Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi améliorant l’efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale prévoit des mesures techniques qui visent à parfaire certains dispositifs existants. Si la simplification qu’elles apportent était attendue, certaines d’entre elles suscitent des interrogations justifiant une réflexion plus large sur la confusion qu’elles provoquent dans notre organisation judiciaire.
De nouveaux outils sont mis à la disposition des procureurs de la République dans le cadre des alternatives aux poursuites et de la composition pénale.
De manière générale, nous constatons que nous transférons encore des prérogatives du siège vers le parquet, ce qui est toujours gênant, car le procureur poursuit, il ne décide pas. Il n’est donc pas sûr que ce texte ravisse tout le monde !
En tout état de cause, les mesures soumises à notre appréciation ne sont en rien nouvelles, car elles se pratiquent déjà, à l’instar, notamment, du rappel à la loi sous condition.
Par ailleurs, demander à l’auteur des faits de ne pas rencontrer les coauteurs ou complices est une interdiction de toute évidence impossible à faire respecter, même si l’intention est très louable. En effet, on imagine mal les procureurs mobiliser pour ce faire des gendarmes, qui ont autre chose à faire. Cette mesure décrédibilise une fois de plus l’action de la justice, qui n’en a pas besoin.
Ensuite, demander à l’auteur des faits de s’acquitter d’une contribution citoyenne auprès d’une association d’aide aux victimes peut paraître gênant. Comment choisir cette association sans entrer dans des considérations subjectives ? Selon quels critères ? Il eût sans doute été préférable de faire transiter le dispositif par le Trésor public, sachant que celui-ci finance déjà le fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), qui permet, sous l’égide du préfet, de répartir les sommes en question entre des associations.
Quant à la convocation devant le maire, comment ne pas y voir une complexification de plus pour des élus déjà sursollicités ? Une telle mesure ne risque-t-elle pas, par ailleurs, d’allonger la durée des procédures ?
Concernant la composition pénale, le texte porte à cent le nombre d’heures pouvant être effectuées dans le cadre d’un travail non rémunéré. Or il faut savoir que, dans la pratique, le nombre d’heures de travail dépasse rarement soixante. Il est donc probable que cette mesure sera peu suivie d’effets.
Confier aux directeurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation certaines tâches qui sont actuellement dévolues aux juges d’application des peines afin de fluidifier la mise en œuvre des TIG risque de poser des problèmes d’exécution.
Élargir aux contraventions de cinquième classe le mécanisme de l’amende forfaitaire ne pose aucune difficulté. Je note toutefois que cette disposition paraît déjà exister, ce qui peut nuire à la clarté de la loi pénale, qui est d’application stricte. La situation risque d’être compliquée s’agissant des infractions au code de la route, sujet assez explosif.
Les simplifications de la procédure applicable en appel ou en cassation vont dans le bon sens et sont attendues.
Quoi qu’il en soit, l’organisation judiciaire devient toujours plus complexe, pour ne pas dire confuse. Ce retour à une justice de proximité suscite des interrogations après plusieurs années qui ont vu passer le rouleau compresseur de suppressions et de fusions court-termistes de juridictions. Cette énième injonction contradictoire va finir par épuiser les acteurs judiciaires locaux.
Il leur a d’abord fallu digérer une première réforme territoriale, avec la suppression des tribunaux de police, puis absorber les réformes de 2016 et 2017 et leurs fusions de juridictions et, enfin, appréhender la loi de programmation et de réforme pour la justice de mars 2019 et de nouvelles fusions.
Concentrations, fusions, absorptions, spécialisations et, aujourd’hui, marche arrière vers une justice de proximité, civile, pénale, géographique, plus rapide : les auxiliaires de justice sont épuisés par cette nouvelle réalité qui dévore toute leur énergie. À peine ont-ils mis en œuvre une loi qu’une autre intervient !
J’ajoute que, en matière pénale, la justice de proximité se pratique déjà dans la plupart des juridictions moyennes de notre pays, dans lesquelles il n’y a pas un stock important d’affaires en attente, pas de retard connu de traitement des procédures, y compris durant la crise sanitaire.
En réalité, d’un point de vue géographique, le retour à une certaine forme de justice de proximité au moyen des audiences foraines va compliquer inutilement le quotidien de la justice, car il se fera à effectifs constants, dans des locaux qu’il va falloir rééquiper. En outre se poseront des questions de sécurité et de coûts : les juges vont devoir emprunter des voitures, parcourir des kilomètres et transporter par leurs propres moyens des dossiers, le tout en l’absence, pour l’instant, de solutions dématérialisées généralisées. Autrement dit, il va falloir déployer beaucoup de moyens et d’énergie pour quelques dossiers et pour permettre au délinquant de moins se déplacer. C’est absurde ! La justice perdra de toute évidence de sa représentation.
Certes, il faut le reconnaître, des moyens supplémentaires ont été octroyés à la justice dans la loi de finances pour 2021, mais ils viennent souvent combler des besoins existants avant d’être affectés à la justice de proximité. Pour faire de la justice de proximité, les juridictions ont souvent davantage besoin de personnels greffiers formés à l’accueil des justiciables – sujet absolument central – que de contractuels.
Il faut donc mettre fin à ce stop-and-go permanent entre concentration et déconcentration.