Je ne reparlerai pas des statistiques : la très grande pauvreté est là et les gens ne s'en sortent pas...
Il faut partir de la notion de revenu convenable d'existence : c'est dans la Constitution, et nous ne devrions pas avoir à batailler depuis tant d'années pour que toutes les personnes à partir de 18 ans puissent y avoir accès. C'est une terrible discrimination par l'âge : les 18-24 ans n'ont pas la possibilité d'avoir un tel revenu. Avoir accès à un revenu convenable d'existence, qui serait de 850 ou 900 euros, permettrait à ces jeunes de prendre une forme d'autonomie, de se projeter, de ne plus dépendre de la famille. Actuellement, si un jeune a un petit boulot pendant quelques semaines et qu'il dépend encore du foyer familial, son revenu est déduit du RSA familial : c'est la raison pour laquelle la réforme du RSA est indispensable. Cette situation empêche toute possibilité d'émancipation et de projection, et l'imprévisibilité conduit ces personnes à être en permanence dans l'urgence.
Vous avez évoqué les droits et devoirs liés au RSA : nous parlons, pour notre part, d'inconditionnalité. Les administrations exigent des allocataires qu'ils rendent compte ; les sanctions qui tombent sont extrêmement difficiles puisqu'elles plongent ces allocataires dans la grande pauvreté et encouragent le non-recours. Car, à un moment donné, les gens baissent les bras et n'ont plus recours au RSA en raison des contraintes, de l'intrusion dans la vie privée. La loi prévoit que le dispositif doit permettre de faire sortir des personnes de la pauvreté, mais aujourd'hui, avec un RSA, on ne sort pas de la pauvreté !
S'agissant des territoires zéro chômeur, nous pensons qu'il faut continuer l'expérimentation, pour analyser ce qui s'y joue réellement. Ce dispositif a été pensé à partir de l'entreprise solidaire Travailler et apprendre ensemble d'ATD Quart Monde à Noisy-le-Grand. Proposer un CDI permet une stabilisation de la situation : les gens peuvent recommencer à se soigner, récupérer leurs enfants quand ils ont été placés en raison de difficultés de logement, retrouver une utilité sociale, etc. C'est un cercle vertueux. Il faut penser la solidarité dans notre société, et faire place à chacun.
Pour revenir aux jeunes, je voudrais faire remarquer que les intentions peuvent être là, avec la garantie par l'État d'une formation, d'un accompagnement, pour tous les jeunes de 16 à 18 ans. C'est ce que nous souhaitons pour permettre aux jeunes de s'ancrer dans la vie sociale et professionnelle. Ce programme a été annoncé depuis deux ans ; des fonds y ont été dédiés. Il faut former des professionnels pour « aller vers » des personnes qui sont vraiment invisibles. Dans les Hauts-de-France, aucune formation à cette fin n'a été prévue dans le programme national de formation des missions locales pour 2021 et le programme régional de formation est interdit aux mineurs, alors que les missions locales doivent permettre à un maximum de jeunes d'obtenir une formation...
Les jeunes doivent avoir l'espoir de faire un métier qu'ils auront choisi. Il ne faut pas penser à la place des gens, ce qui signifie qu'il faut nouer une relation de confiance avec eux, qui ne se décrète pas. Je suis issue du monde du travail social : tant qu'on ne donnera pas aux professionnels le temps de nouer des relations et de bâtir des projets, on ne s'en sortira pas !
J'ai évoqué « l'institutionnalisation » de l'aide alimentaire. ATD Quart Monde et d'autres associations ont été invitées régulièrement depuis un an par la direction générale de la cohésion sociale pour faire le point, évoquer les urgences absolues, etc. La période que nous vivons a été qualifiée de « crise humanitaire ». Mais l'institutionnalisation de l'aide alimentaire est une hérésie : cela signifie que nous prenons définitivement acte qu'en France des millions de gens meurent de faim et sont obligés de se battre pour se nourrir ou nourrir leur famille. Imaginer l'aide alimentaire comme une fin en soi et une solution pour lutter contre la pauvreté est - je le redis - une hérésie !
J'y insiste, il faut plutôt penser à un revenu convenable d'existence. Les associations sont toutes d'accord, mais nous ne savons pas comme nous faire entendre. Nous participons à des auditions quasiment tous les jours... Soyons courageux, et faisons en sorte que les gens cessent de ne pas vivre et de ne pas se loger, même si je sais qu'il n'y a pas assez de logements en France.