Sur l'obésité, votre remarque me fait penser à la citation du biologiste Edward Osborne Wilson : « le vrai problème de l'humanité est le suivant : l'homme a un cerveau du paléolithique, des institutions du Moyen-Âge et des technologies de niveau divin ». L'obésité est là parce que notre cerveau n'est pas fait pour être confronté à autant de calories. Ceci dit, nous apprenons, nous développons de nouvelles règles : l'éducation à l'activité physique en fait partie, comme la limitation de l'accès aux écrans, ces nouveaux défis auxquels la génération de nos parents n'avait pas été confrontée. Je suis confiant, mais cela va nécessiter des aides, car chacun comprend bien qu'il y a derrière cela de très fortes inégalités sociales.
Sur le succès des « technodictatures », plusieurs effets se cumulent : la disponibilité des technologies de contrôle, qu'il a suffi de renforcer, et une culture de la discipline préexistante.
Mais c'est peut être également ici, dans la crise du progrès scientifique que connaissent les sociétés occidentales, qu'il faut chercher une partie de l'explication. Dans le baromètre Ipsos-Institut Sapiens que nous avons mis en ligne, à la question « Pensez-vous que les générations du futur vivront mieux que celles d'aujourd'hui grâce à la science et à la technologie ? », près de 62 % des Français répondaient « oui » en 2013. Ils ne sont plus que 50 % aujourd'hui. Un Français sur deux n'a plus confiance dans le progrès scientifique, et il est difficile de ne pas les comprendre : depuis 30 ans, ils ont vu les technologies progresser, mais pas forcément leur situation s'améliorer.
D'où l'échec complet de StopCovid, faute d'adhésion de la population à cette solution. D'où les cris d'orfraie que l'on a entendus à l'évocation de l'idée d'un passeport vaccinal. Pourtant, il ne me semble pas absurde qu'on vous demande, au moment de mettre votre enfant à la crèche, qu'il ait été vacciné : il y a en effet des externalités négatives terribles.
Tout ceci est lié à une crise de confiance vis-à-vis de la science, mais aussi vis-à-vis de nos institutions et de ceux qui nous représentent. La situation est extraordinairement paradoxale : un tiers de l'humanité dispose d'un profil Facebook, les GAFA vous connaissent mieux que votre mère, mieux que vous-même, au point de prévoir ce que vous allez faire, et nos débats politiques tournent autour de l'idée de donner ou pas telle ou telle petite information isolée à l'État... Nos démocraties doivent inventer un arbitrage intelligent et innovant entre sécurité et libertés. Nous n'avons tout simplement pas le choix. Il s'agit d'inventer les conditions institutionnelles de séparation des pouvoirs, de cloisonnement des systèmes, pour tirer le meilleur parti des données - par exemple, si la RATP consentait à l'open data, il est certain qu'une application très innovante ne tarderait pas à apparaître - tout en protégeant les droits, les libertés, la vie privée. C'est en fin de compte une question de souveraineté : hier, celle-ci portait sur le territoire, la nourriture, les hydrocarbures, les métaux ; aujourd'hui, ce sont les données, où elles sont stockées, dans quels tuyaux elles passent - par exemple les câbles sous-marins -, qui a les moyens de les exploiter grâce à l'intelligence artificielle, etc.