Intervention de Claire Siret

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 28 janvier 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur la santé des femmes dans les territoires ruraux

Claire Siret, conseillère nationale de l'Ordre des médecins, présidente de la Commission des relations avec les usagers :

Il est important d'observer l'ensemble des données de l'atlas démographique du Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM). Au 1er janvier 2020, nous comptions environ 198 000 médecins en activité régulière, représentant ainsi seulement 65 % des inscrits, ce qui correspond à une baisse de treize points en dix ans.

Les femmes représentent 49 % de ces médecins actifs dont l'âge moyen est de 50 ans. La part des plus de 60 ans est de 25 %, et celle des moins de 40 ans de 24 %. Les départements hospitalo-universitaires des métropoles sont les plus féminisés, ils observent une population active plus jeune.

Par ailleurs, si le nombre de spécialistes médicaux et chirurgicaux augmente respectivement de 9,7 % et de 4,6 %, l'effectif des médecins généralistes, quant à lui, baisse de 8,7 %. Toutefois, en dix ans, toutes les densités moyennes et médianes de chaque spécialité diminuent, hormis celles des spécialités chirurgicales. Les inégalités interdépartementales se creusent, tous groupes de spécialité confondus.

Depuis 2010, l'exercice libéral enregistre une diminution de 11 % au profit de l'exercice salarial, qui connaît une augmentation de 12 %. Cette dynamique s'observe pour tous les groupes de spécialités, chacune ayant cependant une pente qui lui est propre.

Ce n'est qu'à l'horizon des années 2030 que la population médicale et l'offre de soins devraient être en meilleure adéquation avec la demande de soins.

Jusqu'en 2025, l'effectif de médecins sera moindre que les besoins de soins de la population, abaissant ainsi la densité médicale en raison de l'augmentation plus rapide de la population française par rapport aux professionnels de santé. En 2021, on estime la densité à 3,18 médecins pour 100 000 habitants, ce qui pourrait conduire, en 2028, à retrouver le niveau de 2015. En 2040, la densité serait supérieure de 18 % à celle de 2015.

Face à cette baisse de l'offre de soins, plusieurs constats :

- les effectifs des médecins spécialistes en médecine générale évoluent de manière moins dynamique que ceux des autres spécialistes, lesquels bénéficieraient davantage des installations des médecins avec un diplôme étranger ;

- la hausse du nombre de professionnels de santé qui entrent dans la vie active ne suffira pas à contrebalancer les cessations d'activité des médecins âgés, d'autant qu'ils ne travaillent pas de la même façon ;

- la diminution du nombre d'heures médicales disponibles devrait conduire à une baisse de l'offre globale de soins, alors que le besoin en soins, en raison du vieillissement de la population, devrait augmenter plus rapidement que le nombre d'habitants.

Quant à l'inégalité d'accès sur le territoire, elle s'explique par plusieurs facteurs :

- la durée hebdomadaire moyenne de travail des médecins généralistes est de 56 heures en zone urbaine, alors qu'elle s'élève à 60 heures en moyenne en zone rurale ;

- l'attractivité des territoires est aussi un élément important : selon une enquête de la Commission Jeunes médecins du CNOM, le cadre de vie, les conditions d'exercice, le travail en réseau avec d'autres professionnels de santé et les aides financières sont des facteurs clés pour l'installation des médecins dans les territoires ;

- le recul général de l'exercice libéral, mais également hospitalier, et la répartition très inégalitaire des médecins spécialistes.

En ce qui concerne les médecins spécialistes en gynécologie obstétrique :

- en 2019, la France a enregistré une baisse de plus de 8 % en huit ans de gynécologues obstétriciens, toutes spécialités confondues. Cette diminution globale s'est faite aux dépens du nombre de spécialistes médicaux, dont le rôle est d'assurer le suivi gynécologique des femmes tout au long de leur vie. Il y a aujourd'hui en France une densité de 3,7 gynécologues médicaux pour 100 000 femmes en âge de consulter ;

- le nombre de gynécologues obstétriciens, spécialisés dans les actes chirurgicaux, progresse de 36 % ;

- malheureusement, la baisse du nombre de gynécologues médicaux va se poursuivre dans les années à venir, en raison des départs en retraite que le nombre de jeunes diplômés ne permettra pas de compenser. Aujourd'hui, l'âge moyen des spécialistes médicaux est de 65 ans, et 82 postes seulement ont été ouverts pour la rentrée 2020.

L'accès des femmes aux gynécologues médicaux est très inégalitaire selon les départements : 89 départements sur 101 ont une densité moindre à 3,7/100 000, et d'autres, comme l'Ardèche, sont parfois dépourvus de tout gynécologue médical. Ces difficultés touchent aussi bien les campagnes que les villes, et s'agrègent bien souvent à d'autres fragilités territoriales, telles qu'un accès difficile aux services publics, aux commerces et à la couverture numérique. Les départements hospitalo-universitaires, comme Paris, la Gironde et la Haute-Garonne, sont épargnés.

Les inégalités territoriales en termes de services hospitaliers peuvent également affecter les actes auxquels se consacrent les spécialistes. Selon la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), la France métropolitaine comptait 1 369 maternités en 1975, contre 518 en 2014. Si les fermetures de maternités sont un facteur supplémentaire d'inégalité dans l'accès aux soins, elles ne sont pas nécessairement dues à l'absence de gynécologues-obstétriciens. La décision peut être liée à la difficulté d'embaucher des anesthésistes-réanimateurs ou d'autres professionnels de santé ou à un nombre d'accouchements jugé insuffisant pour assurer la sécurité des patientes.

En ce qui concerne l'accès des femmes aux soins :

- la santé des femmes et des filles est influencée par les différences biologiques liées au sexe et aux autres déterminants sociaux.

En 2016, l'espérance de vie mondiale des femmes était de 74 ans, alors qu'elle était de 69,8 ans pour les hommes. Les femmes connaissent une morbidité plus importante et ont davantage recours aux services de soins de santé que les hommes, en particulier en raison de leurs spécificités biologiques et de leurs besoins en santé reproductive. Les maladies cardio-vasculaires sont la première cause de décès chez les femmes. Parmi les cancers, ceux du col de l'utérus et du sein sont les plus fréquents, et le cancer du poumon le plus meurtrier. La dépression est plus fréquente chez les hommes que chez les femmes. Les conduites auto-agressives, y compris le suicide, représentaient en 2015 la deuxième cause principale de décès chez les femmes âgées de 15 à 29 ans au niveau mondial.

Les femmes ont généralement des comportements de santé plus tempérants et une plus grande proximité avec le système de soins.

Dans le monde, une femme sur trois est susceptible de connaître des violences physiques ou sexuelles. Chaque jour, environ 830 femmes meurent de causes évitables liées à la grossesse et à l'accouchement. Les jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans représentent la majorité des personnes vivant avec le VIH.

Depuis plusieurs années, l'atlas de la démographie médicale du Conseil national met en lumière l'aggravation des difficultés d'accès aux soins dans les territoires. La gynécologie n'échappe pas à cette réalité. Toutefois, les effets organisationnels d'accès aux soins dans les zones du parcours de soins, appliqués à la périnatalité, imposent quelques constats indépendants du facteur de la démographie médicale. On peut noter le changement de comportement chez les femmes dans leur vie, avec les problématiques d'obésité, de tabac, d'alcool, de manque d'activité physique. Les déclarations de grossesse sont de plus en plus tardives, les difficultés psychosociales moins repérées et la prise en charge des patientes psychiatriques plus difficile.

En ce qui concerne les solutions :

- l'atlas montre que les difficultés démographiques sont réelles et qu'il faut trouver des solutions en attendant que le nombre de professionnels de santé augmente. Le CNOM a formulé de nombreuses propositions dans le cadre de l'élaboration de la réforme du système de santé. Il a notamment défendu la réforme des études médicales, la professionnalisation précoce, la mise en place d'une organisation territoriale tenant compte des spécificités locales et incluant l'ensemble des acteurs. Il prône également le développement de l'attractivité de chaque territoire car lorsqu'il manque de médecins, il manque de tout.

Le bus itinérant, médecine foraine ou itinérante, permet à un médecin d'aller au-devant de la population sans avoir à supporter le coût d'équipement de divers lieux d'activité. Le Conseil national estime qu'il s'agit d'un outil qui doit s'intégrer dans un projet de territoire et qui doit être organisé au niveau local en fonction de l'offre de soins disponible, en concertation avec les professionnels de santé et dans l'intérêt des patients.

Le déploiement de la téléconsultation a été fulgurant pendant l'épidémie. S'il constitue un outil utile, il est aujourd'hui à l'origine de dérives qui sont parfois difficiles à contrôler, notamment du fait du développement de sites et de plateformes vantant l'accès à des services immédiats 24h/24, donnant un aspect commercial à l'exercice médical. L'Ordre est extrêmement vigilant sur ce point.

Les Maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) qui offrent un exercice pluridisciplinaire dans un même lieu d'exercice à des professionnels de santé regroupés sous une forme juridique nouvelle (SISA), répondant à un cahier des charges précis pour obtenir labélisation et financement par l'ARS, sont l'outil de travail plébiscité par les jeunes professionnels de santé pour s'installer dans les territoires. Il faut donc favoriser leur développement.

La maîtrise de stage est le vivier d'installation. Il est donc très important de développer ce dispositif dans les territoires ruraux, au travers notamment des aides financières ou au logement consenties par les départements ou les communes, de la mise en place de permanences d'accueil à l'installation entre tous les acteurs de santé du territoire et d'une bonne coordination entre ces derniers.

Le plan « Ma Santé 2022 » prévoyait le développement de 1 000 communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). En janvier 2021, la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) nous a indiqué que 578 projets de CPTS avaient été recensés, et qu'au moins 2 000 étaient en cours d'élaboration. Il s'agit de mettre en place une coordination du parcours de soins entre professionnels s'inscrivant dans un maillage du territoire et des protocoles de coordination.

Le Conseil national se tient à votre disposition pour une éventuelle concertation relative aux améliorations que l'on pourrait apporter à la prise en charge des femmes.

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