Intervention de Dominique Estrosi Sassone

Réunion du 2 mars 2021 à 14h30
Comment construire plus et mieux en france — Débat organisé à la demande du groupe les républicains

Photo de Dominique Estrosi SassoneDominique Estrosi Sassone :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Républicains a décidé d’inscrire à l’ordre du jour du Sénat un débat sur le thème « Comment construire plus et mieux en France ? » après celui qui avait été organisé sur le logement en juin dernier, car les craintes que nous exprimions au sortir du premier confinement sont devenues réalité. La crise sanitaire a entraîné un approfondissement de la crise du logement et de la construction.

Les chiffres de 2020 sont alarmants. Environ 90 000 logements sociaux ont été agréés ; il y en avait plus de 120 000 en 2016. Tous logements confondus, on compte 73 500 permis de construire de moins en 2020 par rapport à 2019, soit une baisse, en un an, de 16, 3 % du nombre de logements autorisés. Dans le même temps, 344 900 logements ont été mis en chantier, soit 44 000 de moins.

Je vous propose d’en analyser les causes avant d’esquisser des pistes de solutions qui seront approfondies au cours du débat.

Tout d’abord, quelles sont les causes de cette dramatique chute de la construction ?

À écouter le Gouvernement, il y aurait deux coupables : les maires, frileux pour construire en raison des élections municipales, et le virus. Est-ce si sûr ?

Lors des élections municipales de 2014, on comptait 106 000 agréments de logements sociaux, hors opérations de rénovation urbaine, contre 87 000 aujourd’hui. Les maires ne sont donc pas si coupables…

Que dire du virus ? Il est bien évident qu’il a grippé la machine, mais à y regarder de plus près, si les courbes ont piqué du nez en 2020, elles fléchissent depuis 2017.

Ainsi, derrière la conjoncture très difficile de l’année 2020, il y a des causes structurelles qui sont liées à la politique du Gouvernement. Tous les acteurs du logement social le disent : ce sont bien les ponctions faites sur les bailleurs sociaux et sur Action Logement qui sont la cause profonde de la chute très inquiétante du nombre de logements sociaux construits.

Votre prédécesseur, madame la ministre, avait d’ailleurs reconnu l’erreur que représentait la baisse de l’aide personnalisée au logement (APL). Il serait temps de reconnaître que la réduction de loyer de solidarité (RLS) était, elle aussi, une mesure délétère.

En réalité, le Gouvernement a mené jusqu’à présent une politique malthusienne de décroissance et d’économie budgétaire : « la politique du logement coûterait trop cher en France et serait inefficace, puisqu’il n’y aurait d’ailleurs pas de crise du logement » ; « mieux vaudrait rénover que construire » ; « il n’y aurait plus besoin de financements publics, car les taux sont bas et les institutionnels prêts à investir ». Voilà, au fil des rapports ou des notes administratives, la petite musique que l’on entend depuis quatre ans et qui sape peu à peu la dynamique de la construction et du logement social.

C’est un fait ! Selon le rapport annuel du compte du logement publié fin 2020 par votre ministère, les aides au logement ont reculé : elles représentaient 2, 2 % du PIB en 2010 contre 1, 6 % en 2019, la Fondation Abbé Pierre chiffrant la différence à plus de 14 milliards d’euros. Les prélèvements sur le logement, soit 80 milliards d’euros, progressent ; ils sont plus de deux fois supérieurs aux aides.

Parallèlement, le mal-logement n’a jamais été aussi important dans notre pays. Selon la Fondation Abbé Pierre, il frapperait plus de 14 millions d’habitants, ainsi privés de logement personnel ou vivant dans des conditions difficiles.

On sait par ailleurs qu’il y a plus de 2 millions de demandes de logements sociaux pour 450 000 attributions annuelles.

Enfin, la population française croît et les évolutions sociales favorisent la décohabitation.

La demande de logements est donc soutenue. La crise du logement est réelle dans de nombreux territoires, elle n’est pas une lubie. Construire plus et mieux n’est pas une option, c’est une absolue nécessité !

Mais comment y parvenir ? Je voudrais proposer trois pistes : aider, libérer, densifier.

Aider tout d’abord. Je l’ai dit, la réduction des capacités d’investissement des bailleurs est l’une des causes structurelles du phénomène que nous constatons aujourd’hui.

La mobilisation de 1, 2 milliard d’euros d’Action Logement au travers du redéploiement du plan d’investissement volontaire (PIV) et l’annonce de 42 000 nouveaux logements commandés par CDC Habitat viennent confirmer ce besoin.

Aider les bailleurs et les promoteurs est certes important, mais aider les maires est tout aussi nécessaire. Les exonérations de taxes locales non compensées par l’État sont devenues un obstacle majeur au développement du logement social. Pour un maire, il peut être plus raisonnable de payer des pénalités que de construire. Sur 500 millions d’euros de dégrèvements, seuls 16 millions sont compensés ! Comment financer la viabilisation des terrains, les écoles, les équipements et les transports dans ces conditions ?

Deuxième axe : libérer.

Les maires, comme les promoteurs et les bailleurs privés, se plaignent des contraintes qui pèsent sur eux. Au sortir de la crise, après avoir écouté promoteurs, architectes, aménageurs et élus, j’avais proposé un Ségur de la simplification de l’urbanisme, non pas comme une grand-messe, mais comme un exercice concret réunissant praticiens et juristes pour simplifier l’acte de construire et réduire enfin les délais et les coûts.

Je crois aussi qu’il faut oser ouvrir le débat sur quelques vaches sacrées du secteur. Le dispositif Pinel en est un exemple. La construction neuve en est dépendante, car il représente la moitié des logements en vente en l’état futur d’achèvement (VEFA). Mais c’est un piège à certains égards, puisqu’il empêche de développer véritablement le logement intermédiaire, qui coûte pourtant moins cher, et de créer un statut du bailleur privé vu non pas comme un rentier, mais comme un entrepreneur en logement.

Troisième axe : densifier.

Nous le savons, c’est la clé pour construire plus et mieux et pour limiter les conséquences néfastes de l’étalement urbain, mais, nous le savons tout autant, la densité fait peur et rencontre l’opposition de nombreux citoyens. Il faut la faire accepter. Je suis convaincue que c’est possible si l’on aide les maires bâtisseurs et si l’on propose de beaux projets qualitatifs correspondant aux demandes sociales et de véritables projets urbains, où densité rime avec solidarité et proximité des services.

Le concept de « ville du quart d’heure » de l’urbaniste Carlos Moreno a rencontré le succès médiatique. Peu importe le terme, relevons le défi de concevoir des villes pour le XXIe siècle !

Construire plus et mieux est vital pour loger tous les Français. C’est également vital pour notre économie. Mais plus largement, dans cette période de crise et de doute, nous avons besoin d’imaginer un futur meilleur. Construire est un acte d’espérance et de foi dans l’avenir. C’est un bien essentiel.

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