Intervention de Guillaume Allègre

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 2 mars 2021 à 17h25
Audition de M. Guillaume Allègre économiste à l'observatoire français des conjonctures économiques ofce et M. Stéphane Carcillo chef de la division emploi et revenus à l'organisation de coopération et de développement économique ocde et professeur d'économie à sciences-po paris

Guillaume Allègre, économiste à l'OFCE :

J'ai certes été court et réducteur, mais c'était fait exprès. Si vous m'aviez interrogé sur ce qu'il faut faire aux États-Unis, j'aurais proposé d'augmenter le salaire minimum. C'est une réforme évidente, qui ne détruirait que peu d'emplois et permettrait d'accroître le revenu des pauvres sans coût pour l'État. On gagne d'un côté sans perdre de l'autre, alors que généralement, en économie, on fonctionne en termes d'arbitrage, par exemple entre égalité et efficacité. De ce point de vue, si on donne le RSA aux 18-25 ans, si on l'automatise et qu'on l'augmente de 100 euros, l'impact sur l'emploi sera marginal tandis que l'impact sur la pauvreté et son intensité sera très important. On gagne beaucoup en termes d'égalité et on perd peu en efficacité. Une telle réforme serait donc assez évidente, à la différence d'autres.

Je vais développer trois points.

D'abord : l'emploi. Selon moi, cette question est sociale et macroéconomique plus qu'individuelle et d'accompagnement. C'est là où je ne suis pas nécessairement d'accord avec Stéphane Carcillo. Faire beaucoup d'accompagnement peut être positif dans le sens où des gens vont doubler d'autres personnes dans la file d'attente, mais il faut surtout créer de l'emploi, et, pour cela, avoir une politique macroéconomique solide. Il s'avère que la politique macroéconomique dans la crise a été plutôt bonne, avec le chômage partiel et les taux d'intérêt bas. Il est important de continuer sur cette lancée. En 2008, on a eu les bons réflexes, avant d'être confronté à la crise de l'euro en 2011 et à la double-dip recession. Il faut éviter de retomber dans cette spirale récessionniste et mener une stratégie de sortie de crise de long terme, sans essayer de rembourser la dette de façon prématurée. Ensuite, évidemment, se pose la question de l'éducation. Dans cette course entre technologie et éducation, on doit s'orienter vers une augmentation, peut-être pas tant de la quantité d'éducation, qui est déjà longue, mais surtout de sa qualité. Il faut, notamment pour les élèves les plus défavorisés, faire en sorte que tout le monde lise en fin de CE1. Cela doit s'envisager à long terme : si on s'engage dans cette politique aujourd'hui, les effets seront perçus dans vingt ans.

Ensuite, le versement automatique comporte une difficulté. L'impôt est prélevé au niveau du foyer fiscal ou au niveau individuel, alors que les prestations sociales sont versées au niveau du foyer ou du ménage au sens de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et sont donc familialisées. Pour pouvoir automatiser, l'administration doit savoir en temps réel, ou au moins tous les trimestres, qui habite où et avec qui. En France, l'administration ne le sait pas, à la différence de ce qu'on observe dans les pays à registre où on est censé déclarer dans quel logement on habite et à quelle adresse. Ce serait une sorte de révolution d'aboutir à cela. On peut aussi décider de ne plus conjugaliser les prestations sociales mais ce serait à mon avis une erreur, en raison des économies d'échelle qui existent. Il coûte vraiment plus cher, pour une famille qui se sépare, de vivre ainsi que de vivre conjointement.

Sur la question du RSA, Stéphane Carcillo a évoqué la possibilité de ne le donner qu'aux jeunes décohabitants. Cela réduirait vraiment le coût. En effet, étendre le RSA aux jeunes coûterait environ 5 et 7 milliards d'euros. Or, on dénombre en France un million de NEET (« Not in Education, Employment or Training », ou « ni étudiant, ni employé, ni stagiaire »), qui vivent aux trois quarts chez leurs parents. Donc réserver le RSA aux jeunes décohabitants, qui ne constituent que 25 % de ces NEET, ne représenterait qu'un coût de 1,5 ou 2 milliards d'euros. Mais si on fait cela, on risque de donner de l'argent à des qui sont aidés par leurs parents « sous la table », en payant le loyer de leur logement par exemple, et pas à d'autres jeunes qui continuent d'habiter chez leurs parents du fait qu'ils sont justement moins aisés et ne peuvent pas se permettre de décohabiter.

Pour les jeunes et les étudiants, on peut penser à un autre objectif. Le but n'est pas uniquement la réduction de la pauvreté. Effectivement, de nombreux jeunes ont des niveaux de vie relativement élevés grâce au soutien parental. On doit aussi se demander si on veut favoriser l'autonomie ou non. Au Danemark, l'allocation étudiante est deux fois plus élevée pour les jeunes décohabitants (800 euros) que pour les jeunes cohabitants (400 euros). Dans les pays scandinaves, les politiques sociales encouragent la décohabitation alors qu'en France, avec la familialisation, on encourage la cohabitation. L'objectif est de donner l'autonomie aux jeunes et étudiants, ce qui me paraît important. En effet, même si elle comporte des métropoles, la France reste un pays relativement centralisé. Si vous habitez dans une petite ville et que vous restez chez vos parents en tant qu'étudiant, vous n'aurez pas accès à offre de formation complète. Si des politiques n'aident pas à emménager ailleurs, vous risquez de suivre la formation qui se trouve là où vous habitez, et tout le monde y aura suivi la même formation ! Il est donc important de favoriser la mobilité résidentielle.

La condition sous-jacente est la construction de logements, pour les étudiants et les personnes pauvres. Des revenus doivent être versés aux jeunes et aux étudiants pour les aider dans cette mobilité résidentielle. C'est aussi très important en termes de croissance : des unités territoriales sont plus productives que d'autres. Si on veut profiter des externalités d'agglomération, il faut inciter les gens à vivre dans un endroit différent de leurs parents.

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