Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, une fois de plus, ce texte illustre la façon dont le Gouvernement continue de légiférer en matière de justice dans un calendrier législatif restreint, comme en témoigne la parfaite cohérence, monsieur le garde des sceaux, entre la présente proposition de loi et votre circulaire de politique pénale en date du 15 décembre dernier.
Sur la forme, puisqu’il s’agit d’une proposition de loi, l’étude d’impact n’est pas obligatoire, alors même qu’elle aurait été justifiée pour plusieurs dispositions de ce texte qui soulèvent un certain nombre de questions. Je ne reviens pas sur la question des TIG, sujet sur lequel nous partageons très majoritairement ici un point de vue très différent de celui qu’a exposé l’un des orateurs précédents. Une étude d’impact aurait été réellement utile pour apprécier la portée de l’évolution qui nous est proposée.
Sur le fond, les pouvoirs du procureur de la République sont élargis, au détriment, de facto, des magistrats du siège. Ce mouvement est déjà bien entamé, puisque l’essentiel des procédures consistent en alternatives aux poursuites. Avec ce texte, cette proportion dépasserait 51 %, comme vous l’avez rappelé à l’Assemblée nationale, monsieur le garde des sceaux.
Ce mouvement pose deux problèmes.
Premièrement, les procureurs sont déjà surchargés : même si le dernier budget de la justice est en augmentation, il ne permettra de créer que 50 postes supplémentaires de magistrats en 2021, ce qui, de l’avis de la profession, est nettement insuffisant pour effectuer un travail de qualité et réduire la surcharge.
Deuxièmement, les procureurs ne sont toujours pas indépendants, la réforme de l’indépendance du parquet n’ayant toujours pas été engagée. Il nous paraît important d’avancer concrètement en matière d’indépendance du procureur de la République : s’il se voit attribuer plus de compétences, il se doit d’autant plus d’être neutre dans son essence et impartial dans ses décisions.
J’en viens aux nouvelles dispositions en matière d’alternatives aux poursuites existantes : les dispositions déjà en vigueur permettent de traiter, sans poursuites, des affaires simples par des mesures sans atteinte aux droits, telles que le rappel à la loi.
Dans le présent texte, les alternatives aux poursuites ressemblent de plus en plus à des peines et n’ont rien d’anodin. Par exemple, une mesure alternative peut consister à se dessaisir de sa voiture ou à payer jusqu’à 3 000 euros d’amende.
Concrètement, les procureurs de la République, qui sont déjà surchargés, je le répète, décideront de ces mesures au téléphone, sur le fondement du compte rendu d’un officier de police judiciaire. En réalité, ces mesures s’apparentent à des confiscations et à des amendes détournées, lesquelles ne présentent pas les garanties essentielles pour les justiciables.
En effet, de nouvelles obligations seront imposées aux mis en cause en dehors de tout contrôle d’un juge. En outre, aucun suivi de l’exécution des obligations ne sera possible, aucune sanction ne pouvant être prononcée en cas de non-respect desdites obligations, si ce n’est la poursuite de l’infraction initialement constatée.
Outre ces mesures, ainsi que celles qui portent sur les TIG et l’extension de l’amende forfaitaire minorée, dont le caractère est presque anecdotique, la commission a principalement introduit trois dispositions dans le texte.
Elle a clarifié le rôle des directeurs des SPIP par rapport à celui du juge d’application des peines. Elle a élargi le champ de l’expérimentation qui a autorisé les employeurs du secteur de l’économie sociale et solidaire à proposer des TIG en y intégrant le travail non rémunéré. Elle a autorisé l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués à mettre à disposition de certaines associations ou fondations d’utilité publique ou à des organismes qui concourent à la politique du logement des biens immobiliers saisis ou confisqués dans le cadre d’une procédure pénale.
Nous considérons que ces mesures sont plutôt positives et qu’elles améliorent le texte. En outre, nous partageons pleinement la conclusion du rapporteur Alain Marc sur le texte : « Les mesures envisagées par la proposition de loi ne suffiront pas à concrétiser la promesse d’une justice de proximité : rapprocher la justice du justiciable passera davantage par des mesures d’organisation, par le maintien des lieux de justice au plus près des territoires et par l’allocation de moyens adaptés qui permettront de réduire les délais de jugement et d’apporter une réponse à chaque infraction. »
Nous nous étonnons cependant de la position de la majorité sénatoriale, alors qu’elle a participé, en soutenant le projet de loi de Nicole Belloubet en 2018, au démantèlement des tribunaux d’instance, lieux de justice de proximité par excellence.
Enfin, nous pensons, alors qu’est avancée de façon récurrente la nécessaire célérité de la justice, que l’excessive durée du procès pénal ne peut pas être le seul et unique argument pour donner davantage de pouvoirs aux procureurs.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous nous abstiendrons sur ce texte.