Intervention de Michelle Meunier

Commission des affaires sociales — Réunion du 3 mars 2021 à 8h30
Proposition de loi visant à établir le droit à mourir dans la dignité — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Michelle MeunierMichelle Meunier, rapporteure :

La proposition de loi qui nous est soumise a été déposée par notre collègue Marie-Pierre de La Gontrie et plusieurs sénateurs du groupe socialiste, écologiste et républicain. Elle vise à reconnaître dans notre législation le droit à bénéficier, sous conditions, de l'aide active à mourir, selon deux modalités : l'assistance médicale au suicide et l'euthanasie.

Avant d'aborder l'examen de ce texte, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère qu'il comprend des dispositions relatives à la prise en charge des personnes atteintes d'affections graves et incurables, à la prise en charge palliative et aux pratiques sédatives, aux responsabilités des soignants en matière de fin de vie, et d'une façon générale, aux modalités d'exercice du droit des patients aux soins palliatifs et à l'accompagnement en fin de vie. En revanche, ne me semblent pas présenter de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs à la perte d'autonomie et à la dépendance, aux conditions d'admission en établissements sociaux et médicosociaux, aux médicaments et à leurs conditions de dispensation ou d'administration, aux compétences des professionnels de santé ou encore aux services d'aide à domicile.

Le droit à mourir dans la dignité irrigue le débat public dans notre pays depuis au moins trente ans. Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'était ainsi intéressé à cette question dès 1991. L'évolution de ses positions successives jusqu'aux derniers états généraux de la bioéthique montre à quel point il lui est difficile de prendre une position tranchée et arrêtée sur une question aussi délicate.

Le premier enseignement que je tire de mes auditions sur ce texte est que nous aurions tort de caricaturer ce débat en l'assimilant à une opposition indépassable entre deux camps : d'une part, les partisans d'une vision absolutiste de l'autonomie de la personne, qui considéreraient que la mort est une expérience purement personnelle sur laquelle la société n'aurait pas son mot à dire, et d'autre part, ceux qui estiment que l'interdit de donner délibérément la mort constitue une ligne infranchissable qui doit prévenir toute tentation d'abréger les souffrances d'autrui, même à titre compassionnel.

Au contraire, je retire de ces auditions le sentiment que nous devrions tous, comme l'a très justement rappelé le professeur Régis Aubry, membre du CCNE, faire preuve de modestie. Ce devoir de modestie à l'égard de la souffrance humaine et des conséquences qu'elle emporte pour la dignité du patient vaut pour nous, élus, comme pour les professionnels de santé qui vivent ces situations délicates de fin de vie quasi quotidiennement.

La dernière loi adoptée en matière de fin de vie, la loi Claeys-Leonetti de 2016, a fêté son cinquième anniversaire le 2 février dernier. Il s'agissait d'un progrès important dans l'amélioration de la prise en charge palliative des personnes en fin de vie. Cette loi apportait des clarifications indispensables sur l'évaluation de l'obstination déraisonnable pour permettre l'arrêt des traitements et prévenir tout acharnement thérapeutique. Elle introduisait également le droit à la sédation profonde et continue jusqu'au décès pour les personnes dont les souffrances resteraient réfractaires aux traitements. Elle consacrait enfin l'opposabilité des directives anticipées rédigées par le patient qui se retrouverait hors d'état d'exprimer sa volonté.

En dépit de ces progrès indéniables, j'identifie des limites principalement de deux ordres. Tout d'abord, en circonscrivant la possibilité de bénéficier de la sédation profonde et continue jusqu'au décès à des situations soit d'imminence du décès, soit d'obstination déraisonnable pour les personnes hors d'état d'exprimer leur volonté, la loi n'a pas permis de lever un certain nombre d'ambiguïtés dans son interprétation, selon que l'on se place du point de vue du patient, des proches ou des soignants.

Ainsi, comme le rappelle le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, patients, proches et soignants n'ont pas toujours la même compréhension de la souffrance et de ce à quoi elle donne droit selon la loi. La souffrance existentielle du patient demeure parfois difficilement appréhendée par les équipes soignantes qui restent attachées à une objectivation de la souffrance sur la base de symptômes cliniques.

Ensuite, les critères de l'obstination déraisonnable, de la souffrance réfractaire aux traitements et de l'engagement du pronostic vital à court terme apparaissent finalement peu pertinents pour un certain nombre de situations qui, bien que limitées dans leur nombre, n'en restent pas moins source d'une souffrance considérable et d'une angoisse existentielle pour les personnes concernées.

J'entends par là des situations auxquelles la loi en vigueur n'apporte pas de réponse satisfaisante, comme l'ont montré certaines affaires médiatisées. C'est en particulier le cas de maladies neurodégénératives très graves, telles que la sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot - on se souvient à cet égard des difficultés rencontrées par l'écrivaine Anne Bert pour faire entendre son souhait de mourir dans la dignité et qui l'ont finalement conduite à se rendre en Belgique.

Ce type de pathologie incurable, rapidement évolutive, conduit à une paralysie généralisée avec, à terme, impossibilité pour la personne de s'alimenter seule. Lorsque la personne malade refuse la perspective de se retrouver dans une situation de dépendance qu'elle jugerait incompatible avec sa dignité, les dispositifs de la loi Claeys-Leonetti n'apparaissent alors pas adaptés à une situation dans laquelle la crainte de la perte d'autonomie est source de souffrance existentielle. Cette crainte constitue l'un des motifs de demande d'aide active à mourir les plus souvent avancés.

Face à ces situations, qui interrogent les devoirs d'humanité, de solidarité et de compassion qui incombent à notre société, nous devons également être attentifs à l'évolution de l'opinion publique en France, ainsi qu'aux évolutions observées à l'étranger, même si nous devons nous garder de tout suivisme en la matière.

Selon un sondage de mars 2019 réalisé par l'institut Ipsos, 96 % des Français interrogés se déclarent favorables à la reconnaissance d'un droit à l'euthanasie : 36 % estiment que « les Français devraient avoir la possibilité de disposer d'un droit à l'euthanasie quelles que soient leurs conditions de santé » et 60 % jugent que « le droit à l'euthanasie devrait être encadré et possible uniquement en cas de souffrances graves et incurables ».

Les propositions tendant à « accompagner la fin de vie » et « légaliser l'euthanasie » ont en outre constitué, en avril 2019, deux des trois consensus qui, bien que qualifiés de « faible ampleur » par le Premier ministre, ont émergé des contributions libres versées au grand débat national organisé dans le sillage du mouvement des « gilets jaunes ».

En outre, dès le début des années 2000, plusieurs pays se sont engagés dans la voie d'une reconnaissance d'une ou plusieurs modalités de l'aide active à mourir dans le souci de mieux respecter l'autonomie de la personne et son souhait de mourir dans des conditions qu'elle juge dignes : les pays du Benelux bien sûr, mais aussi la Suisse, huit États aux États-Unis, bientôt deux en Australie, plus récemment la Nouvelle-Zélande et le Portugal et très prochainement l'Espagne. Dans ces conditions, la France sera bientôt frontalière de quatre pays autorisant une ou plusieurs modalités de l'aide active à mourir.

Or la très grande majorité de ces pays ont mis en place des exigences strictes pour l'exercice du droit à l'aide active à mourir ainsi que des procédures de contrôle qui préviennent toute dérive. Doit-on s'attendre à un emballement des demandes d'assistance au suicide en France si celle-ci venait à être légalisée ? La réponse est, bien entendu, non. Prenons l'exemple de l'Oregon, qui autorise l'assistance au suicide depuis 1994. En 2019, moins des deux tiers des personnes qui ont sollicité cette assistance, soit 188 personnes, ont effectivement pris les médicaments qui leur ont été prescrits et en sont décédés.

En définitive, loin de pousser les personnes atteintes d'affections graves et incurables à se résigner à la mort en l'anticipant à l'excès, les législations autorisant l'aide active à mourir peuvent leur apporter un surplus d'apaisement psychologique dans l'appréhension de leur fin de vie sans pour autant les conduire à systématiquement passer à l'acte, tout en garantissant la traçabilité et le contrôle de ces situations.

Dans ces conditions, l'article 1er de la proposition de loi précise le contenu du droit à une fin de vie digne, déjà inscrit dans le code de la santé publique, afin d'y inclure un droit à bénéficier de l'aide active à mourir. Les deux modalités prévues de mise en oeuvre de cette aide active à mourir seront le suicide médicalement assisté et l'euthanasie.

Son article 2 définit des critères exigeants qui conditionneront le bénéfice d'une aide active à mourir. Le patient devra ainsi être capable au sens du code civil, être en phase avancée ou terminale d'une affection pathologique ou accidentelle, même en l'absence de pronostic vital engagé à court terme, et présenter des caractères graves et incurables avérés lui infligeant une souffrance physique ou psychique inapaisable qu'il juge insupportable ou le plaçant dans un état de dépendance qu'il estime incompatible avec sa dignité.

Ces dispositions tendent, par conséquent, à lever l'exigence de l'imminence du décès pour abréger les souffrances de la personne, alors que l'engagement du pronostic vital à court terme constitue aujourd'hui une condition de la mise en oeuvre de la sédation profonde et continue jusqu'au décès pour les personnes capables.

Par ailleurs, dans un souci de rééquilibrage en faveur du libre arbitre du patient par rapport à l'avis du médecin et en cohérence avec le renforcement du droit de chaque malade de prendre part aux décisions de santé qui le concernent consacré depuis 2002, ces critères accordent une place déterminante à l'appréciation que fait le patient de sa situation : est ainsi prise en compte l'évaluation qu'il fait du caractère insupportable de sa souffrance physique ou psychique ou du caractère indigne de son état de dépendance.

L'article 2 précise également la procédure et les délais encadrant la mise en oeuvre du droit à l'aide active à mourir : le médecin saisi de la demande doit ainsi vérifier que les critères sont remplis et, par la suite, solliciter l'avis d'un confrère accepté par la personne concernée ou sa personne de confiance.

Il est, par ailleurs, prévu que le médecin qui a concouru à la mise en oeuvre de l'aide active à mourir devra adresser un rapport sur les circonstances du décès à une commission nationale de contrôle, créée par la proposition de loi, qui se prononcera sur la validité du protocole et le respect de la réglementation.

Mais la proposition de loi ne se limite pas à la reconnaissance de l'aide active à mourir. Elle s'attache également à garantir le respect des volontés de la personne ayant perdu sa capacité, d'abord en rénovant le cadre juridique applicable aux directives anticipées pour améliorer leur développement et renforcer leur opposabilité ; en consacrant la possibilité de désigner plusieurs personnes de confiance classées par ordre de préférence afin de parer aux situations d'empêchement ; et en instituant un ordre de primauté dans les témoignages recueillis au sein de la famille du patient qui n'est pas en capacité d'exprimer ses volontés, mais qui n'aurait pas désigné de personne de confiance.

Enfin, dans le souci d'apporter une réponse globale au mal mourir en France et de répondre aux carences persistantes de la prise en charge palliative en France, l'article 9 de la proposition de loi institue un droit universel à l'accès aux soins palliatifs et à un accompagnement qui devra être rendu effectif sur le territoire dans un délai de trois ans à compter de la publication de la loi. N'oublions pas en effet qu'encore aujourd'hui, 26 départements - dont la Guyane et Mayotte - n'ont pas d'unités de soins palliatifs.

J'estime que le texte qui nous est soumis apportera une réponse à la détresse de certains malades confrontés à des situations où le droit reste encore sourd à leur libre arbitre. Il contribuera également à rendre pleinement effectif le droit de toute personne à bénéficier de soins palliatifs et d'un accompagnement de qualité afin de mourir dans la dignité en tout point du territoire.

Je vous propose d'adopter cette proposition de loi. L'examen de ce texte est pour nous l'occasion de débattre des solutions pour rendre effectif le droit à mourir dans la dignité pour tous.

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