Intervention de Catherine Llinarès-Trapé

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 28 janvier 2021 : 1ère réunion
Table ronde sur la santé des femmes dans les territoires ruraux

Catherine Llinarès-Trapé, présidente du conseil interrégional de l'ordre des sages-femmes du secteur Sud-Ouest :

J'exerce mon métier de sage-femme libérale en Haute-Ariège, un territoire rural de montagne. Force est de constater que la santé des femmes n'est pas une priorité dans les territoires ruraux. L'Ariège est le département dont le taux de dépistage du cancer du sein est le plus bas, et les problèmes d'alcoolisme féminin y sont prégnants.

Depuis dix-huit mois, j'exerce au sein du pôle de santé libérale de Tarascon-sur-Ariège, une maison de santé pluridisciplinaire qui accueille environ 10 000 patients. Le pays de Tarascon ainsi que les territoires de montagne situés au sud ne comptent aucune offre de soins en gynécologie ni périnatalité, hormis la présence des médecins généralistes.

L'équipe de la maison de santé m'a accueillie à la suite de contacts avec l'infirmière coordinatrice. Je l'avais sollicitée parce que je souhaitais participer à un projet de santé nutrition pour les femmes en périnatalité. Mais lorsque les médecins généralistes de la MSP ont pris connaissance du champ actuel de compétences des sages-femmes, ils ont compris que cela répondrait, du moins en partie, aux besoins de santé des femmes qu'eux-mêmes avaient grand mal à prendre en compte. Depuis, j'effectue des consultations sur place une fois par semaine et je participe aux réunions d'équipe hebdomadaires ainsi qu'au projet de santé de la MSP.

L'activité de gynécologie hors périnatalité constitue environ 70 % de mon activité à la MSP. En pratique, les patientes me sont adressées à chaque fois que le motif de consultation est en lien avec la gynécologie au sens large. Mon expertise comprend les soins et les prescriptions que j'ai mises en place, la qualité de l'information nécessaire à ma mission de coordination via le logiciel informatique, la réponse à des appels téléphoniques sur la ligne dédiée aux urgences et, le cas échéant, l'orientation vers un médecin spécialiste ou le plateau technique de soins. Ces consultations ont révélé des besoins de santé qui n'avaient pas été exprimés auparavant.

Elles sont aussi l'occasion de développer avec l'équipe des programmes « sport santé », notamment pour les pathologies chroniques comme le diabète ou l'hypertension. De tels programmes seraient également utiles en périnatalité pour faciliter la récupération physique des jeunes mères, rompre l'isolement social et lutter contre la dépression périnatale.

Les patients peuvent bénéficier, dans la plupart des cas, d'une prise en charge pluridisciplinaire sur leur territoire, ce qui correspond à une forte demande des habitants des territoires ruraux. Beaucoup de patientes de 40 à 50 ans n'ont pas de suivi gynécologique. Si elles se rendent en consultation chez leur médecin traitant, par exemple pour des douleurs du petit bassin ou des douleurs urinaires, celui-ci leur propose systématiquement une consultation avec la sage-femme pour faire le point sans délai de rendez-vous.

Ces consultations sont aussi l'occasion de proposer des dépistages aux patientes, de faire le point sur le sujet de leur vie affective et sexuelle, parfois d'aborder la ménopause, l'existence de symptômes courants tels que les fuites urinaires ou les descentes d'organes et d'aborder leurs pathologies concomitantes et les variations de poids.

Elles permettent aussi de diffuser quelques informations de prévention, notamment dans le cadre du programme « manger bouger ». Les patientes peuvent enfin intégrer un des parcours de soins innovants développés sur le pays de Tarascon, comme l'activité physique adaptée.

Au fil du temps, avec les infirmières Asalée - elles participent au dispositif Action de santé libérale en équipe -, la prise en charge pluridisciplinaire a permis de se rendre compte que l'un des freins les plus fréquents à l'adhésion des patientes au sport adapté était les fuites urinaires d'effort, qui durent en général depuis des années. Les femmes n'en ont jamais parlé à leur médecin généraliste, et en parleront plus facilement lors d'une consultation avec une sage-femme. Elles ont tendance à prioriser elles-mêmes leurs besoins de santé : devant la charge de travail des généralistes, elles vont taire leurs besoins moins immédiats.

Les autres maisons de santé situées plus haut dans la montagne, sans sages-femmes, ont pris l'habitude de nous les adresser pour la gynécologie, ce qui permet de se projeter dans un parcours de soins gynécologiques intégrant les sages-femmes dans les futurs CPTS d'Ariège. Mais les limites sont nombreuses. L'exercice en milieu rural est confronté, plus qu'ailleurs, à des situations extraordinaires notamment en périnatalité, même si la maternité est située à moins de 45 minutes. Ces situations n'ont pas été pensées pour la profession en termes de maillage territorial, et exigent souvent une souplesse supplémentaire, à la limite du champ de compétences. Cela nécessite aussi l'aide de gynécologues-obstétriciens, avec de la télé-expertise de fait - les sages-femmes n'ont pas la possibilité reconnue de pratiquer la télé-expertise.

Cela donne tout son sens aux protocoles de coopération et pluridisciplinaire. La sage-femme peut ainsi renforcer les ressources locales des équipes de premier recours du territoire dans de nombreux domaines : vaccination Covid, accouchements hors structure. Les sages-femmes installées, comme moi, dans les territoires ruraux ont du mal à trouver leur place dans les équipes de premier recours, les maisons pluridisciplinaires de santé et les CPTS parce qu'il manque presque toujours l'un des trois éléments clés de leur exercice : la notion de complémentarité avec le médecin généraliste et les autres professionnels de santé, à condition qu'elle s'articule en toute autonomie et en respectant toute l'indépendance de l'exercice médical de la sage-femme dans son champ de compétences.

Pour aider au développement de ces activités, il serait utile de lancer une nouvelle campagne de communication grand public afin de mettre en lumière l'utilité de la profession de sage-femme dans la prise en charge de la santé des femmes en dehors de la périnatalité. La dernière campagne a eu lieu il y a sept ou huit ans.

Il faudrait faire évoluer les conditions d'installation des sages-femmes dans les territoires ruraux, avec par exemple le conventionnement qui devrait prévoir un appui financier pour faire face aux évolutions technologiques de leur exercice, telles que l'appareil à échographie portable pour l'accès à l'IVG, la télémédecine, la télé-expertise ainsi que des actions de formation adéquates.

Il faudrait également faire évoluer les compétences pour adapter le contenu de l'exercice aux besoins de santé des femmes ; utiliser l'atout de la sage-femme française, en termes d'autonomie et de complémentarité plutôt qu'en termes d'aide ou de prescription par le médecin ; enfin, améliorer les conditions de rémunération des sages-femmes avec des tarifs à l'acte ou des forfaits dans les actes de dépistage et les actions effectuées en pluri-professionnel.

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