuelle majorité gouvernementale étaient déjà très contestables avant l’irruption de la covid-19 dans nos vies. La crise sanitaire les rend encore plus difficilement supportables, a fortiori quand il s’agit de réformer dans la précipitation le système de santé, comme c’est le cas avec la présente proposition de loi.

Très insatisfaisante sur le fond, celle-ci atteste la constance du mépris exprimé par l’exécutif aussi bien à l’encontre du Parlement que des partenaires sociaux. Tels sont les constats qui motivent la motion demandant le renvoi à la commission que je présente aujourd’hui au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat.

Il y a en effet beaucoup à redire quant au traitement réservé au Parlement et au travail législatif. La genèse, le contenu et les modalités d’examen de la présente proposition de loi en témoignent.

Nul ne l’ignore, si le texte soumis à discussion aujourd’hui est marqué du sceau de l’initiative parlementaire, il est d’abord une commande du Gouvernement.

La proposition de loi visant à améliorer le système de santé par la confiance et la simplification est censée traduire dans notre droit les mesures non budgétaires annoncées dans le cadre du Ségur de la santé. Il aurait été opportun que ces mesures fassent l’objet d’un projet de loi et non d’un texte d’origine parlementaire.

Il s’agit pour l’exécutif d’obtenir la transposition dans la loi d’un certain nombre des dispositions du Ségur de la santé, mais en se soustrayant aux contraintes qui sont liées à l’élaboration et à l’examen d’un texte d’origine gouvernementale. En procédant de la sorte, le Gouvernement se libère de deux obligations : le texte n’a fait l’objet ni d’un avis du Conseil d’État ni d’une étude d’impact.

Pourtant, le respect que nous devons aux soignants aurait exigé qu’un tel texte soit non seulement sécurisé juridiquement par un avis du Conseil d’État, mais qu’il fasse également l’objet d’une étude d’impact afin que ces conséquences soient analysées.

Les études d’impact ne sont décidément pas le fort de ce gouvernement : on se souvient de celle qui accompagnait le projet de loi portant réforme des retraites, étrillé par le Conseil d’État.

Cette proposition de loi se veut pourtant ambitieuse. Par conséquent, elle est susceptible d’affecter lourdement un système de santé dont nous avons plus que jamais besoin qu’il fonctionne efficacement.

Je m’interroge donc sur le sens des circonstances et l’appréhension par la majorité de la gravité de ses responsabilités et de ses obligations. Elle improvise sans méthode et sans rigueur la réforme d’un système de santé dont le bon fonctionnement est aujourd’hui plus que jamais impératif. C’est pourtant le moment de bien faire les choses ou de ne pas les faire. Nous n’y sommes pas !

Les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain estiment que les dispositions que porte cette proposition de loi ne sont pas inscrites dans le bon véhicule législatif. Celui-ci pose d’emblée problème : à l’absence d’avis du Conseil d’État et d’enquête publique s’ajoute le fait que ce texte a été élaboré au mépris de toute véritable concertation avec les parties prenantes.

Ce n’est pas un hasard si la majorité des professions concernées par cette proposition de loi sont vent debout contre ses dispositions, qui ont également suscité la profonde indignation des syndicats et des professionnels de santé, et un rejet unanime de la part de l’ensemble des acteurs.

La suppression de l’article 1er, portant initialement création d’une profession médicale intermédiaire, est à ce titre emblématique. La fronde qu’il a provoquée a conduit à sa piteuse évolution, à l’Assemblée nationale, en demande de rapport relatif à la création d’une profession médicale intermédiaire, puis à sa suppression pure et simple dès le stade de l’examen en commission au Sénat.

Ce manque de concertation relève d’une méthode et traduit une conception très descendante de la politique. Elle joue des tours au Gouvernement, car elle se manifeste notamment par un recours accru aux ordonnances et aux mesures réglementaires qui empiètent excessivement sur le domaine du Parlement.

Ainsi, la commission des affaires sociales n’a pas manqué de souligner le paradoxe consistant pour le Gouvernement à promouvoir des dispositions qui ont aussi fait l’objet d’ordonnances et de mesures réglementaires. Les dispositions déjà modifiées par la loi d’accélération et de simplification de l’action publique, promulguée il n’y a même pas deux mois et demi, le sont, par ailleurs, de nouveau dans cette proposition de loi.

Il en va de même pour les dispositions concernant le recrutement des praticiens hospitaliers et la gouvernance des hôpitaux. Comme les dispositifs de coopération renforcée, ils étaient pourtant au cœur du décloisonnement censé être porté par la loi de juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation de notre système de santé.

Comment les professionnels peuvent-ils s’emparer des modalités d’exercice coordonné et de coopération locale, alors que celles-ci sont constamment remaniées ? Il en va de même pour les instances de gouvernance de l’hôpital : faute de vision globale, le Gouvernement s’enlise au milieu du gué.

Aujourd’hui, alors même que la plupart des ordonnances concernées n’ont pas encore vu le jour, le Gouvernement via sa majorité parlementaire accroît le flou en revenant sur des dispositifs non encore appliqués. Non seulement le Parlement a été dessaisi de ses prérogatives en 2019, mais si l’on en croit le résultat, il l’a été pour rien. Quant au Gouvernement, il n’est toujours pas au clair sur sa conception de notre système de santé.

Le manque de sérieux dans la démarche est encore confirmé par le temps imparti pour l’examen de ce texte. À l’origine, cette proposition de loi, qui se veut pourtant ambitieuse et compte plus d’une trentaine d’articles, et dont certaines dispositions sont susceptibles de changer la gouvernance des hôpitaux, ne devait être discutée qu’en une demi-journée. Comprenant son erreur, le Gouvernement a demandé une modification de l’ordre du jour en dernière minute afin de permettre une demi-journée supplémentaire de débat.

Ce changement contraint n’a cependant rien de satisfaisant. On nous demande de travailler dans la précipitation, sans pouvoir nous appuyer sur une enquête publique, pourtant nécessaire, pas plus que sur un avis du Conseil d’État, tout aussi nécessaire. Cette absence d’éléments justifierait à elle seule de siéger pendant plusieurs jours pour pallier les incohérences du texte et pour éviter l’adoption de mesures qui risquent de déstabiliser notre système de santé au plus mauvais moment.

De fait, de l’Assemblée nationale au Sénat, cette proposition de loi, très succincte lorsqu’elle a été déposée par ses auteurs sur le bureau de la chambre basse, a d’ores et déjà fait l’objet d’un travail de réécriture extrêmement important, témoignant du grand manque de rigueur rédactionnelle et juridique de certains articles. Ce travail de réécriture a été aussi bien l’œuvre du Gouvernement que des rapporteurs ; c’est dire l’impréparation de ce texte.

Procéder ainsi est irresponsable et irrespectueux à l’égard du travail parlementaire, mais aussi vis-à-vis des soignants. L’examen de cette proposition de loi aurait pu être l’occasion d’un débat et d’une réforme de la gouvernance hospitalière que la pandémie de la covid-19 a rendue plus que jamais nécessaire. Mais le choix du véhicule législatif, le temps très restreint imparti aux débats et l’engagement de la procédure accélérée nous empêchent de les mener sereinement.

Il est ainsi flagrant que cette proposition de loi dépourvue de fil conducteur n’est qu’une tentative incomplète d’assemblage de mesures mal articulées entre elles. Il n’y a pas de vision globale de ce que devrait être notre système de santé rénové, pas de projet pour lui. Nous ne pouvons pourtant pas nous payer le luxe de voter des dispositions redondantes, insatisfaisantes, créant de nouvelles contraintes dont les conséquences n’ont pas été préalablement évaluées.

Sur les trente-trois mesures que comporte le Ségur de la santé, seulement cinq sont reprises dans la proposition de loi. Elles ne font l’objet que de six des quarante-deux articles que comporte le texte après son passage à l’Assemblée nationale. C’est bien mince pour un texte censé traduire le volet non financier des conclusions du Ségur de la santé.

L’article 10 de la proposition de loi correspond à la mesure 3 de ce Ségur, qui vise à mettre fin aux abus de l’intérim médical.

La mesure 7 du Ségur, relative au renforcement du déploiement de la pratique avancée, permet à des infirmiers de réaliser des missions élargies par rapport à leur champ de compétences initial afin de répondre aux évolutions de l’organisation des soins. Cette mesure, qui était prévue à l’article 1er, a été supprimée au profit d’une demande de rapport par l’Assemblée nationale, puis, comme je l’indiquais, cette demande de rapport a elle aussi été supprimée lors de l’examen en commission par le rapporteur.

La mesure 18, reprise à l’article 5 de la proposition de loi, vise à donner plus d’autonomie aux services des hôpitaux en matière de gestion et d’adaptation de leur organisation. Il s’agit de revenir à des unités plus concrètes, par exemple les services d’oncologie ou de cardiologie, plutôt que de renvoyer aux superstructures.

La mesure 19, liée à la précédente, prévoit la fin de l’obligation pour les hôpitaux de s’organiser en pôles d’activité réunissant plusieurs services.

La mesure 22 du Ségur vise, quant à elle, à mieux associer les soignants et les usagers à la vie de l’hôpital. Elle trouve sa traduction dans plusieurs dispositions du texte, notamment celle qui prévoit la possibilité de fusionner les CME et les CSIRMT.

La mesure 27 du Ségur visant à lutter contre les inégalités en santé, ou encore la mesure 31 visant à renforcer l’offre de soutien psychiatrique et psychologique, entre autres, sont absentes de la présente proposition de loi. La mise en place d’un un numéro national de prévention du suicide disponible 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, le recrutement de 160 psychologues supplémentaires dans les centres médico-psychologiques ou l’ouverture de consultations de psychologues ambulatoires seraient pourtant des mesures nécessaires dans une période où la santé mentale des Français est mise à mal par la pandémie de covid-19 et ses conséquences.

Enfin, si les dispositions concernant les sages-femmes vont dans le bon sens, elles auraient pu faire l’objet d’un texte à part.

Je conclurai mon intervention en soulignant que ce texte manque cruellement d’une vision globale. Nous n’avons pas suffisamment de recul pour nous prononcer sur des mesures dont les effets n’ont pour l’instant pas pu faire l’objet d’une quelconque évaluation. Nous ne pouvons pas légiférer sans visibilité.

Par conséquent, nous demandons un renvoi du présent texte en commission afin de nous donner les moyens de l’examiner dans des délais plus appropriés et de disposer de davantage de visibilité quant aux ordonnances.

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