La statistique et le terrain sont très complémentaires et le travail de l'Insee et de la Drees pour repérer les évolutions de la pauvreté est très important. Nous-mêmes sommes également en train, avec des équipes locales, de créer un baromètre pour pointer les évolutions au niveau chaque territoire, de façon à compléter l'analyse annuelle du rapport intitulé État de la pauvreté. Il manque surtout, dans les statistiques officielles, les personnes sans-papiers et celles qui sont en statut instable. Notre rapport tente de rendre plus visible cette catégorie qui ne l'est pas et qui est, néanmoins, extrêmement appauvrie et extrêmement précaire.
En matière de redistribution et d'accès à l'emploi, il y a effectivement « deux jambes ». Nous en incarnons une par notre demande d'un revenu minimum le plus garanti possible. D'un autre côté, l'initiative Territoires zéro chômeur de longue durée (TZCLD) lancée par ATD Quart Monde - à laquelle nous contribuons - montre bien l'importance des propositions autour de l'emploi. C'est en effet tout l'enjeu de l'insertion par l'activité économique.
Aujourd'hui, deux idées coexistent : d'une part celle d'un revenu de base, voire universel et, d'autre part, la garantie à l'emploi, pour laquelle la mobilisation des territoires et le soutien de l'État sont importants. Ces deux jambes sont donc complémentaires dans le sens où il est vain de demander à une personne d'être active dans sa formation ou dans sa recherche d'emploi s'il n'y en a pas dans la région. Certes, les secteurs de l'écologie, de l'accompagnement des personnes ou, plus concrètement, la rénovation des 700 000 logements par an sont demandeurs de main d'oeuvre. Il nous faut donc accompagner les personnes vers ces créations d'emplois.
L'aide alimentaire est un enjeu extrêmement important et reste la deuxième demande des personnes qui viennent au Secours catholique, alors que nous faisons moins d'aide alimentaire qu'il y a quelques décennies. Avec la crise, nous avons mobilisé des sommes conséquentes pour proposer des chèques services qui ont l'avantage, au contraire de l'aide alimentaire qui laisse peu de choix, de laisser la liberté de l'achat. Nous avons eu des difficultés à faire accepter ce chèque service par les enseignes et, même si cela s'est progressivement résolu, il nous faut continuer à travailler pour venir à bout de toute réticence.
Il s'agit, enfin, de faire la promotion de la solidarité alimentaire de territoire, d'organiser des circuits courts, des jardins partagés, de l'alimentation en commun, des cuisines collectives. Autant d'initiatives qu'il nous semble extrêmement important de soutenir. Toutefois, l'accès digne à l'alimentation est certainement le champ le plus important à promouvoir et nous pouvons faire beaucoup plus et beaucoup mieux que la simple aide alimentaire basique.
Pour les jeunes, il faut vraiment trouver des solutions. De nombreuses mesures ont été annoncées, mais leur impact est assez peu visible. La garantie jeunes universelle est une idée séduisante : elle constitue un vrai progrès si elle est mise en place comme cela a été proposé par le Conseil d'orientation des politiques de jeunesse (COJ). Je pense notamment à son caractère de « droit ouvert ». Il faut prévoir un accompagnement avec les missions locales, qui ont besoin d'être aidées et considérablement renforcées si l'on veut changer d'échelle. Passer de 100 000 à 200 000 jeunes constitue une amélioration, mais nous sommes très loin du compte : il faut pouvoir en accompagner 700 000 à 900 000 pour avoir un impact décisif sur l'appauvrissement des jeunes.
En ce qui concerne le RSA et le revenu minimum garanti, il faut rappeler que l'accompagnement - un accompagnement de qualité, humain et positif - est nécessaire. La menace de la sanction est contre-productive, car elle fait peser une épée de Damoclès là où il devrait y avoir du lien et de l'accompagnement. Les personnes souhaitent avoir accès à un emploi, être socialement et économiquement reconnues. Il ne faut pas penser que certains se contenteraient d'un revenu minimum parce qu'ils ont d'autres problèmes sociaux ou de santé à régler : ils veulent être actifs dans la société et être reconnus pour cela, quitte à connaître des situations de précarité qui peuvent tout de même représenter une avancée pour eux. C'est le cas des indépendants qui sont largement des autoentrepreneurs, comme les livreurs. Pour ces métiers, la difficulté vient de l'absence de protection sociale et de reconnaissance du lien avec l'employeur. Pour autant, l'utilité de ces métiers peut être grande. C'est cette catégorie sociale que nous voyons se précariser.