Votre dernière question porte sur un problème qui défraie la chronique. Très tôt, nos élus ont tiré la sonnette d'alarme sur les effets supposés de la réforme de l'assurance chômage. Nous avons constaté, sans émettre aucun jugement, qu'elle avait pour ambition de faire des économies, de l'ordre de 1 à 1,3 milliard d'euros. Considérant qu'il s'agissait d'une réforme essentiellement budgétaire, qui rend possible la réduction de la durée de l'indemnisation pour les chômeurs et le durcissement des conditions d'entrée dans le dispositif, les élus ont immédiatement réagi.
La courbe de l'évolution du chômage est en général parallèle à celle du nombre de bénéficiaires du RSA, avec un écart de six à dix-huit mois en fonction de la situation des intéressés. Nos élus ont craint un déport du fait de la réforme de l'assurance chômage, les personnes ne bénéficiant plus d'indemnisation se tournant vers le dernier filet de sécurité que constitue le RSA. Cette inquiétude s'ajoutait à celle sur la capacité des départements à financer de manière pérenne le RSA, qui ne cesse d'augmenter - et c'était avant la crise sanitaire !
L'ADF n'est pas un observatoire, mais une association d'élus, menant des enquêtes ponctuelles sur de sujets qui intéressent les départements. Partant des données que nous avons comparées avec celles de la CNAF, nous avons élargi notre analyse aux nouveaux profils d'allocataires et avons souhaité la partager avec les acteurs sociaux. Nous nous sommes ainsi rapprochés de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) pour croiser l'analyse faite par les départements avec celles des associations - sur l'accompagnement, l'hébergement d'urgence et le retour vers l'emploi -, qui ont une appréhension précieuse de la situation des ménages.
Nous sommes particulièrement préoccupés par la situation des jeunes de moins de vingt-cinq ans et des individus résidant en milieu rural. Nous regardons ces phénomènes de très près, d'autant qu'il existe de grandes disparités d'un territoire à l'autre venant renforcer les déséquilibres entre les milieux rural et urbain. Nous sommes aussi inquiets de la situation des personnes handicapées, car la crise ajoute à leur condition habituelle des difficultés psychologiques liées à l'isolement. De plus, bon nombre de seniors ont subi une perte brutale d'activité : les accompagner dans une réinsertion dans l'emploi s'avère encore plus difficile...
Dominique Bussereau, président de l'ADF, et Pascal Brice, président de la FAS, se sont rencontrés et ont adressé un courrier commun au Premier ministre, qui fait état d'une grande préoccupation pour les conséquences humaines de la crise. Nous avons fait remonter les résultats de nos observations dans nos réseaux respectifs et avons fixé comme ambition commune de lutter davantage contre les phénomènes de précarisation, aussi bien à l'échelle locale que nationale.
Cela pose plusieurs questions sur la manière d'accompagner le public, voire de l'appréhender. Vous avez parlé d'un manque « d'aller vers » ; il conviendrait effectivement de renforcer l'accompagnement. De nombreuses personnes ne demandent pas d'aide : cela recouvre les cas bien connus de non-recours aux dispositifs. Nous avons observé, avec la FAS, que certains n'ont jamais recours aux dispositifs sociaux, pensant qu'ils n'y ont pas droit ou estimant qu'il est trop difficile psychologiquement de s'engager dans un parcours d'aide. Certaines personnes vont même jusqu'à évoquer la honte à déposer une demande... La capacité des acteurs locaux - travailleurs sociaux, collectivités, associations, Pôle emploi, structures d'insertion, ou autre partenaire du monde économique - à aller vers elles est déterminante. Cela doit être absolument renforcé.
Il faut nous doter de moyens permettant de détecter le plus tôt possible des situations qui ne nous seraient pas indiquées, ou pour lesquelles les personnes concernées ne feraient pas de demande, entraînant potentiellement la dégradation de leur situation initiale - une perte d'emploi par exemple. L'évolution du travail social des services départementaux se trouve ici en jeu. Des initiatives sont déjà prises pour aller davantage vers les personnes éloignées des dispositifs d'aide. Mais cela ne règle pas tout : nous découvrons encore des situations complexes pour lesquelles il n'y a pas toujours de réponse idéale...
S'agissant de la position de l'ADF sur la gestion du RSA, nous avions indiqué dans notre rapport de 2016 être en faveur d'une fusion des minima sociaux, d'une fiscalisation des aides sociales et de certaines avancées sur les aides pour les personnes âgées ou handicapées. Dans le même temps s'est posée la question du financement pérenne du RSA et des débats se sont faits jour sur son éventuelle déconnexion avec les politiques d'accompagnement.
L'ADF n'a pas de position définitive sur le sujet. Simplement, un certain nombre de départements se trouvent dans une telle difficulté pour financer le RSA qu'ils en viennent à être intéressés par une reprise par l'État ou, du moins, par une expérimentation. Ce serait l'occasion pour eux de régler définitivement la question du financement du RSA, qui représente une charge trop lourde et entrave leur capacité de réinsertion.
Les départements ont considéré, en grande majorité, que le sujet principal était celui de la compensation du financement du RSA par l'État. Alors que les dépenses ont augmenté très fortement depuis la crise, les départements ont appelé à sortir de cette technique de ciseaux permanents qui consiste à leur faire supporter une grande partie de la charge du RSA, l'État ne finançant que 6 des 11 milliards d'euros dédiés à cette allocation.
En outre, s'est posée la question de savoir s'il fallait déconnecter l'allocation des politiques d'insertion. Si la charge globale de l'allocation diminuait, les départements retrouveraient évidemment une marge de manoeuvre en la matière. Certains ont donc fait valoir qu'il fallait éviter une déconnexion et que l'État devait compenser davantage l'allocation pour permettre un renforcement de l'accompagnement. D'autres se sont exprimés en faveur d'une déconnexion de l'allocation des politiques d'insertion, car aucune garantie de financement pérenne n'existe, d'autant que la crise entraîne des effets sur le très long terme. Le débat est toujours en cours...
Cela étant, l'insuffisance des moyens de l'État consacrés au RSA reste le vrai problème, comme pour l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) ou pour la prestation de compensation du handicap (PCH). La politique globale de protection de l'enfance est également concernée.
L'ADF reste, bien entendu, extrêmement respectueuse du positionnement des départements au regard de l'évolution du RSA, en veillant à éviter toute ingérence.
Les modalités de financement des politiques sociales sur le long terme demeurent problématiques. Face au risque croissant de fracture sociale, nous ne pouvons nous satisfaire de la situation actuelle. Nous avions déjà tiré la sonnette d'alarme sur ces sujets. Nous restons particulièrement mobilisés sur le dispositif « territoires zéro chômeur de longue durée » et sur l'accompagnement des structures de l'insertion par l'activité économique (IAE). Mais nous sommes inquiets s'agissant de publics quelquefois complètement nouveaux, qui ne sont pas habitués à ce type d'accompagnement et se trouvent souvent en difficulté pour s'adresser à une association ou à un autre partenaire.
Certains de nos élus considèrent que se trouvent dans ce constat les ferments d'une crise sociale beaucoup plus profonde et désastreuse que celle que nous connaissons - je le dis sans catastrophisme. Cela constitue pour nous un sujet de préoccupation permanent.