Intervention de Stéphane Carcillo

Mission d'information Lutte contre la précarisation et la paupérisation — Réunion du 2 mars 2021 à 17h25
Audition de M. Guillaume Allègre économiste à l'observatoire français des conjonctures économiques ofce et M. Stéphane Carcillo chef de la division emploi et revenus à l'organisation de coopération et de développement économique ocde et professeur d'économie à sciences-po paris

Stéphane Carcillo, chef de la division Emploi et Revenus à l'OCDE et professeur d'économie à Sciences Po Paris :

En ce qui concerne d'abord l'automatisation des aides, on est presque capable d'automatiser le versement de la prime d'activité, et on ne voit pas pourquoi on ne le ferait pas. En revanche, l'automatisation du RSA constituerait pour certains un problème moral. Mais je ne vois pas pourquoi on aiderait automatiquement les gens qui travaillent, et pas les autres. On devrait automatiser pour essayer de réduire la pauvreté. En particulier, de nombreuses personnes peuvent se retrouver sans travail sur une période courte, d'un à trois mois, et ne demandent pas l'aide car elles espèrent retrouver un travail rapidement - ce qui n'est pas toujours le cas. Ce coût administratif de la demande d'aide mêlé à l'anticipation de la reprise d'emploi freine le recours. Dans ces conditions, un versement automatique permettrait de réduire la pauvreté parmi ces populations précaires. Je parle ici de la prime d'activité et du RSA et non de l'AAH et du minimum vieillesse qui comportent des critères d'entrée précis.

Toujours sur la question de l'automaticité et du transfert d'information. Aujourd'hui, l'administration fiscale peut savoir qui habite avec qui, sur la base d'une adresse commune. Les services sociaux disposent aussi d'informations, qui peuvent être différentes de celles de l'administration fiscale. On doit en tout cas pouvoir résoudre ce problème. Si un changement de situation survient au cours d'un trimestre ou d'une année, on peut imaginer qu'il soit notifié dans une déclaration de fin d'année, ce qui donnerait lieu à un indu ou à des recouvrements. En général, on n'arrive pas à récupérer l'argent auprès de ces populations-là, donc on peut imaginer que la situation que vous déclarez à telle date est la situation qui fixera vos droits sur l'année. En revanche, à la fin de l'année, pour éviter cet effet d'indu, si vous déclarez une nouvelle situation, elle fixera vos droits à compter de ce changement de situation.

Sur le deuxième point, on a en effet l'exemple de l'universal credit qui procède à la rationalisation de toutes les aides. Mais il a été mis en place avec l'objectif de faire des économies, ce qui a généré beaucoup de perdants : ce n'est donc pas un très bon exemple à suivre si on veut faire de la rationalisation pour augmenter la lisibilité du système, son pilotage, et le recours. En revanche, cette expérience montre que rationaliser les aides prend plusieurs années, car les systèmes d'information doivent être rendus compatibles et mis à jour, les bases de données réunies et enfin parce qu'un phasage est nécessaire. En effet, lorsqu'on passe d'un système à l'autre, on fait potentiellement des perdants. Par exemple, la fusion du RSA avec l'ASS ferait des perdants, notamment parmi les couples, qui sont relativement favorisés dans le cadre de l'ASS. Il est donc très compliqué, notamment politiquement, de passer du jour au lendemain dans le nouveau système. On fait donc habituellement du phasage : on ouvre le robinet du nouveau système et on ferme celui de l'ancien. Pour éviter de figer les gens dans un dispositif, on leur dit qu'ils basculeront, au bout d'un certain temps, dans l'autre. Ce processus prend donc plusieurs années et se prépare longtemps à l'avance. Il peut ne pas faire trop de perdants si on s'accorde sur les bons paramètres, si on phase correctement, et surtout si on n'a pas l'objectif de faire des économies.

Je réponds maintenant sur la question de l'insertion et de la diversité des aides, avec la garantie jeunes face aux autres dispositifs. Je suis d'accord pour souligner l'enjeu actuel de rationalisation de ces aides. Les dispositifs comme l'Epide ou les écoles de la deuxième chance sont aujourd'hui potentiellement mobilisables dans le cadre de la garantie jeunes. Les missions locales peuvent y orienter les jeunes, et elles le font déjà, mais cela prend beaucoup d'espace pour ces dispositifs, dont l'architecture est assez bizarre, puisqu'ils sont à la fois intégrés et en concurrence. Et il est tout à fait anormal que les aides ne soient pas les mêmes. On ne peut pas dire à une personne qui bénéficie de la garantie jeunes que son aide sera réduite de moitié si elle passe en école de la deuxième chance. Cela n'a objectivement pas beaucoup de sens, et cela tue l'intérêt de ces écoles, qui constituent pourtant une très bonne stratégie, car elles dispensent un enseignement intensif, remotivent les jeunes et les ouvrent sur des métiers. L'école de la deuxième chance est une forme de pré-apprentissage. Pour les jeunes, il faut donc rationaliser ces dispositifs et surtout éviter qu'ils se fassent une concurrence déloyale entre eux. Mon idée était plutôt que la garantie jeunes était comme un chapeau dans lequel on entrait avec une myriade d'options, entre lesquelles le choix est financièrement indifférent : on ne doit pas être désincité à choisir une option qui nous convient mieux au regard de notre parcours.

La mise en place du service public de l'insertion est une bonne stratégie. L'hétérogénéité territoriale, en termes de qualité et d'accompagnement des personnes très éloignées de l'emploi, est aujourd'hui importante.. Il s'agit d'un très gros chantier, mais il n'a pas à être uniquement public. Dans le système d'insertion, de nombreux intervenants privés et associatifs entrent en jeu. Ces acteurs de soutien pourraient subsister, mais ils seraient intégrés dans un système national qui rationalise les différents types de parcours et qui vérifie la qualité de service de ces prestataires extérieurs, un peu comme le fait Pôle emploi avec les aides et les accompagnements.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion