Intervention de Évelyne Perrot

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 3 mars 2021 à 8h45
Proposition de loi visant à la création d'une vignette « collection » pour le maintien de la circulation des véhicules d'époque — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Évelyne PerrotÉvelyne Perrot, rapporteure :

Mes chers collègues, avant de vous soumettre mon rapport sur la proposition de loi, je veux dire combien ce travail a été lourd de questionnements pour moi, qui suis une admiratrice des 48 heures automobiles de ma ville de Troyes, mais qui suis avant tout membre de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et qui ai travaillé avec vous sur la loi d'orientation des mobilités (LOM). Je dois dire que les amendements reçus et les courriers m'ont confortée dans ma décision finale.

Ce texte vise à créer une vignette spécifique pour permettre aux véhicules d'époque de circuler dans les zones à faibles émissions (ZFE).

Les ZFE sont un outil visant à diminuer la pollution de l'air en zone urbaine. Rendu obligatoire dans une dizaine d'agglomérations par la LOM, ce dispositif permet au maire ou au président d'EPCI de restreindre la circulation des véhicules les plus émetteurs dans des zones très polluées. Pour cela, les véhicules sont classés en fonction de leur vignette Crit'Air, qui est attribuée à chaque véhicule sur la base de sa catégorie, de son niveau d'émissions et de son année de première immatriculation. Or les véhicules de collection, qui sont par définition anciens, ne peuvent pas prétendre à une identification Crit'Air. Au premier abord, cette situation semble donc susceptible de conduire à l'exclusion de ces véhicules des ZFE.

Il revient à la commission de proposer un périmètre au regard de l'article 45 de la Constitution et de l'article 44 bis du règlement du Sénat s'agissant des cavaliers. Je vous propose de retenir dans le périmètre du texte les sujets suivants : la définition d'un régime dérogatoire pour circuler dans les zones à faibles émissions applicable aux véhicules anciens ; la définition des véhicules de collection.

L'initiative sénatoriale que nous examinons aujourd'hui a réuni 80 signataires. Elle envoie un message positif non seulement aux 250 000 collectionneurs de voitures d'époque, mais aussi à des millions de sympathisants, aux territoires, qui organisent 6 000 à 7 000 manifestations par an, et au dynamisme de toute la filière des voitures de collection, qui représente, en 2020, 24 000 emplois et 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

L'enjeu de la circulation des véhicules de collection est celui de la préservation d'un patrimoine industriel et de moments de convivialité dont notre pays a tant besoin aujourd'hui. Le passage des voitures de collection suscite l'enthousiasme ainsi que l'apaisement dans les grandes agglomérations, où la circulation est trop souvent crispée par des tensions entre les voitures, les deux-roues, les vélos, les trottinettes et les piétons.

Au moment où l'on souhaite relocaliser l'industrie sur nos territoires, il est essentiel de rappeler l'attrait des beaux objets et du design pour stimuler la montée en gamme de notre économie. Ce n'est pas un hasard si la puissance de l'industrie allemande s'appuie sur des centres de formation d'apprentis, avec une présence visible des voitures de prestige.

On nous fera observer qu'un certain nombre de jeunes urbains ne passent même plus leur permis de conduire et qu'ils consacrent leurs premiers salaires à d'autres achats qu'à celui d'une voiture. C'est tout à fait vrai, mais, bien souvent, la passion du design ou du « vintage » se porte alors sur d'autres objets roulants - je rappelle, par exemple, le prix élevé de certains vélos électriques, qui avoisine celui de nombre de véhicules de collection. Dans la plupart des cas, ce goût pour les beaux objets se distingue donc de l'élitisme, d'autant plus qu'un véhicule de collection n'est pas nécessairement un véhicule très onéreux.

Je veux dire un mot des émissions carbone des véhicules de collection. Ces véhicules représentent une très faible proportion du parc roulant - entre 0,5 et 1 % - et chaque voiture parcourt un petit nombre de kilomètres - environ 1 000 par an. La proportion de motorisations diesel est très faible, ce qui évite de générer des microparticules, mais leur consommation d'essence est souvent plus élevée que la moyenne et s'accompagne donc de plus fortes émissions de CO2, tout particulièrement en cas de mauvais réglage, avec une très grande hétérogénéité en fonction de l'âge du véhicule.

L'impact carbone des véhicules de collection est globalement assez faible. À la lumière de nos travaux sur le numérique, on pourrait même se demander, en poussant le raisonnement à l'extrême, si une promenade virtuelle en voiture de collection sur ordinateur ne serait pas moins bénéfique pour la planète en termes d'émission de gaz à effet de serre...

Les auditions que j'ai conduites en tant que rapporteure sont a priori rassurantes, puisque toutes les collectivités qui ont mis en place des ZFE prennent parfaitement en compte les éléments d'appréciation que je viens de vous résumer et ont d'ores et déjà prévu une dérogation pour les véhicules de collection. En effet, la loi prévoit trois types de dérogations à ces restrictions de circulation : ces dérogations peuvent être nationales, locales et individuelles. Toutes sont appliquées par voie réglementaire. Nos territoires sont ainsi sur la même ligne que les auteurs de la proposition de loi et ont tous accordé des dérogations locales pour permettre la circulation des voitures de collection. Il n'y a donc pas, à ce stade, d'urgence ni de menace immédiate, bien au contraire, comme en témoigne l'audition du vice-président de Grenoble-Alpes Métropole, chargé de l'air, de l'énergie et du climat, c'est-à-dire l'élu en charge de la ZFE de Grenoble.

Le ministère chargé des transports nous a d'ailleurs également confirmé que des discussions étaient en cours avec la Fédération française des véhicules d'époque pour inscrire les véhicules de collection parmi les dérogations nationales, au même titre que les véhicules de police ou de pompiers.

Dès lors, la question qui nous est aujourd'hui posée est de savoir si, au-delà du signal que nous envoyons, il nous faut voter une loi sur la libre circulation des voitures de collection. Voici les grandes lignes du raisonnement que je vous soumets.

À l'heure actuelle, nous n'identifions aucune difficulté juridique de nature à entraver la liberté de circulation des voitures de collection dans les ZFE déjà mises en place.

Certes, dans le passé, le Parlement a parfois légiféré dans le domaine réglementaire, comme en témoigne le degré de détail de certaines lois et le volume de la partie législative de certains codes. À l'inverse, le Conseil d'État protège de façon plus systématique le domaine législatif, et sanctionne les décrets qui s'aventurent dans le domaine de la loi. En l'occurrence, la loi renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de préciser les catégories de véhicules dont la circulation dans une ZFE ne peut être interdite.

Si le législateur intervient, il y aura une vraie dissymétrie ; d'une part avec une loi spécifique pour les voitures de collection, d'autre part avec un décret qui accorde des dérogations nationales pour tout le reste : voitures de police, de pompiers, etc. Avouons que l'on s'éloignerait juridiquement du « jardin à la française » bien ordonné.

J'ajoute que la Fédération française des véhicules d'époque (FFVE) est venue au Sénat présenter son argument le plus convaincant. Elle invite à suivre le modèle allemand, qui fonctionne à la satisfaction de tous depuis douze ans et facilite la circulation de 595 000 véhicules de collection à travers 85 zones écologiques. En toute rigueur et cohérence, il faudrait pour transposer cet exemple allemand emprunter la voie du décret. Il suffirait d'ajouter trois mots dans la partie réglementaire du code général des collectivités territoriales, à l'article R. 2213-1-0-1, qui dispose que l'on ne peut interdire l'accès à certains véhicules dans les zones à circulation restreinte.

Si l'on s'écarte de ce parallélisme des formes, on brise la cohérence juridique de l'outil ZFE.

Le Sénat, grand conseil et protecteur des territoires, reste plus que jamais attentif à la nécessité de différencier les solutions locales. Or c'est très exactement la philosophie des ZFE, qui ont été conçues comme des outils à la disposition des collectivités territoriales. Jusqu'à présent, l'intelligence territoriale a fonctionné à plein régime, en accordant aux voitures de collection la souplesse que nous préconisons.

Je conclus donc en adressant un message très positif pour la préservation d'un phénomène culturel, social et industriel. Toutefois, compte tenu des éléments de contexte que j'ai exposés devant vous, et par souci de cohérence avec les travaux législatifs passés et à venir ayant inspiré la philosophie des ZFE et les positions exprimées par notre commission, je vous propose de ne pas adopter ce texte qui pourrait en outre nous engager dans une mécanique juridique complexe.

Surtout, faisons confiance à l'intelligence territoriale ! Évitons d'agiter inutilement le chiffon rouge ou de susciter un raidissement de la part de certaines associations qui, à l'image de France nature environnement, craignent que l'on ouvre la « boîte de Pandore » des dérogations ! C'est d'ailleurs aussi la crainte exprimée par le Gouvernement, lequel ne semble pas avoir d'a priori favorable ou défavorable sur ce sujet.

Je tiens à dire à Jean-Pierre Moga combien je suis admirative de son engagement dans la Fédération, et de la passion qui l'anime. Mais ce qu'il a proposé mérite non pas un regard législatif, mais bien réglementaire. Nous en avons parlé tous les deux, et j'en ai eu confirmation lors des auditions.

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