Intervention de Thierry Couvert-Leroy

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 9 février 2021 à 14h35
Constats de terrain concernant la pauvreté et la précarité et leur évolution en temps réel — Audition de M. Thierry Couvert-leroy délégué national « lutte contre les exclusions » de la croix-rouge française Mme Isabelle Bouyer déléguée nationale d'atd quart monde et M. Daniel Verger responsable du département études recherches et statistiques du secours catholique

Thierry Couvert-Leroy, délégué national « lutte contre les exclusions » de la Croix-Rouge française :

Je souhaite tout d'abord vous remercier de nous donner la parole. J'appartiens à la direction des métiers et des opérations de la Croix-Rouge, je suis aussi délégué national « lutter contre les exclusions » et j'ai préparé cette audition avec plusieurs de mes collègues, mais je ne pourrai peut-être pas répondre à toutes vos questions et je me permettrai alors de vous apporter nos réponses plus tard.

Depuis des années, le seuil de pauvreté était sur une sorte de plateau et nous espérions que les choses allaient s'améliorer, mais les perspectives ont été sérieusement bousculées. Ainsi, nous avons observé une intensification de la grande pauvreté et nous devons être attentifs à cette évolution.

Une stratégie de lutte contre la pauvreté a été annoncée en 2018, elle était accompagnée d'un diagnostic quelque peu effrayant : il faut six générations pour sortir de la pauvreté ! Nous avons alors tous été amenés à nous interroger sur ce que la République pouvait faire.

Même si l'exercice est toujours délicat, je voudrais distinguer trois publics. Pour les jeunes qui bénéficient de mesures de protection au titre de l'aide sociale à l'enfance : la question de la sortie du dispositif se pose clairement, même dans cette période d'état d'urgence qui prévoit des dispositions transitoires. Les résultats obtenus à la suite de la stratégie de lutte contre la pauvreté sont assez décevants à cet égard. Les deux autres publics que je voudrais citer sont les familles monoparentales, de plus en plus nombreuses et souvent en grande précarité financière, et les migrants.

Lors du premier confinement, nous avons observé qu'un certain nombre de familles n'étaient tout simplement pas en mesure de se nourrir, quand la cantine ne fonctionnait plus. Et on voit aujourd'hui de nombreux étudiants faire la queue pour obtenir une aide alimentaire. Ainsi, nombre de Français souffrent, de nos jours, de la faim !

Le confinement a aussi montré que de nombreuses personnes rencontraient de grandes difficultés pour conduire sereinement l'éducation de leurs enfants. Même si le deuxième confinement a permis d'organiser les choses autrement, l'impact de cette période est très fort sur les familles.

Durant la crise sanitaire, l'État a décidé de mobiliser 200 000 places d'hébergement d'urgence, ce qui montre bien, s'il en était besoin, l'importance de la question du logement dans notre pays.

Je crois que nous devons aussi être très attentifs à la situation de la jeunesse - je devrais plutôt dire « des jeunesses », tant les situations sont variées - et à celle des populations en outre-mer, où les tensions sont fortes.

Avec le confinement, nous avons observé de manière concrète que l'isolement avait un impact important sur les situations de précarité. La Croix-Rouge avait mis en place un numéro d'appel, les gens pouvaient demander à ce quelqu'un leur apporte leurs courses, que ce soit des médicaments ou de la nourriture : pour un tiers des personnes, le panier était gratuit, parce qu'elles ne pouvaient pas payer.

L'isolement a aussi mis en avant les questions de santé psychologique.

De manière générale, nous avons constaté une aggravation de la crise, puisque nos maraudes ont rencontré 86 % de personnes en plus, alors même que, je le disais, le nombre de places d'hébergement avait été augmenté. Nous avons ainsi rencontré 22 000 personnes à la rue, dont 6 000 enfants, un chiffre glaçant dans un pays comme le nôtre. La question de l'accès aux soins de ces personnes se pose évidemment de manière prégnante - le développement des équipes mobiles constitue une réponse intéressante.

Comme cela a été dit précédemment, il est important de mettre en place des actions qui vont vers les personnes les plus précaires, parce qu'un certain nombre d'entre elles sont « invisibles » et n'ont pas recours aux différents dispositifs qui existent. En fait, elles sont souvent fatiguées de se battre perpétuellement pour obtenir leurs droits.

Cela souligne l'importance de l'accompagnement et de la vigilance à avoir quant aux phénomènes de dépression. Encore une fois, la santé psychique est un élément très important à prendre en compte.

S'il ne m'appartient pas de définir le niveau du « revenu décent », il me semble néanmoins nécessaire de nous interroger sur la question de la solvabilité des personnes, car il est difficile de faire de la prévention à destination de gens n'ayant pas les ressources financières leur permettant de vivre décemment.

Permettez-moi d'aborder les dispositifs nécessaires pour lutter contre la fracture numérique, qui s'avère complexe. Cette lutte implique effectivement d'offrir un accès à internet, mais aussi de faire un travail de compréhension de l'outil numérique : notre expérience du premier confinement nous a montré que la capacité à l'utiliser n'allait pas de soi.

Enfin, en matière de stratégie vaccinale, je voudrais attirer votre attention sur le risque que les personnes les plus précaires et les plus pauvres soient oubliées.

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